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Dans une période marquée par l’appauvrissement des recherches en économie et une radicalisation du discours libéral, l’ouvrage d’Hervé Defalvard représente un véritable espace de liberté de pensée. Il propose de combiner une analyse critique théorique des approches néoclassiques et une réflexion pragmatique sur les autres voies possibles. D’emblée, l’auteur précise que son travail présente « une révolution copernicienne qui revient à placer l’économie sociale et solidaire (ESS) au centre de l’économie afin que celle-ci tourne autour de ses pratiques et de ses valeurs ». Il n’entend supprimer ni les pratiques marchandes ni l’Etat, mais souhaite qu’ils deviennent les satellites d’une nouvelle économie des communs dont l’ESS serait porteuse.
L’ouvrage est clair, bien écrit et a des vertus pédagogiques indéniables. Il constitue un bon complément de cours pour les étudiants, mais devrait également servir aux enseignants. Il s’organise en dix leçons où l’auteur prend soin de mettre en lumière les vertus de l’ESS face au modèle standard. Nous ne discuterons pas ici l’ensemble des leçons, mais nous verrons en quoi ce travail avance une réflexion alternative.
La première leçon vise à montrer que l’économie, contrairement à ce que pensent les thuriféraires du marché, n’est pas une science naturelle. Hervé Defalvard part d’un constat simple : elle connaît aujourd’hui une dérive scientiste. Celle-ci repose sur une mise en équations qui fait perdre à l’économie sa nature morale et politique. Or, les premiers économistes libéraux s’inscrivaient dans une perspective politique en prônant la liberté économique. Il s’agit donc pour l’auteur de plaider pour que l’économie redevienne une science morale et politique, ce que seul un retour au pluralisme peut favoriser. Cependant, cette évolution n’est pas possible sans une transformation profonde des méthodes d’enseignement de la discipline.
La deuxième leçon souhaite dépasser le modèle uniquement marchand. Hervé Defalvard part de la définition d’Antoine-Augustin Cournot, pour qui le marché est « un territoire dont les parties sont unies par des rapports de libre commerce, en sorte que les prix s’y nivellent avec facilité et promptitude ». Au contraire, il montre que le marché est une construction résultant de l’imaginaire des économistes, la promesse d’un monde harmonieux fondé sur l’égalité et la liberté des individus. Pourtant, le marché ne constitue pas la seule solution. Il existe, comme le montre assez bien Hervé Defalvard, d’autres moyens de se coordonner : les associations, les mutuelles et l’ensemble des structures de l’économie sociale et solidaire, par exemple.
Ces dix leçons ont le mérite de déconstruire les mythes des approches néoclassiques et de mettre en lumière les limites du modèle marchand. La quatrième leçon sur les biens est sur ce point très intéressante. L’auteur montre, d’abord, que le monde des biens privés est incomplet, dans la mesure où les biens s’échangent sur des marchés de concurrence parfaite où les agents se placent en fonction de leur dotation initiale, alors même que celle-ci échappe à l’organisation sociale des marchés. Ensuite, le monde des biens privés est imparfait, dans la mesure où il se caractérise par des externalités. L’exemple des biens collectifs met en lumière l’échec du marché. Seul l’Etat peut en effet imposer un financement contributif pour une production optimale de biens collectifs. Ainsi, pour fonctionner, les marchés ont besoin de structures collectives sans lesquelles ils ne pourraient fonctionner. Dans ce cas, l’Etat ne s’oppose pas au marché, mais le sert.
Hervé Defalvard s’attaque également, dans la neuvième leçon, à la critique principale des néolibéraux vis-à-vis de l’Etat social : les pauvres sont nécessairement des fainéants. La théorie standard repose sur l’existence de trappes à inactivité et explique le chômage comme le résultat d’un arbitrage entre travail et loisir. Le chômage de longue durée est donc appréhendé comme un choix rationnel lié aux minima sociaux trop généreux. L’existence d’un revenu minimum garanti décourage le pauvre de reprendre un emploi, car le revenu de ce dernier n’est pas incitatif. La seule solution consiste à remettre en question ces minima, alors qu’ils ont été créés pour servir d’amortisseur à la crise économique.
L’auteur conclut son ouvrage en dressant les perspectives d’une économie en commun entre les firmes capitalistes, les entreprises et administrations publiques, les organisations de l’économie sociale et solidaire et les entreprises individuelles. Cet ouvrage stimulant est à mettre entre toutes les mains.