L’innovation sociale est devenue, en quelques années, un concept tellement galvaudé qu’il entretient une large confusion dans les débats. Utilisé d’abord en Amérique du Nord , il s’est généralisé avec l’arrivée, dans les années 90, de la notion anglo-saxonne d’« entrepreneurs sociaux ». Introduit ensuite par des travaux initiés par la Communauté européenne , il est entré dans la loi française du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire (ESS). L’objet de notre article n’est pas de dresser un inventaire des différentes acceptions de ce concept, mais plutôt de chercher, d’une part, à asseoir sa définition sur des fondements théoriques et, d’autre part, à tirer les conséquences pragmatiques de ce positionnement. Nous commencerons par l’innovation technologique, car c’est d’elle qu’il est question lorsque l’on évoque l’innovation sans donner d’autres précisions. Nous verrons cependant que cette définition masque des sous-entendus qui nous serviront pour définir l’innovation sociale. Cette définition peut déboucher sur deux approches : l’une collaborative, l’autre coopérative. Il importe de le préciser, car elles n’ont pas les mêmes implications en termes de projets politiques. Nous montrerons que la question de la propriété est au centre de ce qui les différencie. Un tableau de synthèse de ce raisonnement est présenté en annexe. Lorsque l’on parle d’« innovation », sans autre précision, on se réfère à J. Schumpeter, économiste autrichien (1883-1950), qui a cherché à expliquer les phases de croissance et de crise économiques par les différents types d’innovations de l’entrepreneur. Il en définit cinq : de nouveaux produits (l’automobile), de nouveaux procédés (la robotique), une nouvelle organisation du travail (le fordisme), l’ouverture d’un débouché nouveau (le satellite) et la création d’une matière première nouvelle (le gaz de schiste). Cependant, pour des raisons statistiques et économétriques, les économistes n’ont retenu que la seule création technologique qui recouvre les deux premières innovations (nouveau produit et nouveau procédé). L’intérêt d’une telle approche en termes d’analyse du sous-emploi est évident : si une nouvelle technologie prend la forme d’un nouveau produit, on peut s’attendre à un effet positif sur la demande finale via la consommation et donc sur la croissance, alors que si l’innovation technologique prend la forme d’un procédé, on a plutôt un effet immédiat sur la productivité du travail et donc sur l’économie du travail. Si le taux de croissance du produit intérieur brut (PIB) est supérieur à la productivité, on a un effet mécanique positif sur l’emploi, toutes choses égales par ailleurs. A l’opposé, comme c’est le cas pour la France, quand le taux de croissance de l’économie est de 1,9 % entre 1990 et 2007 contre un taux de 2,2 % des gains de productivité durant la même période, on a mécaniquement un accroissement du sous-emploi. Keynes l’avait déjà compris en 1928 lorsqu’il disait que « l’accroissement de l’efficience technologique a lieu plus vite que nous n’arrivons à faire face au problème que pose l’absorption de la main-d’oeuvre disponible ». Par ailleurs, chaque innovation technologique donne lieu à des apprentissages par l’usage. Par exemple, l’avion a été conçu pour surveiller, et ce n’est qu’après usage qu’il s’est transformé en un mode de transport de soldats, puis de voyageurs. Les transformations par l’usage sont alors inhérentes à l’innovation technologique, et il est rare que les concepteurs imaginent totalement l’usage qui en sera fait. Il importe également de souligner que presque toutes les créations technologiques s’accompagnent de réorganisation de processus et que l’innovation d’organisation (le toyotisme, par exemple) découle souvent, mais pas mécaniquement, de la nouvelle technologie (la robotisation). Il est par conséquent possible de réduire l’innovation schumpétérienne à l’innovation de produit et à l’innovation de procédé, comme le …
Parties annexes
Bibliographie
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