BibliographieNotes de lectureBibliographyReviews

Victor Considerant, grandeur et décadence du socialisme romantique, Jonathan Beecher. Les Presses du réel, 2012, 637 p. (trad. Michel Cordillot, version américaine de 2001)[Notice]

  • Jean-François Draperi

En 1986, Jonathan Beecher a livré un ouvrage sur Fourier (traduit en 1993), qui est devenu la biographie de référence du grand utopiste. Pourquoi diable, après plus de vingt ans de travail sur celui-ci, a-t-il ensuite passé dix ans encore en compagnie d’un Victor Considerant ignoré de tous ou presque ? Justement, nous dit l’auteur dans la préface de l’édition française, pour préserver Victor Considerant d’une « immense condescendance ». Précisément, à travers ce dernier, c’est le socialisme utopique que l’auteur restitue à la postérité. Il est impossible d’exprimer la richesse de ce monumental travail. Aussi soulignerons-nous ici le propos essentiel de l’ouvrage et quelques  apports intéressant plus particulièrement le mouvement coopératif. Le livre décrit en cinq parties la jeunesse de Victor Considerant dans la France postrévolutionnaire jusqu’à son accès à la tête du mouvement fouriériste français (1808-1840), son oeuvre en tant que penseur socialiste (1840-1848), la façon dont il a vécu la révolution de 1848 et ses conséquences (1848-1852), l’expédition fouriériste en Amérique et la guerre de Sécession (1852-1869) et, enfin, la dernière partie de sa vie en France, pendant et après la guerre de 1870 et la Commune de Paris (1869-1893). D’origine franc-comtoise, Victor Considerant a d’abord été disciple de Charles Fourier, chef de l’école sociétaire et responsable du premier journal socialiste français. Principal propagateur de la pensée de Fourier, qui lui doit largement sa renommée, c’est un orateur et un débatteur reconnu, auteur entre autres d’un traité théorique, Destinée sociale (1834-1844), et d’un Manifeste politique et social de la démocratie pacifiste (1843), qui l’ont rendu célèbre. Polytechnicien, il définit un fouriérisme original, expurgé des fantaisies de Charles Fourier et enrichi, en particulier d’une pensée sur le progrès. Il discute les théories sociales de ses contemporains, interprétant la thèse fouriériste face à celles de Saint-Simon, de Robert Owen et d’Etienne Cabet. Il a pour contradicteurs Proudhon, Pierre Leroux et Philippe Buchez, entretenant avec ces derniers une relation suivie. Député en 1848, il se réfugie en Belgique en 1849, fonde à Réunion au Texas une colonie fouriériste, s’installe durant dix ans en famille à San Antonio, vivant pauvrement et presque totalement coupé de tout débat intellectuel. Il regagne l’Europe en 1869 et joue encore un rôle, modeste mais original, au cours de la guerre de 1870 et de la Commune de Paris. Une personnalité attachante que Jules Prudhommeaux (1869-1946), auteur de la thèse sur Etienne Cabet et bon connaisseur du Familistère de Guise, alors élève au lycée  Henri-IV, aura même eu la possibilité de rencontrer dans les brasseries fréquentées par les étudiants autour de la Sorbonne. A travers le parcours de Victor Considerant, ce livre restitue l’importance du socialisme utopique, que l’auteur choisit de nommer « socialisme romantique ». Le terme a déjà été utilisé avant lui, mais le sens et l’importance que lui donne Beecher en renouvelle la signification et la portée. Celui-ci souligne l’intérêt que représentèrent pour lui les travaux fondateurs de Paul Bénichou sur le romantisme français (p. 29, note 3). On se souvient que le terme de socialisme utopique avait été attribué en 1878 par F. Engels aux divers courants du socialisme pré-marxiste, qui ne prenaient ainsi sens que par rapport au marxisme, nommé socialisme scientifique. « Durant plus d’un siècle, les débats entre spécialistes à propos du premier socialisme français ne s’écartèrent pas du cadre conceptuel défini par Marx et Engels » (p. 26). Or, affirme Jonathan Beecher, cette manière d’aborder le premier socialisme est à la fois réductrice et téléologique. Le socialisme romantique ne peut être considéré « comme une sorte de “lever de rideau” ayant précédé le socialisme marxien » …