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L’Université populaire Quart Monde : la construction du savoir émancipatoire, Geneviève Defraigne Tardieu. Presses universitaires de Paris Ouest, 2012[Notice]

  • Jean-François Draperi

Le titre de l’ouvrage (publication issue d’une thèse de doctorat soutenue sous la direction de René Barbier, prix de thèse René Rémond, 2011) met d’emblée en question l’affirmation, généralement considérée comme évidente, selon laquelle le savoir serait par nature émancipatoire. Les personnes connaissant la grande pauvreté tiennent la place centrale de l’Université populaire Quart Monde. « Tant que le pauvre n’est pas écouté, que les responsables de l’organisation de la cité ne s’instruisent pas de lui et de son monde, les mesures prises pour lui ne seront que des gestes par à-coups, répondant à des exigences superficielles et d’opportunité » (Wresinski J., cité p. 20). La réflexion et les apports théoriques de Wresinski émergent de la vie partagée et de la réflexion avec des personnes très démunies et des actions conduites avec elles au sein du Mouvement international ATD Quart Monde. Fondée en 1972, l’Université populaire Quart Monde est l’une de ces actions. Elle est actuellement active dans neuf régions françaises, en Belgique, en Suisse, aux Pays-Bas, en Espagne et au Canada, ainsi que sous des formes différentes, mais proches, en Grande-Bretagne, en Allemagne, au Guatemala, au Pérou, en Mexique, en Bolivie, aux Philippines, au Burkina Faso et au Sénégal, et elle le sera bientôt au Luxembourg et en Pologne. L’Université populaire Quart Monde se fonde sur l’idée que les personnes qui vivent dans la grande pauvreté sont porteuses d’une expérience de vie à partir de laquelle peuvent s’élaborer des savoirs. Elle est en premier lieu un rassemblement de personnes d’origines sociales très variées, qui vise à mettre au jour les réalités de vie de la pauvreté et de trouver ensemble les moyens de la combattre. Nul professeur dans cette université : « Un(e) animateur(trice) fait progresser l’expression personnelle et collective, la rencontre des différents types d’expériences et favorise l’émergence des savoirs apportés par chacun des participants. Un invité, spécialiste du thème débattu, entre en dialogue avec l’assemblée dont il a entendu les échanges. De nombreuses interactions ont lieu. Elles conduisent à la production de savoir et à des prises de conscience » (p. 23). Après avoir été enseignante dans le secondaire, l’auteure est volontaire permanente du mouvement Quart Monde, puis animatrice de l’université populaire pendant cinq ans, période au cours de laquelle elle ressent le besoin d’effectuer une recherche pour répondre à la question suivante : « Qu’est-ce qui permet aux personnes qui connaissent la grande pauvreté et ont vécu des échecs à l’école de se remettre à apprendre, de comprendre pour mieux maîtriser leur vie, de se situer dans le monde qui les entoure afin d’avoir un impact sur lui et d’agir pour leur propre libération et celle des autres ? » (p. 24). Le livre est construit en deux grandes parties : la première porte sur les fondements théoriques de la construction du savoir émancipatoire et la seconde sur l’Université populaire Quart Monde proprement dite. A la suite d’une réflexion théorique poussée, Geneviève Defraigne Tardieu définit une méthodologie assez complexe, qu’exige le projet émancipatoire de l’université en tant qu’objet de recherche. Celui-ci ne peut être défini de façon extérieure ; au contraire, il nécessite un renversement des relations entre le chercheur et son objet, les membres de l’université populaire devenant eux-mêmes acteurs dans la recherche. Pourquoi ce « renversement de paradigme » ? Parce que – c’est l’hypothèse centrale du livre – le lien entre la production de savoir et l’émancipation définit un rapport social spécifique. Donner la parole à ceux qui en sont privés n’est pas seulement une proposition éducative, c’est également une proposition politique qui change le rapport social et, bien entendu, la recherche elle-même …