Le sujet initial de l’ouvrage était l’autogestion en France. Devant le constat actuel d’absence presque complète du mot, mais de l’existence de pratiques, la démarche a évolué : « La méthodologie qui a semblé la plus appropriée est celle de l’enquête auprès de personnes dont la vie militante et (ou) professionnelle ferait référence à des pratiques collectives non hiérarchisées et à l’autonomie, c’est-à-dire aux bases mêmes de l’autogestion. » D’où l’évolution du titre de l’ouvrage, l'autogestion étant reléguée dans le sous-titre, avec les notions de démocratie et d’économie sociale et solidaire. Mais le contenu est là, et il est passionnant. Le livre est presque entièrement construit sur des témoignages de personnes ayant eu ou ayant toujours des pratiques autogestionnaires , pour beaucoup dans les années 70, mais aussi dans les années 80, 90 et à notre époque. Ces témoignages de plusieurs générations – divers, complets, nuancés et très souvent émouvants – montrent la constance des thématiques à travers des pratiques qui, elles, évoluent plus ou moins. Les différents chapitres traitent des principales thématiques (écologie, ville, féminisme, école, entreprise) autour du développement de quelques exemples symboliques ou moins connus. Chaque témoignage contient à la fois le récit d’une pratique et une réflexion sur celle-ci, présentant ainsi dans une théorisation très concrète des pratiques et des problèmes qui sont apparus. Seul le premier chapitre se livre à une présentation théorique des origines de l’autogestion au XIXe et au début du XXe siècle, à travers l’étude des courants politiques libertaires, marxistes et chrétiens. Nous voilà alors d’autant plus loin des pratiques que tout ce qui concerne les mouvements de sociétés de secours mutuel (ancêtres des mutuelles), de coopératives de production et de coopératives de consommation du XIXe siècle est renvoyé en introduction du dernier chapitre, consacré à l’économie sociale et solidaire . Cette absence dans le premier chapitre fait alors manquer la continuité des pratiques, si bien montrée ensuite pour les cinquante dernières années, qu’il s’agisse des revendications autogestionnaires ou des luttes et des lieux autogérés. Ce qui est très bien rappelé dans l’ouvrage est l’apport très important du christianisme social à l’autogestion, via le Parti socialiste unifié (PSU) et la Confédération française démocratique du travail (CFDT). Jeunesse agricole, étudiante ou ouvrière catholique, Action ouvrière catholique (ACO) et La Vie nouvelle : aucune des composantes n’est oubliée. Il n’est donc pas surprenant de retrouver dans les itinéraires des témoins le passage dans ces différentes organisations, voire souvent dans le scoutisme. Si ce rappel de l’apport du christianisme social à l’autogestion est important, d’autant plus qu’il est sans doute largement ignoré des générations actuelles, l’ouvrage pèche par l’absence de trois apports non négligeables : ceux des libertaires, des mouvements d’éducation populaire laïcs (Peuples et Cultures, Culture loisirs animation jeunesse [Claj, évoqué rapidement dans le dernier chapitre], etc.) et du mouvement communautaire, qui ont animé et animent toujours des lieux culturels ou des entreprises autogérés, sans aucune origine religieuse de leurs membres. On peut d’ailleurs noter que le PSU est présenté du point de vue rocardien, de manière partielle (même si ce qui est dit est juste), voire partiale : les « gauchistes » entrés en force au PSU après Mai 68 sont montrés comme perturbateurs et assez « dangereux », trop « marxistes-léninistes », donc « autoritaires », donc peu autogestionnaires. Vision tout à fait fausse. Les seuls aujourd’hui à défendre officiellement l’autogestion sont les Alternatifs, fruits de différentes recompositions de tendances dites gauchistes, du PSU et de la Ligue communiste d’antan. Sans oublier, bien sûr, les libertaires. Le dernier chapitre est consacré à l’économie sociale et solidaire. Son principal mérite, …
Créateurs d’utopies : démocratie, autogestion, économie sociale et solidaire, Pierre Thomé. Co-édition Adels et Yves Michel, 2012, 300 p.[Notice]
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Christian Vaillant
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