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La notion de réseau d’échange de proximité (REP) désigne les dispositifs de monnaies sociales localisés qui permettent à leurs membres de s’échanger multilatéralement des biens ou des services au moyen d’une monnaie parallèle. Ils sont basés sur la libre adhésion et la coopération volontaire des adhérents. Au Québec, les premiers REP ont fait leur apparition au milieu des années 90. Malgré la courte durée de vie de certaines initiatives, leur nombre ne cesse de s’accroître depuis. En 2011, on en dénombre cinquante, dont trente dispositifs de type système d’échange local (SEL), neuf de type jardin d’échange universel (JEU, régie individuelle des comptes), six de type Troc-tes-Trucs (activités ponctuelles d’échange d’objets) et cinq Accorderies (franchises lancées depuis la ville de Québec en 2004 [Fare, 2009-2010]). Ces dispositifs ont adopté des monnaies multilatérales prenant une forme scripturale, sans émission de billets. Dans ce cas, « ce sont les échanges qui, en nécessitant leur comptabilisation, entraînent une émission monétaire » (Blanc, 2009, p. 557). On y tient une gestion centralisée (SEL, Accorderie, Troc-tes-Trucs) ou décentralisée (JEU) du débit et du crédit de chaque adhérent.

Blanc (2009) identifie trois objectifs généralement partagés par les dispositifs de monnaies sociales : localiser les échanges dans l’espace communautaire ; les dynamiser au bénéfice des populations locales ; transformer les pratiques et les représentations de l’échange. Les REP partagent ainsi une certaine vision de l’échange, qui en fait bien plus qu’une transaction entre donneurs et preneurs de biens ou de services ; dans une logique réciprocitaire se voulant alternative à la logique marchande, ils deviennent aussi un moyen de créer du lien social. Jusqu’à quel point les adhérents [1] des REP québécois partagent-ils cette représentation de l’échange ? Pour quelles raisons s’impliquent-ils dans un REP ? Qu’apprécient-ils particulièrement ? Quelles incidences leur participation à un REP a-t-elle dans leur vie quotidienne ?

Partant de connaissances préalables issues d’études de cas (Boulianne, 2005, 2006), ainsi que d’une recension d’enquêtes statistiques présentée en première partie de l’article, nous avons lancé, en 2008, une étude s’adressant à l’ensemble des REP du Québec et à leurs membres [2]. La méthodologie de l’enquête fait l’objet de la deuxième partie du texte. Suivent les résultats qui concernent les dimensions organisationnelle et institutionnelle des REP, les caractéristiques des répondants, leurs motifs d’adhésion, leurs transactions à l’intérieur du REP, de même que leur appréciation du REP et de ses retombées.

Problématique de la recherche

Une recension d’écrits a permis de repérer huit études empiriques réalisées respectivement aux Etats-Unis (Jacob et al., 2004 ; Collom, 2007), en Norvège (Gran, 1998), au Royaume-Uni (Caldwell, 2000 ; Seyfang, 2001, 2003, 2004 ; Williams et al., 2001), en France (Lenzi, 2006) et en Australie (Liesch, Birch, 2000), selon une méthodologie comparable à la nôtre. Basées sur des enquêtes par questionnaire administré dans un ou plusieurs dispositifs d’échange, ces études visaient toutes à dresser un portrait des adhérents ou à identifier les retombées de leur participation. Elles ont porté sur des réseaux se présentant sous différentes modalités (LETS-SEL dans le cas des études menées au Royaume-Uni, en France, en Norvège et en Australie, banques de temps du Royaume-Uni et Ithaca hours étatsuniens). Différentes visées animent ces réseaux : l’écologie (notamment les systèmes norvégiens [Gran, 1998]), l’insertion sociale et professionnelle (les banques de temps britanniques [Williams et al., 2001]), le renforcement du tissu social ou la résistance au capitalisme et à l’exacerbation des inégalités sociales (Pacione, 1997).

Comme le montre le tableau 1 (en page suivante), six de ces études se sont attardées sur le profil des adhérents. Au risque de simplifier à outrance (le tableau permet cependant de relativiser le tout), on peut dire qu’elles révèlent que les membres des dispositifs de monnaies sociales étudiés sont surtout des femmes (sauf dans le cas des Ithaca hours [Jacob et al., 2004]), d’âge moyen, hautement scolarisées, au travail (sauf pour les LETS britanniques [Williams et al., 2001], où prédominaient les exclus), mais percevant des revenus plutôt modestes. Ce portrait général correspond d’assez près à celui qui émerge de l’enquête faisant l’objet de cet article.

Tableau 1

Principaux paramètres des enquêtes statistiques recensées

Principaux paramètres des enquêtes statistiques recensées

E : enquêtés. P : population en général (localité, région ou pays, selon le cas). ND : non disponible.

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Six études ont documenté les motifs d’adhésion ou les attentes des adhérents. Les dimensions prises en compte ont généralement trait :

  • aux biens ou services échangés, à leur poids relatif dans l’approvisionnement des ménages, à l’employabilité, au développement de clientèle, à l’accès au crédit, au pouvoir d’achat (dimension économique) ;

  • à la création ou à la consolidation de liens sociaux basés sur l’entraide, au sentiment d’appartenance à une communauté, à la justice sociale (dimension sociale) ;

  • aux manières de consommer, aux styles de vie et, plus généralement, à leurs impacts environnementaux ou écologiques (dimension environnementale).

A l’intérieur (ou au-delà) de ces catégories aux frontières plus ou moins étanches, plusieurs chercheurs distinguent aussi les motivations plus « égoïstes », qui ont trait à l’amélioration des situations individuelles des adhérents, et les motivations plus « idéologiques » ou « altruistes », qui concernent la collectivité. Certaines études introduisent des éléments qui relèvent de la santé (Collom, 2007) ou de la condition psychosociologique des adhérents (confiance en soi, estime de soi, sentiment d’utilité [Liesch, Birch, 2000]). Dans notre propre enquête, les énoncés ayant trait aux motifs d’adhésion et aux retombées perçues, inspirés de nos recherches précédentes sur le sujet et des écrits recensés, concernaient ces mêmes dimensions.

Toutes les recherches concluent à la coexistence d’une diversité de motivations et de retombées au sein des échantillons couverts, mais rares sont les études qui procèdent à des analyses bi-variées, mettant en relation les profils socioéconomiques des membres et leurs réponses aux questions ayant trait aux motifs d’adhésion, aux attentes ou aux incidences perçues de leur participation à un REP. Parmi les études mentionnées précédemment, seule celle de Lenzi (2006) montre certaines analyses bi-variées ; cependant, les distributions présentées ne font pas l’objet de tests statistiques permettant de mesurer le degré d’association entre les variables. La recherche dont nous publions ici les résultats s’avère donc originale à ce titre.

Méthodologie de la recherche

La recherche s’est déroulée en trois étapes : un inventaire des REP, un entretien téléphonique avec un responsable et une enquête par questionnaire auprès des membres.

Pour ce qui est de l’inventaire, nous avons mené plusieurs opérations : consultation de la toile, exploration des journaux et opération boule-de-neige menée auprès de membres de REP confirmés, qui nous dirigeaient alors vers d’autres REP. Au début de 2008, quarante-cinq REP, fonctionnels en principe, avaient été identifiés. Quatorze d’entre eux étaient des dispositifs de type SEL, treize de type JEU. Les dix-huit autres ne s’identifiaient à aucun de ces modèles types, même si plusieurs avaient un fonctionnement calqué sur celui des SEL.

Dans la deuxième étape de la recherche, des entretiens téléphoniques ont été réalisés auprès de la coordination des REP. Cette démarche visait à comprendre les réseaux en tant qu’organisations (production des services) et en tant qu’institutions (règles régissant les rapports entre les membres). Les données recueillies concernaient les conditions d’émergence des REP, leur statut juridique, leur mission, le public visé, l’évolution de leurs effectifs, les activités et les services offerts, les taux de participation, les ressources humaines impliquées, les structures de gouvernance mises en place, leurs relations avec d’autres organisations du milieu, ainsi que les phénomènes considérés comme étant favorables et défavorables au succès du REP. Parmi les quarante-cinq REP identifiés, quatorze responsables ont répondu à notre invitation et accepté de collaborer à l’étude. Leur participation consistait à prendre part à un entretien téléphonique d’environ une heure, réalisé à partir d’un questionnaire standardisé comptant quatre-vingts questions. Nous avions ainsi en main des informations sur les caractéristiques des REP nous permettant de les décrire et de mettre en contexte les résultats à venir sur les membres.

L’enquête par questionnaire destiné aux membres s’est déroulée de janvier à juin 2008. Douze REP ont pris part à cette étape de la recherche. Le nombre potentiel de répondants, correspondant au total de leurs adhérents, était de 1 554 personnes. Selon les préférences des responsables et des membres, il était possible de remplir le questionnaire sur une version papier, que l’on nous renvoyait ensuite par la poste, ou sur une version en ligne. Les coordinations des REP participants ont fourni une liste des courriels ou des adresses civiques de leurs adhérents, leur ont transmis directement le questionnaire par la poste ou leur ont redirigé par courriel un lien hypertexte menant vers le questionnaire en ligne.

Comme les responsables des douze REP participants avaient déjà fourni des informations sur le cadre organisationnel de leur réseau, le questionnaire de soixante-huit questions pouvait se concentrer sur les membres et leurs perceptions (tableau 2, en page suivante). Au terme de l’opération de recueil des données, 395 questionnaires avaient été collectés, dont 389 valides, ce qui représente un taux de réponse de 25 % des membres des douze REP participants. Cet échantillon s’avère représentatif sur la base du milieu géographique (tableau 3, en page suivante). Toutefois, lorsque l’on considère les REP un à un, la distribution de l’échantillon comporte des différences statistiquement significatives avec celle de la population mère (tableau 4, infra).

Considérant la représentativité limitée de l’échantillon, la description des REP et des membres ne peut être généralisée à l’ensemble des dispositifs québécois. Il est possible, en revanche, de procéder à des inférences statistiques pour constater la corrélation plus ou moins forte existant entre des variables.

L’analyse des données issues du questionnaire, à l’aide du logiciel SPSS, a pris la forme de distributions de fréquences (descriptives) et d’inférences (corrélations statistiques) entre certaines caractéristiques des REP et celles des répondants. Selon la nature des mesures (paramétriques ou non paramétriques), les tests du khi deux, de l’Anova et t de Student ont été mis à contribution. Ce sont d’ailleurs les inférences s’étant révélées significatives sur le plan statistique dont nous souhaitons rendre compte ici.

Tableau 2

Informations recueillies au moyen du questionnaire destiné aux membres des REP

Informations recueillies au moyen du questionnaire destiné aux membres des REP

* Les répondants indiquaient leur degré d’adhésion à chaque énoncé sur une échelle de Likert variant de 1 à 5.

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Tableau 3

Représentativité de l’échantillon selon le milieu géographique (urbain et région)

Représentativité de l’échantillon selon le milieu géographique (urbain et région)

Khi deux = 0,167 ; 1 d. l. ; p > 0,05 (non significatif).

* Milieu urbain : les villes de Montréal, Québec et Trois-Rivières.

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Tableau 4

Représentativité de l’échantillon en fonction de la taille des REP

Représentativité de l’échantillon en fonction de la taille des REP

Khi deux = 74,307 ; 11 d. l. ; p < 0,001 (significatif).

* Usage de numéros aux fins de confidentialité.

** Trente et un répondants n’ont pas précisé leur REP (nb = 389).

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Les dimensions organisationnelle et institutionnelle

Les entretiens téléphoniques avec quatorze responsables de REP révèlent qu’ils sont apparus entre 1996 et 2007. Ils comptaient, en 2008, entre 16 et 537 membres (114 en moyenne). Mis à part un REP de Montréal, leurs effectifs se sont accrus au fil des ans.

Sur le plan organisationnel, mentionnons que, dans neuf des quatorze REP étudiés, on peut échanger des biens ou des services. Quatre REP ne permettent de transiger que des services ; dans un seul, on échange uniquement des objets. Aucun ne se limite à l’échange ; tous organisent, sur une base plus ou moins régulière, des activités à caractère social, économique ou politique.

Sur le plan des ressources financières, le financement récurrent se révèle marginal. Cela explique en partie pourquoi plusieurs REP sont fragiles et s’éteignent après quelques mois ou quelques années d’existence. Par ailleurs, tous les REP étudiés ont recours au travail volontaire de leurs membres ou à celui des administrateurs élus. Parmi les quatre REP qui engagent des salariés, deux attribuent à un employé rémunéré la responsabilité de l’animation et de la coordination de leurs activités, ainsi que celle du suivi des échanges entre membres ; ces deux REP reçoivent un financement récurrent.

Tableau 5

Comparaison de l’âge des répondants avec la population québécoise

Comparaison de l’âge des répondants avec la population québécoise

Khi deux = 84,681 ; 7 d. l. ; p < 0,001 (significatif).

Source : Institut de la statistique du Québec, 2007

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Quant à la dimension institutionnelle des REP (statut juridique et modalités de gouvernance), soulignons que la moitié d’entre eux n’ont aucun statut juridique légal. Par ailleurs, quatre REP sont des organisations légalement constituées. Les trois autres sont gérés par une association dont ils dépendent juridiquement et financièrement. Si l’on revient aux quatre légalement constitués, ils le sont selon la formule juridique habituelle pour les associations au Québec, soit la compagnie à but non lucratif (troisième partie de la loi sur les compagnies). Celle-ci oblige à désigner un conseil d’administration. Peu importe leur statut juridique, huit REP disposent de règles explicites établissant une structure décisionnelle voulant assurer une gestion démocratique par les membres. Un membre sur cinq (20,5 % des répondants) prend part à l’une ou l’autre des instances de son réseau (conseil d’administration, comité exécutif, conseil exécutif ou commission).

Les caractéristiques socioéconomiques des adhérents

Les REP québécois s’adressent à un large public, mais plusieurs d’entre eux visent tout spécialement les ménages à faible revenu ou ayant de jeunes enfants. En outre, exception faite d’un REP mis sur pied par un centre de femmes, les gens de tous âges (tableau 5), des deux sexes, de tous niveaux de formation, de toutes origines et de toutes situations socioéconomiques y sont les bienvenus ; certains REP considèrent d’ailleurs que la mixité sociale représente une richesse collective.

Tableau 6

Niveau de scolarité des répondants et de la population québécoise

Niveau de scolarité des répondants et de la population québécoise

Khi deux = 133,564 ; 2 d. l. ; p < 0,001 (significatif).

Source : recensement canadien de 2006

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Tableau 7

Revenus personnels des répondants et de la population québécoise

Revenus personnels des répondants et de la population québécoise
Source : enquête sur la dynamique du travail et du revenu de Statistique Canada

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Avec la réserve d’une représentativité limitée de l’échantillon, on remarque que la grande majorité des membres sont des femmes (75,2 % des répondants). L’âge moyen dans les REP se situe à 47,5 ans (± 14,5 ans) et ce sont les 25-34 ans ainsi que les 55-64 ans qui y sont davantage présents (même si l’on exclut les 15-24 ans des distributions du tableau 5). Il s’agit de personnes relativement scolarisées (tableau 6), mais ayant des revenus plus faibles que la population québécoise (tableau 7).

Les répondants ont aussi des actifs plutôt modestes, si on se fie à la propriété de leur logement. Le taux de propriétaires s’avère en effet beaucoup plus important au Québec que chez les répondants (58,7 % comparativement à 37,7 %). Plus souvent que dans la population québécoise, les participants vivent seuls (45,9 % des répondants contre 30,5 %, d’après le recensement canadien). Signe qu’il s’agit de personnes engagées socialement, 59,3 % d’entre eux sont bénévoles dans au moins une association autre que leur REP au moment de l’enquête et l’étaient déjà avant d’y adhérer.

Les motifs d’adhésion

Les répondants ont indiqué l’importance qu’ils accordent à dix motifs d’adhésion (tableau 8).

Les analyses montrent une différence significative entre les hommes et les femmes quant à l’importance accordée à certains motifs d’adhésion (tableau 9, en page suivante). Les hommes évoquent plus fortement les objectifs de « connaître de nouvelles personnes ou développer de nouvelles amitiés » et de « partager [leurs] connaissances ». « Obtenir des biens ou des services sans avoir à débourser (en argent) » prend davantage d’importance chez les femmes que chez les hommes.

On observe également des différences significatives quant aux motivations à devenir membre d’un REP en fonction de l’âge (tableau 9). Les 15-34 ans cherchent davantage à « obtenir des biens ou des services sans avoir à débourser d'argent » et à « participer à une activité alternative », tandis que les 50 ans et plus aspirent à ce que le REP les amène à « partager [leurs] connaissances ».

En considérant les variables relatives à la scolarité et au revenu, on peut repérer des profils tout aussi révélateurs quant aux motifs d’adhésion (tableau 9). De façon relative, les moins scolarisés adhèrent au REP surtout pour « connaître de nouvelles personnes ou développer de nouvelles amitiés ». Chez les plus scolarisés, les motifs les plus caractéristiques sont différents : on espère plutôt « participer à une activité alternative » et « prendre part à un groupe partageant [ses] valeurs ». Lorsque l’on considère le revenu, les personnes les moins favorisées sur ce plan accordent davantage d’importance que les autres aux éventuelles retombées économiques de leur adhésion (« Augmenter mes chances de me trouver un emploi »). La question des valeurs s’avère également relativement importante.

Tableau 8

Importance accordée à différents motifs d’adhésion

Importance accordée à différents motifs d’adhésion

* Le score maximal est 100. Une échelle de Likert étalée de 1 à 5 a été transposée sur 100.

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Tableau 9

Corrélations statistiques entre les motifs d’adhésion et les caractéristiques des répondants

Corrélations statistiques entre les motifs d’adhésion et les caractéristiques des répondants

* Dans tous les cas où des scores sont inscrits, p < 0,05 (significatif).

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Les transactions effectuées dans les REP

Nous avons vérifié la fréquence selon laquelle les adhérents recourent au REP pour acquérir et fournir un bien ou un service. Globalement, les utilisateurs assidus sont largement minoritaires (tableau 10, en page suivante). On remarque que près des trois quarts des répondants ont affirmé recourir au REP (consommation) ou y fournir des biens ou des services (production) moins d’une fois par mois en moyenne.

Le manque de temps lié aux activités professionnelles et familiales constitue la raison la plus souvent évoquée comme limite à une participation plus importante dans le REP (15,9 %). Viennent tout juste derrière l’absence du réflexe de penser recourir au REP pour se procurer un bien ou un service (14,9 %), puis le manque de variété des biens et services offerts au sein du REP (14 %).

Tableau 10

Comparaison de l’âge des répondants avec la population québécoise

Comparaison de l’âge des répondants avec la population québécoise

* Nombre de fois par mois, en moyenne, que les répondants acquièrent ou fournissent un bien ou un service.

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L’appréciation du REP et de ses retombées

Les répondants se sont prononcés sur huit énoncés pouvant refléter leur satisfaction à l’égard de leur REP (tableau 11, en page suivante). Certains énoncés ont suscité des appréciations différenciées entre les groupes d’âge. C’est ainsi que plus on est âgé, moins on trouve que le REP répond à ses attentes et moins on trouve que « les moyens qui sont à la disposition des membres pour diffuser les offres de biens et services sont adéquats ». Chez les plus jeunes, on considère davantage que chez les autres groupes d’âge qu’il serait « dommage que le REP cesse ses activités ».

Par ailleurs, plus les revenus des adhérents sont élevés, moins ces derniers considèrent que « si le REP cessait de fonctionner, [leur] situation économique se détériorerait » ; chez les personnes ayant des revenus plus faibles, l’opinion est différente. Autrement dit, les personnes faisant partie des groupes à plus faible revenu voient davantage que les autres leur situation économique s’améliorer quand ils participent à un REP.

La fréquence des transactions effectuées au sein du REP est également à mettre en relation avec l’appréciation que les adhérents en font (avec des p < 0,05, significatifs). Dans un premier temps, plus grande est la fréquence de la contribution et du recours au REP, plus grande est la satisfaction ressentie par les adhérents, comme l’indiquent les scores obtenus par les énoncés « Si le REP cessait de fonctionner, ma situation économique se détériorerait » et « Je pense à quitter le REP ». Dans un deuxième temps, les personnes qui sont en déficit (reçu plus que fourni) apprécient davantage leur REP que celles qui sont en surplus (fourni plus que reçu). Le sentiment d’avoir davantage fourni que reçu suscite donc une appréciation plus faible du REP, et ce sur plusieurs énoncés. Dans un troisième temps, plus les membres participent aux activités organisées par leur REP, plus ils  l’apprécient. Ils songent beaucoup moins à « quitter le REP »,  ils sont plus « satisfaits de la qualité des biens et services offerts par les membres » et ils considèrent davantage que « le REP correspond à [leurs] attentes ». Le fait d’être présent ou non dans les instances décisionnelles d’un REP n’est associé d’aucune façon, sur le plan statistique, à une différenciation de l’appréciation [3]. En conséquence, les tests statistiques le révèlent clairement : plus les personnes ont un lien d’usage intense avec leur REP, plus elles l’apprécient et sont satisfaites de ce qu’il leur apporte.

Tableau 11

Sources de satisfaction des membres des REP

Sources de satisfaction des membres des REP

* Le score maximal est 100. Une échelle de Likert étalée de 1 à 5 a été transposée sur 100.

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Les retombées perçues

L’enquête a également recueilli l’avis des répondants sur une liste de dix-huit énoncés correspondant à des retombées possibles de leur participation à un REP (tableau 12, en page suivante).

Il est remarquable qu’aucun des énoncés n’occupant le haut du tableau n’ait trait à la dimension économique du REP. Les choix priorisés réfèrent plutôt à des dimensions idéologiques, environnementales et relevant de la solidarité sociale.

L’intensité, eu égard à chacun des énoncés, varie selon différentes caractéristiques des répondants, notamment en ce qui concerne le sexe. Les hommes considèrent plus fortement que les femmes que le REP leur permet d’« aider les autres », tandis que le score attribué par les femmes aux énoncés voulant que le REP leur permette de « consommer de manière plus respectueuse de l’environnement » et de « s’autonomiser par rapport au système économique conventionnel » est ressorti avec plus de force que chez les hommes.

Tableau 12

Les retombées des REP du point de vue des membres

Les retombées des REP du point de vue des membres

* Le score maximal est 100. Une échelle de Likert étalée de 1 à 5 a été transposée sur 100.

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Par ailleurs, on observe une différence significative des réponses selon la classe de revenus pour onze des dix-huit énoncés présentés aux répondants. Dans la grande majorité des cas, plus les revenus sont élevés, moins les retombées suggérées sont considérées comme étant importantes.

De la même manière, huit des dix-huit énoncés soumis aux répondants donnent lieu à une appréciation différente selon leur groupe d’âge. « Faire des économies » a par exemple obtenu un score plus élevé chez les plus jeunes adhérents (15-34 ans) que dans le groupe des 65 ans et plus. L’énoncé voulant que le REP permette aux membres d’« acquérir des habiletés ou des connaissances qui [les] aideraient à [se] trouver un emploi » bénéficie particulièrement de l’accord des plus jeunes. Comparativement à ces derniers, les membres les plus âgés estiment en revanche davantage que le REP leur permet de « prendre part à des activités de groupe ».

Eu égard au plus haut niveau de scolarité atteint, on obtient des réponses qui se distinguent de manière significative sur seulement trois des dix-huit énoncés fournis. Les plus scolarisés jugent fortes les retombées « Vivre davantage selon mes valeurs », « M’autonomiser par rapport au système économique conventionnel » et « Sentir que je peux contribuer à changer la société ».

Dans un autre ordre d’idées, la perception des retombées – à quelques exceptions près – varie en fonction des fréquences de la contribution et du recours aux REP. On retrouve ici une situation analogue à la satisfaction exprimée, qui s’avérait la plus grande relativement à une utilisation importante du REP, que ce soit pour l’obtention de biens et de services ou pour la contribution au REP.

Enfin, d’autres composantes du lien d’usage, telles que la participation aux activités et l’implication dans les instances décisionnelles des REP, annoncent une perception positive des retombées sur la plupart des aspects suggérés dans le questionnaire.

Conclusion

On retrouve au sein des adhérents des REP québécois des différenciations de sexe, d’âge, de niveau de revenu et de scolarité qui s’avèrent significatives quant au lien qu’ils entretiennent avec leur REP. C’est le cas, notamment, en ce qui concerne les motifs d’adhésion. Les femmes viennent dans les REP plutôt pour obtenir des biens et des services. Elles se montrent plus sensibles aux retombées environnementales de la consommation de proximité et aux possibilités d’autonomie à l’égard de l’économie marchande. Chez les hommes, l’attrait des REP réside plutôt, semble-t-il, dans les possibilités de sociabilité qu’ils y trouvent.

Nous nous sommes également intéressés à l’âge des adhérents. Il s’agit d’une variable qui révèle un ensemble d’intérêts et de préoccupations lié à une étape de vie. La possibilité d’obtenir des biens et des services attire les plus jeunes vers les REP. Pour leur part, les membres les plus âgés y trouvent une occasion de partager leurs connaissances. Pour eux, la sociabilité représente un aspect intéressant des REP et la dimension économique s’avère beaucoup moins importante que chez les plus jeunes. Par ailleurs, ils se montrent relativement critiques à l’égard de la qualité de l’offre de biens et de services dans les REP.

En outre, chez les moins scolarisés, l’espoir d’une plus grande sociabilité et d’une insertion professionnelle est susceptible de trouver réponse dans les réseaux d’échange. De leur côté, les adhérents les plus scolarisés attribuent aux REP des visées idéologiques orientées vers une organisation sociale alternative et respectueuse des valeurs de citoyenneté, entre autres.

La question des revenus a aussi été considérée. Contrairement à ce que l’on aurait pu croire, les raisons économiques ne constituent pas les principaux motifs d’adhésion des moins fortunés. Ce sont toutefois les membres ayant les plus faibles revenus qui estiment importantes les retombées économiques des REP. On comprend que les adhérents perçoivent de manière différenciée les objets d’appréciation des REP et privilégient des retombées qui leur sont propres. Selon les dispositions liées au genre, à l’étape de vie qu’elles traversent, à leurs actifs et à leur capital culturel, les personnes perçoivent davantage l’utilité de certains aspects du REP.

Enfin, les résultats d’enquête montrent qu’il existe un lien entre l’intensité de la participation au REP (fréquence des transactions et participation aux instances de gouvernance) et l’appréciation que l’on en a. Un lien d’usage fort participe à l’instauration d’une boucle vertueuse : plus on utilise un REP, plus on l’apprécie, et plus on l’apprécie, plus on l’utilise.

Ces résultats fournissent un portrait nuancé des dispositifs de monnaies sociales québécois. Si un certain nombre de REP ont fait l’objet d’études de cas (Boulianne 2006, 2005 ; Gaudreault, 2010 ; Leblanc, Rodriguez, 2005 ; Tall, 2005), on ne disposait d’aucune enquête élargie permettant de dégager des observations transversales. Malgré une démarche inclusive, le quart seulement des REP québécois existants en 2008 nous ont permis de solliciter leurs adhérents afin qu’ils prennent part à l’étude. La collecte des données a été une entreprise complexe et laborieuse, puisque, faute d’être associé dans une instance commune, chaque dispositif a dû être contacté individuellement. Des efforts soutenus, de la part d’un des dispositifs visés, pour susciter la participation de ses membres à l’enquête a résulté une surreprésentation de ce dispositif au sein de l’échantillon. Néanmoins, le traitement statistique auquel les données d’enquête ont été soumises a permis de dégager des corrélations significatives entre plusieurs des variables mobilisées. Cela permet de dépasser la simple description du profil des membres, de la variété de leurs intérêts et de leur lecture des avantages et des bénéfices qu’ils considèrent retirer de leur participation à un REP.

Il n’était pas possible, dans les limites de cet article, de comparer de manière systématique nos résultats à ceux d’enquêtes semblables réalisées dans d’autres pays et auxquelles nous avons fait allusion précédemment. Par ailleurs, les corrélations obtenues dans le cadre de cette recherche sont encore à expliquer. Nous n’avons pas souhaité proposer ici des interprétations qui auraient pu se révéler hasardeuses. Les coordinations de REP existants ou en gestation y trouveront néanmoins des constats bien documentés, qui pourraient leur être utiles dans la planification de dispositifs répondant aux attentes et aux aspirations des citoyens des villes comme à ceux des régions rurales.