Le dossier qui suit est constitué de quatre textes dont des versions préliminaires ont été présentées lors du colloque international, trilingue et pluridisciplinaire « Trente années de monnaies sociales et complémentaires, et après ? », qui s’est tenu à l’Ecole normale supérieure (ENS) de Lyon les 16 et 17 février 2011 . L’appel à communications cherchait à faire émerger des bilans de la dynamique enclenchée il y a bientôt trois décennies, sous forme d’études monographiques comme d’analyses comparatives sur le plan international ou historique, mais il encourageait aussi les approches théoriques . Le colloque a accueilli cinquante-trois communications, pour la plupart de chercheurs étrangers. Il a été doublé d’une journée destinée aux acteurs praticiens, élus locaux ou chargés de mission. Au total, 264 personnes, venant de plus de vingt pays, ont participé à tout ou partie de ces trois jours. Le colloque a contribué à faire émerger et à identifier une communauté de recherche jusqu’ici éparpillée et peu consciente d’elle-même. Il a permis de souligner la faiblesse de l’infrastructure intellectuelle à même de rassembler les chercheurs, mais aussi son émergence progressive : apparition de sites dédiés aux ressources relatives aux monnaies sociales et complémentaires , dont un site bibliographique de recension des écrits , et de l’International Journal of Community Currency Research (IJCCR) , la seule revue consacrée à ces questions. Bien que les quatre textes présentés dans ce dossier ne prétendent pas fournir une vue représentative du colloque, ils illustrent la diversité des expériences et des angles de vue. Ils montrent d’abord leur dispersion géographique : sont abordées les expériences en France, via les systèmes d’échange local et la monnaie SOL à Grenoble, en Amérique du Nord, via des réseaux d’échange de proximité québécois, et en Amérique du Sud, via la Banco Palmas au Brésil. Les dispositifs analysés permettent d’aborder les quatre générations qui ont émergé depuis les années 80 dans le monde . Le cas des systèmes d’échange local (SEL) français, étudiés par Cyrille Ferraton et David Vallat, et de la plupart des réseaux d’échanges de proximité québécois, étudiés par Manon Boulianne et Yvan Comeau, constitue une première génération : ce sont des monnaies de crédit mutuel, inconvertibles, intégrant l’échange de biens comme de services ; leur vocation est davantage sociale qu’économique. L’Accorderie québécoise, étudiée par Marie Fare, constitue une seconde génération de dispositifs, qui dérive de la première : le crédit mutuel est basé sur le temps, les échanges sont centrés sur des services strictement comptabilisés en temps et leur vocation est essentiellement sociale. Le palmas brésilien, étudié par Genauto Carvalho de França Filho, Ariádne Scalfoni Rigo et Jeová Torres Silva Junior, constitue sans doute le cas de succès le plus éclatant de la troisième génération de dispositifs : le palmas est convertible en monnaie nationale (mais suivant des conditions plus ou moins strictes) et il est employé dans les usages commerciaux courants ; sa vocation est d’abord économique. Enfin, le SOL français, étudié par Marie Fare en regard de l’Accorderie, renvoie à une quatrième génération : c’est une monnaie réunissant plusieurs projets simultanés. Le SOL alpin, qui fait plus particulièrement l’objet de l’analyse, s’est en réalité concentré sur la vocation économique d’une monnaie fidélisant des consommateurs dans un réseau de prestataires professionnels agréés, rabattant le projet sur celui d’une troisième génération. Les SEL français sont marqués par le refoulement de transactions marchandes et professionnelles. Cyrille Ferraton et David Vallat les analysent au travers du prisme de la dette et de la réciprocité, à partir d’un cadre analytique empruntant à l’anthropologie. L’utopie d’échanges égalitaires, horizontaux et personnalisés, mais dégagés du marché (dont l’idéal promeut pourtant l’horizontalité …
Regards sur les monnaies sociales et complémentaires[Notice]
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Jérôme Blanc
Maître de conférences HDR, université Lumière-Lyon 2
Chercheur, laboratoire Triangle, UMR 5206
jerome.blanc@univ-lyon2.fr