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Introduction
L’édition 2022 du colloque d’automne de l’Association de la recherche qualitative (ARQ) avait pour titre « L’analyse en groupe des pratiques professionnelles : de l’animation à la production de savoirs » et a réuni des personnes de quinze pays de la francophonie. Un des principaux objectifs de ce colloque scientifique entièrement gratuit et tenu en ligne était d’enrichir nos réflexions individuelles et collectives sur l’analyse en groupe de la pratique professionnelle en recherche et en formation, et ce, indépendamment du positionnement géographique et socioéconomique.
Afin d’étendre la portée de l’événement et de créer un pont entre la France et le Québec, nous mettons ici en perspective les orientations théoriques et méthodologiques des conférencières d’ouverture : Claudine Blanchard-Laville, professeure émérite en sciences de l’éducation et de la formation à l’Université Paris Nanterre et Joëlle Morrissette, professeure titulaire en sciences de l’éducation à l’Université de Montréal. Bien que distinctes, les perspectives psychanalytique et interactionniste permettent, chacune à leur manière, de tenir compte de la complexité de la pratique professionnelle dans les métiers du lien tels que l’éducation, la psychoéducation, le travail social, la psychologie, la gestion, la médecine, les soins infirmiers, la physiothérapie, etc.
Les orientations de recherche-formation décrites ici sont susceptibles d’inspirer les pratiques visant à coconstruire des savoirs à partir d’expériences professionnelles. Sous la forme d’un entretien, cet article met en perspective deux orientations pour analyser la pratique en groupe, et ce, en reprenant les axes du colloque, à savoir l’animation de groupe à visée formative et la collecte du matériau de recherche, puis l’analyse qualitative d’entretiens collectifs et la production de savoirs.
Mise en contexte : l’analyse en groupe de la pratique en formation et en recherche
Dans les secteurs d’activités à haute teneur relationnelle, l’incertitude et l’imprévisibilité caractérisent les situations rencontrées et contribuent à l’impératif contemporain d’une « professionnalisation tout au long de la vie » (Bourassa & Doucet, 2016, p. 13). Confrontés à la complexité de la pratique professionnelle et aux limites des cursus de formation initiale pour l’appréhender, des gens issus des mondes de la recherche, de l’enseignement et de la pratique s’interrogent sur la place accordée à l’expérience, que ce soit pour le développement, la transmission et l’intégration des savoirs.
Dès 1925, en instituant l’analyse didactique, la psychanalyse rompt avec les cadres normatifs du XXe siècle en matière d’enseignement et de recherche en plaçant l’expérience au coeur de la formation initiale (Nimier, 2008). Dans les années 1940, le groupe Balint émerge dans un souci de répondre aux besoins des groupes professionnels confrontés à la complexité de la dimension relationnelle de leur pratique. D’orientation psychanalytique, il s’agit d’un dispositif de formation et de recherche en médecine et en travail social d’abord, avant de s’étendre à d’autres domaines. Aux États-Unis, Schön publie Le praticien réflexif au début des années 1980 en s’inspirant du pragmatisme de Dewey (1933) dans le sillon de la recherche-action tracé par Lewin (1951). Il y propose une conceptualisation de la pratique réflexive qui souligne la pertinence des savoirs cachés dans l’agir professionnel, c’est-à-dire les savoirs qui se construisent « dans », « par » et « sur » l’action. Cette publication s’inscrit dans un renouvellement du rapport recherche-pratique en attirant l’attention sur les savoirs pratiqués, l’apprentissage expérientiel (Kolb, 1984) et le rôle des interactions sociales dans les apprentissages (Vygotsky, 1978). Depuis les années 1990, différents dispositifs de groupe se déploient pour analyser la pratique professionnelle en puisant à différentes épistémologies et méthodologies (Ravon, 2009). Un peu plus tard, Claudine Blanchard-Laville et Dominique Fablet (2000) proposent une définition des groupes dits d’analyse des pratiques professionnelles fondée sur leurs caractéristiques communes :
Ils conduisent à une analyse psychosociologique et/ou clinique en groupe restreint s’inscrivant dans une certaine durée;
Ils sont organisés dans un cadre institué de formation initiale ou continue;
Ils sont composés de participantes et participants exerçant un métier du lien qui s’impliquent dans la coconstruction du sens de leur pratique professionnelle ou dans son amélioration;
Ils sont animés selon des référents théoriques affirmés par un professionnel des pratiques analysées qui est garant du processus.
Dans les domaines de la recherche et de la formation, des deux côtés de l’Atlantique, la pertinence et les dérives possibles du déploiement de ces dispositifs de groupe sont en discussion (Araújo-Oliveira et al., 2018). Principalement, on reconnaît le potentiel de ces dispositifs pour soutenir le développement professionnel en produisant des savoirs contextualisés au sujet d’une pratique, tout en se préoccupant qu’ils ne concourent pas à réduire la complexité des situations en individualisant l’analyse des problématiques rencontrées en pratique, et ce, en occultant les conditions d’exercice et leurs contextes. Afin d’éviter ces écueils et de s’assurer de la pertinence des démarches de recherche formation qui mobilisent ces dispositifs d’analyse en groupe de la pratique professionnelle, nous abordons ci-dessous les positionnements épistémologiques de Claudine Blanchard-Laville et de Joëlle Morrissette.
Positionnement épistémologique : psychanalyse et sociologie interactionniste
Claudine Blanchard-Laville, votre conférence d’ouverture lors du Colloque de l’ARQ s’intitulait « De l’analyse clinique en groupe des pratiques professionnelles à la production de savoirs : une perspective clinique d’orientation psychanalytique »; pourriez-vous revenir sur les expériences qui ont façonné votre positionnement épistémologique?
CBL : Comme l’écrivait Sigmund Freud (1933/1995), la psychanalyse ne se laisse pas manier « aussi bien que des lunettes qu’on chausse pour lire et qu’on ôte pour aller se promener » (p. 227). Ainsi, mon lien à l’épistémologie psychanalytique est une source indéniable d’enrichissement. Je considère bénéficier d’une double expérience pour appuyer mon propos : celle d’animatrice de groupes cliniques d’analyse des pratiques professionnelles et celle de chercheuse clinicienne. Bien que ces expériences se relient sur certains points, je les estime distinctes. Depuis que j’ai commencé à animer des groupes d’enseignantes et enseignants en 1982, mes choix épistémologiques se sont renforcés. À partir des années 1990, je les ai affirmés, voire revendiqués, et j’ai commencé à animer des groupes composés de personnes issues de différents métiers du lien. Parallèlement, j’ai conduit un grand nombre de recherches sur les pratiques enseignantes, soit seule, soit le plus souvent en dirigeant des équipes de recherche. Mes choix épistémologiques sont également liés à ma trajectoire professionnelle : des mathématiques aux sciences de l’éducation en passant par la didactique des mathématiques pour en arriver à une perspective clinique d’orientation psychanalytique. Ce voyage transdisciplinaire m’a conduite, sur le plan des méthodologies de recherche, d’un usage du quantitatif et de méthodes statistiques que j’enseignais moi-même en psychologie à une référence quasi exclusive à la démarche clinique d’orientation psychanalytique. Cette approche à laquelle j’ai sensibilisé de nombreuses personnes dans le champ des sciences de l’éducation et de la formation présente deux versants, un versant formatif et un versant de recherche. Elle permet d’éclairer certains phénomènes inhérents à la relation pédagogique et, en tant que démarche de recherche, elle m’a guidée pour accompagner de nombreuses thèses cliniques en permettant d’étayer la construction du cursus de master intitulé Formation à l’intervention et à l’analyse des pratiques (FIAP). Le premier texte que j’ai écrit sur l’approche clinique d’inspiration psychanalytique a été publié en 1999 dans la Revue française de pédagogie et portait sur ses enjeux théoriques et méthodologiques. En 2003, c’est à travers un premier colloque que j’ai contribué à fédérer le réseau Cliopsy, qui a créé sa revue éponyme en ligne en 2009. Cette même année, notre colloque Cliopsy intitulé « L’analyse des pratiques : transmission, professionnalisation, recherche » visait à « rendre visibles les processus qui mettent en difficulté les professionnels dans leurs environnements de travail » (Yelnik & Bossard, 2010, p. 111) et à repérer les spécificités de l’orientation psychanalytique parmi les dispositifs de groupe existants. Ainsi nos préoccupations étaient assez proches de celles du colloque de l’ARQ 2022, au sens où nous nous intéressions aux modes de professionnalisation des personnes engagées dans l’animation de dispositifs de groupe d’analyse des pratiques.
De votre côté Joëlle Morrissette, votre conférence avait pour titre « L’entretien collectif pour appréhender la pratique professionnelle : une orientation sociologique interactionniste »; que diriez-vous des expériences sur lesquelles s’appuie votre positionnement épistémologique en recherche?
JM : Lorsque j’ai commencé mon doctorat en 2005, je n’avais pas encore réfléchi à cette question du positionnement en recherche. Par un heureux hasard, j’ai été orientée vers Serge Desgagné, un maître du qualitatif qui a contribué au développement de la recherche collaborative dans le monde francophone, et dont l’approche s’inscrit en droite ligne avec les propositions de Dewey (1933) concernant l’apprentissage « sur le tas », puis celles de Schön (1983) relatives aux savoirs qui se construisent dans l’expérience pratique. En dirigeant ma thèse, il m’a sensibilisée à la complémentarité des savoirs de terrain et des savoirs de recherche, et à la pertinence pour la recherche du point de vue singulier, informé par le contexte, de celles et ceux qui les produisent par leurs actions quotidiennes. Comme j’avais moi-même enseigné au primaire, j’avais une compréhension « de l’intérieur » de la pratique enseignante qui avait des affinités avec ce rapport de complémentarité entre théorie et pratique. Pendant le doctorat, j’ai aussi fréquenté la professeure Marie Larochelle qui m’a beaucoup appris sur le métier de chercheuse. Valorisant la démocratisation du processus de recherche, sa perspective rejetait la hiérarchisation des types de savoirs, ce qui est en phase avec mes propres valeurs et qui m’a aidée à me positionner épistémologiquement. À sa suggestion, la lecture de diverses contributions liées à mon domaine – alors l’évaluation des apprentissages –, mais aussi à d’autres, a guidé mon intérêt pour la sociologie dont j’ai reconnu le potentiel pour appréhender la complexité des objets d’études en considérant leur lien avec l’ensemble des pratiques sociales qui leur donnent sens. Probablement aussi parce que cette discipline proposait des potentialités originales par rapport aux travaux en sciences de l’éducation alors essentiellement quantitatifs et orientés par la psychologie. La sociologie pose le curseur de l’analyse non pas « dans » la tête des gens, mais bien « entre » eux, en étudiant leurs interactions au sein d’un champ d’influences mutuelles. Elle se tient ainsi à distance des modèles rationalistes et individualistes qui minimisent le rôle d’autrui dans la dynamique de la construction du savoir professionnel (Tardif et al., 2012). Aborder la question des pratiques d’évaluation des apprentissages sous l’angle des interactions m’a conduite à développer une fibre qualitative, et chaque expérience du processus d’élaboration de ma thèse a renforcé ce positionnement. J’ai apprécié par-dessus tout mon expérience de terrain avec les enseignantes d’une équipe-école : la démarche indéterminée, non balisée, qui permettait à l’objet de se construire pas à pas; l’apprentissage de la théorisation de mes découvertes, à rebours d’une démarche de vérification d’hypothèses; l’importance donnée aux expériences vécues et à leurs interprétations performatives plutôt qu’à la préséance de la théorie; les errances, les culs-de-sac, les aléas d’une analyse processuelle à distance du langage des variables durci ensuite dans un modèle linéaire général. En parallèle, constatant que la quantification investit de nouvelles contrées du territoire des sciences humaines et sociales et se fait dominante dans plusieurs disciplines (Morrissette & Demazière, 2019), je deviens quelque peu militante dès mon entrée en poste à titre de professeure à l’Université de Montréal en 2009 en cherchant à valoriser les apports de la recherche qualitative à rebours de mes collègues du secteur de la mesure et de l’évaluation qui versaient surtout dans les chiffres. Il m’est apparu essentiel, pour la santé des débats scientifiques, de travailler au rapport de complémentarité entre qualitatif et quantitatif, d’interroger la hiérarchisation des savoirs correspondant dans certaines disciplines et, ce faisant, de susciter des réflexions sur les pratiques concernées. Je me suis donc investie au sein du conseil d’administration de l’Association pour la recherche qualitative à partir de 2013, y occupant différents postes, et ai assumé sa présidence entre 2016 et 2023. Ainsi, à la manière dont Jean-Michel Chapoulie (2001) a retracé l’histoire de la tradition de Chicago avec la cohérence de ses fondements interactionnistes, c’est-à-dire en cherchant comment celle-ci s’est développée au travers des influences mutuelles, je dirais que mon positionnement épistémologique s’est forgé à l’aune des interactions avec ces deux personnes clés qui ont encadré mes études ainsi qu’avec ces enseignantes réflexives qui ont été mes premières collaboratrices de terrain. De façon plus diffuse, également à travers les interactions avec toutes les personnes côtoyées alors que j’étais doctorante puis jeune professeure : nos discussions en séminaire et en colloque, mais aussi dans des contextes informels dans les corridors ou en coulisse d’événements scientifiques. Ces influences ont rendu manifeste pour moi le déséquilibre du couple historique quali/quanti sous l’impact de politiques de la science qui ont tendance à (sur)valoriser les chiffres et la mesure au détriment des contextes d’interactions par lesquels les phénomènes humains et sociaux prennent sens.
Posture d’animation et collecte du matériau de recherche : tenir un double rôle
Claudine Blanchard-Laville, à quels référents théoriques et méthodologiques vous adossez-vous pour l’animation de vos groupes d’analyse des pratiques professionnelles en France?
CBL : Je m’exprime ici à partir d’une double expérience, celle de la conduite de groupes d’analyse clinique des pratiques professionnelles, puis celle de la recherche sur les pratiques enseignantes et sur les différents dispositifs dits d’« analyse des pratiques ». Pour moi, ces expériences d’animatrice et de chercheuse sont reliées, mais se distinguent par leur visée, la position que j’y occupe et, en conséquence, par rapport au type de savoirs qu’elles permettent de produire et sur lesquels nous reviendrons plus tard. Mes travaux de recherches et ma pratique avec des groupes se nourrissent mutuellement. À titre d’exemple, les hypothèses théoriques issues de mes recherches guident mes questionnements lorsque j’anime un groupe d’enseignantes et d’enseignants. Les associations et hypothèses d’analyse que je propose au groupe sont parfois inspirées de mes recherches, même si je ne fais pas d’apport théorique direct dans les dispositifs d’accompagnement clinique. Mes expériences de recherche portant principalement sur les pratiques enseignantes, le matériau rassemblé me permet de développer des savoirs principalement à l’intention de personnes qui exercent dans le domaine de l’éducation et de la formation. Dans mes livres[1], la théorisation que j’ai construite pour éclairer ce qui se passe sur le plan psychique lorsqu’une personne enseignante fait cours offre des clés de compréhension pour analyser la pratique enseignante. La question des référents théoriques se pose différemment lorsque j’anime des dispositifs de supervision, c’est-à-dire des groupes de personnes qui animent elles-mêmes des groupes d’APP, puisqu’il s’agit de former à l’animation de ce type de dispositif. Dans ces groupes de supervision, il m’arrive de faire des apports théoriques même si la priorité reste celle du travail élaboratif au sujet des mouvements transférentiels et contre-transférentiels induits par la posture d’animation des membres du groupe supervisés. Pour en arriver à ma théorisation, je me suis inspirée de référents psychanalytiques que j’ai transposés afin qu’ils puissent éclairer plus spécifiquement le contexte de la pratique enseignante qui diffère de celui d’une cure psychanalytique. Ma théorisation (2001, 2013) développe en particulier la notion de « rapport au savoir » à la suite des travaux de Jacky Beillerot et celles « d’espace psychique de la classe », « d’enveloppe psychique », de « transfert didactique » et de « holding didactique », « d’appareil psychique professionnel », des notions qui tiennent compte des différentes modalités des liens psychiques qui se déploient dans l’espace d’enseignement en m’appuyant sur certaines propositions théoriques de W.R. Bion (1962). La démarche psychanalytique implique qu’on ne peut pas faire abstraction des processus inconscients lors d’un acte professionnel.
Joëlle Morrissette, de votre côté de l’Atlantique, à quels référents théoriques et méthodologiques vous adossez-vous pour analyser en groupe la pratique professionnelle?
Toujours à l’époque de mon doctorat, Marie Larochelle m’a offert un cadeau inestimable en me proposant de lire Outsiders (1963) d’Howard Becker, puis Les mondes de l’art (1982) dans lesquels j’ai puisé ma conception pragmatique et interactionniste des savoirs professionnels. J’ai ensuite eu l’occasion de la développer et de la renforcer en commençant tôt en carrière à travailler avec Didier Demazière, chercheur au CNRS au Centre de sociologie des organisations à Sciences Po Paris. Selon une perspective interactionniste, les savoirs professionnels constituent des ressources mobilisées en action dont la transformation est constamment négociée au coeur d’interactions quotidiennes au travail (Baszanger, 1986; Morrissette & Demazière, 2018); celles qui se révèlent viables au sein d’un groupe se cristallisent en habitudes, en réponses réciproques, en manières communes d’interpréter les situations professionnelles : ce sont les « conventions » d’une culture professionnelle (Becker, 1982). Cette vision attachée à la complexité des interactions sociales m’a conduite à adopter principalement des démarches dans le cadre desquelles l’analyse en groupe est prépondérante. Ma conception de cette méthode renvoie à l’idée d’un espace d’intersubjectivité partagé, d’événements interactionnels faits de constructions conjointes et d’influences mutuelles entre les membres d’un groupe qui coopèrent pour construire du sens avec le soutien de mon animation qui favorise les échanges et la mise à distance (Mishler, 1986). Pour favoriser cette coconstruction de sens dans le cadre d’entretiens collectifs, je déploie des activités réflexives soutenues par des stratégies telles que la comparaison des expériences, la centration des relances sur les interactions et l’exploitation des turbulences dans le cours de l’activité professionnelle (Morrissette & Diédhiou, sous presse). L’idée est de susciter une discussion argumentée qui me permette d’appréhender comment les savoirs de la pratique sont négociés au sein de leur écologie professionnelle, par exemple au sein d’un groupe d’enseignantes au sujet de leurs pratiques d’évaluation formative. C’est ici que les éclairages théoriques de Becker sont à l’oeuvre, car ils guident mon travail de questionnement de la pratique professionnelle – par exemple l’enseignement, le droit, la physiothérapie, le travail social, etc. – en tant qu’action collective – par exemple l’enseignement : quelles sont les conventions tacites, vues comme des savoirs « viables », qui sous-tendent la coordination au sein d’une pratique professionnelle et comment sont-elles négociées selon les contextes et les positions occupées par les personnes impliquées? Ainsi, le produit de l’analyse en groupe est le résultat croisé de mon expertise méthodologique et de celle des personnes participantes vis-à-vis de leur pratique en contexte.
Joëlle Morrissette, de quels dispositifs de groupe vous inspirez-vous pour animer l’analyse de la pratique?
Le dispositif que j’emploie lorsque je conduis une démarche de recherche-formation relève toujours du « sur-mesure », c’est-à-dire que je le « bricole » selon différentes considérations relatives aux objectifs de recherche, aux savoirs à coproduire au sujet de la pratique professionnelle, etc. Chaque dispositif prévu peut être modifié selon ce qui se négocie avec les personnes participantes. Par exemple, il m’est arrivé d’avoir prévu filmer dans les classes pour analyser par la suite des extraits en groupe, mais de devoir trouver une alternative étant donné la réticence des personnes participantes. Malgré cette souplesse méthodologique, différents dispositifs m’ont inspirée. J’ai adhéré facilement aux postulats épistémologiques de la méthode d’analyse en groupe de Campenhoudt et al. (2005) qui s’inscrit dans une optique de démocratisation du processus de production de savoirs et dans une forte reconnaissance du point de vue des personnes participantes, plus encore de leurs points de vue croisés. La méthode est cependant trop balisée pour une interactionniste comme moi qui demande à suivre l’engagement conversationnel qui se déploie au sein du groupe. Pour favoriser le développement professionnel des personnes participantes, je m’inspire de dispositifs de groupe comme celui de codéveloppement professionnel de Payette et Champagne (1997). Ce type de dispositif oeuvre au partage des ressources socioculturelles et à une intégration théorie/pratique susceptible de produire des retombées à long terme pour les personnes participantes. Il est composé de personnes qui mettent leurs savoirs spécifiques au service des autres membres du groupe pour comprendre les problématiques vécues en pratique. J’emprunte souvent à ce type de dispositif les deux premières étapes de l’entretien collectif qui consistent à 1) inviter les personnes participantes à mettre en récit une problématique professionnelle importante et à partager des situations vécues qui en témoignent, puis à 2) clarifier cette problématique à la faveur des questions qui sont posées par les autres membres et qui permettent d’en approfondir la compréhension. Je m’arrête toujours là, au seuil de l’intervention, c’est-à-dire que les démarches que j’anime ne proposent pas directement une transformation des pratiques comme le font plusieurs dispositifs plus près de la recherche-action. Comme je m’intéresse aux savoirs tacites de terrain d’un point de vue pragmatique, je ne cherche pas à provoquer le changement, même si la réflexivité convoquée par la manière dont j’organise le travail collectif contribue à alimenter le développement personnel et professionnel des membres du groupe.
Claudine Blanchard-Laville, de votre côté, parlez-nous de votre dispositif d’analyse des pratiques professionnelles.
Pour présenter mon dispositif groupal, je vais évoquer les modalités de travail dans les groupes cliniques d’analyse des pratiques professionnelles (APP), le déroulement concret d’une séance lié aux spécificités de l’approche choisie et l’intérêt de ces référents méthodologiques. En premier lieu, je dirais que les modalités de travail psychique dans mes groupes d’APP s’inscrivent dans la filiation des travaux de Michael Balint (1960, 1982). Pour ma part, je constate que les personnes qui pratiquent un métier du lien sont aujourd’hui, et plus que jamais, confrontées à du déstabilisant, de l’inquiétant, du débordant. Face à certaines de leurs difficultés, j’ai la conviction que les approches rationnelles et neuroscientifiques, aussi utiles soient-elles, ne suffisent pas. La dimension relationnelle est éminemment présente dans la rencontre qu’induit l’acte professionnel et il est essentiel de la reconnaître dans sa complexité pour pouvoir l’appréhender sans trop de craintes. Ainsi, les sujets peuvent parvenir à se construire subjectivement une position professionnelle qui puisse « tenir » dans la durée et qui les autorise à se sentir relativement confortables pour ne pas aller au travail « la boule au ventre ». Je pense que ce positionnement peut s’élaborer en groupe par un travail d’après-coup de l’exercice de leur pratique. Ce travail psychique fait droit aux processus inconscients sous-jacents aux conduites professionnelles en situation qui peuvent être éclairés par une approche clinique d’orientation psychanalytique. Pour pouvoir conduire ces élaborations de la pratique, il s’agit de disposer d’espaces-temps protégés favorisant cette modalité de travail sur le fonctionnement psychique professionnel; il est nécessaire que ces groupes soient animés par des personnes formées à l’écoute des processus inconscients méconnus des personnes participantes et qui peuvent, dès lors, les accompagner sur le chemin de la construction d’assises professionnelles relativement stables. Quant au déroulement concret d’une séance, assez classiquement, il consiste pour chacune des personnes participantes à proposer au groupe le récit d’une situation vécue plus ou moins récemment dans sa pratique. D’abord, la personne rapportrice expose librement sa version de la situation qu’elle a choisi de mettre au travail. Ensuite, le groupe propose un questionnement visant à éclaircir et enrichir la version de l’événement présenté. Enfin, les membres du groupe explorent la situation de manière associative avec l’aide de l’animatrice et émettent des hypothèses qui devraient permettre à la personne rapportrice de saisir certains ressorts sous-jacents à sa conduite professionnelle, que ces ressorts soient liés à son histoire scolaire ou personnelle. Si le groupe est suffisamment coopératif pour ce travail, la personne rapporteuse se sent tantôt rassurée, grâce à l’empathie que manifeste le groupe, tantôt décentrée et parfois un peu déstabilisée par les questions qui lui sont adressées. Son appréhension initiale de la situation se modifie progressivement à condition qu’elle se sente en confiance dans l’espace de travail. Elle peut alors entrevoir d’autres facettes de la situation qui étaient impensables pour elle avant d’en avoir fait le récit à voix haute et que ce dernier ait été écouté et interrogé en groupe. L’intention dans le groupe n’est pas de dire ce qui devrait avoir été fait et ce qui devrait l’être, mais que, éclairée par les élaborations groupales, la personne rapporteuse modifie son rapport à la situation de pratique analysée puis, à plus long terme, son rapport à sa pratique en général. Mon rôle en tant qu’animatrice est de contribuer également à ce que ce travail accompagne la croissance psychique professionnelle de tous les membres du groupe. Par exemple, une éducatrice raconte s’être sentie en difficulté avec une adolescente lors d’une intervention. Le groupe va prendre connaissance du contexte de ce moment et explorer ce qui a pu influencer la conduite de l’éducatrice à un niveau conscient (intentions, conditions factuelles, temps et lieu de la rencontre, attentes institutionnelles), mais notre visée sera surtout de l’aider à appréhender ce qu’elle a éprouvé en termes de turbulences émotionnelles et ce qui l’a singulièrement affectée à ce moment. Qu’est-ce qui est venu résonner subjectivement pour elle de la singularité de cette rencontre?
Claudine Blanchard-Laville, parlez-nous de la pertinence du recours au groupe pour analyser la pratique professionnelle.
À partir de mon expérience d’accompagnement clinique de personnes exerçant un métier du lien, j’ai acquis la conviction qu’elles ont avantage à se tourner vers des dispositifs d’élaboration de leur pratique professionnelle plutôt que d’imaginer pouvoir s’en sortir seuls en renforçant leurs stratégies de défense habituelles. C’est une démarche inversée par rapport à celle qui consiste à tenter de faire appliquer des conseils. Les conseils peuvent ne pas suffire à aider un professionnel, car même si l’on veut s’en saisir, il se peut qu’en situation, on ne le puisse pas. Il existe quelque chose de plus fort qui peut nous pousser, sans que ce soit délibéré, vers certains modes de fonctionnement plus défensifs qui protègent notre narcissisme et qui font baisser l’angoisse plus rapidement. Dans ce que j’appelle maintenant mes groupes d’accompagnement clinique de la pratique professionnelle, le cadre groupal d’orientation psychanalytique présente un double bénéfice : d’une part, le travail qu’il permet aide les membres à assouplir la part de leur appareil psychique actualisée lors de la situation professionnelle rapportée, ce qui rend leur conduite plus malléable lors de leur pratique professionnelle; d’autre part, ce travail psychique sur leur pratique peut leur faire éprouver les bénéfices d’un tel cadre groupal, c’est-à-dire la possibilité de penser en sécurité sur un plan narcissique, sans se sentir menacé, pour arriver à travailler collectivement dans un esprit de coopération. L’expérimentation du respect des différences de points de vue et d’une écoute de l’autre fait vivre le plaisir de penser collectivement sa pratique et permet d’apprendre les bénéfices d’un cadre tenu avec fermeté et souplesse. Je rejoins Pierre Delion quand il évoque l’usage de ce qu’il appelle l’effet porteur de la fonction Balint considérant que
[la] personnalité (du médecin ou du soignant) est un des instruments qu’il a à sa disposition pour se mettre en harmonie, notamment émotionnelle, avec son patient, il est utile qu’il la connaisse un peu mieux, et qu’il la modifie dans le sens d’une capacité d’accueil de la souffrance de l’autre, physique et psychique, de l’assouplissement de son fonctionnement relationnel et d’une plus grande liberté de pensée, tous ces changements résultant d’une prise en compte du fonctionnement psychique inconscient
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C’est ainsi que dans ces groupes, il s’agit de faire vivre aux personnes participantes une expérience subjective inédite et régénérante pour qu’elles puissent articuler leur propre subjectivité avec d’autres subjectivités professionnelles, en partageant affects et émotions dans un climat de sécurité narcissique. Ce travail psychique revitalisant s’effectue dans le respect de la singularité de chacune et dans une ambiance où il est possible de partager les situations sans occulter les émotions qui émergent au détour des récits. Au contraire, ce travail psychique en groupe permet de transformer son rapport à la situation racontée et de se sentir émotionnellement plus dégagé. La position professionnelle s’étayant sur la dimension personnelle, il s’agit d’offrir des espaces pour penser la pratique professionnelle sans éviter la dimension personnelle, sans quoi cette dernière peut faire retour de manière imprévue dans le lien professionnel. C’est par la présence du groupe que la visée de régénérer la pratique et le soi professionnels peut être atteinte. D’abord, les échos au récit de la situation rapportée, lorsqu’ils sont réfractés par plusieurs psychismes, sont d’une richesse inouïe. De plus, lorsque les conditions permettent l’installation d’un espace contenant et sécurisant, le groupe devient très créatif au moment de proposer des hypothèses d’analyse. C’est pour favoriser cette créativité groupale et la capacité du groupe à contenir les émotions qui surgissent que je me porte garante du cadre et que je tente d’imprimer dès le départ un certain climat d’acceptation mutuelle et de tolérance aux différences. Dans ces espaces groupaux, ce qui est important c’est que le soi professionnel de chaque membre soit reconnu et rencontré. Au même sens où le soi du bébé est reconnu et créé-rencontré par sa ou son principal donneur de soin, ce qui lui permet de se construire dans un espace intermédiaire, puis dans un climat subjectif qui tempère les attaques à la fonction de liaison. Pour ma part, c’est ainsi que j’ai le sentiment de contribuer au soin psychique de la part professionnelle des membres de ces groupes en permettant l’élaboration psychique de situations qui les ont mis en difficulté, voire en souffrance. Le travail ainsi conduit leur permet de se dégager momentanément, ou à plus long terme selon la durée de ce travail, des scénarios les plus prégnants que nous sommes toutes et tous enclins à répéter dans notre vie personnelle et professionnelle. Ces scénarios qui s’instituent en nous comme des noyaux attracteurs inconscients de nos conduites professionnelles.
Joëlle Morrissette, quelles pertinences voyez-vous à l’analyse en groupe des pratiques professionnelles?
JM : L’analyse en groupe s’apprécie selon moi autant du point de vue de la recherche que de celui de la formation. Pour expliquer sa contribution en recherche, je me permets d’abord de rapporter une expérience. Un certain matin d’hiver 2007, je suis au fond d’une classe à filmer une enseignante de 6e année – appelons-la Andrée – qui accueille ses élèves un par un. Dans tout le brouhaha et toute l’effervescence d’un lundi matin 7 h 50, alors que les uns se racontent leur week-end, les autres défont leur sac d’école et déposent leur chaise derrière leur pupitre, j’entends Andrée qui dit à l’un des élèves : « Va chercher un bouli à la salle du personnel enseignant. » Derrière la caméra, je me demande ce qu’est un « bouli »… L’élève revient quelques minutes plus tard, mais bredouille. L’enseignante se tourne vers un autre élève et lui dit d’aller aider son camarade à aller chercher le bouli. Le temps passe, les élèves sont assis plus calmement et Andrée commence à partager des informations sur l’horaire de la journée, lorsque les deux élèves reviennent : « Madame Andrée! Nous sommes allés fouiller à la salle du personnel, avons demandé à la secrétaire et même à madame la directrice et rien! Personne n’a pu nous aider à trouver le bouli! » Sans un entretien avec cette enseignante, je n’aurais pas su que cet exercice visait à faire comprendre aux élèves qu’avant de se lancer dans une tâche, s’ils ne comprennent pas, ils doivent demander des explications. La veille, ils s’étaient lancés dans une tâche en mathématiques et l’avaient échouée puisqu’ils n’avaient pas compris les consignes. Bref, madame Andrée souhaitait provoquer chez eux une prise de conscience sur les risques de leur impulsivité, car bien entendu, un « bouli », ça n’existe pas! Selon moi, toute observation d’une pratique professionnelle est très partielle; j’ai besoin de comprendre cette pratique du point de vue de celles et ceux qui la mettent en oeuvre et de soumettre ce point de vue à d’autres qui ne peuvent que l’enrichir. Ainsi, lorsqu’Andrée a expliqué son intervention en classe lors d’une rencontre d’analyse en groupe, les questions croisées et la réflexion critique qui en a résulté ont également permis de comprendre que cette impulsivité des élèves est en partie produite par certaines habitudes des enseignantes et enseignants, de la « forme scolaire »[2] actuelle (Vincent, 1980). Ainsi, l’analyse en groupe a permis d’appréhender les significations de la pratique professionnelle au-delà de retracer la pluralité des interprétations et les processus d’ajustement, de négociation, au fondement de sa régulation. Comme je m’intéresse aux cultures professionnelles depuis 2013, l’entretien collectif est tout à fait approprié, voire à privilégier, pour comprendre une pratique, car la vie professionnelle est faite de négociations constantes entre un très grand nombre de personnes – plus qu’il n’y paraît a priori (Becker, 1982) –, de surcroît si celle-ci implique un métier relationnel comme l’enseignement. Mes récentes expériences de recherche m’ont appris que la confrontation des connaissances et des représentations entre des personnes qui occupent différentes positions au sein d’une écologie professionnelle produit des savoirs plus complexes sur la pratique.
D’un point de vue critique sur les processus de production de savoirs que je mets en place, le choix de l’analyse en groupe m’aide à éviter d’imposer mon propre point de vue sur l’objet d’études; ce risque est plus important en entretien individuel puisque la dynamique questions-réponses cadre davantage ce qui peut ou non être dit sur la pratique (Baker & Hinton, 1999; Larochelle & Désautels, 2001). À l’instar de Laplantine (1995), je considère que faire de la recherche, c’est tenter « de faire advenir avec les autres ce qu’on ne pense pas plutôt que vérifier sur les autres ce qu’on pense » (p. 186). Après les premières minutes, je m’extrais le plus possible de la conversation pour donner toute la place aux personnes participantes qui me conduisent ainsi là où est le sens pour elles. La dynamique qui s’engage au sein d’un groupe permet d’accueillir les questions et les préoccupations des membres en relation avec l’objet de discussion. Avec la confiance qui s’établit progressivement, la dynamique interactionnelle se libère graduellement de mes interventions – sauf méthodologiques – et l’objet d’étude est approfondi à la faveur du métissage des points de vue. En tant que chercheuse qui pratique des démarches collaboratives, l’analyse en groupe me semble l’une des méthodes les plus fécondes eu égard aux objectifs de formation que je poursuis de manière concomitante. À titre d’exemple, lors d’une démarche collaborative d’analyse de la pratique mise en oeuvre avec un groupe d’enseignantes du primaire, une rencontre a été organisée avec leur direction à leur demande; elles souhaitaient présenter ce qu’elles en avaient retiré. Mais au cours de cette rencontre, elles ont demandé à leur direction de les aider à créer les conditions pour entamer le même type de démarche d’analyse en groupe, mais sur d’autres sujets de préoccupation vis-à-vis leur pratique commune, et cette fois, sans moi. En d’autres mots, elles ont fait des apprentissages non seulement sur le plan de l’objet mais également méthodologique. Non seulement elles ont fait sienne la démarche que j’avais menée avec elles, mais elles se sont aussi émancipées de moi, ce qui a dépassé tous les espoirs que j’avais mis dans notre travail commun.
Cette issue est assurément liée au fait que l’analyse en groupe que je conduis s’inscrit dans une vision non prescriptive de la formation. Elle accueille l’expérience indéterminée, les questionnements, et permet l’émergence de repères provisoires qui soutiennent la position des personnes participantes en les aidant à mieux comprendre leurs conduites, à changer leur rapport avec leur environnement et, potentiellement, à renégocier leur relation à la pratique dans un espace de liberté nécessaire à la construction de leurs propres savoirs. Si elle favorise l’expression d’un éclairage bonifié de la pratique professionnelle, par exemple en lien avec certains enjeux et tensions liés à leur travail, l’analyse en groupe favorise aussi une forme d’objectivation (Desgagné & Bednarz, 2005) qui participe au développement d’un rapport émancipateur aux savoirs et du pouvoir d’agir individuel et collectif des personnes participantes.
Analyse du matériau et production de savoirs : renverser le rapport théorie-pratique
Claudine Blanchard-Laville, comment votre dispositif groupal d’analyse clinique des pratiques professionnelles permet-il de produire des savoirs?
Mon travail de théorisation est étroitement lié à la période durant laquelle j’ai pu mener plusieurs recherches subventionnées au sein d’équipes de recherche que je dirigeais. Pour développer ces savoirs, nous nous sommes appuyés sur des pratiques enseignantes effectives enregistrées. Bien que l’expérience clinique développée en animant des groupes d’analyse clinique des pratiques professionnelles ait nourri ce travail de théorisation, les intuitions cliniques qui ont eu la plus grande portée sur ma réflexion théorisante ont émergé des observations de la pratique effective d’enseignantes et d’enseignants en classe (in situ, audioscopées ou vidéoscopées) et non de mes groupes d’analyse des pratiques. Ainsi, sur la question de la production de savoirs, je distingue trois modalités : 1) la production de savoirs au sujet d’une pratique professionnelle à partir de nos recherches cliniques; 2) la coconstruction de savoirs d’expérience et de savoirs professionnels réalisés par les membres des groupes que nous accompagnons; 3) la production de savoirs scientifiques sur les référents théoriques et les dispositifs cliniques pour l’accompagnement groupal de personnes exerçant un métier du lien. En ce qui concerne tout en premier lieu la production de savoirs sur la pratique enseignante, j’illustre le travail d’élaboration d’enseignantes et d’enseignants que j’ai accompagnés cliniquement à travers l’analyse en groupe de leur pratique dans mon livre Au risque d’enseigner. Ces savoirs prennent la forme de récits reconstruits que je fais suivre d’un paragraphe plus théorisant sans que cette conceptualisation théorique n’ait été communiquée au moment de la séance de groupe. Le plus souvent, ces morceaux de théorisation sont issus d’hypothèses construites à travers le temps et « peaufinées » au fur et à mesure de nos avancées lors des observations cliniques in situ ou par la médiation d’enregistrements. Bref, les inférences théoriques qui se présentent ne sont pas issues de l’analyse des pratiques déclarées lors de groupes d’APP, mais naissent d’observations de pratiques effectives. En deuxième lieu, les savoirs pratiques et d’expériences que les personnes acquièrent en élaborant leur pratique en groupe leur permettent de développer et de soutenir une position professionnelle « adéquate sans plus » dans toutes les situations imprévues rencontrées en pratique. Ces savoirs que chaque membre du groupe construit, bien que pertinents, sont assez peu objectivables et appartiennent au développement professionnel de chacune et de chacun. En troisième lieu, les savoirs scientifiques sont principalement produits à l’intention du monde de la recherche et permettent d’expliciter les référents épistémologiques et les processus méthodologiques qui ont permis de les faire émerger. Dans certains cas, j’estime pertinent de restituer ce savoir aux personnes qui ont consenti à participer à nos recherches. Ainsi, nous les accompagnons à pouvoir lire ce que nous écrivons bien que ces écrits ne leur soient pas destinés directement. À l’instar de Nicole Mosconi (2001), je considère que l’analyse en groupe des pratiques professionnelles renverse le rapport communément posé entre savoirs théoriques et pratiques :
Ce ne sont pas les savoirs théoriques qui commandent mais les savoirs pratiques. L’analyse part des savoirs pratiques et de l’expérience et en opère la transformation. Elle retravaille la pratique vécue et la réélabore. Dans cette transformation des savoirs pratiques, les savoirs théoriques ne servent que de médiateurs, d’opérateurs de transformation. La finalité de l’analyse, ce sont les savoirs pratiques et non les savoirs théoriques
p. 33
Joëlle Morrissette, comment vos entretiens collectifs vous permettent-ils de coproduire des savoirs avec les professionnelles et professionnels?
JM : Comme je pratique la recherche collaborative, l’horizon de mon travail est celui de la coconstruction d’un savoir qui soit le produit combiné et inédit des logiques, intérêts et enjeux des uns et des autres. C’est là l’arrimage souhaité entre la théorie et la pratique pour un savoir professionnel qui soit reconnu tant par la communauté scientifique que par les communautés professionnelles concernées. Cet horizon renvoie à la valorisation des savoirs de terrain, d’expérience, qui ne constituent pas une forme dégradée des savoirs scientifiques, mais relèvent plutôt d’un autre type de savoirs (Darré, 1999). Ainsi, le processus de production de savoirs suivi dans le cadre de mon travail est vraiment un maillage des expertises. La connaissance en contexte des personnes qui participent à mes recherches collaboratives est au coeur de la production de savoirs, laquelle se réalise par théorisation progressive soumise régulièrement à leur validation. Il m’importe en effet que ces personnes se reconnaissent dans ma production scientifique.
Par ailleurs, si les savoirs variés que je produis au moyen d’analyses en groupe ont pris plusieurs formes au fil des ans, il reste qu’ils évoquent une certaine conception des pratiques professionnelles comme étant ancrées dans un « territoire » symbolique où se déploient diverses négociations à l’intérieur du groupe professionnel et avec d’autres. En 2011, j’ai publié un article visant à présenter le modèle d’analyse des pratiques[3] professionnelles que j’ai développé. Ce modèle « des trois zones de savoirs » permet, en situation d’entretien collectif ou en aval lors de l’analyse du matériau recueilli, de voir le périmètre des pratiques partagées, soit les conventions d’un groupe professionnel. C’est la « zone partagée » qui correspond aux savoirs communs du groupe qui sous-tendent l’action collective. Également, ce modèle propose de considérer que certaines pratiques professionnelles se distinguent soit par leur caractère innovant, soit par le fait qu’elles sont le propre d’une ou d’un membre qui fait les choses autrement par rapport aux conventions. C’est la « zone admise » investie par des « francs-tireurs » (Becker, 1982), mais dont l’action est reconnue par les autres membres comme faisant partie du territoire de pratique. Enfin, dans toute profession, il existe des pratiques qui ne font pas l’unanimité, qui semblent en décalage par rapport aux conventions, loin des idéaux qui fédèrent les membres du groupe professionnel. C’est la « zone contestée » qui est très intéressante d’un point de vue analytique, car elle permet de cerner les « accords pragmatiques » (Pépin, 1994) déployés par les membres d’un groupe pour faire face aux attentes sociales, voire aux injonctions, dans un contexte de pratique donné. Ainsi, ce modèle des trois zones permet de tenir compte de la complexité dans la présentation des résultats de recherches en maintenant une perspective compréhensive vis-à-vis l’action des personnes sur le terrain, c’est-à-dire en tentant de voir les choses de leur point de vue. Ce modèle a été repris en recherche (p. ex. Nadeau, 2021), mais je m’en sers aussi en formation lorsque j’analyse en groupe une pratique professionnelle. Ainsi, ce modèle se révèle pertinent en recherche qualitative parce qu’à partir de l’analyse d’entretiens de collectifs, il permet d’appréhender une culture professionnelle et de comprendre comment elle est socialement coconstruite. En parallèle, ces trois zones rendent visible la façon dont des personnes mobilisent leur agentivité pour négocier les normativités qui cadrent leur pratique professionnelle.
Claudine Blanchard-Laville, comment concevez-vous les personnes qui participent à vos groupes d’analyse des pratiques professionnelles?
CBL : Ma pratique de recherche, de formation et d’accompagnement clinique s’appuie principalement sur une théorie du sujet. Selon ma perspective clinique d’orientation psychanalytique, le sujet est agi par son inconscient et a un appareil psychique que Freud a décrit en termes d’instances en conflit; il a ses pulsions, ses fantasmes et est aux prises avec une réalité psychique régie par des processus inconscients qui lui sont propres, ceux qu’étudie justement la psychanalyse. Concernant la spécificité de ce que je nomme une clinique du lien professionnel d’orientation psychanalytique, le sujet professionnel est considéré comme un sujet complexe, un sujet psychique, assujetti à son inconscient. Le dispositif de groupe et l’approche clinique privilégiée en son sein permettent d’analyser des conflits qui peuvent intervenir entre la réalité psychique du sujet et la réalité extérieure rencontrée dans l’exercice professionnel. En somme, ce qui est mis au travail dans ce type de dispositif de groupe, ce sont les mouvements psychiques convoqués par le choc avec la réalité de la pratique dans les différentes situations professionnelles rencontrées. Cette conception du sujet permet de tenir compte dans l’analyse de la pratique du rapport qu’ont les professionnels aux difficultés rencontrées, aux éléments émanant d’eux-mêmes et qui agissent souvent à leur insu. En ce sens, l’analyse des pratiques que sous-tend cette approche est susceptible d’induire des changements profonds et durables dans les conduites professionnelles.
Joëlle Morrissette, comment concevez-vous les personnes qui participent aux entretiens collectifs que vous conduisez?
JM : En cohérence avec mes référents théoriques et méthodologiques pour l’analyse en groupe de la pratique professionnelle, ma manière de concevoir les personnes qui participent aux entretiens que j’anime se rapproche de la proposition de certains auteurs selon laquelle les gens « ordinaires » produisent, eux aussi, des savoirs pratiques, à savoir des manières de faire « avec » et « dans » la culture sociale (Darré, 1999; de Certeau, 1990; Genard & Cantelli, 2008; Giddens, 1987). Il n’est pas question ici de savoirs qui seraient « efficaces » au sens normatif, mais bien au sens pragmatique du terme, c’est-à-dire qu’ils « permettent de faire ». C’est une conception que je partage avec le sociologue Giddens (1987) pour qui la compétence de l’acteur social signifie qu’il jouit d’une certaine marge de manoeuvre, dispose de ressources pour agir, réfléchit sur cet agir et est capable d’en parler lorsque sollicité à cet effet. Entendue ainsi, cette compétence de l’acteur réfère non pas à une qualité, mais à une condition d’action : l’acteur agirait suivant la compréhension qu’il a des circonstances de son action, et de l’ajustement de cette définition de la situation à celles des autres acteurs avec lesquels il est engagé dans une interaction. À l’appui de ce concept de « compétence d’acteur social », je considère que les personnes qui participent à mes recherches sont capables de se prendre comme objet d’analyse, sachant, suivant Giddens, que leur réflexivité n’opère qu’en partie au niveau discursif. L’auteur distingue en effet leur « conscience discursive » de leur « conscience pratique » : la « conscience discursive » renvoie à tout ce que les personnes participantes peuvent exprimer de façon verbale concernant le contexte et les motifs de leur action ou de celles d’autres personnes; elle serait tributaire des schèmes interprétatifs ambiants, soit des modes de représentation et de classification qu’ils puisent dans leurs références socioculturelles, vues comme des conditions d’action. Quant à leur « conscience pratique », elle renvoie plutôt à tout ce qu’ils connaîtraient de façon tacite, tout ce qu’ils sauraient faire dans la vie quotidienne sans pouvoir l’exprimer directement, telles les routines intériorisées qui constituent le socle de la vie sociale. Néanmoins, dans certains contextes de sollicitation comme l’entretien collectif, ce qui est tacite peut être rendu discursif, c’est-à-dire que les personnes avec lesquelles je collabore dans le cadre de mes recherches rendent compte de leurs savoirs pratiques de manière réflexive par le truchement de mes stratégies méthodologiques.
Claudine Blanchard-Laville, quels sont les limites rencontrées et les pièges à éviter?
CBL : Le groupe est un espace potentiel au sens de Winnicott, mais chaque personne doit faire le travail psychique qui lui incombe. Sinon, les conflits internes et son travail de résolution sont expulsés et mis à la charge des autres (Racamier, 2001), ce qui contrevient à l’éthique professionnelle dans les métiers du lien. Ainsi, je ne travaille pas sur les pathologies individuelles, je tente de comprendre la souffrance professionnelle qui est elle-même liée aux difficultés structurales inhérentes au fait d’accepter et d’assurer un métier du lien dans les conditions de pratique actuelles. Alors que l’air du temps pousse plutôt à chercher du côté de facteurs externes contributifs de ces difficultés, je me penche sur la difficulté à soutenir cette place de l’intérieur. Le soi professionnel engagé dans les métiers du lien se construit progressivement sur un temps assez long; ainsi, il me semble utile de préserver la commensalité des liens entre sujets professionnels et de l’élaborer avec les personnes concernées. Car les forces de déliaison sont actuellement prégnantes dans la société et les attaques aux fonctions de liaison nombreuses. Je constate que beaucoup de ces métiers deviennent de plus en plus difficiles à exercer. On assiste aujourd’hui à une véritable mutation des liens sociaux que de nombreuses recherches en sociologie et en anthropologie s’emploient à décrire. Certains de ces dispositifs sont malencontreusement imprégnés de logiques évaluative et gestionnaire qui ne favorisent pas les processus de subjectivation professionnelle. Ceux-ci doivent être visés par le groupe afin que le désir professionnel des membres puisse être relancé pour tenter de parer au risque d’usure, pour que les émotions qui surgissent en situation professionnelle puissent être métabolisées par l’entremise d’un tiers et ainsi favorisent leur métabolisation psychique; pour sortir du sentiment de solitude sans tomber dans la confusion des places, pour que chaque membre du groupe puisse développer sa capacité à penser au-delà des risques de sidération du métier par une remise en route de son appareil à penser dans un contexte qui favorise une forme de transmission subjective du geste professionnel. En somme, je suis garante du cadre groupal, mais comme l’écrivait J.-B. Pontalis, le cadre est une « condition nécessaire mais non suffisante : [il] permet l’analyse, il ne la produit pas » (2022, p. 133). Aussi, même si nous savons pertinemment que la pratique professionnelle est multidimensionnelle, j’estime qu’on a intérêt à ne s’occuper que d’une seule dimension à la fois, que ce soit pour la recherche ou pour l’accompagnement : je crois qu’on est difficilement spécialiste de plusieurs registres, qu’il soit psychique, didactique ou social. Sachant que ma perspective offrait un éclairage partiel, lorsque j’ai voulu analyser la séquence de cours d’un enseignant, j’ai réuni une équipe de recherche dite codisciciplinaire composée de chercheuses et de chercheurs d’approches différentes en mesure d’analyser une séquence d’enseignement de mathématiques selon différents registres : des personnes en didactique des mathématiques, en sociologie et en pratique clinique d’orientation psychanalytique. J’estime qu’il y a très peu de personnes en recherche qui arrivent à être véritablement polyglottes et à parler plusieurs langues théoriques. Par ailleurs, dans certaines conditions, j’ai constaté que plusieurs chercheuses et chercheurs arrivent à entendre d’autres langues théoriques sans qu’il y est trop de malentendus, mais sans tenter de les parler pour autant, conservant celle qui leur est propre.
Joëlle Morrissette, que dire des limites des entretiens collectifs pour appréhender la complexité d’une pratique professionnelle et des pièges à éviter?
Chaque groupe que j’arrive à rassembler évolue vers une dynamique particulière. Dans certains, surtout lorsque les membres ne se connaissaient pas ou qu’il y avait des enjeux relatifs aux rapports de place entre eux (p. ex., un groupe composé de personnes enseignantes, de parents d’élèves et de directions d’établissement), j’ai parfois obtenu surtout ce que j’appelle du « discours sur ». De fait, les personnes évitaient de partager des pratiques ou des situations qui auraient pu les vulnérabiliser. Dans d’autres groupes, c’est tout le contraire : le degré de confiance qui s’est créé, l’intimité même, a permis de mettre le doigt sur des discriminations frontales et sur des préjugés ou tabous qui agissent de manière souterraine au sein de l’activité professionnelle. Donc, la composition d’un groupe est un enjeu critique. Une autre considération est le nombre d’analyses de la pratique qu’il est possible de faire avec le même groupe; l’expérience m’a montré que c’est après le troisième ou le quatrième entretien que les gens se dévoilent, car ils ont fait l’expérience de la bienveillance du groupe et osent. Donc, libérer cette parole et faire en sorte qu’elle soit bien accueillie constitue une condition sine qua non de notre capacité d’appréhender la complexité d’une pratique professionnelle en groupe. Je rencontre aussi fréquemment des pièges que j’essaie d’éviter. Parfois les personnes participantes ont leurs propres raisons de s’être portées volontaires et il arrive qu’elles utilisent les rencontres d’analyse pour faire porter certains messages. Un autre piège est celui de glisser vers des questions prospectives ou qui sollicitent des appréciations. Les réponses obtenues alors n’aident généralement pas à « comprendre » une pratique en termes d’action collective, ce qui constitue un piège en relation avec mon positionnement et le type de recherche-formation qui m’anime.
Discussion conclusive : distinctions et convergences entre ces perspectives de recherche
Cette contribution a permis d’offrir un accès privilégié aux perspectives de deux professeures-chercheuses d’exception qui chacune de leur côté de l’Atlantique analysent en groupe des pratiques professionnelles selon une double visée de recherche et de formation. Selon une perspective clinique d’orientation psychanalytique, la pratique de Claudine Blanchard-Laville tient compte des processus inconscients qui traversent les métiers du lien. Sa double programmation d’accompagnement clinique de la pratique en groupe et de recherche, que ce soit sur la pratique enseignante ou sur les dispositifs de groupe d’analyse des pratiques professionnelles, a permis de construire une théorisation d’inspiration psychanalytique de la pratique enseignante.
Adossée à une perspective sociologique et interactionniste, Joëlle Morrissette s’intéresse aux cultures et à la socialisation professionnelles, aux territoires symboliques des groupes professionnels ainsi qu’aux conventions sous-jacentes à leur pratique. Dans sa pratique de professeure-chercheuse, les entretiens collectifs permettent d’analyser en groupe la pratique tout en contribuant au développement professionnel des personnes participantes dont la réflexivité critique est mise à profit. Ses recherches produisent des savoirs inédits grâce à la complémentarité des expertises scientifiques et professionnelles et ont permis de développer des stratégies analytiques en recherche qualitative, dont une méthodologie d’analyse interactionniste en trois zones (partagée, admise et contestée) des pratiques professionnelles.
Bien que cette mise en perspective mette davantage en exergue leurs distinctions épistémologiques, certaines convergences peuvent être soulignées entre ces deux professeures-chercheuses. En plus de la double visée de recherche et de formation, les espaces groupaux qu’elles aménagent, qu’ils soient à visée clinique ou réflexive, permettent aux personnes participantes de mettre en dialogue leurs expériences et le sens qu’elles leur accordent. Dans les deux cas, ces processus de groupe enrichissent leur compréhension des situations et des pratiques professionnelles par la prise en compte de la diversité de dimensions et de perspectives. Leur posture d’animation s’appuie sur la confiance dans le potentiel des personnes participantes, sur la reconnaissance des savoirs professionnels et sur la pertinence de l’espace groupal pour les enrichir. De surcroît, elles s’intéressent toutes deux à l’implicite qui traverse les pratiques professionnelles en évitant d’adopter une posture d’experte et de prodiguer des conseils qui viseraient à orienter les conduites professionnelles (p. ex., bons modèles, bonnes pratiques). Enfin, les turbulences, qu’elles soient émotionnelles et interactionnelles, sont au coeur de leur analyse en groupe des pratiques professionnelles puisqu’elles offrent un accès privilégié à ce qui les sous-tend, que ce soit sous l’angle des processus inconscients ou des processus sociaux.
Parties annexes
Notes biographiques
Catherine Bélanger Sabourin est professeure à l’École de travail social de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Ses expériences en intervention de proximité et en médiation partenariale l’ont menée à s’intéresser à la complexité des situations d’intervention, aux liens théorie-pratique puis à la formation initiale et continue en travail social. Responsable de la formation pratique, elle enseigne également la méthodologie de l’intervention avec les familles et la supervision. Elle offre également de la formation en milieux communautaires, en pédiatrie sociale en communauté et à la Clinique transculturelle du CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal. Ses recherches portent sur l’analyse de la pratique de proximité avec des enfants et des familles en situation de vulnérabilité et sur l’intégration en stage de travailleuses sociales formées à l’étranger.
Joëlle Morrissette est professeure titulaire à la Faculté des sciences de l’éducation à l’Université de Montréal. S’inscrivant dans une perspective sociologique interactionniste des groupes professionnels, elle mobilise principalement une approche collaborative (recherche-formation) pour analyser la pratique enseignante. Ses travaux ont notamment permis d’éclairer les rapports interculturels à l’école, l’intégration professionnelle des enseignants formés à l’étranger, le savoir-faire des enseignants et les pratiques d’évaluation des apprentissages. Joëlle Morrissette a été présidente de l’ARQ entre 2016 et 2023 et a assumé la direction éditoriale de plusieurs revues scientifiques; elle est également l’auteure de nombreux articles scientifiques, chapitres et l’éditrice d’ouvrages tels qu’Enseigner et évaluer : regards sur les enjeux éthiques et sociopolitiques (PUL, 2014) et La socialisation professionnelle, au coeur des situations de travail (Octarès, 2019).
Claudine Blanchard-Laville est professeure émérite en sciences de l’éducation et de la formation à l’Université Paris Nanterre. Aujourd’hui directrice de publication de la revue Cliopsy et codirectrice de la collection Savoir et Formationaux éditions L’Harmattan, elle a d’abord été maître de conférences en mathématiques avant de devenir professeure des universités en sciences de l’éducation et de s’intéresser à l’apport d’une lecture psychanalytique pour l’analyse de la pratique enseignante. Elle a participé à la mise en place à l’Université Paris Nanterre du master professionnel de sciences de l’éducation Formation à l’intervention et à l’analyse de pratiques en 2005. Elle a dirigé et codirigé de nombreux ouvrages collectifs sur l’analyse des pratiques professionnelles, a rédigé plusieurs articles scientifiques et a publié des livres tels que Les enseignants entre plaisir et souffrance (PUF, 2001, rééd. numérique 2013) et, plus récemment, Au risque d’enseigner (PUF, 2013).
Notes
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[1]
Les livres les plus récents de C. Blanchard-Laville dans lesquels est présenté ce travail de conceptualisation sont Les enseignants, entre plaisir et souffrance et Au risque d’enseigner.
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[2]
Vincent (1980) explique que les modes d’apprentissage comme le compagnonnage ou la transmission filiale disparaissent vers la fin du 17e siècle dans les sociétés européennes au profit d’un autre mode de socialisation et de formation qui met de l’avant un apprentissage des savoirs en groupe – et non plus individuel – régi par les principes d’un agir normatif. C’est ce qu’il appelle la « forme scolaire ».
-
[3]
Le terme pratiques doit ici être envisagé comme regroupant autant des manières de concevoir le travail, d’exercer le travail que d’interagir au travail.
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