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Ce nouveau numéro de la revue Recherches qualitatives regroupe des articles de provenances géographiques fort variées soumis en continu, en dehors des numéros thématiques. Seulement dans ce numéro, on trouve des articles rédigés par des chercheurs du Cameroun, du Sénégal, de la Belgique, du Brésil, de la Suisse ainsi que du Québec. Malgré l’absence de thème ou d’appel de textes pouvant guider le propos, un fil conducteur se dégage néanmoins des contributions publiées dans ce numéro autour de la compréhension du monde de l’autre par le truchement des méthodes qualitatives. En effet, ces textes discutent de différentes manières le souci de comprendre le monde professionnel dans divers domaines et pays ou encore le vécu des usagers. Et plus largement, par la provenance internationale des articles, il semble de bon aloi d’avancer que ces textes permettent une meilleure compréhension du monde dans sa plus large acception.
La Revue reçoit de plus en plus d’articles en provenance de la francophonie africaine, signe que les idées voyagent, qu’elles trouvent un écho sur ces territoires, mais surtout que les chercheurs estiment que Recherches qualitatives constitue le bon médium pour les communiquer. En ce sens, le texte de Gabriel Etogo aborde la question du positionnement sociologique en discutant des fondements épistémologiques et des implications méthodologiques de l’approche compréhensive à partir d’une recherche portant sur la responsabilité sociale ou sociétale de l’entreprise (RSE) au Cameroun. Ainsi, sa recherche fournit une occasion d’apprentissage de la manière d’unir la théorie et l’empirie, de combiner le travail de conceptualisation et d’abstraction théorique, à partir de la recherche compréhensive, dans un contexte social précis et situé.
Toujours au Cameroun, Osée Hanko, Alexis Ngantchou et Christian Ewane abordent l’utilisation de l’analyse comparative continue de Glaser et Strauss pour générer des savoirs adaptés à la réalité sociale spécifique et à la diversité du management africain. L’analyse réalisée permet de discuter les conditions d’« importation » des théories élaborées dans un autre contexte national afin de rendre compte non pas d’une réalité, mais plutôt de cette réalité bien particulière. Ce faisant, les auteurs montrent que la recherche qualitative constitue un outil d’appréhension de la réalité dans laquelle on évolue, en générant des connaissances socialement situées produites avec des outils élaborés ailleurs.
Au Sénégal cette fois, le texte de Bakary Doucouré relate une réflexion méthodologique à partir d’enquêtes sociologiques variées sur la transmission de la pauvreté, sur l’orpaillage, sur la gouvernance forestière et la responsabilité sociale des entreprises du secteur minier. Il en dégage une analyse de la crédibilité du chercheur et de la relation de confiance dans un processus de recherche qualitative. Cette démarche autoréflexive et introspective permet de mettre à l’avant-plan la place de l’implexité (notamment l’enchevêtrement ou l’intrication des rôles du chercheur) et le rôle essentiel de l’éthique dans le processus d’enquête qualitative, tout en permettant de mieux comprendre le lien entre les deux.
À leur tour dans un contexte de recherche internationale, Florence Le Cam, de Belgique, et Fábio Henrique Pereira, du Brésil, portent un regard analytique sur les enjeux méthodologiques liés à la réalisation d’un travail de recherche mené par un binôme de chercheurs binational en s’inspirant de certaines procédures issues de la démarche de l’ethnographie rapide (ER). Pour reprendre leurs mots, cette démarche comparative a su « préserver la richesse des réalités nationales et la finesse des éléments à comparer, tout en justifiant la démarche méthodologique inductive et qualitative ».
Ensuite, l’article d’une équipe suisse composée d’Émilie Bovet, Matthieu Thomas, Angelika Güsewell, Gilles Bangerter, Alexia Stantzoz et Cédric Bornand présente une recherche-action visant à implanter un dispositif d’écoute musicale dans les chambres de soins intensifs d’hôpitaux psychiatriques suisses et français. Ce texte rapporte comment le projet s’est concrètement déroulé, avec ses réussites, ses défis et ses difficultés. Il permet ainsi d’avoir accès aux coulisses de la recherche afin de soulever les principaux enjeux au coeur de la recherche et ainsi d’interroger les conditions de possibilité des recherches-actions, notamment lorsqu’elles se déroulent en milieu hospitalier et en psychiatrie.
En souhaitant appréhender une réalité professionnelle particulière et chargée sur le plan émotif, David Lavoie et Valérie Bourgeois-Guérin exposent des éléments essentiels du cheminement réflexif, itératif et inductif du chercheur qui ont mené à l’élaboration d’une méthode et d’une grille d’analyse de l’expérience de la confrontation à la mort chez les infirmières en contexte d’aide médicale à mourir au Québec. Cet accès à l’élaboration d’un dispositif méthodologique, malgré le défi que représente la concision exigée dans un article, s’avère fort utile et pertinent pour saisir les contours d’une réalité sociale et professionnelle récente qui comporte son lot de défis, tant sur le plan de la pratique infirmière que sur le plan de la recherche qualitative.
Ce numéro est également l’occasion de publier le texte d’Anne Nadeau, lauréate du Concours 2020 du Prix Jean-Marie-Van-der-Maren. Ce prix récompense la qualité de la recherche réalisée par des diplômées et diplômés de troisième cycle et vise à encourager la relève en recherche qualitative. La thèse primée synthétisée dans ce texte porte sur les conceptions du rôle de passeur culturel des enseignants titulaires du primaire. À l’aide d’un devis méthodologique qualitatif s’appuyant sur des entretiens individuels, des groupes de discussion et les écrits des participantes dans un journal de bord, l’analyse thématique des données a révélé les facteurs qui influencent les conceptions des enseignants et qui les incitent à agir comme passeurs culturels auprès de leurs élèves.
Par ailleurs, la flexibilité qu’offre un numéro « hors thème » permet d’inaugurer une nouvelle rubrique qui présente la transcription d’un entretien mené avec un chercheur. Cette manière de proposer des idées pour nourrir la réflexion semble intéressante, en donnant un accès plus incarné et personnel à la réflexion méthodologique. C’est à l’initiative d’Emmanuel Guay, qui a rencontré le sociologue et ethnographe Iddo Tavory à l’Université de New York (NYU), que cette nouvelle rubrique a vu le jour et nous l’en remercions. L’entretien qu’il a réalisé permet de découvrir le parcours intellectuel, la pensée et plusieurs contributions de Tavory assez peu connues, semble-t-il, des chercheurs québécois et des chercheurs francophones en général. C’est grâce à une connaissance approfondie et pertinente de l’oeuvre qu’Emmanuel Guay ouvre une porte sur l’univers de Tavory. L’approche abductive – dont il présente les principes dans le cadre de l’entretien – y occupe une large place, à côté des concepts de communauté d’interrogation, de convocation (summoning) et d’anticipation, des concepts chers à Tavory qu’il a mobilisés dans ses travaux de recherche et autour desquels l’entretien s’organise.
Pour conclure ce numéro, nous proposons une « note de chercheurs », autre type de texte qui, comme la nouvelle rubrique présentant un entretien, n’est pas soumis à l’évaluation des pairs. L’article adopte un style plus personnel et éditorial. En nous appuyant sur notre expérience à la direction de la Revue, ainsi qu’auprès des étudiants et dans divers comités d’évaluation de la recherche, il a semblé pertinent de partager des observations sans prétention sur quelques habitudes discutables rencontrées dans la rédaction en recherche qualitative, et glanées lors de la lecture des dizaines d’articles par année soumis à la Revue, de travaux et de projets de recherche. L’article cherche d’abord à nourrir la réflexion en regard de certains choix de rédaction. Éventuellement, il trouvera peut-être aussi une utilité comme matériel pédagogique dans les cours de recherche qualitative. À chacun d’en juger!
Parties annexes
Notes biographiques
Frédéric Deschenaux est le directeur de la revue Recherches qualitatives depuis juin 2018. Il est professeur titulaire à l’unité départementale des sciences de l’éducation de l’Université du Québec à Rimouski où il enseigne la sociologie de l’éducation et les méthodes de recherche depuis 2004. Ses recherches portent sur les parcours scolaires et professionnels auprès de diverses populations. Il travaille aussi sur les méthodologies d’enquête en sciences sociales et les techniques d’analyse des données qualitatives. Il a collaboré aux activités de l’Association pour la recherche qualitative (ARQ) à titre de président (2000 à 2001) et de vice-président (2003 à 2008). Il a réalisé divers mandats pour la revue, dont le passage au format électronique en 1999 et il fait partie du comité de rédaction de la revue depuis 2004.
Chantal Royer est professeure au Département d’études en loisir, culture et tourisme de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) où elle enseigne les méthodes de recherche depuis 1997. Elle a été présidente de l’Association pour la recherche qualitative (ARQ) de 2002 à 2006. De 2002 à 2018, elle a dirigé la revue Recherches qualitatives dont elle assure maintenant la codirection aux côtés de Frédéric Deschenaux (UQAR). En 2004, elle a participé à la fondation du Réseau international francophone de recherche qualitative (RIFReQ) avec le professeur Alex Mucchielli (Université Paul Valéry). Depuis 2014, elle dirige la collection Temps libre et culture aux Presses de l’Université du Québec (avec Michel de la Durantaye [UQTR]). Sur le plan méthodologique, elle s’intéresse aux différentes stratégies qui fondent la recherche qualitative, au statut de cette dernière dans l’univers de la science, à sa valeur, à son évolution, aux manières de la transmettre et de l’enseigner. Par ailleurs, ses travaux de recherche portent sur les valeurs des jeunes dont elle analyse différentes facettes.