Résumés
Résumé
Dans cet article, une expérience de cocréation qui s’appuie sur une recherche-design en littératie médiatique multimodale est présentée. Cette recherche visait à documenter les pratiques multimodales et numériques de jeunes en contexte de recherche documentaire ou de création artistique. Des élèves de première secondaire, en classe d’histoire, ont pris part à ce projet novateur de cocréation alliant la lecture (réception) et l’écriture (production) multimodales. Le projet cocréé, l’atlas historique numérique, prend la forme d’un portfolio multimodal, puisque les élèves y ont regroupé les apprentissages réalisés tout au long de l’année sous différentes modalités : lignes du temps, images, textes, cartes, etc. Dans cet article qui prend la forme d’une documentation de pratique, le projet de l’atlas historique est présenté selon l’approche des 4P (portrait du milieu, processus de cocréation, projet, production). Enfin, les principaux constats qui émergent de l’expérience de cocréation ainsi que de l’expérimentation en classe du projet cocréé sont exposés.
Mots-clés :
- littératie médiatique multimodale,
- univers social,
- histoire,
- cocréation,
- atlas historique
Abstract
In this article, a co-creation experience based on research-design in multimodal literacy is presented. This research aimed to document the multimodal and digital practices of students in the context of documentary research or artistic creation. Secondary II students, in history class, took part of this innovative co-creation project combining multimodal reading (reception) and writing (production). The co-created project, a digital historical atlas, takes the form of a multimodal portfolio, as students grouped their learning in different ways: timelines, images, texts, maps, etc. In this article, which takes the form of a documentation of practices, we present the historical atlas project according to the 4P approach (portrait of the environment, process of co-creation, project, production). Finally, the main findings emerging from the co-creation experience and from the experimentation of the co-created project in class are presented.
Keywords:
- multimodal literacy,
- social sciences,
- history,
- co-creation,
- historical atlas
Corps de l’article
Le 21e siècle a profondément transformé la manière de communiquer et la vitesse à laquelle les informations circulent. Les adolescentes et les adolescents ont d’ailleurs accès à une panoplie d’outils technologiques pour produire et recevoir des informations qui combinent plusieurs modes sémiotiques tels que du texte, des sons et des images (Lacelle et Lebrun, 2016). S’inscrivant dans l’objectif de participer au développement des compétences de communication du 21e siècle, foncièrement numériques, chez les élèves du secondaire, nous présentons dans cet article un projet d’envergure mis en place dans une classe de première secondaire en Histoire et éducation à la citoyenneté en 2018-2019 : le projet de l’atlas historique. Ce projet pédagogique s’inscrit à l’intérieur d’une plus vaste étude portant sur la littératie médiatique multimodale en contexte numérique (LMM@), subventionnée par le Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH; 2017-2020), et dirigée par Nathalie Lacelle. Dans le cadre de cette étude, des chercheuses et des chercheurs, en collaboration avec des enseignantes et des enseignants, ont travaillé de concert dans le but de développer et d’expérimenter des activités pédagogiques visant le développement de compétences numériques et multimodales en classe de français, d’univers social ou d’arts.
Afin de décrire ce projet et son contexte de réalisation, nous nous appuyons sur les quatre principes directeurs de la cocréation (Lacelle et al., 2019; Richard et Lacelle, 2020), soit la méthode des 4P. Celle-ci nous invite à dresser le Portrait du milieu où s’est déroulé le projet, à préciser le Processus de cocréation ayant mené à son élaboration, à décrire le Projet et à présenter les Productions en découlant. En amont toutefois de cette présentation autour des 4P, nous contextualisons davantage le projet mené au regard de l’étude scientifique dans laquelle il s’insère, mais aussi dans la perspective plus spécifique du champ de la didactique de l’histoire. De même, nous proposons à la suite de la présentation autour des 4P une analyse interprétative de l’expérience vécue permettant de mettre en lumière les principaux constats qui en émanent.
1. Mise en contexte
L’étude dans laquelle est intégrée le projet de l’atlas historique numérique s’inscrit dans la problématique générale de l’adaptation des pratiques éducatives aux modes de communication et d’apprentissage en contexte numérique, et plus spécialement aux pratiques de réception et de production traitées en LMM[1]. Dans l’époque résolument numérique et multimodale qui est la nôtre, l’école ne peut y échapper; elle doit favoriser la mise en place de pratiques éducatives s’harmonisant aux modes de communication (réception/production) des jeunes d’aujourd’hui. En vue d’affirmer ce rôle de l’école, entre autres, par le biais de l’enseignement-apprentissage des compétences de LMM en classe de français, d’univers social et d’arts[2], mais aussi pour favoriser la synergie entre la recherche et les milieux de pratique, cette étude poursuivait deux objectifs. Ils sont ici nommés :
documenter les ressources numériques et multimodales mobilisées par les élèves en situation de réalisation d’une recherche documentaire ou d’une création artistique en contextes scolaire et extrascolaire;
construire, valider et implanter, en collaboration avec des enseignantes et enseignants et des élèves, un modèle de recherche-design (DBR) incluant des dispositifs pour la réalisation de travaux scolaires de recherche documentaire ou de création artistique qui tiennent compte des compétences en LMM développées en contextes numériques scolaire et extrascolaire[3].
Pour atteindre ces objectifs, plusieurs projets de cocréation tournés vers l’élaboration de dispositifs pédagogiques mobilisant les compétences de LMM ont été mis en oeuvre; le projet de l’atlas historique est l’un d’eux.
1.1. L’origine du projet de l’atlas historique
Le projet de l’atlas historique est né d’une collaboration étroite entre un praticien et une chercheuse, tous les deux intéressés au rôle de la littératie dans le contexte de l’enseignement-apprentissage des sciences humaines et sociales. Bien que certaines des réflexions et des pratiques sur lesquelles le projet s’appuie aient pris naissance bien avant l’étude scientifique dans laquelle il s’intègre, il s’est véritablement déployé dans le contexte de la recherche décrite dans cet article. C’est grâce à cette dernière que les conditions permettant sa mise en oeuvre complète et l’étude documentée de celle-ci ont en effet été réunies.
Ce projet mené en classe d’univers social prend appui sur le rôle important que tient l’écriture (et plus généralement la production de messages, peu importe leur forme) dans l’apprentissage de l’histoire (Martel, 2018; Moniot, 1993), et plus largement dans l’apprentissage conceptuel (Barth, 2013; Boulet, 2022). Afin d’amener les élèves à développer leurs compétences et à assurer leur compréhension des réalités historiques à l’étude en première année du secondaire, le projet élaboré les invite à s’impliquer concrètement dans la construction de leurs connaissances et dans les manières de s’en servir (Barth, 1993), en mobilisant pour ce faire des compétences de réception et de production en LMM.
Cette construction de sens, inhérente au projet de l’atlas historique, renvoie à l’apprentissage conceptuel, l’une des fonctions premières du domaine de l’univers social (Demers et al., 2012; Éthier et al., 2011), malheureusement peu explorée au Québec. Le projet renvoie aussi à la « méthode » de constitution du savoir propre à l’histoire qui exige, entre autres, des habiletés particulières sur le plan de l’analyse et du traitement – en réception et en production – de l’information (Jadoulle, 2015; Martineau, 2010), habiletés qu’il convient de circonscrire davantage auprès des élèves invités à s’investir dans cette méthode. Plus largement encore, il interpelle le champ plus vaste de la littératie (Lacelle et al., 2016) et de la LMM (Lacelle et al., 2017) dans le contexte de la classe d’histoire (Martel, 2018), spécifiquement lorsque celle-ci est tournée vers l’apprentissage par problématisation (Vézier, 2013) et une didactique de l’enquête (Jadoulle, 2015).
2. Présentation du projet de l’atlas numérique en 4P
Nous présentons, dans cette section de l’article, le projet de l’atlas historique en nous appuyant sur les principes directeurs de la cocréation (Lacelle et al., 2019; Richard et Lacelle, 2020) et conséquemment la méthode des 4P. Le portrait du milieu dans lequel s’est déroulé le projet y est donc présenté sommairement, tout comme le processus de cocréation ayant mené à son élaboration. Le projet, ou dispositif pédagogique coélaboré, est par la suite détaillé. Pour compléter ce volet descriptif, une présentation plus complète de productions découlant du projet est réalisée.
2.1. Portrait du milieu et des acteurs
Le projet de l’atlas historique s’est déroulé dans des classes de première secondaire en Histoire et éducation à la citoyenneté du Juvénat de Notre-Dame (JND) du Saint-Laurent. Il s’agit d’une école secondaire privée mixte de la ville de Lévis. Situé aux abords du fleuve Saint-Laurent, le JND, porteur d’une riche histoire, est fréquenté par environ 900 élèves. En plus des programmes scolaires (Langues, Sport3D, Découvertes, MédiasTIC), plusieurs activités sportives, artistiques et culturelles sont offertes aux jeunes. Le projet éducatif du JND est teinté par l’héritage des Frères de l’instruction chrétienne et accorde une importance particulière aux valeurs humaines et la présence bienveillante du personnel envers les élèves. L’une des intentions pédagogiques poursuivies par cette école est de rendre les élèves autonomes, actifs et créatifs dans leurs apprentissages. De même, la collaboration, la différenciation pédagogique et la rétroaction constituent, pour cette école, des vecteurs importants afin de préparer les élèves à la vie actuelle et future. Les élèves évoluent également dans un environnement numérique, puisqu’ils utilisent une tablette numérique comme support à leur apprentissage et à l’organisation du travail et ils sont amenés à travailler avec différentes plateformes numériques.
L’atlas historique est un projet cocréé entre un enseignant de première secondaire en Histoire et éducation à la citoyenneté, ses élèves, une chercheuse en didactique des sciences humaines et un chercheur en didactique de la littératie, membres de la Chaire LMM. Jean-Bernard Carrier, coauteur de cet article, est enseignant en Histoire et éducation à la citoyenneté depuis plus de 10 ans. Privilégiant une approche par compétences, il place ses élèves au coeur d’activités où ils ont l’occasion de manipuler les objets à l’étude tout en développant des compétences leur permettant de grandir et de s’épanouir dans la société. Il voit les élèves comme de jeunes historiennes et historiens qui s’initient à la méthode historique afin de mieux comprendre les réalités sociales. Il met de l’avant le développement de la pensée critique des élèves. L’analyse de documents anciens, le questionnement ainsi que l’analyse et l’interprétation du passé pour mieux comprendre le présent sont des stratégies pédagogiques qu’il privilégie. Ayant une vision résolument interdisciplinaire, il intègre à son enseignement des éléments conceptuels provenant de disciplines diverses, notamment les arts et la littérature. Jean-Bernard Carrier s’intéresse également à l’enseignement de l’histoire selon une perspective multimodale et numérique.
La chercheuse ayant collaboré à la création du projet de l’atlas historique, coauteure de cet article, est professeure en didactique des sciences humaines (géographie, histoire et éducation à la citoyenneté). Elle s’intéresse, dans le cadre de ses travaux, à la lecture multimodale et critique en classe d’histoire. En outre, elle accompagne des enseignantes et des enseignants qui souhaitent amener leurs élèves, par des activités d’enseignement-apprentissage, à traiter efficacement et de façon critique les sources qu’ils consultent et à développer des compétences de recherche et de littératie. Dans le cadre de sa collaboration avec Jean-Bernard, elle a alimenté ses réflexions pédagogiques et lui a permis de mieux cerner les fondements théoriques sous-jacents à sa pratique professionnelle. Le deuxième chercheur impliqué dans le projet de cocréation (Jean-François Boutin) est professeur en didactique de la littératie. S’intéressant aux cultures du numérique chez les jeunes, les recherches qu’il mène sont liées, notamment, à leurs pratiques de communication formelles et informelles sur support analogique ou numérique. Il a apporté des idées et des pistes de réflexion quant à la place et au rôle de l’image au sein de la construction des connaissances des élèves.
2.2. Processus de cocréation
La collaboration entre chercheurs et praticiens est à la base du projet décrit dans le présent article. Ces derniers ont uni leurs idées, leurs questionnements et leurs réflexions afin de concevoir un projet pédagogique innovant qui articule des habiletés liées à la recherche documentaire et à la création artistique. Au besoin, les élèves ont aussi été interpellés en amont ou en aval des étapes du projet pour participer aux choix à réaliser ou à valider ceux-ci. De sorte, l’étude dont il est question dans le présent article s’inscrit dans une approche de recherche-design (Design-Based Research ou DBR). La recherche-design, appliquée dans le contexte de l’éducation, est une approche de recherche pragmatique où l’apprentissage est coconstruit entre chercheurs, praticiens et élèves afin de mettre au point des expériences d’apprentissage ancrées dans des contextes authentiques (Lacelle et al., 2019).
L’idée de faire produire aux élèves de première secondaire un atlas historique numérique a été amenée par l’enseignant. Son intention première était d’amener ses élèves à produire un recueil afin qu’ils rassemblent les diverses productions réalisées dans leur cours d’histoire. Il voyait ainsi l’atlas comme un portfolio, soit un outil évolutif qui contient toutes les traces liées au développement des compétences en Histoire et éducation à la citoyenneté. À l’origine de ce projet, il y avait également le désir de l’enseignant d’étayer le processus d’apprentissage des élèves en leur fournissant plusieurs rétroactions à propos du développement de leurs compétences. Les chercheurs participant au projet ont apporté des idées pour enrichir le projet du point de vue de la compétence numérique et de la littératie multimodale. L’équipe de recherche a également produit quelques documents à la demande de l’enseignant afin de soutenir les apprentissages des élèves, surtout au regard de la recherche documentaire. Ils ont fourni, par exemple, une liste de ressources Web, un document synthétisant les personnages dans une bande dessinée exploitée pendant le projet et un document avec les liens vers des vidéos à propos du traitement de l’image. L’enseignant n’a pas pu utiliser tous les documents fournis par l’équipe de recherche, puisqu’il manquait de temps pour se les approprier et les intégrer au projet. Les discussions avec l’équipe de recherche lui ont tout de même permis de réfléchir à sa pratique pédagogique et de bonifier le projet.
2.3. Projet
L’atlas historique est un projet intégrateur multimodal où les élèves synthétisent les apprentissages réalisés lors d’activités de réception et de production multimodales. Les activités réalisées se rattachent aux thèmes abordés en Histoire et éducation à la citoyenneté en première année du secondaire (sédentarité, premières civilisations, Grèce antique, Rome, christianisation et Moyen Âge). Par ailleurs, les élèves font plusieurs lectures de textes signifiants qui combinent les modalités textuelles et visuelles et ils analysent et critiquent diverses sources d’information ou des documents historiques (manuel scolaire, cahier d’apprentissage, cartes, graphiques, vidéos, films, bandes dessinées, romans, etc.) qui contiennent du texte, du son ou des images, fixes et mobiles. Afin de mieux documenter les thèmes à l’étude, ils effectuent également des recherches documentaires (réalisées à l’aide du manuel du cours ou sur Internet).
Pour faciliter l’intégration des différents concepts historiques enseignés, les élèves effectuent, pour chacun des thèmes, une production prenant la forme d’un texte, généralement accompagné d’images complémentaires, ou d’une production audiovisuelle (vidéo explicative ou argumentative, PowerPoint narré, etc.). Enfin, les élèves rassemblent toutes ces productions afin de créer un atlas historique numérique qui regroupe du texte et des images. Les productions associées à chacun des thèmes forment ainsi les différents chapitres de l’atlas historique. Pour chaque chapitre, les élèves doivent inclure des sources historiques, une ligne du temps et une carte géographique. Pour produire leur atlas, ils utilisent des applications de traitement de texte (Pages, Google Document) sur la tablette numérique (iPad). Le document modifiable est ensuite transformé en format PDF afin de produire la version finale. Nous détaillons ici chacune des étapes menant à la réalisation du projet par les élèves.
2.3.1. Chapitre 1 : La sédentarisation
Le thème de la sédentarité est abordé avec les élèves pendant environ neuf périodes. Au cours de celles-ci, ils en apprennent davantage sur le sujet par la réalisation de diverses activités. Ils visionnent notamment la vidéo Le Sacre de l’homme (Malaterre et al., 2014). Ensuite, ils étudient trois sociétés préhistoriques (Mallaha, Mureybet et Çatal Hüyük) en remplissant un tableau afin de se documenter sur la division du travail, les échanges, la hiérarchie sociale, le pouvoir, la production, la propriété et le territoire (concepts à l’étude). Pour ce faire, ils utilisent leur manuel Réalités (Lamarre et al., 2006) et ils effectuent des recherches sur Internet (site Alloprof). Ils sont alors en mesure de tirer des conclusions générales sur le mode de vie sédentaire apparu lors de la préhistoire. Subséquemment, les élèves réalisent un réseau de concepts afin de présenter les conséquences que la sédentarisation a entraînées sur le mode de vie des Homos sapiens en ce qui a trait au territoire, à l’économie et à l’organisation sociale lors du Néolithique dans le Croissant fertile. Finalement, les élèves peuvent intégrer toutes les connaissances acquises au cours du thème de la sédentarité en produisant un texte long d’environ 1000 mots accompagné d’images. Cette production finale devient ainsi le premier chapitre de l’atlas historique. Afin de rédiger le texte, les élèves s’appuient sur les connaissances développées, dans leur cours de français, concernant la structure d’un texte explicatif ou descriptif (introduction, développement, conclusion). Un document de consignes est remis aux élèves pour les aider dans cette tâche. Aussi, tout au long de la réalisation de ce premier chapitre, l’enseignant modélise et supporte l’écriture du texte attendu.
2.3.2. Chapitre 2 : L’apport de l’écriture cunéiforme à la société mésopotamienne
Les élèves réalisent, au cours du thème portant sur les premières civilisations (environ 10 périodes), de nombreux apprentissages à propos de l’émergence d’une civilisation, notamment concernant les apports de l’écriture. Ils analysent des documents historiques, ils écoutent des capsules vidéo, ils créent des lignes du temps, etc. À la fin de ce thème, les élèves écrivent en équipe un texte sur les apports de l’écriture qui constitue le deuxième chapitre de l’atlas historique. Ils doivent, en équipe, répondre à la question suivante : « Comment l’invention de l’écriture cunéiforme a-t-elle influencé la civilisation mésopotamienne lors de l’Antiquité? ». Dans leur introduction, les élèves précisent les repères spatio-temporels et, dans leur conclusion, ils abordent les héritages légués par les Mésopotamiens à la civilisation occidentale. Chacun des aspects abordés dans le développement doit être étayé de faits historiques et accompagné d’au moins un document historique étudié dans le cours. Ces documents sont parfois écrits, relèvent parfois de l’iconographie ou peuvent être des objets usuels ou des artéfacts retrouvés par des archéologues. Par exemple, les élèves vont analyser et décoder des sculptures présentant des personnages ou des documents écrits en cunéiforme et traduits en français d’aujourd’hui (Code de loi du roi Hammourabi, tablette de comptabilité en argile), des ruines de temples anciens (Ziggourat d’Ur), des textes mythologiques (Épopée de Gilgamesh) ou des documents iconographiques présentant les exploits militaires d’un roi (Étendard d’Ur). Chaque document historique est ainsi associé aux concepts étudiés.
2.3.3. Chapitre 3 : La démocratie athénienne
Afin de rédiger le troisième chapitre de l’atlas historique portant sur la démocratie athénienne, les élèves se réfèrent non seulement aux manuels scolaires, aux cahiers d’apprentissage, aux notes de cours et à des sites Internet, mais aussi à une bande dessinée Démocratie (Papadatos et al., 2015). L’enseignant effectue une lecture animée de cette oeuvre de fiction, ce qui permet aux élèves d’en apprendre davantage sur la naissance de la démocratie dans l’Athènes antique à travers les dialogues et les images riches de sens. Chaque élève a une copie de la bande dessinée en question et la lecture à voix haute médiatisée se déroule sur environ trois cours. L’enseignant mentionne qu’il est particulièrement intéressant de faire observer aux élèves le graphisme de cette oeuvre de fiction historique et de les comparer avec des photos d’un voyage qu’il a fait en Grèce puisque les auteurs ont tenté avec succès de reconstituer des paysages, des lieux publics et des bâtiments d’une manière fidèle à ce qu’ils étaient à l’époque. La lecture de l’enseignant est accompagnée de plusieurs explications données aux élèves à propos de la démocratie athénienne.
L’enseignement de notions de politique est également réalisé : séparation des pouvoirs (Montesquieu), régimes politiques, autocratie (dictature, monarchie et oligarchie). Aussi, une étude plus théorique de la société athénienne du 5e siècle avant Jésus-Christ, de son système démocratique et de ses institutions politiques est faite à l’aide de lectures commentées et de notes de cours. Le régime politique démocratique québécois d’aujourd’hui est aussi présenté aux élèves. Ceux-ci effectuent, à la fin des cours dédiés au thème de la Grèce antique, une production où ils comparent justement la démocratie entre la Grèce et le Québec. Ils répondent alors à la question suivante : « Est-ce que la démocratie québécoise est meilleure que la démocratie pratiquée à Athènes au 5e siècle avant Jésus Christ? ». Pour expliquer leur réponse, les élèves doivent se baser sur trois arguments.
2.3.4. Chapitre 4 : La romanisation de l’Empire
Pour le thème de la romanisation, les élèves abordent différents sujets : les infrastructures romaines, les causes de la chute de l’Empire romain, l’organisation politique des États-Unis, etc. Les élèves produisent aussi en équipe un court film documentaire (5 à 10 minutes) dans lequel ils tentent de déterminer si les États-Unis forment un empire (comparaison entre Rome et les États-Unis). À partir d’un plan, les élèves peuvent rédiger le script du film, en enregistrant leur voix, en ajoutant des images et différents documents historiques, les élèves illustrent leurs compétences à transmettre des informations en combinant différentes modalités sémiotiques. Romanisation, américanisation, culture, religion, infrastructures, armée et institutions politiques sont plusieurs thématiques abordées dans ce projet. Dans le quatrième chapitre de leur atlas, les élèves ajoutent un lien vers cette vidéo, hébergée au moment de la réalisation du projet sur la plateforme Youtube[5]. Ce lien est accompagné d’une carte et d’une ligne du temps.
2.3.5. Chapitres 5 et 6 : La christianisation de l’Occident et l’essor urbain et commercial
Les deux derniers chapitres de l’atlas portent sur la christianisation de l’Occident et l’essor urbain et commercial. Les élèves sont amenés à analyser et à interpréter des documents historiques, des cartes et des lignes du temps. Qui plus est, la lecture de la bande dessinée Guillaume le Conquérant #01 (Tenderini et Weber, 2012) est réalisée en classe (une copie par élève). Une fiche d’aide à la lecture a d’ailleurs été produite par l’équipe de recherche pour accompagner la lecture de cette oeuvre de fiction. Pour chacun des deux chapitres, les élèves présentent leur analyse et leur interprétation des documents afin d’expliquer les thèmes de la féodalité, de la christianisation de l’Occident et de l’essor urbain et commercial.
2.3.6. Synthèse : Réalisation finale de l’atlas historique
Les élèves écrivent, sur plusieurs semaines, les chapitres de leur atlas qui sont, au fur et à mesure, annotés et évalués, par l’enseignant. Les élèves peuvent ainsi les améliorer tout au long du processus de création. En effet, après la rédaction de chacun des chapitres, l’enseignant écrit des commentaires sur chacune des copies. Pour faciliter cette annotation, il utilise un code de couleur[6]. Il rencontre également les élèves à plusieurs reprises afin de les aider à améliorer leurs productions. Ces derniers remplissent alors une grille d’évaluation (autoévaluation) en se basant sur les commentaires donnés à l’oral et à l’écrit par leur enseignant. Après avoir rempli cette grille, les élèves apportent des améliorations à leur production et ils transforment le fichier modifiable en format PDF. Après que tous les thèmes aient été abordés, les élèves rassemblent chacun des chapitres en vue de produire la version finale de leur atlas historique.
2.4. Production
La production finale attendue, dans le cadre de ce projet, est un atlas historique numérique composé de six chapitres, d’une introduction et d’une conclusion. L’enseignant se dit très fier des productions réalisées par les élèves. Selon lui, même si le projet représente un certain investissement en temps et en énergie, il considère qu’il vaut la peine d’être réalisé, puisque les élèves font de nombreux apprentissages et développent des compétences à la fois en univers social et en LMM. En réalisant leur atlas historique, une production multimodale, les élèves vivent le sentiment d’être de véritables auteurs qui produisent un livre. Cette production est donc très signifiante pour eux. Nous présentons, dans cette section, trois productions d’élèves particulièrement représentatives des attendus[7]. Pour chacune d’entre elles, une description sommaire de la production est réalisée. Nous avons également ajouté un lien cliquable vers la production afin qu’elle puisse être consultée.
2.4.1. Production 1
La première production choisie est celle d’Arnold, qui a synthétisé de façon exceptionnelle les différents apprentissages réalisés en combinant du texte et des images. Même si cela n’était pas demandé, l’élève a travaillé la mise en page de son atlas afin qu’il ressemble à un vrai livre. En introduction de son atlas, il a exposé les différentes réalités à l’étude en les situant dans le temps à l’aide d’une ligne du temps et d’une carte qu’il a lui-même dessinées. Avec moults détails et figure de style, il a décrit sa compréhension de l’histoire et il a explicité la signification de plusieurs concepts historiques. Les images insérées dans l’atlas sont accompagnées d’explications, ce qui permet aux lectrices et aux lecteurs de bien comprendre le sens qui s’y rattache. Après chaque chapitre, Arnold a écrit les sources d’où proviennent les informations présentées. Nous pouvons ainsi voir que cet élève a eu le souci de citer les références comme cela lui a été enseigné en classe. Par ailleurs, il a bien situé les réalités sociales à l’étude dans le temps et dans l’espace, puisque des lignes du temps et des cartes accompagnent le texte pour chacun des chapitres. Au chapitre 5, plusieurs images ont été sélectionnées afin d’illustrer des concepts se rapportant à la féodalité et à la christianisation de l’Occident. On y retrouve notamment une image des trois ordres sociaux dans la hiérarchie sociale, des enluminures pour expliquer le fonctionnement d’une seigneurie et de la féodalité au Moyen Âge et une peinture représentant des agriculteurs qui labourent et sèment leurs champs. Chaque image est accompagnée d’une description détaillée, ce qui permet de bien comprendre sa pertinence et sa signification. Il a écrit, par exemple, à côté d’une image montrant un maître et ses élèves : « Nous pouvons voir une personne qui enseigne d’autres gens, ils ont tous le haut de la tête rasé, alors ils sont surement tous des moines. Cette image définit que presque seul les moines dans les temps apprenaient à lire et à écrire. »[8] Pour la quatrième de couverture de son atlas, l’élève a écrit :
Une histoire alternant le passé et le présent vous attend. Des mythologies grec mélangé avec des croyances romaines vous révéleront les secrets de la vie et de la mort, et la provenance des infrastructures et techniques de génies utilisées même de nos jours. Tout ces faits en documentaire qui vous feront voyager dans le Préhistoire alternant avec l’Antiquité et le Moyen Age. Lisez ce document pour en apprendre sur l’évolution de l’humains et de ses traces du passé retrouvé de nos jours.
2.4.2. Production 2
La deuxième production, celle d’Allyson, a été choisie pour la qualité du texte écrit, les descriptions précises et détaillées ainsi que la profondeur des réflexions qu’elle a présentées en lien avec les réalités sociales à l’étude. Les nombreuses sources présentées à la fin de chacun de ses chapitres témoignent d’ailleurs de la rigueur avec laquelle elle a mené ses recherches documentaires. Dans son texte, Allyson a mis en exergue plusieurs mots-clés afin d’attirer l’attention du lecteur sur des concepts importants. Elle a donc eu le souci de transmettre un message riche de sens aux lectrices et aux lecteurs. Elle a également fait des liens très intéressants entre les informations tirées des sources consultées et les activités multimodales vécues en classe. Ainsi, nous voyons qu’Allyson a bien intégré les concepts historiques enseignés. Elle a fait un lien intéressant, par exemple avec le film Le Sacre de l’homme visionné en classe afin d’expliquer à son lectorat le concept d’échange :
Il y a plusieurs villages et ceux-ci ne produisent pas tous la même chose. Il y a des villages qui sont plus riches que d’autres et ceci peut créer de la jalousie. Pour régler un peu de tout cela, le film Le sacre de l’Homme nous montre que des personnes ont décidé de commencer à créer des échanges, par exemple: du blé ou de la farine contre des colliers ou des objets précieux. Par contre, les humains échangent aussi des maladies parfois très graves comme: la rougeole, la grippe, la peste, etc…
Dans son atlas, Allyson a également utilisé de nombreuses images afin de communiquer des informations sémiotiques. Elle parvient ainsi à synthétiser sa compréhension des concepts historiques en utilisant du texte, mais aussi des images. Les nombreuses explications qui accompagnent les images témoignent de sa fine compréhension des concepts étudiés. Par exemple, pour une image représentant des templiers en croisade, elle a écrit :
Cette image démontre les templiers qui sont partis en croisade, comme expliquer plus tôt à Jérusalem. Ils sont des chevaliers du Christ et leurs but est de protéger les pèlerins lors de leur pèlerinage contre les attaques des guerriers musulmans.
2.4.3. Production 3
La troisième production choisie est celle de Magalie. Nous avons choisi cette production, entre autres, parce que l’élève y fait preuve d’une grande créativité. Sur la page couverture de son atlas historique, Magalie a ajouté plusieurs images liées aux thèmes abordés. Le fait qu’elle ait écrit le nom d’une maison d’édition sur la page couverture nous amène à croire qu’elle s’est sentie comme la véritable auteure d’un livre. De même, le texte écrit, d’une très grande qualité, nous permet d’observer une très bonne compréhension et intégration des concepts historiques à l’étude.
L’élève personnalise aussi sa réflexion en insérant dans son texte quelques passages où elle exprime son opinion quant aux évènements du passé. Elle a écrit, par exemple : « Le meilleur moyen de s’entendre pour eux est de faire la guerre (Parlez-vous c’est mieux, non à la violence!). Comme vous l’aurez deviné le gagnant de la bataille récupère l’espace en jeu ». Elle démontre également, à travers son travail d’ensemble, une capacité de réflexion critique et d’introspection très intéressante, tout en soulignant la portée d’apprentissage du projet de l’atlas historique. Cet extrait, tiré de la conclusion de son atlas historique, est à cet égard particulièrement intéressant :
Cette année en histoire et éducation à la citoyenneté, j’ai beaucoup appris et contrairement à certaines autres matières j’ai retenu beaucoup d’informations de ma première secondaire. De plus, j’ai beaucoup aimé écrire des textes au lieu de tout apprendre par coeur. C’est justement la raison pour laquelle c’est un des seuls cours où j’ai retenu beaucoup de choses. J’ai appris beaucoup surtout sur la démocratie athénienne, car c’est le texte que j’ai le plus aimé réaliser. L’histoire c’est l’affaire de tous. L’histoire c’est ce qui nous guide dans le futur, c’est ce qui nous unit. C’est une façon de rassembler toutes les sociétés en une seule.
3. Analyse interprétative de l’expérience vécue
La réalisation du projet de l’atlas historique numérique nous a permis de documenter le déploiement de diverses compétences chez les élèves en univers social, notamment en ce qui concerne la recherche documentaire, la LMM et les compétences numériques. Nous faisons ici une analyse interprétative de l’expérience de cocréation vécue. Pour ce faire, nous mettons en lumière les compétences mobilisées par les élèves et nous présentons quelques constats qui se dégagent de l’expérience de cocréation.
3.1. Une démarche respectant les visées de l’histoire scolaire
La création en classe d’histoire d’un atlas historique numérique tel que construit dans ce projet présente l’intérêt d’unir de manière très complémentaire des compétences et des savoirs touchant à la littératie – puisque faire de l’histoire, c’est essentiellement lire et écrire (Moniot, 1993) – et des compétences et des savoirs touchant à l’histoire.
Les trois compétences à développer chez les élèves en histoire au premier cycle du secondaire[9] peuvent y être travaillées en complémentarité avec la mobilisation de la méthode historique et le recours aux opérations intellectuelles permettant de donner sens aux connaissances[10]. Parallèlement, le recours attendu dans l’atlas à la structure d’un texte explicatif exige des élèves, comme ils l’apprennent en classe de français, qu’ils introduisent les sujets à l’étude, qu’ils développent ceux-ci en s’appuyant sur un argumentaire bien appuyé et qu’ils concluent en répondant à leurs interrogations premières. De même, étant donné la nature éminemment multimodale et numérique de l’atlas historique, les élèves doivent mobiliser des compétences de LMM et des compétences numériques variées (nous y reviendrons).
En produisant leur atlas historique et particulièrement en étant obligés de synthétiser de manière personnelle leurs apprentissages dans des productions diverses, nous avons observé que les élèves parviennent à construire une compréhension (complète ou partielle selon chacun) des concepts historiques liés à chacun des thèmes abordés en classe d’histoire.
En soi, le projet tel qu’expérimenté paraît donc porteur à l’égard de la nécessaire démarche de conceptualisation du savoir et du soutien à l’apprentissage conceptuel qu’il convient de mettre en place en classe d’histoire (Boulet, 2022; Stern et al., 2017). Plusieurs élèves témoignent dans la conclusion de leur atlas ou lors d’échanges réalisés en classe avec l’équipe de recherche de l’apport du projet de l’atlas historique à leur compréhension des concepts à l’étude. Cet extrait puisé d’un échange enregistré en classe est à cet égard représentatif : « Vu que je l’ai écrit l’histoire de toute le livre, je l’ai plus dans la tête […]. Je sais par coeur ce que j’ai écrit, si tu me demandes je pourrais t’expliquer… ».
3.1.1. Quelques observations générales au regard des apprentissages en histoire
Au regard de la discipline de l’histoire plus spécifiquement, l’expérience menée autour de l’élaboration d’un atlas historique numérique tout au long de l’année nous a permis d’observer le développement de compétences et de savoirs historiques variés.
Nous avons pu, par exemple, observer que l’élaboration (accompagnée) des introductions attendues dans les chapitres de l’atlas permet aux élèves d’illustrer leur compétence à interroger des réalités sociales dans une perspective historique. Dans une telle tâche, ils apprennent progressivement à cerner une problématique et à formuler des hypothèses. De même, c’est l’occasion pour eux d’exposer ou d’examiner des réalités sociales à l’étude en les situant dans le temps et l’espace.
Dans le même ordre d’idées, l’élaboration de l’atlas historique exige d’eux qu’ils développent progressivement leur compétence à interpréter des réalités sociales à l’aide de la méthode historique, notamment en réalisant des recherches documentaires (nous y revenons dans le point qui suit), en analysant des documents variés et en interprétant des données. Par le biais des productions attendues qui composent l’atlas, les élèves doivent de surcroît apprendre progressivement à baser leur argumentaire sur des faits, à établir des comparaisons, à fournir des explications, etc. Ils doivent aussi recourir, avec le soutien de l’enseignant, à des marqueurs de relation appropriés et à des concepts associés aux sujets étudiés.
De sorte, une production comme l’atlas historique numérique et tout l’accompagnement pédagogique qui sous-tend son élaboration progressive offre l’occasion d’observer chez les élèves l’utilisation appropriée des connaissances, la maîtrise de ces connaissances et la rigueur du raisonnement historique (des composantes évaluatives au Québec). En analysant plus attentivement les conclusions produites selon les attentes, il est de même possible d’observer comment, peu à peu, la plupart des élèves parviennent à tirer des conclusions afin de mieux comprendre les sociétés du présent à la lumière du passé.
3.1.2. Une démarche (à bonifier) qui met l’accent sur le développement de compétences liées à la recherche documentaire
Il nous a aussi été possible d’observer que le projet de l’atlas historique favorise le développement de plusieurs habiletés liées à la recherche documentaire. En effet, pour produire les contenus divers de l’atlas, les élèves sont amenés à effectuer des recherches d’informations dans des documents analogiques ou numériques, à critiquer les sources, à interpréter les informations trouvées et à citer adéquatement les références des informations visuelles ou textuelles trouvées. Ils sont également amenés à prendre une posture d’enquête et de dialogue analytique et critique (Martel et Boutin, 2021) lors de leur recherche d’informations, ce que Boutin et Martel (2018, 2021) appellent la « lecture dialectique ».
Cependant, nous avons remarqué pendant l’expérimentation du projet, et ces observations trouvent échos à plusieurs écrits concernant la recherche en sciences humaines et sociales (Martel, 2018), qu’il est souvent difficile pour les élèves de trouver les informations pertinentes à leur thème d’étude, de départager l’essentiel de l’anecdotique, d’adopter au besoin une posture critique devant les sources d’information, de citer ces sources et de respecter les droits d’auteurs, entre autres, en matière d’images. Pour un chapitre, par exemple, l’une des équipes de travail a copié l’intégralité d’un texte trouvé sur Internet, malgré qu’une séance de cours avait porté sur le plagiat et la procédure à suivre pour citer ses sources. Il a fallu aussi rappeler régulièrement en cours d’année l’importance de citer la source des images utilisées. De même, tout au long du projet, surtout en début d’année, l’enseignant a dû guider pas à pas la recherche d’information pour, entre autres, aider les élèves à trouver les bonnes sources et à identifier dans ces sources les informations pertinentes.
Fort de ces observations, l’un des constats réalisés par l’équipe de recherche est que l’accent devrait être davantage mis sur le développement de compétences ayant trait à la recherche documentaire pour, entre autres, viser une meilleure autonomie des élèves à cet égard. Par exemple, il nous paraît essentiel d’insister davantage auprès de l’ensemble des élèves (comme lors de séances collectives) sur le travail autour des mots-clés (pour faciliter la recherche d’information), sur l’importance d’établir le contexte de production des sources consultées, sur le développement de stratégies permettant de mieux repérer l’information essentielle aux thèmes à l’étude et sur l’utilisation rigoureuse des informations contenues dans les sources retenues.
3.2. Une démarche orientée vers le développement de compétences LMM en contexte numérique
Avant d’en arriver à répondre à chacune des questions historiques derrière les six chapitres de l’atlas, les élèves sont lancés dans des activités de réception multimodale nombreuses, dont plusieurs se réalisent en contexte numérique : cours magistraux prenant appui sur le tableau blanc interactif; discussions en classe; visionnement de films documentaires ou de fictions historiques; lectures variées (textes informatifs, textes explicatifs, textes littéraires, bandes dessinées à caractère historique, etc.); interprétations de documents historiques, généralement de source première, associés à la réalité sociale étudiée, etc. Sans ce plongeon, guidé par l’enseignant, dans la réception multimodale grâce à laquelle il est souhaité que les élèves s’approprient des informations et des savoirs multiples présentés textuellement, oralement ou visuellement, il ne leur serait pas possible de produire l’atlas historique. Entre autres, le temps investi autour de la lecture multimodale guidée de bandes dessinées historiques paraît un moment particulièrement porteur.
3.2.1. Une contribution marquée au développement de la littératie visuelle
L’image, très présente au coeur des documents permettant d’étudier le passé (Martel et Boutin, 2015) et relevant de la littératie visuelle (Lebrun, 2018), occupe une place de choix dans cette démarche de réception, puis dans la démarche de production de l’atlas historique.
Considérant les nombreux moments de modélisation offerts par l’enseignant en classe durant lesquels il expose à voix haute les étapes permettant d’interpréter une image en complémentarité ou non avec du texte (iconographies, graphiques, illustrations en BD, etc.), il est heureux que des élèves témoignent en fin de projet se sentir véritablement plus compétents pour « lire » des images. Plusieurs affirment aussi porter maintenant plus d’attention aux images présentes dans les sources consultées ou aux images qu’ils choisissent ou produisent pour les intégrer à leur atlas, ce qui est aussi un apprentissage important. Progressivement, nous pouvons donc penser que le projet tel qu’expérimenté permet aux élèves de comprendre le rôle de l’image comme véhicule de pensée et de réflexion (Bertrand et Carion, 2007).
Afin de créer leur atlas historique, les élèves sont, dans cette perspective, encouragés à choisir des images porteuses de leur interprétation du passé ou, même, à produire des images inédites (fixes ou mobiles dans le cas de la vidéo) pour communiquer leur compréhension de l’histoire et appuyer leur argumentaire textuel. Nos observations nous invitent à penser que cette place accordée à l’image en classe d’histoire est signifiante, voire motivante pour les élèves. L’une des équipes d’élèves ayant participé au projet précise à cet égard que la production du film (chapitre 4) leur a permis, en plus de travailler de façon plus interactive, d’exprimer leur pensée avec des images, ce qui est à leur avis trop rare à l’école.
Le projet favorise aussi une grande mobilisation des capacités à analyser et à interpréter des documents historiques variés datant des périodes de la Préhistoire, de l’Antiquité et du Moyen Âge – des sources premières trop peu traitées en classe d’histoire (Jadoulle, 2015). Avec l’aide de l’enseignant, ils apprennent ainsi à décoder et à interpréter des sources iconographiques. L’analyse et l’interprétation de celles-ci sont l’occasion de faire des liens et de mobiliser des connaissances et des compétences de LMM, entre autres, les compétences de littératie visuelle touchant les codes, les règles et le langage qui régissent l’image (Lebrun, 2018) et la nécessaire distanciation critique (Martel et Sala, 2018). En réception toujours, le recours à la lecture à voix haute d’une bande dessinée ou le visionnement d’extraits de films documentaires sont aussi l’occasion de travailler avec les élèves la lecture multimodale et plus spécifiquement la lecture de l’image, fixe ou mobile (Lacelle et al., 2017; Martel, 2018; Martel et Boutin, 2021).
3.2.2. Une participation certaine au développement de la compétence numérique
Afin de créer leur atlas historique, les élèves ont eu recours à des ressources numériques variées, autant dans la posture de réception/lecture que dans celle liée à la production/écriture. En effet, les élèves devaient documenter chacun des thèmes à l’étude, notamment en faisant des recherches sur Internet. De même, ils ont produit des messages (multitextes) de formes variées prenant appui sur des outils numériques (écriture collaborative en ligne, application de montage vidéo, outil d’enregistrement, création numérique d’images, etc.).
L’utilisation des outils numériques lors de la réalisation du projet, en plus d’avoir été une source de motivation pour les élèves selon leurs témoignages, a contribué au développement de plusieurs compétences du Cadre de référence de la compétence numérique, dont celles-ci : exploiter le potentiel du numérique pour l’apprentissage, collaborer à l’aide du numérique, produire du contenu avec le numérique et résoudre une variété de problèmes avec le numérique (Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, 2019). En lien avec la production de l’atlas en version numérique, un élève a d’ailleurs mentionné que le résultat assez différent d’un livre papier (un atlas version numérique) est beaucoup plus interactif qu’une version analogique. Le recours aux outils technologiques facilite également le travail en collaboration des élèves. Ceux-ci ont en effet mentionné qu’en utilisant la tablette numérique (iPad), ils pouvaient travailler sur un texte partagé (application Pages), ce qui permettait de voir en temps réel ce que les autres écrivaient, ce qui facilitait l’entraide.
3.3. Une démarche qui permet de repenser l’évaluation en Histoire et éducation à la citoyenneté
Tel qu’utilisé et élaboré dans ce projet, l’atlas historique constitue, en soi, un outil d’apprentissage et d’évaluation, entre autres, parce qu’il permet de voir comment les élèves mobilisent, exploitent et intègrent des savoirs et des savoir-faire en vue de résoudre une situation ou un problème (Bouhon et al., 2002).
En le produisant, les élèves mobilisent des opérations intellectuelles liées au cadre d’évaluation des apprentissages (Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2018). Il s’agit, en effet, d’une tâche complexe au cours de laquelle plusieurs processus cognitifs sont impliqués. Pour rappel, les élèves y examinent des réalités sociales du présent et du passé et ils situent leur sujet d’étude dans le temps et dans l’espace (dans l’introduction et tout au long de sa production). Pour répondre à la question historique qui leur est posée, ils doivent aussi établir des faits, mettre en relation différents éléments et établir des liens de causalité. Les élèves, dans le cadre de la démarche proposée, doivent aussi caractériser une réalité historique, établir des comparaisons, déterminer des facteurs explicatifs et des conséquences. Enfin, en rédigeant la conclusion de chaque chapitre ainsi que celle de l’atlas, les élèves déterminent des éléments de continuité et des changements.
L’atlas historique, dans cette perspective, s’apparente à un portfolio numérique d’apprentissage qui permet de conserver les traces de l’acquisition des compétences et des connaissances historiques des élèves. Un portfolio peut en effet servir diverses intentions, notamment la démonstration de la progression, le processus d’apprentissage, la conservation des travaux les plus réussis et la démonstration de l’atteinte d’objectifs (Davies, 2008).
En ayant en main un tel produit s’apparentant à un portfolio, il est plus facile de dresser un bilan des forces et des difficultés des élèves à la fin de l’année. Il s’agit également d’un outil précieux pour les élèves, puisqu’il leur permet de s’améliorer d’une production à l’autre. Ils ont ainsi un certain contrôle sur leurs apprentissages et leur réussite. Les travaux le constituant (et les grilles d’évaluation ou d’autoévaluation les accompagnant) deviennent en effet une référence pour les élèves afin d’améliorer les productions qui suivent. De plus, l’atlas historique en tant que production d’évaluation transforme de manière positive le rapport à l’évaluation de la grande majorité des élèves, comme en témoignent, entre autres, ces extraits de verbatim des entretiens bilans réalisés : « Ça a enlevé un peu de stress sur mes épaules, je m’attendais à un gros examen avec plein de dates à mémoriser… et en plus, ça va m’aider pour le futur parce qu’écrire m’aide à retenir », « Moi je trouve que ça me met moins de pression parce que dans le fond, ce n’est pas du par coeur le fait de tout mettre dans un livre ».
Le fait d’écrire un « livre » devient aussi un prétexte pour ouvrir le dialogue avec les parents qui souhaitent s’impliquer dans les travaux de leurs enfants, non seulement une fois terminés, mais aussi en cours de route. L’enseignant peut, entre autres, les inviter à relire les productions de leurs enfants avant qu’ils ne les rendent et à oser les remettre en question s’ils ne comprennent pas bien les explications apportées. Les parents deviennent alors des partenaires essentiels pour la réussite scolaire.
3.3.1. Le rôle fondamental de la rétroaction
En donnant plusieurs rétroactions aux élèves tout au long de la production de l’atlas historique, l’enseignant a observé que l’évolution des élèves est vraiment tangible, chez les élèves en réussite comme chez ceux qui éprouvent davantage de difficulté. La plupart parviennent en effet à clarifier, à enrichir et à réorganiser les informations textuelles et visuelles selon les commentaires formulés à l’oral par l’enseignant en cours de réalisation des chapitres ou à l’écrit dans le cadre de l’évaluation sommative de chacun des chapitres.
Grâce au processus itératif de révision mis en place (chaque élève devant bonifier chacun de ses chapitres après évaluation avant la remise finale de l’atlas historique complet), nous avons observé que la majorité des élèves parviennent à aller plus loin dans l’intégration des connaissances et des concepts historiques étudiés. Qui plus est, ils sont très fiers du produit final, puisqu’ils peuvent l’améliorer tout au long du processus de création.
Soucieux de bonifier son évaluation pour qu’elle soit la plus représentative possible du cheminement des élèves et de leurs apprentissages réels, Jean-Bernard précise en entrevue bilan établir son jugement évaluatif sur le produit final et le processus y ayant mené. Il n’évalue donc pas uniquement le produit « atlas historique »; il tient également compte du contexte dans lequel s’est déroulée l’élaboration de celui-ci et des propos mentionnés par les élèves lors des rencontres et des séances de travail de révision. À l’oral, pendant les rencontres de révision particulièrement, certains élèves témoignent en effet parfois d’une compréhension riche des concepts historiques à l’étude et l’enseignant juge important d’en tenir compte. C’est donc dire que le processus d’évaluation est, au même titre que le processus d’enseignement-apprentissage, multimodal, ce qui à notre avis ajoute de la valeur au projet.
Conclusion
L’idée d’écrire un livre en classe d’histoire est née de la conviction d’un enseignant, ici Jean-Bernard Carrier, qu’il était nécessaire d’exploiter les compétences acquises en langue d’enseignement dans les cours d’univers social, sans compter les compétences de LMM qu’il nous revient à tous de considérer en tant que citoyennes et citoyens du 21e siècle.
Un projet comme l’atlas historique numérique permet à des élèves du secondaire – première secondaire, dans le cas présent – de s’approprier des concepts historiques en contexte de littératie médiatique multimodale, autant en mode réception qu’en mode production. Soutenus par un enseignant, disons-le engagé et novateur, ces élèves sont parvenus à interpréter une grande variété de documents sur des supports médiatiques variés pour ultimement créer des productions multimodales, comme l’atlas historique numérique, s’accompagnant de textes, de cartes, de lignes du temps et de documents historiques. Au regard de la discipline de l’histoire, ils ont de surcroît développé leur maîtrise des compétences et des opérations intellectuelles liées à l’histoire scolaire au Québec. Ils se sont, de plus, véritablement engagés dans une démarche de conceptualisation permettant d’organiser la construction de leurs savoirs.
Un tel projet permet de documenter les pratiques professionnelles d’un enseignant désireux de pousser au plus loin ses ambitions didactiques. De même, il permet de nourrir la réflexion à propos d’une série d’enjeux touchant l’enseignement-apprentissage de l’histoire à l’école. Qui plus est, cette collaboration entre praticiens et chercheurs dans le cadre d’activités de cocréation d’activités intégrant la LMM en contexte numérique participe à la nécessaire mise en place de pratiques éducatives s’harmonisant aux modes de communication (réception/production) des jeunes d’aujourd’hui.
Parties annexes
Notes
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[1]
Titre de l’étude subventionnée par le CRSH (2017-2020) : Littératie médiatique multimodale appliquée en contexte numérique pour former les apprenants à la recherche documentaire et à la création artistique.
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[2]
Des champs didactiques couverts par les chercheurs responsables de l’étude, soit Nathalie Lacelle, Jean-François Boutin et Monique Lebrun (français), Moniques Richard (arts) et Virginie Martel (univers social).
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[3]
La recherche-design est enracinée dans la technologie éducationnelle et dans la collaboration chercheurs-enseignants, qui ensemble mettent au point des expériences d’apprentissage (phase design) et en étudient ensuite l’impact auprès des apprenants (étapes d’implantation et d’évaluation), dans des contextes authentiques (Boutin et Lacelle, 2017; Sanchez et Monod-Ansaldi, 2015).
-
[4]
Toutes les personnes se trouvant sur les images de cet article ont donné leur accord pour la diffusion des photos prises dans le cadre de la recherche.
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[5]
Dans la version actualisée du projet de l’atlas numérique, encore mis en oeuvre dans la classe de Jean-Bernard, et considérant les modifications des conditions d’utilisation de Youtube pour les mineurs, les vidéos sont désormais partagées dans Google Disque.
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[6]
Le vert est utilisé pour souligner les passages très bien réussis et exposer des commentaires positifs. Au contraire, le rouge est utilisé pour souligner des passages à corriger et à bonifier et exposer des commentaires visant des améliorations souhaitées.
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[7]
Notons qu’étant fortement encadrés et accompagnés tout au long du processus par l’enseignant, la grande majorité des élèves, même ceux éprouvant davantage de difficulté, parviennent à des productions de qualité témoignant d’une compréhension complète, parfois partielle, des sujets à l’étude.
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[8]
Toutes les citations provenant des travaux d’élèves ont été transcrites intégralement. Les erreurs de syntaxe, de ponctuation ou d’orthographe n’ont pas été corrigées.
-
[9]
Interroger les réalités sociales dans une perspective historique; interpréter les réalités sociales à l’aide de la méthode historique; construire sa conscience citoyenne à l’aide de l’histoire.
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[10]
Les opérations intellectuelles travaillées en histoire, et dans le cadre plus précis de la création de l’atlas historique sont les suivantes : établir des faits; situer dans l’espace et dans le temps; mettre en relation des faits; dégager des similitudes et des différences; déterminer des causes et des conséquences; établir des liens de causalité; déterminer des éléments de continuité et de changement.
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