Lors d’un détour inhabituel à la bibliothèque dite « scientifique » de l’Université Laval et non, comme il aurait été ordinairement opportun de s’en remettre, à la Bibliothèque des Sciences Sociales, je découvris ce deuxième ouvrage célébrant le bestiaire innu. Je tiens à faire part de ma satisfaction devant ce classement qui, selon moi, s’inscrit dans les mêmes efforts décoloniaux que ce livre alimente. L’intégration des taxinomies autochtones au sein des bibliothèques dites « scientifiques » ou de sciences dites « naturelles », lesquelles entretiennent souvent un rapport univoque et hégémonique aux sciences, rend compte de l’effort d’ouverture heuristique et épistémologique de l’Université Laval. Cet essai demeure sans aucun doute une source riche de connaissances écologiques et environnementales. Et pour cause, le rempart séparant les sciences sociales des sciences « naturelles » s’érode à mesure que l’ethnozoologiste et anthropologue Daniel Clément nous précipite au coeur d’un maillage de savoirs écologiques et cosmologiques innus, tissé et noué depuis des temps immémoriaux. Bien que, ces dernières années, l’auteur, qui a aussi oeuvré en tant que conservateur d’ethnologie au Musée canadien des civilisations et directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), ait semblé prendre une nouvelle direction en publiant la série littéraire « Les récits de notre terre », consacrée aux récits des nations autochtones à tradition orale du Québec, il revient ici où il est plus attendu : l’ethnozoologie, domaine prenant racine dans le champ plus large des ethnosciences. C’est dans ce contexte qu’il proposa, sous son regard d’ethnoscientifique, un commentaire minutieux du mythe innu de l’Homme-Caribou (Clément 1991), ou qu’il s’illustra en tant qu’ethnobotaniste dans La terre qui pousse. L’ethnobotanique innue d’Ekuanitshit (Clément 2014). Il poursuit alors son exploration des sciences animales innues, après un premier essai se concentrant sur les quadrupèdes (Clément 2012). Tout comme ces autres ouvrages, Le bestiaire innu 2 : les oiseaux, les poissons et les animaux non comestibles s’ancre à la fois dans la littérature relative à la cosmologie innue et dans les sciences environnementales innues. En contribuant à exalter les savoirs des Innus, Première Nation établie dans le nord-est du Québec-Labrador, l’ouvrage rend compte des connaissances ancestrales et inestimables cultivées par les peuples algonquiens d’Amérique du Nord. Contrairement à la série littéraire mentionnée précédemment, destinée à un public plus large, l’ouvrage présenté ici s’adresse avant tout aux spécialistes des sciences et cosmologies autochtones. Il constituera également une ressource précieuse pour les étudiantes et les étudiants en anthropologie ou en sciences « naturelles », notamment pour celles et ceux qui s’intéressent à la Côte-Nord, et aux enjeux environnementaux actuels et à venir. En intégrant ce livre dans un cadre académique, les lecteurs et lectrices renforceront la reconnaissance des sciences autochtones au sein du secteur scientifique, et participeront à faire rayonner l’histoire de la nation innue et leurs savoirs acquis sur leur territoire. La préface du précédent volume sur les quadrupèdes (Clément 2012), rédigée par l’archéologue Daniel Chevrier, saluait l’altruisme de l’auteur et sollicitait, non sans sarcasme, une suite à ses travaux, en affirmant que ce dernier aurait « encore beaucoup de travail pour satisfaire nos attentes, car il lui reste à décrire avec la même érudition la faune ailée, les poissons, les batraciens, les reptiles et les insectes » (Chevrier 2012 : XVIII). Monsieur Chevrier, votre voeu est exaucé ! Avec au moins la même fidélité, Daniel Clément nous plonge à nouveau dans l’univers innu, tout en reprenant une méthodologie et une structure éprouvées dans l’excellent premier volume. Cette fois-ci, l’auteur oriente ses recherches vers les oiseaux (pineshîshat), les animaux aquatiques (nameshat) et les animaux non comestibles ( …
Parties annexes
Bibliographie
- Bouchard, Serge et José Mailhot. 1973. « Structure du lexique : les animaux indiens ». Recherches amérindiennes au Québec 3(1-2) : 39-67.
- Chevrier, Daniel. 2012. « Préface ». Dans Le bestiaire Innu : les quadrupèdes. Sous la direction de Daniel Clément, XVII-XVIII. Québec : Presses de l’Université́ Laval.
- Clément, Daniel. 1991. « L’homme-caribou : l’analyse ethnoscientifique du mythe ». The Canadian Journal of Native Studies 11(2) : 49-93.
- Clément, Daniel. 2012. Le bestiaire Innu : les quadrupèdes. Québec : Presses de l’Université Laval.
- Clément, Daniel. 2014. La Terre qui pousse. L’ethnobotanique innue d’Ekuanitshit. Québec : Presses de l’Université Laval.