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Lorsque j’ai commencé ma maîtrise en histoire à l’Université de Montréal, j’avais d’abord l’idée d’approfondir mes connaissances sur le militantisme des femmes autochtones entre 1951 et 1985 pour l’abolition de l’alinéa 12(1)b) de la Loi sur les Indiens. Cet alinéa stipulait que toute femme indienne statuée mariant un homme non statué perdait automatiquement son statut et ses droits. Ce sujet m’intéressait particulièrement, car c’est grâce aux femmes autochtones et à leur lutte que ma famille a pu réintégrer la communauté d’Odanak en 1985 (Canada 1996). J’ai donc décidé de me plonger dans la lecture des journaux produits par l’Alliance laurentienne des Métis et des Indiens sans statut (ALMISS) – ancêtre de l’Alliance autochtone du Québec (AAQ). Aujourd’hui, l’Alliance autochtone du Québec n’est pas considérée comme une organisation autochtone crédible, ni par les Premières Nations, ni par le gouvernement fédéral et plusieurs chercheurs (Leroux 2019). Il me semblait néanmoins que cette association avait joué un rôle majeur au Québec dans l’amendement de la Loi sur les Indiens de 1985 et dans la réintégration des femmes autochtones dans les listes de bandes des différentes communautés et nations autochtones.

Étrangement, à la lecture des archives de l’ALMISS, l’enjeu des femmes autochtones m’a semblé plutôt secondaire. Ce sont davantage les débats sur les codes d’appartenance et sur la définition même des termes « Métis » et « Indien sans statut » qui sont apparus omniprésents. J’ai rapidement constaté que l’ALMISS a surtout participé à un vaste processus de définition et de négociation du terme « Métis » plutôt qu’à l’abolition de l’alinéa 12(1)b). J’ai donc décidé de m’intéresser plutôt à la polysémie du terme « Métis » entre 1971 et 1982 qu’aux luttes des femmes autochtones. Qui plus est, ce sujet me semblait un peu plus opportun dans le contexte actuel. Suivant l’arrêt Powley de 2003 et l’arrêt Daniels de 2016, de nombreuses polémiques relatives aux droits et aux identités métisses ont éclaté au Canada. Ces jugements ont généré l’ouverture conceptuelle de la catégorie « Métis » et l’émergence de nombreux individus, groupes et organisations autoproclamées à travers le pays. De nombreux abus d’appropriation identitaire nuisibles à l’autodétermination des Premières Nations, des Inuits et de la nation Métis au Canada sont recensés en ce sens depuis 2003 (Leroux 2019 ; Gaudry et Leroux 2017) et provoquent une vaste remise en question de la nature des identités et des droits métis tels qu’inscrits dans l’Acte constitutionnel de 1982. Il importe aussi de mentionner qu’une littérature appuie, du moins en partie, les revendications identitaires de plusieurs de ces groupes (Leroux 2019).

Selon moi, pour mieux comprendre les débats entourant la nature des identités et des droits des Métis au Canada et situer le mouvement d’auto-autochtonisation au Canada au xxie siècle, il faut revisiter une période cruciale de la reconnaissance de ces droits entre 1971 et 1982. Cette période correspond d’une part à la formation du Conseil national des Autochtones du Canada (CNAC), première organisation nationale représentative des groupes dits, à l’époque, Métis et Indiens sans statut (MISS), d’autre part, à la reconnaissance des Métis en tant que peuple autochtone à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Dans cet article, par une analyse des journaux et des documents officiels produits par l’ALMISS entre 1971 et 1983, nous verrons comment l’Alliance laurentienne des Métis et des Indiens sans statut reformule ses codes d’appartenance et ses définitions de l’identité métisse au Québec. Dans le contexte politique pressant des revendications territoriales et du rapatriement de la Constitution, l’ALMISS provoque plusieurs débats relatifs aux codes d’appartenance où plusieurs conceptions du fait métis au Québec se côtoient et se confrontent.

Nous ferons d’abord un retour sur la manière dont l’identité métisse est définie de façon très inclusive par la direction de l’ALMISS dans la première moitié des années 1970, ce qui génère une forte vague d’auto-autochtonisation. Ensuite, nous verrons comment, dès 1975, l’ALMISS remet en question les définitions inclusives et pancanadiennes de l’identité métisse et déclare qu’il n’existe rien de tel qu’une nation métisse au Québec, car l’organisation entend plutôt ancrer l’identité et les enjeux de ses membres au sein des réalités culturelles, familiales, historiques et nationales des diverses Premières Nations au Québec. Finalement, nous verrons comment, dans le contexte des consultations constitutionnelles en 1983, l’ALMISS, présidée par Fernand Chalifoux, priorise à nouveau l’existence d’une nation métisse, au Québec, unie par sa réalité biologique et juridique.

La création de l’Alliance laurentienne des Métis et des Indiens sans statut, les premiers objectifs et une définition pancanadienne du fait métis

Avant 1970, il n’existe aucune organisation autochtone représentative des intérêts des « Indiens sans statut » au Québec dûment reconnue par les gouvernements. Cette réalité se modifie avec la formation d’une organisation nationale, le Conseil national des Autochtones du Canada (CNAC). Kermot A. Moore, ancien vétéran de l’Armée canadienne, issu de la communauté de Kipawa en Abitibi-Témiscamingue (Moore 1986), voit alors dans le CNAC une occasion de défendre les droits et les intérêts des Autochtones non reconnus par l’État et profite de cette nouvelle structure pour fonder une première association représentant les Métis et les Indiens sans statut au Québec (ALMISS 1975). Dès sa formation, l’Alliance laurentienne des Métis et Indiens sans statut se présente comme l’organisation représentative du CNAC au Québec, ce qui permet « d’engager du personnel administratif, d’entamer certains projets et programmes, de mettre sur pied des départements et de répondre aux besoins spécifiques des membres » (ALMISS 1975 : 19).

Suivant l’adhésion de l’ALMISS au CNAC, les objectifs priorisés par la direction sont alors le recrutement et la formation de locaux dans l’ensemble du Québec. Dès 1972, pour assurer le recrutement de nouveaux membres, l’Alliance entame des campagnes de sensibilisation en périphérie des communautés des Premières Nations (ALMISS 1975 : 19). Des membres comme Fernand Chalifoux, Rhéal Boudrias et Kermot A. Moore « ont parcouru les petits villages et ont demandé aux gens où habitaient les ‘‘Indiens’’ dans leur village » (ALMISS 1979a : 6). Des brochures et dépliants sont distribués dans les églises des localités et des publicités sont émises à la radio et à la télévision communautaire des régions ciblées. Dans le cadre de ces campagnes, la stratégie initiale de l’ALMISS est de « réunir l’ensemble des Métis et des Indiens sans statut du » Québec (ALMISS 1975 : 19) et de se positionner comme l’acteur le plus représentatif des intérêts des MISS au Québec. En effet, entre 1972 et 1975, « l’Alliance se sentait pressée d’augmenter son membrariat pour justifier ses demandes » (Alliance laurentienne des Métis et Indiens sans statut du Québec 1979a : 6) en matière de programmes socio-économiques et de financement. Rhéal Boudrias mentionne : « On croyait très fortement à ce moment-là, et même au niveau national que le nombre allait faire la différence. Le NCC [CNAC] sortait des chiffres disant qu’il y a 750 000 métis au Canada. On parlait au Québec d’une possibilité de 65 000 métis. » (ALMISS 1979a : 6) Résultat, en moins de trois ans, l’organisation mentionne regrouper 44 locaux et environ 12 000 membres officiels répartis en cinq régions administratives (ALMISS 1975 : 12).

Suivant cette volonté de recrutement, la direction de l’organisation développe une définition fortement inclusive de son appartenance. Au début des années 1970, les définitions des termes « Métis » et « Indiens sans statut », à l’instar des autres organisations MISS au Canada, sont liées à des origines généalogiques et à des réalités juridiques partagées, à savoir le métissage et l’exclusion de la Loi sur les Indiens (Ens et Sawchuk 2015 : 380). L’organisation définit ainsi une personne métisse : « Toute personne d’ascendance indienne » ou « des personnes issues du mélange entre Indiens et non-indiens ». Une personne indienne sans statut est plutôt définie comme étant « [t]oute personne n’étant pas reconnue comme Indien selon la Loi sur les Indiens ». Selon les termes de la constitution de l’Alliance, « [t]oute personne d’ascendance indienne, résidant dans la province de Québec, âgée de 16 ans et plus, dont la naissance indienne n’est pas reconnue selon la loi indienne, est habilitée à devenir membre régulier de l’Alliance » (ALMISS 1975 : 75). Selon cette définition, toute personne d’ascendance autochtone non reconnue comme telle selon la Loi sur les Indiens peut devenir membre de l’organisation, et ce, peu importe les liens entretenus avec une communauté ou une nation autochtone au Québec. Aucune preuve d’affiliation à une nation n’est alors demandée par l’organisation, malgré une volonté de recruter à proximité des communautés autochtones (ALMISS 1975).

Suivant le recrutement, l’octroi de programmes socio-économiques devient une priorité. Il est urgent « d’implanter et d’étendre des programmes », de « développer les locaux au point de vue des projets ou programmes disponibles » et « d’apporter de nouvelles idées, de nouveaux programmes […] pour faire avancer l’association » (ALMISS 1974 : 1). L’habitation, l’emploi, l’éducation et la récréation sont alors les enjeux primordiaux (Native Council of Canada 1972). L’organisation reçoit aussi rapidement des subventions dans le cadre de programmes de réparation d’urgence et met sur pied la corporation d’habitation Waskahegan (ALMISS 1973).

Dans ce contexte, il n’y a que très peu de discussions relatives aux droits autochtones et aux revendications territoriales dans les rapports et les journaux de l’ALMISS. Les enjeux prioritaires de l’organisation ne soulèvent alors que très peu de questionnements sur la nature de son code d’appartenance. Cependant, dès 1975, les objectifs liés aux droits autochtones se substituent graduellement aux programmes socio-économiques et font une pression importante sur les codes d’appartenance et l’identité politique de l’ALMISS. Plusieurs remettent alors en question la définition très vague du code d’appartenance de l’ALMISS et son manque d’ancrage au sein des communautés des Premières Nations de la province.

Les revendications territoriales, les droits autochtones et les pressions sur les codes d’appartenance

Dans le contexte des revendications de la baie James et dans la foulée de l’arrêt Calder, l’Alliance priorise graduellement l’affirmation des droits autochtones et la reconnaissance des gouvernements. Dès 1975, face à cette période critique, la direction de l’ALMISS, alors représentée par Carl Larivière, entend réorienter ses objectifs prioritaires. Désormais, « [l]a position de l’Alliance laurentienne est d’étudier […] les revendications territoriales des métis à travers le Québec et de se servir de la colonisation de la Baie James comme un précédent ». Pour Carl Larivière et la direction de l’ALMISS, la situation précaire des membres de l’ALMISS ne pourra pas être améliorée avant un règlement juste des droits autochtones des groupes MISS et il importe de prioriser les droits autochtones aux programmes socio-économiques (ALMISS 1975 : 2).

Dans cette foulée du remaniement des objectifs prioritaires de l’organisation, l’ALMISS publie un mémoire destiné à Robert Bourassa, alors premier ministre du Québec (ALMISS 1975). Le principal objectif de l’ALMISS est de réclamer « [q]ue le gouvernement du Québec reconnaisse que les métis et indiens sans statut du Québec ont des droits aborigènes concernant certaines réclamations territoriales au Québec » (ALMISS 1975 : 24) en précisant que l’ALMISS regroupe « d’abord et avant tout des Autochtones du Québec avec des droits spécifiques » (ALMISS 1975 : 10) et que l’octroi de programmes socio-économiques est largement insuffisant.

En outre, le mémoire a pour visée de réclamer des subventions pour réaliser des recherches historiques et légales sur les droits territoriaux des groupes MISS au Québec. Carl Larivière demande « [q]ue le gouvernement du Québec accepte d’allouer des fonds à l’ALMISS afin de rechercher des documents sur l’aspect historique et légal des territoires relatifs aux revendications des Métis et Indiens sans statut du Québec » (ALMISS 1975 : 24). Pour l’ALMISS, c’est uniquement par cette recherche historique que la question des droits peut être correctement abordée.

Dans le cadre du remaniement des objectifs de l’Alliance en 1975, l’enjeu des codes d’appartenance et de la définition du terme « Métis » deviennent majeurs. Du 21 au 23 juin 1975 s’est tenue la quatrième assemblée provinciale annuelle de l’association. L’objectif de l’assemblée était d’aborder la révision du code d’appartenance aux fins des revendications territoriales. Plusieurs membres de l’exécutif de l’ALMISS y condamnent la largesse de leur charte et expriment que le manque de précision des définitions de leur appartenance nuit à l’atteinte de leur objectif principal : la reconnaissance des Métis et des Indiens sans statut en tant qu’Autochtones de droit. En juin 1975, pour faire face à cette problématique, plusieurs membres de l’exécutif, dont Carl Larivière, Rhéal Boudrias et Fernand Chalifoux, prônent le resserrement des critères d’appartenance et proposent de limiter les critères d’éligibilité à « quatre générations d’ancêtres autochtones pour être accepté comme membre régulier » (Filion 1975 : 4).

Il s’agit d’un remaniement majeur de la position de l’organisation. Accroître le nombre de membres de l’organisation n’apparaît plus comme un moyen de se présenter comme un mouvement autochtone crédible et représentatif, mais nuit fondamentalement à cette représentativité. Pour une première fois au sein de l’exécutif de l’ALMISS, vérifier et contrôler la définition des identités MISS selon des critères généalogiques apparaît comme étant fondamental pour l’intégrité du mouvement.

Une première raison identifiée est que cette politique pourrait faciliter la reconnaissance des droits autochtones des membres de l’ALMISS par les gouvernements. Pour plusieurs, le manque de crédibilité actuelle de l’organisation face aux gouvernements est directement dû au code d’appartenance. Carl Larivière mentionne qu’actuellement l’ALMISS se présente davantage comme un « groupe social qu’une véritable organisation autochtone ». Pour lui, « en adoptant cette ligne de conduite, il serait plus facile […] de négocier les réclamations territoriales. Les négociations avec les gouvernements pourraient s’avérer plus avantageuses pour les métis du Québec si cette formule était adoptée. » (Filion 1975 : 4)

En outre, selon les membres de la direction de l’organisation, le code adopté en 1972 permettrait de nombreux abus. Selon la direction, plusieurs non-Autochtones s’inscrivent à l’Alliance pour profiter des avantages et des programmes socio-économiques, particulièrement en habitation. Ces membres ne contribueraient en aucune façon à l’organisation et à l’amélioration des conditions de vie des Métis et Indiens sans statut au Québec. Rhéal Boudrias rapporte que : « Dès que le [programme de réparation d’urgence en habitation] a été mis sur pied, le nombre de membres a augmenté de 75 %. Lorsqu’il vient le temps d’aider les métis, ces personnes ne mettent jamais un pas de l’avant. » (Filion 1975 : 4) Pour Henri Baribeau, plusieurs membres « ne connaissent même pas l’Alliance et ne sont même pas métis » (Filion 1975 : 4). Pour lui, les stratégies de recrutement, la volonté d’augmenter le nombre de membres et la nature des programmes sont à la source du problème. Il mentionne que « [l]e local accepte ces personnes désirant plus de force et de pouvoir ou encore posséder le plus grand local ». Plusieurs craignent ainsi que le mouvement et l’organisation tombent entre les mains de non-Autochtones (Filion 1975 : 4).

En 1975, il semble donc y avoir un sentiment de perte de contrôle et une volonté assez généralisée de préciser le code d’appartenance de la part de la direction provinciale de l’organisation. Pour l’ensemble des dirigeants de l’ALMISS, qui se sont exprimés lors de l’assemblée générale annuelle, contrôler et restreindre l’appartenance de l’ALMISS par des critères d’ascendance autochtone s’avère un moyen de réguler les divers abus et d’empêcher les non-Autochtones de nuire à la reconnaissance de l’association en tant que véritable organisation autochtone.

Ainsi, à la suite de l’assemblée annuelle de 1975, les membres votants de l’Alliance adoptent à majorité que « les membres actuels, après avoir émis la preuve de leur descendance indienne, demeurent membres et que des critères bien spécifiques soient établis pour les futurs membres et que la preuve de leur descendance indienne soit faite par moyens légaux si nécessaire ». Chaque local doit alors élire un comité de révision des membres ayant pour mandat « d’approuver ou de rejeter les recommandations du comité local de révision des membres » et d’émettre les cartes de membres. Toutefois, la proposition de réduire les critères d’admissibilité à la quatrième génération de descendance autochtone est refusée par les représentants votants des locaux malgré la position de l’exécutif provincial (Filion 1975 : 4). Les débats généralisés concernant l’appartenance et les droits autochtones ne refont surface qu’à l’assemblée annuelle de 1979, suivant la réalisation des recherches historiques et légales et dans le contexte du rapatriement de la Constitution.

Les débats concernant les codes d’appartenance lors de l’assemblée de 1979

Entre 1977 et 1979, l’ALMISS réalise plusieurs recherches historiques (ALMISS 1977 ; 1980b). D’abord, ces recherches ont pour objectif d’« évaluer les bases historiques, morales et légales des Métis et des Indiens sans-statut dans la province de Québec ». À cet effet, l’Alliance entend « se documenter sur les positions prises par les différents gouvernements à l’égard des droits aborigènes et des revendications territoriales […] dans les différentes proclamations, ententes, cessions, concessions de terres, législations et autres mécanismes pratiques ». En outre, l’objectif est de définir et d’identifier historiquement et démographiquement « le peuple Métis et Indien sans statut » au Québec en développant « un profil détaillé des Métis et Indiens sans-statut du Québec en indiquant leurs caractéristiques, leurs locations, leurs moyens de survie et leurs relations actuelles dans la société québécoise ». Démontrer l’ethnogenèse des groupes MISS au Québec, « retracer les étapes qui ont fait que les Métis et les Indiens sans-statut du Québec ont émergé au cours d’une période historique comme un peuple distinct et analyser les forces sociales, économiques, légales et administratives qui ont influencé ce développement » sont aussi des objectifs fondamentaux de la recherche (ALMISS 1977 : 3).

L’histoire et la recherche deviennent dès lors des outils de définition des communautés MISS pour affirmer et prouver la « distinction du peuple Métis et Indiens sans statut » selon des critères historiques, culturels et légaux bien précis. Ces recherches ont une incidence majeure sur la manière dont la direction de l’ALMISS définit et précise historiquement la notion de « Métis » au Québec entre 1977 et 1982.

Lors de l’assemblée annuelle des 10, 11 et 12 août 1979, à la lumière des recherches amorcées et des différents défis auxquels fait face l’organisation, notamment en ce qui concerne le refus du Parti Québécois de René Lévesque de reconnaître la crédibilité du mouvement[1], l’identité des membres et les priorités de l’ALMISS sont plus que jamais remises en question. L’assemblée annuelle de 1979 devait être « accompagnée d’une résolution, la plus importante de notre histoire, sur la question du membership » afin de mieux répondre au contexte politique des revendications territoriales et de répondre aux politiques de non-reconnaissance du gouvernement de Lévesque. Un rapprochement avec les Premières Nations et une reconnaissance de l’ALMISS et de ses membres par les différentes communautés reconnues deviennent aussi prioritaires pour l’exécutif de l’organisation. À l’heure de l’assemblée, le mandat de l’association semble clair : il importe « d’apporter de profondes modifications à l’association » par une restructuration de ses codes d’appartenance et de ses objectifs principaux afin qu’elle soit reconnue par les gouvernements comme étant autochtone de droit (ALMISS 1979b : 6).

Pour l’ALMISS, la crédibilité et la reconnaissance de l’organisation auprès des différents paliers de gouvernement et auprès des Premières Nations du Québec sont « en relation directe avec l’importante question du membrariat (ALMISS 1979b : 6) ». Pour plusieurs membres de la direction de l’organisation, c’est en effet en raison d’un effectif non représentatif des Indiens sans statut du Québec que l’ALMISS n’est pas reconnue des gouvernements et qu’il subsiste une certaine stagnation dans le domaine des droits autochtones. Rhéal Boudrias exprime qu’en raison du manque de précision du code d’appartenance :

[…] notre organisation a échoué une fois de plus dans ses efforts pour obtenir du gouvernement une juste reconnaissance. Ne bénéficiant pas de cette reconnaissance comme groupe autochtone légitime, ayant des droits aboriginaux légitimes, nous n’avons pu élaborer et négocier des politiques qui auraient reconnu notre droit au titre indien, nous qui ne jouissons d’aucun droit garanti dans notre propre pays

ALMISS 1979b : 6

Pour répondre à ces enjeux, la direction de l’ALMISS présente une nouvelle vision du fait métis au Québec fortement influencée par les recherches historiques et légales réalisées entre 1977 et 1979. Alors que le CNAC développe un discours nationaliste métis autour de la traite des fourrures et de l’expérience historique de la communauté de la rivière Rouge au xixe siècle, l’ALMISS refuse la notion de nation métisse historique distincte au Québec. Les notions de « nation métisse et indienne sans statut » ou de peuple « métis et indien sans statut distinct » sont totalement évacuées des discours de la direction de l’organisation. Dans son discours lors de l’assemblée de 1979, Rhéal Boudrias exprime que « [l]a recherche sur les droits Aborigènes vient préciser un élément important quant à l’origine de nos communautés. Au Québec, nous ne pouvons définitivement pas parler d’une nation métisse au sens historique. » (ALMISS 1979b : 6) Rhéal Boudrias affirme ainsi qu’il n’existe aucune nation métisse au Québec, mais que les Autochtones non reconnus par la Loi sur les Indiens appartiennent tous historiquement et culturellement aux différentes communautés des Premières Nations au Québec. Il exprime à cet effet que « notre culture et nos valeurs ancestrales sont directement reliées à la nation indienne à laquelle chaque membre se rattache de par sa famille » (ALMISS 1979b : 7).

Dans ce contexte, la direction ressent que l’organisation « a un urgent besoin, face à la communauté statuée, de réaffirmer son indianité et ses objectifs réels comme mouvement autochtone » et de « lutter conjointement avec [ses] frères autochtones vivant sur les réserves » (ALMISS 1979b : 6). L’exécutif de l’association entend ainsi se rapprocher du mouvement organisationnel des Indiens statués et constituer un effectif qui représente réellement les membres des Premières Nations non inscrits à la Loi sur les Indiens en raison de ses mesures discriminatoires. Pour la direction de l’ALMISS, il importe de s’organiser et de défendre les droits des MISS en s’arrimant aux différentes Premières Nations, car « [d]e plus en plus en milieu amérindien ‘‘reconnu’’, on se regroupe par nation pour lutter plus efficacement pour alimenter les dossiers, pour s’organiser ». Ce remaniement politique et identitaire de l’ALMISS apparaît urgent, notamment dans le contexte où « [c]ertains autochtones statués commencent à réaliser que notre organisation peut représenter des gens qui originent de leur communauté et que les questions des droits territoriaux pour le peuple ne pourront être discutées sans tenir compte de nous » (ALMISS 1979b : 6).

Tout comme lors de l’assemblée de 1975, pour faciliter cette reconnaissance de l’ALMISS en tant qu’organisation autochtone par les gouvernements et un rapprochement efficace avec les Premières Nations, la direction de l’ALMISS propose aux membres votants de rigidifier le code d’appartenance à la quatrième génération. Pour des raisons qui ne sont pas exprimées dans les journaux de l’organisation, cette proposition est à nouveau refusée par les membres, ce qui repousse la discussion à l’assemblée suivante et génère un remaniement important du mouvement MISS au Québec et de nombreuses tensions entre les différentes factions du mouvement.

D’abord, Rhéal Boudrias, face à cette inaction de l’organisation, démissionne de son poste de président lors de l’assemblée de 1980 pour s’impliquer en tant que président régional dans le mouvement des Premières Nations non statuées en Abitibi (ALMISS 1980a : 2). La démission de Boudrias mène à l’élection par acclamation controversée de Fernand Chalifoux en 1980. Lors de l’événement, plusieurs membres de l’exécutif quittent la salle en signe de refus du résultat et réclament de Fernand Chalifoux qu’il se démette de ses nouvelles fonctions. Selon le Journal l’Alliance, cette controverse aurait eu lieu en raison de l’implication de Fernand Chalifoux en tant que directeur de la corporation en habitation Waskahegan (Chalifoux 1981 : 27). Plusieurs membres craignent que la juxtaposition de ces deux postes puisse mener à davantage d’abus et de corruption au sein de l’organisation, tant sur le plan financier que sur le plan de l’effectif. Fernand Chalifoux a aussi depuis quelques années une vision fortement inclusive du fait métis au Québec et considère comme néfaste toute rigidification des codes d’appartenance.

Néanmoins, de nombreux exécutifs régionaux entament aussi des recherches historiques pour se rapprocher de leurs nations d’appartenance. À cet effet, en réaction à l’amorce de travaux préliminaires visant une entente éventuelle entre le gouvernement du Québec et les Attikameks et Montagnais en ce qui concerne les droits autochtones, la Région V de la Côte-Nord entame des recherches pour recenser la présence innue dans la région de la Côte-Nord pour être plus crédible et efficace lors d’éventuelles négociations territoriales. Pour la région en question, il « apparait urgent de préciser les liens généalogiques des membres […] avec les différentes bandes Montagnaises de la côte-nord ». Pour la région, ce recensement est un « instrument essentiel à une négociation sur la base de la nation montagnaise » ainsi qu’un « moyen apte à clarifier le membership de l’Alliance également sur la base de la notion d’appartenance » (ALMISS 1981 : 7 et 1982a : 10).

En août 1981, « après avoir vécu à plusieurs reprises des situations pénibles concernant la clarté de son membrariat tant au niveau de l’application des programmes spéciaux des gouvernements qu’au niveau d’administration locale », la région de l’Abitibi-Témiscamingue reçoit aussi une subvention de 4450 $ de la part du gouvernement du Québec afin d’entreprendre « une étude généalogique sur les Métis et Indiens sans statut de la région et de procéder à un recensement généalogique de leur membrariat ». Cette recherche généalogique menée par Bernard Pelletier de l’Université du Québec à Rouyn-Noranda a pour objectifs d’établir la généalogie de chaque membre des locaux de la région, de retracer les potentiels membres en devenir et de déterminer certains critères d’ascendance des membres pour leur attribuer ou non « le trait indien » afin d’en arriver à une « définition claire, précise et facilement utilisable […] vers la reconnaissance de leur statut particulier » (ALMISS 1982 : 23). Selon la direction de la région I :

Cette recherche demeure la priorité de travail pour l’année courante étant donné que pour les participants à cette plénière elle était essentielle pour poursuivre nos travaux dans le secteur de la reconnaissance de nos droits aboriginaux ou pour la promotion de politiques strictement autochtones, et par-dessus tout pour établir un dialogue avec nos frères statués. Une étude approfondie pour déterminer notre généalogie est donc essentielle

ALMISS 1982 : 23

Suivant l’amorce de cette recherche, les 27 et 28 mars 1982, un mois seulement avant le rapatriement de la constitution, la direction de la région I de l’Alliance, présidée par Rhéal Boudrias, résolut que la « descendance indienne » minimale soit de vingt-cinq pour cent pour devenir membre de la région (Chalifoux 1982a : 3). Selon l’exécutif régional, la notion de « Métis » est demeurée trop vague trop longtemps et il est nécessaire de la définir pour améliorer les relations avec les gouvernements, mais surtout avec les Indiens statués. Plusieurs autres résolutions de la région I dénotent aussi une volonté de s’éloigner de la direction provinciale représentée par Fernand Chalifoux. Deux d’entre elles concernent spécifiquement les programmes d’habitations et la Corporation Waskahegen, dirigée par Chalifoux : « que l’étude en habitation ne soit pas entreprise présentement dans la région » et « que les Travailleurs de l’Alliance où de la Corporation Waskahegan n’aient pas la permission de siéger sur le Conseil Provincial des Directeurs de l’Alliance » (Chalifoux 1982a : 3). Deux autres résolutions dénotent aussi une volonté de la région d’acquérir une certaine autonomie vis-à-vis de l’ALMISS et de se distancier de l’exécutif provincial dans la situation actuelle : « que les fonds provenant du Gouvernement du Québec soient divisés par grandeur de territoire et par population » au lieu d’être centralisés au sein de l’exécutif provincial et « que les membres du Conseil de cette région […] ne fassent pas partie du Conseil Provincial de l’Alliance […] jusqu’à ce que la situation soit clarifiée » (Chalifoux 1982a : 3). Ces résolutions sont alors vivement refusées et critiquées par la direction provinciale, représentée par Fernand Chalifoux. Pour la direction, la résolution concernant l’appartenance ne respecte pas la Charte de l’Alliance et il importe de cesser les discussions sur la rigidification des codes d’appartenance et d’adopter une définition inclusive et élargie du fait métis au Québec.

Bref, entre 1979 et 1982, il existe une tension croissante entre les membres désirant rigidifier les codes d’appartenance et se rapprocher des Premières Nations pour les fins de revendications territoriales et d’autodétermination et les membres désirant adopter une définition large et inclusive du fait métis au Québec. Notamment, la Région I montre une volonté nette de rigidifier ses codes d’appartenance à l’aide d’une politique de quantum sanguin et par le moyen de recherches généalogiques. Pour cette région, et pour plusieurs membres, c’est uniquement par ces politiques identitaires qu’un réel rapprochement avec les Premières Nations, dont sont issus les membres légitimes de l’ALMISS, peut se faire. Ces initiatives régionales entrent directement en conflit avec la direction provinciale, représentée par Fernand Chalifoux, qui entend adopter des codes d’appartenance inclusifs et non soumis à des critères d’ascendance autochtone. Cette vision de la direction empêche alors ultimement un rapprochement entre le mouvement MISS et les Premières Nations reconnues au Québec. Comme nous le verrons, cette tension, inhérente à la structure même de l’ALMISS, s’accentuera entre 1982 et 1983 et mènera à des modifications profondes du mouvement.

La modification des codes d’appartenance en 1982 et les débats constitutionnels

Dans ce contexte interne tendu et au lendemain du rapatriement de la Constitution, un remaniement du code d’appartenance est fait. Lors de la 11e assemblée annuelle provinciale de l’ALMISS d’août 1982, pour la première fois, le code d’appartenance est modifié. Pour la direction, des « définitions larges et réalistes doivent être adoptées pour les fins de la constitution et la législation subséquente afin d’éviter la fragmentation des collectivités Autochtones ». Ces définitions doivent alors être centrées sur trois critères fondamentaux : « la descendance des ancêtres Aboriginaux, l’identité propre à soi et l’acceptation en tant que personne Autochtone par la communauté Autochtone ». (Chalifoux 1982b : 5) Ainsi, les membres votants de l’Alliance adoptent officiellement ce nouveau code d’appartenance :

Que les membres et/ou futurs membres de l’association doivent être capables de prouver leur attachement à une bande et ⁄ou un établissement. b) si a) est impossible, le membre ou nouveau membre doit être reconnu par un membre qui a déjà prouvé son rattachement à une bande et⁄ou à un établissement

ALMISS 1982c : 1

L’ALMISS priorise de ce fait une définition inclusive et large de l’appartenance ancrée au sein des différentes « bandes et établissements » au Québec et conditionnelle à la reconnaissance des individus par les bandes en question. Rapidement, plusieurs événements entre 1982 et 1983, notamment les mouvements nationalistes autochtones croissants au Québec dans le cadre des conférences constitutionnelles, presseront l’ALMISS à redéfinir à nouveau ces conceptions identitaires et à s’éloigner des Premières Nations.

Les 9 et 10 novembre 1982 au Château Frontenac de Québec se rencontrent l’Assemblée des Nations autochtones du Québec (ancêtre de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador), l’association des Femmes Autochtones du Québec (FAQ) et l’ALMISS. Cette réunion a pour objectif de déterminer une politique autochtone à présenter au gouvernement provincial lors des processus de négociations des droits autochtones au sein de la Constitution canadienne[2] et de démontrer au gouvernement provincial que « les nations autochtones du Québec doivent participer au processus constitutionnel, afin de compléter l’article 35 de la Loi constitutionnelle ». Pour les acteurs présents à cette réunion, il s’agit de permettre la réalisation d’une « véritable charte des droits et libertés des nations autochtones » (ALMISS 1982c : 4).

Cette assemblée résulte en la formation du Groupe de Travail des Peuples Aborigènes du Québec sur la Constitution formé des « neuf nations autochtones », de l’ALMISS et de la FAQ. Le groupe adopte 15 résolutions à l’adresse du premier ministre du Québec, René Lévesque, pour la reconnaissance de leurs droits constitutionnels. Ces résolutions illustrent comment la reconnaissance en tant que nation distincte est un élément majeur au processus d’affirmation des droits constitutionnels et d’autodétermination politique des Premières Nations réaffirment la dimension collective, nationale et historique des droits et identités autochtones au Québec. À cet effet, le premier article est que « les peuples aborigènes du Québec sont des nations ayant droit à l’auto-détermination au sein de la confédération canadienne ». Dans le cadre du document, le groupe de travail demande que leurs droits « comme Peuples et Nations » soient définis au sein de la Constitution, « [q]ue ces droits fondamentaux devront comprendre le droit des nations autochtones de demeurer des nations distinctes » et que la Constitution leur reconnaisse « le droit à des terres leur appartenant en propre et sous leur juridiction exclusive » (Groupe de travail sur la Constitution 1983, 23).

Le 9 février 1983, en réponse aux 15 résolutions du Groupe de travail autochtone sur la Constitution, le Conseil des ministres du Québec adopte les 15 principes aux fondements de l’action gouvernementale à l’égard des Autochtones. Le 15 mars 1983, lors de la Conférence constitutionnelle sur les droits autochtones à Ottawa, le gouvernement de René Lévesque rend publique cette position. Plusieurs de ces points insistent aussi sur le caractère national des identités et des droits autochtones au Québec. Notamment, le gouvernement déclare « [q]ue le Québec reconnaît que les peuples aborigènes du Québec sont des nations autochtones distinctes qui ont le droit à leur culture, à leur langue, à leurs coutumes et traditions ainsi que le droit d’orienter elles-mêmes le développement de cette identité propre » (Conseil de ministres du Québec 1983 : 13).

Face à cette mise en valeur des identités et des droits nationaux des Autochtones dans le contexte des conférences constitutionnelles et face au dynamisme des Premières Nations dans le domaine de l’autodétermination, l’ALMISS est à nouveau pressée dans ces choix identitaires. De nombreuses tensions relatives à l’identité autochtone et nationale des membres de l’ALMISS émergent en 1983. D’abord, lors de l’assemblée annuelle de la région I de 1983, face à l’inaction de l’ALMISS, Rhéal Boudrias, président de la région, critique ouvertement l’administration de Fernand Chalifoux comme étant « très blanche et peu représentative des intérêts des autochtones dignes de ce nom ». Le 23 janvier 1983, lors de l’assemblée annuelle de la région I, Rhéal Boudrias quitte l’organisation puisqu’il ne considère plus « qu’elle représente encore les autochtones ayant de véritables racines avec une nation ». Pour lui, il sera éventuellement essentiel de former une nouvelle association « pour que les véritables autochtones hors réserves soient représentés ». Plusieurs membres de la région quittent la salle pour appuyer la position de Rhéal Boudrias (ALMISS 1983 : 11).

Dans ce contexte tendu et dans le cadre des conférences constitutionnelles, Fernand Chalifoux déclare que l’ALMISS « se trouve à un carrefour historique ». Selon Chalifoux, soit les membres peuvent se désintéresser de l’association et « laisser les gouvernements nous imposer des lois et règlements qui signifieront bientôt notre anéantissement, ou bien [...] agir ensemble et démontrer notre volonté de survivre ». Pour lui, en vue de la douzième assemblée générale annuelle des 5 au 7 août 1983, l’organisation est à l’aube de « la construction d’une nouvelle Alliance » et nécessite plus que jamais la mobilisation des membres (Chalifoux 1983 : 1).

Dans son discours d’ouverture de l’assemblée générale de 1983, pour illustrer ce renouveau, Chalifoux souhaite la bienvenue à tous « à la 12e assemblée générale annuelle de la Nation Métis et Indiens sans statut du Québec » et affirme les droits aborigènes des MISS « en tant que peuple et première nation ». Plusieurs résolutions sont alors adoptées et illustrent ce remaniement des politiques identitaires de l’organisation selon la logique que les membres de l’ALMISS forment une seule et unique nation métisse et indienne sans statut en raison de leur exclusion de la Loi sur les Indiens. D’abord, la centaine de délégués présents décident que l’organisation adopte le nom d’Alliance autochtone du Québec. Ensuite, « considérant que depuis 12 ans, l’organisation n’a jamais positionné fermement son identité et considérant qu’à ce point tournant de l’histoire, il est de la plus grande importance que le membership définisse sa place au sein de ce pays », il est résolu que « le statut des Métis et Indiens sans statut du Québec est celui d’une Nation Autochtone ». À cet effet, l’assemblée déclare que les dirigeants de l’AAQ « affirment les droits aborigènes des membres en tant que droits d’une Nation Autochtone et qu’ils défendent ces droits sur la base de ce nationalisme » (Chalifoux 1983b : 9).

Trois mois plus tard, dans un mémoire présenté à la Commission parlementaire de la présidence du Conseil et de la constitution à l’Assemblée nationale du Québec le 24 novembre 1983, Fernand Chalifoux, alors président, déclare au nom des 25 000 membres de l’AAQ : « Nous sommes une nation » et affirme que « dorénavant, les Métis et Amérindiens sans statut du Québec se considèrent un peuple et une nation autochtone distincte au Québec ». Fernand Chalifoux exprime en ce sens : « Nous, les Métis et Amérindiens sans statut du Québec, sommes un peuple. Notre peuple est le fruit des lois et politiques conçues par des gouvernements coloniaux depuis plus d’un siècle. » (AAQ 1983 : 10) Ainsi, Fernand Chalifoux fait la promotion d’une identité métisse et amérindienne sans statut panquébécoise définie par une situation juridique partagée issue de l’exclusion de la Loi sur les Indiens. Cette nation ne possède alors aucune assise territoriale, culturelle ou historique commune. Elle n’a à priori aucune origine en lien avec les Premières Nations au Québec et se fonde sur un métissage difficilement retraçable. Ce faisant, Chalifoux remet en valeur une définition élargie de l’identité métisse telle que formulée au début des années 1970.

Conclusion

Cet article a proposé une analyse du discours de l’Alliance laurentienne des Métis et Indiens sans statut concernant ses codes d’appartenance entre 1971 et 1983 alors que plusieurs conceptions de l’identité métisse ont cohabité et sont entrées en conflits au sein même des exécutifs provinciaux et régionaux de l’organisation dans un contexte politique changeant et pressant. Entre 1971 et 1983, les revendications territoriales, les recherches historiques et légales ainsi que les conférences constitutionnelles ont généré des espaces de redéfinition et de précision des identités métisses et indiennes sans statut au Québec et ont fortement influencé les politiques identitaires de l’ALMISS.

Pour faire reconnaître son identité et ses droits autochtones, l’ALMISS a tenté régulièrement de clarifier les termes « Métis » et « Indien sans statut ». À de nombreuses reprises, la rigidification de l’appartenance est apparue comme un moyen privilégié d’assurer la reconnaissance du mouvement, de vérifier l’identité autochtone des membres et d’effectuer un réel rapprochement avec les Premières Nations auxquelles appartiennent les membres. Cette proposition est notamment portée sans succès lors des assemblées annuelles de 1975, de 1979 et de 1980.

En 1979, sous la présidence de Rhéal Boudrias, on assiste au passage d’une définition pancanadienne, généalogique et juridique des réalités MISS à une vision de plus en plus historicisée et ancrée au sein des différentes réalités nationales des Premières Nations au Québec. L’ALMISS, affirme dès lors pleinement sa filiation historique et nationale au mouvement « indien » au Québec. Il apparaît clair, pour l’exécutif de l’ALMISS, qu’il n’y a pas de nation métisse au Québec, mais que l’enjeu des Autochtones non reconnus par l’État est lié à la discrimination raciale et sexuelle contenue dans la Loi sur les Indiens.

En novembre 1983, en réaction aux activités du Groupe de Travail des Peuples Aborigènes du Québec sur la Constitution lors des conférences constitutionnelles de 1983, un nouveau remaniement des politiques identitaires de l’organisation est amorcé par Fernand Chalifoux et la direction de l’organisation. Celui-ci refuse les conceptions identitaires valorisées par l’ALMISS entre 1979 et 1982 et exprime que les Métis, au Québec, forment une nation et un peuple distincts des Premières Nations. Cette nation panquébécoise et inclusive serait unie par son exclusion de la Loi sur les Indiens, ses conditions socio-économiques précaires et le métissage. Pour la nouvelle direction, le règlement des droits aborigènes et des droits constitutionnels doit alors nécessairement s’effectuer indépendamment des Premières Nations, avec qui les liens ont depuis longtemps été coupés par les politiques coloniales.

La nouvelle position identitaire de l’organisation lui cause une forte perte de crédibilité et un éloignement majeur vis-à-vis des mouvements autochtones. En effet, l’ALMISS promeut alors des définitions très vagues et difficilement vérifiables du métissage pouvant remonter jusqu’au xviie siècle. Depuis 1971, l’ALMISS a ainsi échoué à s’arrimer concrètement aux mouvements nationalistes et aux processus d’autodétermination des Premières Nations. Les pressions politiques pour révoquer les discriminations sexuelles et raciales reliées à l’alinéa 12(1)b), menant à l’amendement de la Loi sur les Indiens en 1985, semblent avoir été bien plus portées par Femmes Autochtones au Canada et la FAQ que par l’ALMISS ou le CNAC. Aujourd’hui, l’AAQ n’est pas reconnue comme une association autochtone légitime, ni par la FAQ, ni par l’APNQL et les différentes Premières Nations, et il est reconnu et documenté que cette association regroupe de nombreux Autochtones autoproclamés et pose préjudices aux droits des Autochtones au Québec.