Un phénomène relativement récent prend son essor sur les scènes sociopolitiques québécoise, canadienne et états-unienne. Ce mouvement, ayant pris un tournant significatif autour des années 1970 aux États-Unis et plus récemment au Canada, au début des années 2000, a été abondamment étudié et analysé ces dernières années (Adese, Todd et Stevenson 2017 ; Gaudry 2018 ; Gaudry et Andersen 2016 ; Leroux 2019, 2021, 2022 ; O’Toole 2017 ; Sturm 2011 ; TallBear 2013, 2023), incluant ses conséquences majeures sur la souveraineté et l’autodétermination des Premiers Peuples. Notre numéro thématique vise à mettre en lumière certaines dimensions et complexités reliées à ce mouvement, en insistant plus particulièrement sur les manifestations de l’auto-autochtonisation au Québec à travers les discours auto-autochtonisants formulés en langue française. Il importe de souligner que l’étude du phénomène d’auto-autochtonisation ne concerne pas les personnes qui furent dépossédées de leur identité autochtone par l’entremise des lois et politiques coloniales canadiennes, et qui essaient aujourd’hui de reconstruire les relations et affiliations avec un peuple autochtone en vue de renouer avec leur identité arrachée. En d’autres mots, l’auto-autochtonisation ne porte pas sur l’analyse des effets des politiques de dilution et d’effacement des mémoires et identités autochtones de la Loi sur les Indiens, sur les effets des écoles résidentielles, sur le placement des enfants autochtones dans des familles allochtones et les impacts du Sixties Scoop, la rafle des années 1960. Ce que nous appelons le phénomène de l’auto-autochtonisation implique un processus par lequel des individus se façonnent une histoire fictive, un mythe individuel et revendiquent une identité autochtone. Cette identité se base généralement sur une découverte généalogique récente d’une ancêtre née avant 1650, ou encore, sur un narratif ou une histoire de famille sur l’autochtonité qui ont circulé dans le milieu de vie pendant l’enfance. Comme l’explique Darryl Leroux dans son livre Ascendance détournée (2022), ce mouvement est particulièrement observable chez les Francos-descendants, ceux et celles qui descendent des premiers colons français installés en Nouvelle-France avant 1650, que l’on retrouve dans les provinces de l’Est comme la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick, le Québec et l’Ontario, ainsi que dans le nord de la Nouvelle-Angleterre, au Vermont, au New Hampshire et dans le Maine. Des recherches démographiques et historiques ont démontré que les Franco-descendants ont généralement dans leur généalogie un ou deux ancêtres autochtones nés avant l’arrivée des Filles du roi en 1663. Par exemple, Céline Dion, François Legault, Mario Lemieux, Maurice Richard, Justin Trudeau partagent un profil généalogique assez similaire. En fait, on estime que dix millions de personnes au Canada et trois millions aux États-Unis ont un lien de parenté éloigné avec quelques-unes des 10 à 15 femmes autochtones qui ont épousé des Français au début de la Nouvelle-France. Cependant, bien que ces éléments généalogiques de leur passé lointain puissent exister, ils ne sont pas révélateurs d’une connaissance, d’une relation ou d’une appartenance à un peuple autochtone. On observe que la plupart des personnes qui se découvrent ces liens éloignés ne changent pas nécessairement leur identité sociale et culturelle. Elles vont rarement plus loin dans leurs recherches. Néanmoins, un nombre croissant de personnes, environ 200 000 selon les recensements et les registres organisationnels, ont modifié leur identité ces dernières années, afin de devenir « autochtones », et ce, en s’appuyant seulement sur une recherche généalogique faisant remonter à une ancêtre autochtone du xviie siècle. Dans la majorité des cas individuels analysés, ces personnes tendent à se regrouper sous la forme d’une organisation afin de soutenir une identité autochtone individuelle tout en adhérant au postulat de l’existence d’un peuple Métis fantasmé. Cette relation pernicieuse entre une identité autochtone inventée et un …
Parties annexes
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Jugements
- R. c. Gladue [1999] 1RCS 688
- R. c. Ipeelee [2012] 1 RCS 433