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Introduction

L’histoire de la médecine coloniale au xixe siècle et son impact sur le soin des corps autochtones au Québec demeurent un aspect largement négligé par l’historiographie. En s’intéressant à l’histoire de la santé autochtone, on constate rapidement que l’effervescence de ce champ de recherche au Canada se traduit avant tout par des publications traitant des Premières Nations et des Inuits de l’ouest et du nord canadien (McCallum 2017). Pour ce qui est des rares publications qui adoptent une perspective nationale, elles offrent au mieux un traitement marginal de la question au Québec, sous prétexte qu’avant sa prise en charge par l’État fédéral au tournant du siècle, la prestation des services de santé aux Autochtones relevait principalement de l’initiative personnelle et missionnaire (Waldram, Herring et Young 2000 : 153). Et pourtant, le département des Affaires indiennes apparait comme un acteur particulièrement important dans le déploiement de la médecine coloniale auprès des Premières Nations au Québec dès les années 1850, notamment dans les régions périphériques telles que le Saguenay et la Côte-Nord.

Peu après l’ouverture de ces territoires à la colonisation, plusieurs acteurs sur le terrain appellent l’État à intervenir afin de protéger les Innus contre la prolifération des épidémies et de la variole qui dévastent leurs communautés[1]. Reconnaissant que les Innus sont victimes de la colonisation de leurs territoires, le département des Affaires indiennes y déploie alors un programme de vaccination qu’il estime être une mesure humanitaire et peu coûteuse permettant d’en mitiger les conséquences les plus néfastes. À partir des années 1860, des médecins sont donc envoyés de manière sporadique afin de vacciner les Innus du Saguenay et de la Côte-Nord. Rapidement, ceux-ci cherchent à instrumentaliser le programme afin de subventionner leur pratique et d’offrir des soins de santé à toute la population des zones de colonisation. Il est notamment question d’utiliser les fonds des Affaires indiennes afin de prodiguer des soins à la population coloniale pauvre qui souffre des mêmes maladies que les Innus. En dépit des objections du département, les témoignages de ces experts de la pratique médicale sur le terrain et le développement de la médecine hygiéniste à partir de la décennie 1870 transforment l’approche de l’État vis-à-vis de la santé des communautés autochtones. De victimes des maladies introduites par les colons, les Innus apparaissent de plus en plus comme une menace pour la santé publique et la population coloniale. Au lieu de voir les maladies qui les accablent comme des conséquences de la colonisation, de la dégradation de leur niveau de vie et de l’accès restreint au territoire, les agents du gouvernement, les médecins et les politiciens locaux y voient plutôt la conséquence de l’attitude irresponsable des Innus face au maintien de leur santé. Pointant du doigt la négligence des Autochtones face à l’hygiène et à l’amélioration des conditions de vie dans leurs habitations surpeuplées − qui favorisent, selon eux, la prolifération des maladies −, ils présentent les réserves et leurs habitants comme de dangereuses menaces pour la santé publique. C’est dans ce contexte qu’ils obtiennent du gouvernement fédéral le financement nécessaire pour l’ouverture et l’opération d’un premier hôpital indien à Pointe-Bleue (Mashteuiatsh). De sa fondation en 1876 à sa fermeture en 1894, cet hôpital destiné à fournir un espace hygiénique pour soigner les Innus permet aux agents de l’État de justifier leur tutelle sur cette population, perçue comme négligente. La présence d’infirmières innues embauchées pour prodiguer les soins aux patients de leur communauté permet toutefois d’entrevoir dans l’institution plus qu’un simple outil de contrôle des corps autochtones par le pouvoir colonial.

Étendre la vaccination dans les régions périphériques

Jusqu’au milieu du xixe siècle, le département des Affaires indiennes considérait que les Premières Nations du Saguenay et de la Côte-Nord se situaient en dehors de sa juridiction (BAC 1844 : 64). Ce faisant, l’État laissait volontiers les missionnaires et la Compagnie de la Baie d’Hudson (HBC) gérer les relations avec les Autochtones qui occupent et exploitent – encore de nos jours − leurs territoires traditionnels. Intimement liée à ces territoires, la santé des Innus est tributaire de l’accès à la nourriture, à l’eau et aux plantes médicinales à la base du maintien de la santé et des soins du corps. Occasionnellement, la présence d’un missionnaire transportant des médicaments, ou le savoir-faire médical de commis dans les postes de la HBC, offrait toutefois des formes de traitements alternatifs[2]. De manière exceptionnelle, certains individus pouvaient aussi remonter le fleuve jusqu’à Québec afin d’avoir accès à des soins offerts par la médecine coloniale. C’est notamment le cas d’un Innu nommé Laurent Lafrance qui espérait retrouver la vue en obtenant une opération des cataractes en 1832 (BAC 1832 : 33, 133-38 et 141). Jusqu’au milieu des années 1850, les rapports des Innus vis-à-vis de la médecine coloniale demeurent néanmoins très limités, voire anecdotiques.

La situation change drastiquement suite à l’ouverture du territoire à la colonisation dans les années 1840. Il apparait alors évident que l’augmentation rapide de la population euro-canadienne engendre un déclin de l’état de santé des Innus et augmente la fréquence des épidémies[3]. La situation est telle qu’en 1857, le député de Chicoutimi David E. Price anticipe que les maladies apportées par les colons canadiens mèneront bientôt à la disparition des Innus du Saguenay :

[I]l y a de fortes chances que cette tribu s’éteigne progressivement […] par les épidémies transmises au contact de l’homme Blanc. Leur population a grandement diminué au cours des dix dernières années ; depuis que le Saguenay a été colonisé, au moins trois cents âmes sont mortes.

BAC 1857 : 141 286-141 287

Parmi ces victimes, Price estime que la moitié aurait succombé à la famine dans les bois, une situation exacerbée par la compétition accrue des colons pour l’accès aux ressources : « Ces pauvres Indiens sont de plus en plus appauvris chaque année, par des trappeurs canadiens chassant sur leurs territoires sans le moindre égard pour les pauvres Indiens, qui sont parfois conduits aux limites de leur subsistance et périssent souvent » (BAC 1868a). Dans une pétition adressée au surintendant des Affaires indienne à l’été 1869 et signée par le chef François Jourdain et Ambroise Gill, les Innus du lac St-Jean se plaignent effectivement de ne plus pouvoir subvenir à leurs besoins par la chasse à cause du « trop grand nombre de chasseurs d’autres nations blanches qui [leurs] nuisent considérablement » (BAC 1869a). Ce témoignage fait écho aux observations du médecin et surintendant des pêcheries Pierre Fortin sur la situation des Innus de la Côte-Nord. Fréquentant régulièrement les côtes du golfe du Saint-Laurent à bord du navire La Canadienne, il observe que privée de remèdes et de traitement pour les maladies respiratoires qui sont très répandues, la majorité des Autochtones de la Côte-Nord atteignent rarement un âge avancé : « au contraire, la plupart meurent à un âge précoce de la consomption provoquée par la fatigue, l’exposition au froid pendant l’hiver et la misère sous toutes ses formes » (BAC 1863f : 191 907). Il attribue leurs misères à l’interdiction qui leur est faite de pêcher le saumon dans leurs rivières, aux pratiques commerciales de la HBC, de même qu’à la présence des blancs « qui sont devenus nombreux sur la côte, chassent les fourrures dans les bois de la même manière que les Indiens (et par suite de cet accroissement du nombre de chasseurs, les animaux à fourrure sont devenus plus difficiles à attraper) » (BAC 1863f). Quant au missionnaire Louis Babel, il explique que c’est à cause de « toutes ces lois de pêche & de chasse » mises en place par le gouvernement que les Innus souffrent et « s’éteignent sous les étreintes de la faim & des privations de tous genres » (BAC 1869b). Or, les famines et la malnutrition ont pour conséquence d’affaiblir les corps autochtones et de les rendre plus vulnérables face aux maladies infectieuses qui accompagnent la colonisation, l’invasion culturelle et économique de leurs territoires, ainsi que le confinement grandissant au territoire des réserves (Lux 2001 ; Daschuk 2013 ; McCallum 2017).

Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que la variole se répande « comme un feu de brousse » lorsqu’elle fait son apparition. Ce constat amène Price à demander au département des Affaires indiennes qu’il étende le programme de vaccination, récemment mis sur pied, à la population innue du Saguenay et de la Côte-Nord. Bien que la variolisation, puis la vaccination soient pratiquées par certaines Premières Nations domiciliées dans la vallée du Saint-Laurent depuis la fin du xviiie siècle, ce n’est qu’en 1854 que le département des Affaires indiennes a entrepris de mettre en oeuvre un programme pour l’immunisation des communautés autochtones dans la Province du Canada. Dans les mois suivant son arrivée dans la colonie, le jeune William Coutts Keppel − vicomte Bury − demande aux agents du département, à titre de secrétaire du gouverneur Edmund Walker Head et surintendant des Affaires indiennes, de mettre en place un système permettant « d’assurer à chaque Indien les bienfaits de la vaccination » (BAC 1854 : 333 ; BAC 1855b). Si la mesure est bien accueillie par certaines communautés – comme la Première Nation des Chippewas de Rama qui demande une vaccination rapide de leurs enfants (BAC 1855c, 1855d) ; ou les Hurons-Wendats de la Jeune Lorette qui se disent heureux que le gouvernement « se propose de nommer un médecin aux fins d’administrer la vaccine aux divers membres de leur Tribu » (BAC 1855e) −, d’autres se montrent plus sceptiques. C’est le cas des résidents de Kahnawake qui se méfient du médecin qui débarque dans leur communauté à l’été 1856. Pour le surintendant Richard T. Pennefather, leur réticence semble découler d’un manque d’information quant aux « effets salutaires de la vaccination pour éviter la maladie dont ils ont déjà tant souffert ». Ce faisant, il blâme l’agent Duncan C. Napier pour avoir envoyé un médecin sans d’abord « s’assurer des sentiments et préjugés des Indiens relativement à la vaccination », ni même avoir pris la peine de l’accompagner afin d’user de son influence personnelle pour expliquer clairement aux « Indiens, quelles étaient les véritables intentions du département » (BAC 1856). Bien qu’il soit difficile de connaître les motifs exacts liés à l’hésitation vaccinale, il apparait que le contexte local et la présence d’un lien de confiance entre la communauté et le médecin sont des facteurs déterminants (Brimnes 2004 ; Tunis 1982). On note par exemple que les Hurons-Wendats affirment avoir « la plus grande confiance » envers le docteur James Stansfield « vu la manière habile dont il a traité les différentes maladies qui ont affligé de temps à autre les familles du village » depuis les sept dernières années (BAC 1855e). Employé du département à Manitowaning, le docteur David Layton suggère quant à lui que « les Indiens sont généralement opposés à la vaccination, probablement parce que la variole n’a jamais fait son apparition dans cet endroit » (BAC 1855a). L’éclosion d’épidémies de variole apparait donc comme un facteur contribuant à l’acceptation vaccinale dans plusieurs communautés autochtones. C’est notamment le cas dans la région de Thunder Bay, où dans la foulée de l’épidémie qui a sévi dans le nord-ouest en 1876-1877, l’agent Amos Wright rapporte que les Autochtones démontrent « un fort désir pour la vaccination, et [ont] demandé de porter l’affaire devant le département » (BAC 1877 ; Eyford 2006). Même portrait à Kahnawake où l’éclosion d’une épidémie de variole à l’hiver 1878 permet au missionnaire Nicolas Burtin de convaincre la communauté que « le vaccin est un préservatif contre cette dangereuse maladie ». Pendant plus de trois semaines, le docteur Lefebvre de Lachine est alors employé par le département pour vacciner 225 enfants Kanien’kehà :ka (BAC 1878a, 1878b).

Sur la Côte-Nord et au Saguenay, le rapport alarmiste de Price amène le surintendant des Affaires indiennes à dépêcher les docteurs Elzéar Gauvreau de Rimouski et Vincent Martin de Chicoutimi afin de vacciner les Innus dès 1858. À ce moment, cette opération devant permettre d’atténuer les effets dévastateurs de la colonisation est envisagée comme une mesure humanitaire témoignant de la bienveillance du gouverneur Edmund Walker Head envers les Autochtones (BAC 1862a : 197 788)[4]. Après avoir vacciné une centaine d’Innus en 1858, Gauvreau retourne sur la Côte-Nord en 1860 pour en immuniser près de mille autres à Mingan et à Betsiamites. Les comptes soumis par Vincent Martin indiquent pour leur part qu’il a vacciné 163 Innus au Lac-Saint-Jean, ce qui correspond grosso modo à l’ensemble de la population recensée par Price en 1857[5]. En ajoutant les frais de déplacement au tarif de 0,50 $ par inoculation accordés par le département, cette mesure ponctuelle a donc coûté 790,50 $ pour la seule année 1860 ; une somme conséquente considérant qu’elle représente près de 20 % du fonds parlementaire de 4 000 $ mis à la disposition du département pour toutes les Premières Nations du Bas-Canada. La pression sur les ressources limitées du département ne cesse d’ailleurs d’augmenter à mesure qu’il est appelé à élargir son rayon d’action. Dès 1862, un médecin recommande que la vaccination soit portée plus haut sur la Côte-Nord, puisque l’affluence d’un nombre grandissant de navires pendant la période estivale représente un danger important de contagion pour les Autochtones qui sont privés de secours médicaux. La présence de centaines de bateaux de pêche et les échanges de vieux vêtements contre les fourrures des Innus réalisés par les traiteurs sont alors perçus comme les principales sources de contagion exposant ceux qui se rassemblent à Godbout, à Sept-Îles et à Mingan « à l’influence mortelle de la variole, si un cas survenait à bord » (BAC 1863a : 191 862 ; BAC 1875b).

À partir de 1860, le transfert de la responsabilité des Affaires indiennes du gouvernement impérial vers le Canada implique que ce n’est plus le rôle du gouverneur, mais des ministres du gouvernement canadien d’administrer l’argent destiné au secours des Premières Nations dans la province. Familier avec le secrétaire provincial Charles Alleyn, David E. Price sollicite directement l’aide du politicien réformiste afin d’obtenir « que ces pauvres chrétiens soient pris en charge » par le docteur J. E. Fitzpatrick de La Malbaie. De son côté, le missionnaire Charles Arnaud invoque « [l]a tendre vigilance avec laquelle le gouvernement veille à la conservation de toutes les classes et surtout des pauvres » afin d’obtenir « le bienfait de la vaccine […] non seulement en faveur des Sauvages en bas du Saguenay, mais encore pour tous les planteurs fixés sur la côte » (BAC 1862b : 197 791). Le docteur Jean-Pierre Pelletier de Matane expose quant à lui l’urgente nécessité de faire vacciner les Autochtones des postes du Nord « où il parait que les Sauvages ont particulièrement souffert de la Picote, surtout les jeunes enfants qui n’ont encore pu être vaccinés » (BAC 1863b : 198 031 ; Bouffard 2010). On le constate, les arguments mobilisés pour engager l’action de l’État au tournant des années 1850 reposent essentiellement sur le registre humanitaire de la protection des Autochtones victimes de la colonisation, et sur le devoir de l’État d’offrir des secours charitables à ces « pauvres chrétiens » (O’Connell 2013). En contrepartie, l’insistance accrue des professionnels de la pratique médicale, qui pétitionnent le gouvernement et font jouer leurs relations afin d’obtenir une commission pour vacciner et soigner la population autochtone, répond avant tout au contexte particulier des zones de colonisation et à des enjeux économiques personnels.

Supporter la pratique des médecins en région

Établis dans des comtés assez peu peuplés où la majorité des colons ne peuvent s’offrir les services d’un médecin, plusieurs docteurs entrevoient le service de la clientèle autochtone comme une opportunité pour faire subventionner leur pratique grâce aux fonds des Affaires indiennes. Lorsqu’il fait jouer ces relations afin d’obtenir une commission permettant au docteur Fitzpatrick de vacciner les Innus en 1862, Price exprime clairement qu’il demande cette faveur pour un « ami qui est dans le besoin » (BAC 1862a : 197 789). Quant au docteur Pelletier, il prend la peine d’accompagner sa requête au département d’un rapport détaillé sur l’état de santé des populations autochtones de la Côte-Nord. Celui-ci rassemble ses observations et les informations recueillies à Betsiamites auprès du missionnaire Charles Arnaud et du commis de la HBC Matthew Fortescue. Il note que la rubéole est une maladie commune parmi les Innus et les Naskapis, et que ceux-ci souffrent fréquemment de dysenterie durant la période estivale. Observant que l’épidémie de variole du printemps 1863 a prévalu dans des secteurs tels que Sept-Îles et Havre-Saint-Pierre, où à peine un tiers des autochtones sont adéquatement vaccinés, Pelletier s’inquiète de la persistance de ces réservoirs infectieux où la maladie « provoque les plus grands ravages, qui s’étendent même fréquemment aux blancs d’une même localité ». Lorsqu’il expose « l’urgente nécessité qu’il y a de faire vacciner plusieurs peuplades ou détachements de Sauvages qui occupent en ce moment plusieurs des postes du Nord » (BAC 1863b : 198 032-198 033), le médecin apparait donc tout aussi – voire davantage – préoccupé par la santé de la population canadienne. Celle-ci mérite d’autant plus l’attention du gouvernement qu’elle serait dans une misère plus grande que les Autochtones :

[L]es Blancs de la Côte-Nord, à très peu d’exceptions près, sont dans un état de dénuement et de misère beaucoup plus grande que ne le sont les Indiens, et auraient donc autant besoin de l’aide du gouvernement que les Indiens, car ils sont exposés aux mêmes maladies et à des privations encore plus grandes.

BAC 1863c : 198 090-198 091

En dépit de ces efforts, sa proposition d’envoyer annuellement un médecin pour soigner les colons et les Autochtones de la Côte-Nord pendant une mission estivale de trois mois est accueillie froidement par le département. Voyant le changement de régime politique en 1867 et le passage des Affaires indiennes entre les « mains habiles » d’Hector Louis Langevin comme le signe d’un renouveau pour « cette branche demeurée jusqu’ici dans l’ombre », Pelletier réitère sa demande quelques années plus tard dans l’espérance que les « pauvres indigènes dispersés sur la Côte du Nord » reçoivent la protection et la sollicitude du gouvernement. Il expose qu’un médecin aurait bien « de la besogne » face aux multiples maux qui accablent les Autochtones souffrant de toutes sortes de privations ; sans compter la variole, ce fléau « exterminateur des Sauvages » qui est la maladie la plus répandue et la plus redoutée (BAC 1868c : 409-411). Pelletier termine toutefois sa pétition sur une note plus personnelle qui expose ses motivations et relègue les besoins des Premières Nations à l’arrière-plan :

Matane, surtout ses environs sont très pauvres, les nouveaux colons ont souvent besoin du Médecin, mais sont incapables de le payer. […] Monsieur le Secrétaire d’État, je suis pauvre & j’ai besoin d’encouragement, cet encouragement je le sollicite avec courage, avec la confiance que m’inspire votre haute position.

BAC 1868b : 409-411

Le jeune médecin espère donc que l’État va utiliser le fond des Affaires indiennes afin de subventionner la pratique médicale en région et lui assurer un revenu et une clientèle stables. Qui plus est, il avance que cela permettrait une démocratisation des soins de santé contribuant au bien commun : « en procurant les secours de l’art à ces pauvres populations, vous acquirez [sic] un nouveau titre à la reconnaissance du peuple canadien & vous rendrez un véritable service au pays auquel vous avez été appelé à gouverner » (BAC 1864 : 198 209).

Malgré ses prières, il voit cette commission lui échapper au profit d’un rival pratiquant sur la rive nord du Saint-Laurent, le docteur Joseph A. Hamel de La Malbaie, qui a bénéficié du patronage du député conservateur de Charlevoix. Écrivant directement à Hector Louis Langevin, Simon X. Cimon obtient que la reprise de « la bonne & saine pratique de la vaccination » des Autochtones sur la Côte-Nord soit confiée au docteur Hamel (BAC 1868d : 415). Quant au docteur Fitzpatrick, il essuie les remontrances du département pour lui avoir soumis une facture de plus de 900 $ et ne pas s’être limité à la vaccination des Autochtones lors de sa mission sur la Côte-Nord. À sa défense, il explique que les honoraires facturés pour ses services médicaux sont proportionnels à l’ampleur de la crise sanitaire dans la région. Alors que les Canadiens abandonnaient les stations de pêche et que tous les malades imaginaient avoir la variole, le médecin souligne que les Innus semblaient « paralysés par la peur » à mesure que remontait à leurs mémoires « le souvenir de leur décimation par la même maladie mortelle, quelque 38 ans auparavant » (BAC 1863d : 175). Refusant de le compenser pour les services médicaux rendus aux « personnes d’autres origines que Indiens », le département consent à payer 400 $ pour les soins aux Innus en précisant que dans le futur, plus « aucun paiement similaire ne sera effectué à moins que les services n’aient été préalablement autorisés par l’autorité compétente » (BAC 1863e).

Le même scénario se produit dans le comté de Saguenay alors qu’au mois de mars 1870, le conseil municipal des Escoumins adresse une pétition à la Chambre des communes dans l’espoir d’obtenir un médecin résident pour la population d’environ 4 000 personnes éparpillées entre Baie des Rochers et Betsiamites. Les pétitionnaires y déplorent que l’absence d’un docteur dans le comté place les colons pauvres dans la pénible position d’être privés de tout secours médical au « grand détriment de la colonisation de ces endroits » (BAC 1870a : 665). En envoyant cette pétition au département des Affaires indiennes, le député Pierre-Alexis Tremblay demande que les sommes considérables engagées pour le service d’un médecin chargé de vacciner les Autochtones dans les missions « lorsqu’il y règne certaines maladies contagieuses » (BAC 1870b : 663) profitent plutôt à la colonisation. Subventionner l’établissement permanent d’un médecin aux Escoumins n’est toutefois pas à l’ordre du jour du surintendant général Joseph Howe. À ses yeux, les colons sont libres de se prévaloir des services du docteur dépêché à l’occasion par le département, pourvu qu’ils en assument la note (BAC 1870c : 533-534). Quelques mois plus tard, le député s’offusque du choix du docteur Hamel de La Malbaie pour vacciner les Innus, alors même que le comté de Saguenay dispose d’un jeune médecin, le docteur Alphonse-Georges Matte qui « a établi sa résidence dans cette partie peu peuplée de la Province de Québec dans l’espérance qu’il aurait à donner des soins à la population Indienne comme à la population Blanche ». Selon Tremblay, l’envoi d’un docteur « étranger » nuirait à la fois aux Autochtones et à la population coloniale, puisque le docteur Matte de Roberval serait alors « obligé de laisser l’endroit à défaut de moyens de subsistance ». Au contraire, lui confier le mandat de soigner les Autochtones permettrait « d’effectuer le service médical en faveur des Indiens avec beaucoup plus d’économie » et de fournir à la population blanche les secours d’un docteur en tout temps (BAC 1870d : 181-182). Ne contestant pas la logique du député, le surintendant explique que cette nomination ne saurait toutefois être révoquée pour des raisons politiques découlant de la « très forte objection » qui existe au retrait de la commission accordée à Hamel sur recommandation du député Simon X. Cimon (BAC 1870e : 574).

Les enjeux économiques liés à la vaccination des Autochtones reviennent à l’avant-plan lorsqu’une grave épidémie de variole sévit à Montréal entre 1872 et 1874. Craignant qu’elle ne se propage dans les régions périphériques, le département dépêche le docteur John Ahern de Québec afin de faire une mise à jour de la vaccination auprès des Innus sur la Côte-Nord à l’été 1873. Cette opération semble toutefois donner des résultats mitigés. Selon le curé de Havre-Saint-Pierre, la procédure aurait eu plus de succès chez les colons que chez les Autochtones, une situation qu’il attribue au fait que « la vaccine prend difficilement sur les Sauvages » (BAC 1874a). A contrario, les missionnaires de Betsiamites déclarent que « c’est à peu près la seule qui ait produit ses effets sur la plus grande partie de nos Sauvages qui ont été vaccinés » (BAC 1874b). Contradictoires, ces rapports témoignent néanmoins de l’existence d’un rapport particulier envers les corps autochtones qui tend à considérer leur mauvais état de santé ou l’inefficacité des traitements offerts par la médecine coloniale comme « un effet secondaire naturel d’une bataille évolutive avec la “civilisation” » (McCallum 2017 : 100). Ils suggèrent aussi que le département n’arrivera jamais à limiter les dépenses liées à la vaccination tant que les médecins qu’il dépêche entreprendront de lui facturer l’immunisation des colons en plus de celle des Autochtones. En effet, plus d’une quinzaine d’années après le déploiement du programme de prévention de la variole dans la région, la vaccination de 1681 personnes par le docteur F. X. de Sales Laterrière à l’été 1875 laisse les officiers du département perplexe. Face au grand nombre de sujets immunisés et à sa facturation qui les identifie par le « terme général “Personnes” au lieu de “Sauvages” », le département réalise qu’il doit redresser son approche afin de limiter ses coûts d’opération. Laterrière aura beau expliquer qu’il « considère comme Sauvages » les quelques blancs qui vivent de chasse et de pêche et qui « pas plus que les Sauvages, n’ont les moyens de se préserver contre la variole », son plaidoyer pour leur protection par le « Gouvernement au même degré que les Sauvages » n’y fera rien (BAC 1875e ; 1875g).

À partir de ce moment, il est clair que l’argent géré par les Affaires indiennes ne pourra être employé pour aucun autre objet que la vaccination des Autochtones. Afin de contrôler les dépenses, le département réprimande avec fermeté les médecins qui entreprennent de facturer les soins médicaux et les remèdes qu’ils administrent aux Autochtones, ou aux colons, lors de leurs visites ponctuelles (BAC 1875d ; 1875f). En dépit des efforts déployés par les médecins en région pour faire subventionner leur pratique durant les décennies 1860 et 1870, ceux-ci se sont donc non seulement avérés incapables d’engager les Affaires indiennes à soutenir les services médicaux offerts à la population coloniale pauvre, mais ont aussi échoués à se faire rembourser les soins de santé dispensés aux Autochtones en marge de la vaccination. À travers leurs discours et les différents comptes rendus sur la situation sanitaire prévalant dans ces régions périphériques, ces experts de la profession médicale ont toutefois contribué à modifier de manière significative la perspective de l’État en matière de soins aux communautés autochtones.

De victimes à menace sanitaire

Avec le développement de la médecine hygiéniste et la révolution bactériologique des décennies 1870 à 1890, de nouvelles conceptions sur le rôle des pathogènes dans la transmission des maladies infectieuses engendrent un changement de paradigme au sein des sciences médicales. Autrefois considérés comme source de contagion, les miasmes et les perturbations atmosphériques sont progressivement relégués au second plan à mesure que l’on découvre le rôle des humains, des animaux et de la contamination de l’eau dans la transmission des maladies infectieuses (Goulet et Gagnon 2014 : 126-127). Simultanément, la science médicale mise de plus en plus sur la prévention des maladies grâce à l’hygiène et à l’assainissement du milieu de vie, notamment ceux des populations pauvres et défavorisées. Au Québec, ce rôle est alors confié aux municipalités qui sont responsables de la santé publique et de la promotion de l’hygiène à l’échelle locale. Dans ce contexte, certaines corporations municipales perçoivent la proximité de réserves autochtones comme une menace à la santé publique[6]. Leur mobilité sur le territoire jumelée aux rassemblements estivaux dans les missions sont alors identifiés comme des sources de contagion et d’insalubrité favorisant l’apparition et la propagation des maladies. En 1870, le conseil municipal des Escoumins cible d’ailleurs la réserve de Betsiamites comme l’épicentre de la contagion qui s’est répandue le long du fleuve : « il est un fait notoire que la maladie a fait des ravages considérables l’année dernière parmi cette population, et surtout dans le canton Sauvage de Bersimis » (BAC 1870a : 665). À la fin de la décennie, une autre éclosion de variole à la Longue Pointe de Mingan sème l’émoi chez les armateurs des compagnies de Charles Robin et des frères Le Bouthillier qui craignent pour la rentabilité de leurs pêcheries. Avertissant le gouvernement que les Autochtones sur la côte « attraperont cette terrible contagion et la répandront tout autour », ils implorent qu’un médecin soit dépêché pour « vacciner les Indiens et éviter la calamité parmi les Blancs » (BAC 1879a).

Au Saguenay, la peur de voir l’épidémie de variole qui fait des ravages à Montréal se répandre dans le comté amène le député P.-A. Tremblay à demander une vaccination préventive des Innus de Pointe-Bleue. La réponse du surintendant général adjoint Lawrence Vankoughnet démontre bien que la vaccination des Autochtones est alors envisagée comme une mesure de santé publique propre à éliminer les risques de propagation associés à leur mobilité :

Cette réserve est dans le comté de Chicoutimi qui est une partie densément peuplée de la province de Québec, et en raison des tendances nomades des Indiens, ils sont plus susceptibles d’entrer en contact avec la maladie que les personnes qui mènent une vie relativement sédentaire, il apparait hautement souhaitable (bien que notre agent n’ait pas signalé la présence de variole dans les environs) de faire […] vacciner ces Indiens.

BAC 1875c

De son côté, l’agent Ladislas Eucher Otis à Pointe-Bleue estime que la présence de fièvres contagieuses au printemps 1875 est un signe que le gouvernement doit prendre des mesures supplémentaires pour assurer que les malades soient traités « plus convenablement ». Afin d’améliorer les soins apportés aux malades présents sur la réserve où qui s’y présentent « avec ce germe de maladie », il propose au gouvernement fédéral de subventionner la construction d’un hôpital destiné à isoler et à soigner les malades. Considérant que les Innus adoptent un comportement irresponsable face au maintien de leur santé, il voit la mise en place de cette « maison pour les malades » comme une tutelle nécessaire qui permettra éventuellement de faire des économies :

Il est regrettable que ma demande pour construire une maison pour les malades sauvages ne m’ait pas été accordée, car dans les cas de maladie semblables à ceux d’aujourd’hui, il serait bien plus facile de soigner les malades et leur donner le confort qu’exige leur état, que de les traiter dans les cabanes ou petites maisons remplies de monde et dans un état de malpropreté dégoutante ; il n’est pas étonnant que ces sortes de maladies fasse [sic] des progrès parmi eux, c’est presque impossible à moins de grandes dépenses, de leur donner tout le confort désirable. Souvent les provisions que je donne pour les malades sont consommées par ceux qui [n’]en ont pas besoin, malgré des défenses réitérées. Je n’ai aucun doute qu’une maison bâtie dans ce bût [sic] serait d’une économie et les malades seraient traités plus convenablement.

BAC 1875a

L’institution envisagée par Otis comme un outil pour gérer l’éclosion de fièvres qui afflige une vingtaine d’Innus de la réserve correspond au modèle des hôpitaux pour contagieux mis en place par l’État de manière sporadique à partir du xixe siècle afin de gérer les épidémies (Goulet et Gagnon 2014 : 72). Lorsque le département s’enquiert du coût estimé d’une telle « Maison de Refuge pour les malades dans les temps d’épidémie » (BAC 1876c), il est loin de se douter qu’elle deviendrait un hôpital bien implanté au coeur de la réserve pendant une vingtaine d’années.

L’hôpital de Pointe-Bleue, premier « hôpital indien » fédéral

L’épidémie de fièvres typhoïdes qui frappe Pointe-Bleue en 1876 offre l’occasion à plusieurs acteurs de stigmatiser la communauté afin de promouvoir le projet d’hôpital auprès du département. Se rendant sur la réserve pour y vacciner une centaine d’Innus en février 1876, le docteur Cyrille Lacombe d’Hébertville s’inquiète de voir la population décroître considérablement à cause de la mortalité excessive qu’il attribue au piètre état des habitations : « L’incurie des Sauvages les rend sourds aux bons conseils que l’agent local leur donne de mettre leurs demeures à l’abri des intempéries des saisons surtout lorsqu’elles renferment des malades ». En expliquant que les Innus sont incapables de s’occuper de leur propre santé et « qu’une des causes principales de ces nombreux décès réside dans les mauvaises habitations dans lesquelles sont logés les malades », le médecin soutient que la meilleure solution est l’établissement d’une petite maison qui servirait d’hôpital. Plus qu’un asile, il est clair que cet établissement, dont la construction est d’abord estimée à deux cents dollars, est envisagé comme un lieu de soin puisque le médecin précise qu’une « somme annuelle probablement moindre suffirait pour la nourriture des malades, le salaire des personnes attachées à leurs services et autres dépenses imprévues » (BAC 1876a). Ayant lui-même souffert de la contagion au point de prétendre avoir peine à tenir sa plume, Otis saisit l’occasion pour insister sur « la nécessité d’une petite maison où les Sauvages pourraient recevoir les soins convenables : par ce moyen on arrêterait promptement l’épidémie qui menace d’être bien maligne ». Répétant que c’est « la malpropreté et le peu de soin que les Sauvages se donnent dans leur maladie », ainsi que « les mauvais logements où sont entassés des cinq ou six familles et quelques fois plus » qui ont engendré la fièvre contagieuse, il presse le département de prendre des moyens énergiques pour arrêter la contagion en finançant son hôpital (BAC 1876b).

Sensible au discours hygiéniste et aux économies projetées par les intervenants qui obtiennent l’appui du député David E. Price, le département envisage d’octroyer une somme limitée afin d’établir un refuge pour les malades dans les temps d’épidémie. Au mois d’avril 1876, le surintendant général autorise la construction d’un petit hôpital « pour y retirer et y soigner les sauvages malades » n’excédant pas la somme de 300 $, « mais moins s’il est possible ». Dès le mois de mai, les ouvriers sont à l’oeuvre pour la construction de cette maison qui est achevée au début de l’automne. Qualifié par l’agent comme « l’Hôpital Indien » ou « l’Hôpital Montagnais » (BAC 1876d ; 1876f), l’édifice de 30 pieds sur 25 pieds recouvert de bardeau blanchi à la chaux constitue une des toutes premières maisons de soins établies par le département des Affaires indiennes[7]. Durant les cinq années suivant sa construction, l’hôpital destiné à loger les malades en cas d’épidémie semble pourtant avoir un impact limité sur la communauté puisqu’Otis n’en fait pas mention dans ses rapports annuels et que le département n’octroie aucune ressource supplémentaire pour son fonctionnement. Aux yeux du docteur Théodore-Alexandre Talbot d’Hébertville qui s’est rendu à Pointe-Bleue pour soigner des malades au mois d’août 1879, le bâtiment n’a pas permis d’améliorer la santé de la communauté parce qu’il « manque absolument de ce qui est essentiellement nécessaire » pour recevoir les malades, notamment des lits, un poêle et surtout, « un modeste personnel composé d’une cuisinière, d’un infirmier et peut-être faudrait-il ajouter une infirmière si la pudeur des sauvagesses l’exigeait ». Constatant la présence de fièvre et de maladies pulmonaires telles que la pleurésie et la pneumonie, Talbot s’inquiète à son tour des piètres conditions sanitaires de la réserve et de la proximité des établissements coloniaux. Bien qu’il soit originaire de Québec et ne se soit établi au Saguenay que depuis 1875 (Séguin 1975), il explique qu’« [i]l est reconnu que les Sauvages, lorsqu’ils laissent la forêt et viennent séjourner avec les blancs, contractent avec une très grande facilité les maladies contagieuses ou infectieuses ». Parmi les Innus arrivés à Pointe-Bleue au mois de juin, le médecin observe alors que seule une infime minorité a échappé à l’épidémie de rougeole qui continue de faire ses ravages. Il recommande donc au département d’ériger la maison de soins en véritable hôpital, seul moyen qu’il estime efficace pour limiter le développement des maladies contagieuses et améliorer l’efficacité du service médical. Afin de convaincre le département, Talbot fait miroiter que les investissements dans l’hôpital permettront ultimement de faire des économies :

La limitation du développement des maladies contagieuses, la guérison plus prompte, la diminution des décès seraient, il me semble, le résultat de l’établissement de cet asile où l’on pourrait pratiquer l’isolement, si nécessaire dans les cas de maladies contagieuses, et donner aux malades de bons soins hygiéniques. L’efficacité plus grande du service médical qu’on pourrait ainsi obtenir, ne pourrait-elle pas produire un peu d’économie ? […] Je suis intimement convaincu que sans cette organisation les secours de la médecine seront dans presque tous les cas inutiles ; les malades relégués dans leur tente, manquant du confortable [sic] nécessaire et ne trouvant jamais un parent ou un ami capable de remplir les prescriptions du médecin ou de donner les bons soins hygiéniques indispensables à la guérison des maladies.

BAC 1879b

Se montrant sensible aux arguments du docteur Talbot, le département autorise Otis à se procurer les meubles et les équipements nécessaires pour soigner les patients à l’hôpital. Fidèle envers la promotion de la plus grande rigueur budgétaire, il invite toutefois l’agent à faire preuve de parcimonie en se procurant uniquement le strict minimum pour le confort des patients (BAC 1879c). À partir de 1880, l’Hôpital est donc équipé de lits, de couvertures, d’un poêle et des instruments nécessaires pour soigner et nourrir les patients qui sont admis dans l’établissement désormais pourvu de quatre chambres. L’année suivante, le département débloque des fonds pour l’embauche du docteur Matte de Roberval et de l’infirmière G. Harvey qui forment la première équipe soignante de la région[8]. C’est donc à partir de ce moment que l’édifice érigé afin d’isoler les malades en 1876 devient vraiment un hôpital où les soins ne se limitent pas à l’accueil des infirmes et des mourants succombant aux maladies infectieuses[9]. Bien que les colons des alentours profitent de la présence du docteur pour se prévaloir de ses services à leurs frais, ce dernier apparaît avant tout comme « le médecin de l’hôpital des Sauvages » aux yeux des observateurs de passage dans la région (Tremblay 1961). En 1887, un voyageur décrit d’ailleurs l’établissement de Pointe-Bleue comme « un hôpital spécial où ils [les Innus] reçoivent les soins intelligents et assidus du docteur Matte, l’unique médecin de l’endroit » (Journal des campagnes 1887).

Dès l’automne 1881, Otis attribue l’accroissement démographique enregistré à Pointe-Bleue aux bons soins du docteur Matte et au confort que l’hôpital offre aux patients. En fait, entre 1881 et 1893, l’agent ne manque pas une occasion pour souligner dans ses rapports annuels à quel point l’hôpital est un outil essentiel à l’amélioration de la santé de la communauté. Il semble en effet que l’établissement ait permis de répondre à certains besoins des Innus puisque dès la première année, 20 % des malades soignés par le docteur Matte ont été admis à l’hôpital (Dominion of Canada 1883 : 17). Dans la mesure où ce dernier n’y fait que des visites hebdomadaires, il est important de souligner que les soins offerts à l’hôpital apparaissent avant tout reposer sur le travail des infirmières issues de la communauté. À partir de l’embauche de Véronique Verreault en 1883, toutes les infirmières qui reçoivent un salaire du département pour travailler à l’hôpital sont des femmes autochtones. Parmi elles figurent Maggie Robertson et Modeste McNicoll Raphaël qui, à partir de 1892, viennent remplacer Véronique Verreault alors dans la soixantaine. C’est d’ailleurs la présence de ces femmes innues dans le petit hôpital qui semble avoir laissé la plus forte empreinte au sein de la communauté. Née à Pointe-Bleue vers le milieu des années 1890, madame Élisabeth Étienne se souvenait, en 1980, que « Modest, [et] Maggie une Indienne de Mistassini » avaient travaillé à l’hôpital (Gill 1980 ; Conseil des Montagnais du Lac-Saint-Jean 2003 : 585).

Alors que la population rurale du Saguenay était souvent réticente et éprouvait de la gêne à faire appel aux services des médecins appartenant à « l’univers scientifique et lointain des “grandes écoles” » (Bouchard 1996 : 535 ; Guérard 2012), l’admission de trente-neuf patients à l’hôpital de Pointe-Bleue entre juillet 1882 et août 1883, suggère que l’embauche d’une infirmière innue a permis d’établir un lien de confiance réduisant l’ampleur du fossé linguistique et culturel. Il convient donc de relativiser l’idée selon laquelle « l’organisation de l’hôpital évacue aussi tous les éléments de la médecine ilnue » parce qu’aucun endroit n’y serait dédié à la pratique des soins traditionnels (Pelletier 2012 : 128). Comme le démontre Laurie Meijer Drees à partir d’histoires orales portant sur le système des hôpitaux indiens durant la période de l’après-guerre jusqu’aux années 1970, la grande « fluidité » des pratiques médicales traditionnelles locales leur permet de « se frayer un chemin et d’opérer à l’intérieur même des installations occidentales créées pour les subvertir » (Meijer Drees 2013 : 123). De la même manière, il est indéniable que la gratuité des soins offerts dans l’établissement subventionné par le département des Affaires indiennes a favorisé la fréquentation de l’hôpital et le recours aux traitements offerts par la médecine coloniale et les soins des infirmières innues[10]. Enfin, l’histoire de la médecine coloniale nous invite à rester attentifs à la manière dont « le colonisé a su, dans une certaine mesure, modeler l’offre qu’on lui imposait, participer à façonner sa médicalisation » (Monnais 2016 : 83), notamment grâce à la présence de personnel médical autochtone (Meijer Drees 2010, 2013 ; McCallum 2014 ; Best 2015). Lorsqu’il fait le bilan de l’année 1883, Otis se réjouit que seulement trois des trente-neuf patients admis à l’hôpital soient décédés. De la même manière, il souligne qu’une épidémie qui s’est déclarée dans la région à l’été n’a fait aucune victime à Pointe-Bleue. Bien qu’il ne précise pas de quelle maladie il s’agit, l’agent attribue la résilience des Innus de la réserve à l’hôpital et aux soins du docteur Matte : « J’ai été informé que les Indiens de la Côte-Nord ont été attaqués par la même maladie, et que beaucoup d’entre eux sont morts, ce qui prouve que l’argent dépensé pour l’hôpital par le département l’année dernière n’a pas été inutile » (Dominion of Canada 1884 : 24). Évidemment, il convient de relativiser cet enthousiasme face aux effets salvateurs de l’hôpital, puisque le rapport vise notamment à assurer le maintien des investissements récurrents du département en soulignant leur efficacité.

Dans la mesure où la politique générale du département des Affaires indiennes est de ne fournir les soins d’un médecin que dans les cas extrêmes où la maladie ou un accident pose une grave menace pour la vie (BAC 1885a : 229), il peut apparaître paradoxal qu’il ait investi près de 9 000 $ dans l’hôpital de Pointe-Bleue entre 1876 et 1894 (Grande Bretagne 1927 : 2844-2867). Pour comprendre les motivations qui ont mené le département à financer un premier hôpital indien à Pointe-Bleue alors même que les colons du Lac-Saint-Jean ne disposaient d’aucun établissement de soins à Roberval, il est important de replacer l’institution à l’intérieur du contexte local et de l’approche hygiéniste qui guide sa politique en matière de santé. Au départ, le département cherche à limiter son action à la vaccination parce qu’elle est une mesure peu coûteuse permettant de prévenir la maladie (BAC 1868d : 415 et 417). Par contre, lorsqu’il fournit des instructions sur la vaccination aux agents, il les invite aussi à assainir les réserves où la malpropreté est associée aux maladies :

Vous ferez en sorte que toutes saletés et autres choses par lesquelles la maladie est susceptible de se propager soient retirées des habitations et des lieux occupés par les Indiens au sein de votre surintendance ; et lorsque cela est nécessaire ou souhaitable, des désinfectants doivent être utilisés.

BAC 1885c : 158

En mettant l’accent sur la « malpropreté dégoutante », le manque de soin des Autochtones face au maintien de l’hygiène et le confort rudimentaire de leurs habitations surpeuplées, les témoignages des médecins et de l’agent de la réserve présentent l’hôpital comme une solution à des comportements jugés irresponsables et susceptibles de nuire à la santé publique. Or, la raison d’être de l’hôpital de Pointe-Bleue est justement d’offrir un espace sain et hygiénique au coeur de la réserve permettant de dispenser des soins de manière « efficace » et de limiter la prolifération des maladies. La vocation sanitaire de l’édifice blanchi à la chaux comme espace « protégé » à l’intérieur de la communauté est d’ailleurs renforcée par la construction d’une clôture venant matérialiser cette démarcation. Commentant les réparations et améliorations apportées à l’édifice en 1885, Otis s’extasie devant la scène pittoresque qui s’offre à lui : « L’hôpital est ombragé par de beaux arbres et entouré d’une splendide palissade. […] Il a rendu l’endroit le plus sain et le plus agréable pour les malades, et en même temps a embelli notre joli village de Pointe Bleue » (Dominion of Canada 1886 : 26). L’année suivante, le rapport de l’agent va jusqu’à souligner que les grands changements survenus quant à la prospérité de la communauté découlent des nombreux bénéfices qu’offre l’hôpital où les malades reçoivent les traitements adéquats du docteur Matte (Dominion of Canada 1887 : 24).

Bien que la communauté continue d’être particulièrement affectée par les maladies pulmonaires associées à la tuberculose, les effets bénéfiques de l’établissement sont reconnus par le missionnaire Zacharie Lacasse qui y voit une mesure de santé publique salutaire :

L’hôpital a produit beaucoup de bien, et on n’entend plus parler des Indiens qui meurent en grand nombre à leur retour dans la réserve à cause du changement d’air et de nourriture aggravé par l’exposition dans des tentes humides. Le Dr Matte est inlassable dans les soins qu’il prodigue aux malades, et tous les Indiens ont des raisons d’être reconnaissants pour l’amélioration de leur condition.

Dominion of Canada 1885 : 31-32

Particulièrement fier de cet hôpital qui, à partir des années 1880, reçoit un financement moyen de 600 $ par année pour payer le matériel et le personnel soignant, Otis y voit un symbole positif du paternalisme de l’État envers ses pupilles autochtones. Quoi qu’il en soit, il semble bien que l’hôpital permette de combler certains besoins à Pointe-Bleue. La situation est bien différente à Betsiamites où le chef Moise Bacon associe la forte mortalité aux carences alimentaires, à l’absence de soins et au manque de médicaments : « Quand je pense à tous les pauvres hommes, femmes et enfants qui sont morts dans notre réserve, principalement par manque de médicaments et de ces petits luxes nourrissants si nécessaires aux malades et aux souffrants, mon coeur devient triste et déprimé » (BAC 1885b : 187). Bien que le missionnaire Arnaud ait demandé à obtenir de l’argent pour ériger un « hôpital » à Betsiamites dès 1861, il s’agirait plutôt d’un asile permettant de loger les infirmes, les orphelins et les vieillards. Selon Paul Charest, il est possible que cet « hôpital » n’ait même jamais vraiment existé, et que ce soit plutôt « tout le “village” de Betsiamites qui était un refuge pour toutes ces personnes incapables de pratiquer la vie nomade » (Charest 2020 : 845). Chose certaine, ces témoignages évoquent un manque de ressources sur la réserve qui contraste avec la situation à Pointe-Bleue. Après avoir fait brûler des désinfectants qui viennent à bout des malades qui « ne peuvent pas résister longtemps dans cette atmosphère pestilentielle », le docteur dépêché sur place en 1879 doit se résoudre à disperser les Innus dans les bois qu’ils soient « bien ou non, pourvu qu’ils marchent » (Archive du diocèse de Baie-Comeau 1879 : 85).

La présence de l’hôpital à Pointe-Bleue est toutefois sans grand secours face à une épidémie de coqueluche particulièrement fatale qui fait vingt et une victimes en 1886 et entraîne la mort d’un nombre important d’enfants l’année suivante. À partir de 1889-1890, la propagation d’une pandémie de grippe à l’échelle mondiale entraîne également une forte hausse de la fréquentation de l’hôpital durant la période hivernale. Affligeant les populations autochtones à l’échelle du pays, cette maladie désignée comme « la grippe russe » rendait les soins offerts par l’hôpital de Pointe-Bleue d’autant plus nécessaires qu’elle attaquait sévèrement les personnes plus âgées ou souffrant de maladies pulmonaires chroniques, condition alors très répandue (Dominion of Canada 1891 : XI). À en juger par les admissions à l’hôpital, l’épidémie ayant causé plusieurs cas fatals en 1890 et 1891 atteint un sommet au cours des deux années suivantes. Recevant beaucoup plus de patients en 1892 que par les années précédentes, l’hôpital demeure « constamment bien rempli de patients infirmes et malades » à l’hiver 1893 alors que la grippe circule abondamment dans la région (Le Progrès du Saguenay 1893 : 3). Ironiquement, c’est au moment même où ces nouvelles épidémies démontrent plus que jamais la pertinence d’un établissement de soins dans la communauté que le département s’apprête à fermer l’hôpital de Pointe-Bleue. Une mesure d’autant plus surprenante que la même année, il subventionne l’ouverture d’un hôpital en Alberta destiné exclusivement aux Autochtones de la Première Nation Kainai, près du fort Macleod, dont la fondation est décrite à tort par les journaux comme une innovation sans précédent (Le Sorelois 1893).

Fermeture de l’Hôpital de Pointe-Bleue

Le 14 juin 1894, le journal libéral L’Électeur présente la fermeture de « l’hôpital des Sauvages à la Pointe Bleue » comme une nouvelle atrocité commise par le gouvernement fédéral. Condamnant un « acte d’inhumanité et une violation des droits de la Réserve », le journal donne la parole à un correspondant de Roberval qui affirme que « tout le monde est indigné de ce dernier acte de cruauté » commis par le parti conservateur. Dans la mesure où la nouvelle n’apparait dans aucun autre quotidien de la province, incluant le Progrès du Saguenay, il convient toutefois de relativiser l’ampleur de cette indignation populaire. Le lien qu’établit le correspondant entre cette décision qu’il impute aux conservateurs, qui multiplient les « marques d’antipathie, ces abus de pouvoir, ces prétendues économies de bouts de chandelle » toujours faits aux dépens du Québec et des Canadiens français, suggère que l’indignation est plus politique que morale (L’Électeur 1894).

Il y a d’ailleurs fort à parier que derrière ce correspondant anonyme se cache le docteur Matte ou son successeur Jules Constantin, deux médecins de Roberval ayant des intérêts personnels et financiers dans cette cause. En plus d’être payés par le département des Affaires indiennes pour soigner les Innus de Pointe-Bleue, ils sont tous deux investis dans la joute politique en faveur des libéraux. Chose certaine, le gouvernement fédéral cesse abruptement de subventionner l’hôpital à partir de 1895 pour ne payer qu’un salaire annuel au médecin lorsqu’un Innu requiert des soins urgents. Ces services doivent toutefois être approuvés par l’agent qui affirme que « tous les sauvages savent que s’ils recourent aux services autres que ceux du Dr Constantin, le médecin des sauvages, tels comptes ne seront pas approuvés » et doivent alors être payés par le patient (BAC 1904). En dépit du plaidoyer de l’agent Otis en faveur du maintien de l’hôpital afin de fournir de meilleurs traitements pour prévenir la tuberculose qui prend des proportions « quasi épidémiques » chez les Innus (Dominion of Canada 1895 : 32), la fermeture de l’établissement par Ottawa met fin à près de deux décennies de soins offerts à l’hôpital par une équipe soignante incluant des femmes de la communauté. S’il est certain que l’offre de soins a diminué de manière notable à partir de 1895, il est possible que l’établissement serve, de manière occasionnelle, à isoler et à loger certains malades pendant quelques années puisque des dépenses limitées sont engagées pour des réparations et le chauffage de l’hôpital en 1899. Toutefois, lorsque les meubles sont liquidés à l’encan, le bâtiment change définitivement de vocation pour être recyclé en école vers 1902 (Canada 1902 : 160). Bien qu’il soit indéniable que la fermeture de l’hôpital soit liée à la volonté du département des Affaires indiennes de réduire ses dépenses, des facteurs locaux permettent également d’expliquer ce désinvestissement.

Ayant été l’instigateur, le promoteur et le responsable de la gestion de l’hôpital depuis 1876, l’agent Otis se disait alors « vieux et fatigué » et cherchait à obtenir une pension qui lui permettrait de prendre sa retraite (BAC 1894 : 153 634). Simultanément, la capacité du docteur Matte à s’occuper de l’hôpital et de ses patients a rapidement décliné dans les mois précédant son décès qui survient au printemps 1895. En outre, l’un des derniers rapports rédigés par Otis à l’été 1895 soulignait que les conditions sanitaires de la réserve étaient meilleures que d’habitude, ce qui aurait contribué à limiter l’éclosion de fièvre typhoïde observée au printemps. L’agent ne rapportait qu’un mort et se félicitait que la maladie ne se soit pas propagée au-delà des membres de la famille infectée. Aux yeux du surintendant général adjoint Hayter Reed, son éradication rapide à Pointe-Bleue avant qu’elle ne prenne des proportions épidémiques était une preuve éloquente du succès de la politique du département dans l’amélioration des conditions sanitaires des réserves : « non seulement aucune maladie qui pourrait être attribuée à leur négligence n’a pris racine parmi les Indiens, mais ils ont dans plus d’un cas échappé à des épidémies dont les communautés de blancs dans leur voisinage ont souffert » (Dominion of Canada 1896 : XX). Les rapports subséquents de l’agent Pierre-Léandre Marcotte, remplaçant Otis à partir de 1896, ne pouvaient que renforcer l’impression que le maintien de l’hôpital n’était plus nécessaire. Généralement « très propres de leur personne », les Innus lui apparaissent jouir d’une aussi bonne santé que les blancs du voisinage et occupaient des maisons de style moderne « commodément construites et suffisamment isolées les unes des autres, […] ce qui contribue largement à l’aspect attrayant du lieu » (Dominion of Canada 1899 : 50). En d’autres mots, le financement d’un hôpital embauchant des femmes innues et permettant d’offrir des soins dans la communauté n’était plus nécessaire ni souhaitable aux yeux du département dès lors que le comportement des Innus et les conditions sanitaires n’y constituaient plus un dangereux incubateur pour des maladies infectieuses susceptibles d’être propagées dans les établissements canadiens avoisinants.

Conclusion

Étonné de découvrir l’existence de « l’hôpital des Sauvages » à travers ses chroniques d’histoire locale au début des années 1960, Mgr Victor Tremblay alors président de la Société historique du Saguenay, suggérait qu’« [à] 75 ans de distance cet hôpital ressemble moins à un souvenir qu’à un rêve ». De toute évidence, la présence d’un établissement public destiné aux soins des Innus de Mashteuiatsh plusieurs décennies avant la fondation du premier hôpital de Roberval par les religieuses hospitalières en 1918 était chose difficile à imaginer pour le prêtre. Il est toutefois révélateur que lorsqu’il compare cet hôpital indien à la « splendide réalité » de l’établissement « que, depuis près de 30 ans, Roberval offre aux Indiens de Pointe Bleue » (Tremblay 1961), Tremblay ne fait pas référence à l’Hôtel-Dieu, mais plutôt au sanatorium construit en 1937 pour lutter contre la tuberculose dans la région. C’est d’ailleurs à la tuberculose qui « mange les sauvages » que l’agent du département à Pointe-Bleue attribuait le déclin de la population innue en 1938 (Progrès du Saguenay 1938). De manière éloquente, on note que partout au Canada dans les années 1930, les liens établis entre les Premières Nations et la « peste blanche » ont largement contribué à renforcer le rapport colonial face à la santé et aux corps autochtones (Lux 1998 ; McMillen 2008). Or, le contexte ayant mené à la fondation, puis au démantèlement de l’hôpital indien de Pointe-Bleue nous rappelle que la profession médicale et le développement de la santé publique durant la seconde moitié du xixe siècle ont contribué à définir l’attitude de la société coloniale et l’action de l’État en matière de santé autochtone. Cherchant avant tout à discipliner les corps autochtones, l’offre de services en soins de santé est demeurée limitée et dirigée en fonction du risque sanitaire que posent les réserves et leurs habitants pour la société coloniale. C’est encore cette logique qui est à l’oeuvre au xxe siècle lorsque l’État mise sur l’éradication de la tuberculose dans les réserves, sans pour autant chercher à y améliorer l’état de santé général ou les conditions de vie à la source du problème. En dépit des progrès indéniables réalisés dans les dernières décennies, force est d’admettre que pour Joyce Echaquan et tous les Autochtones faisant face aux structures d’indifférences (McCallum et Perry 2018), à la discrimination et à l’accès inégal aux soins, nos systèmes de santé et nos hôpitaux portent toujours une part de l’héritage colonial qui a défini l’approche canadienne et québécoise en matière de santé autochtone pendant plus d’un siècle.