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En 2020, quand la pandémie de COVID-19 s’est abattue sur le monde comme un coup de massue, un constat a rapidement émergé : non seulement les réponses sociales et sanitaires ont été variées, à cause de la diversité des cultures de santé publique selon les pays, mais la pandémie a également rendu très visibles les inégalités de traitement entre populations, certaines étant nettement défavorisées par rapport à d’autres, même au sein d’un seul pays. À l’échelle de la planète, les peuples autochtones, y compris dans les pays industrialisés censés garantir un accès équitable à l’ensemble de leurs citoyens, ne bénéficiaient − et ne bénéficient − en général pas des mêmes services que leurs concitoyens non autochtones. Par exemple, on a vu se multiplier les articles de journaux et autres reportages télévisés sur la Première Nation navajo, aux États-Unis, qui a particulièrement souffert avec un taux d’infection très élevé, un nombre de morts proportionnellement très haut et de graves problèmes d’accès aux soins (voir Purvis Lively 2021 ; Wang 2021).
Pour la première fois, une pandémie a pu être suivie presque au jour le jour dans les médias, à l’heure de la diffusion instantanée de l’information. Si de nombreux peuples autochtones n’ont pas accès aux grands réseaux médiatiques de leurs pays respectifs, parce qu’ils sont isolés, minoritaires, souvent marginalisés et stigmatisés, la façon dont ils ont été affectés par la COVID-19 a pu être connue du grand public grâce aux médias alternatifs que sont les réseaux sociaux, comme Facebook, TikTok ou Instagram. Qu’ils soient urbains, ruraux, montagnards ou autres, tous ont dû réagir devant la crise, quel que soit le continent. Les pays les plus riches ont parfois échoué à mettre en oeuvre un principe d’équité vis-à-vis des peuples autochtones de leur territoire dans les processus de prises de décision concernant les couvre-feux, les mises en quarantaine, la couverture vaccinale (voir Megget 2022, au sujet des Maoris de Nouvelle-Zélande). La crise a aussi mis en relief les situations socio-sanitaires des Autochtones dans les pays les plus industrialisés, révélant des facteurs favorisant le développement de problèmes de santé. En effet, les Autochtones cumulent souvent des risques de comorbidités : hauts taux de diabète, maladies du coeur, obésité et autres problèmes découlant d’un manque d’accès à des aliments de qualité et à de l’exercice physique. De même, les quarantaines et l’isolement n’ont pas toujours pu être respectés, notamment dans des communautés aux maisons trop petites, en mauvais état ou surpeuplées. Au Québec, face à l’impossibilité d’appliquer littéralement les consignes de santé publique, certaines communautés se sont organisées elles-mêmes en déclarant, par exemple, que l’ensemble de la communauté – et non chaque maisonnée − formait une « bulle sanitaire », ou encore en instaurant des points de contrôle à l’entrée des villages pour vérifier les entrées et les sorties.
Du point de vue socio-économique, la fermeture des frontières et la mise à l’arrêt des structures touristiques pendant la majeure partie de l’année 2020 ont eu un impact certain sur tous les peuples présents dans plus d’un pays, comme les Saamis par exemple (Arctic Council 2020). Parfois, l’impact a été positif, la pause dans les activités humaines ayant bénéficié aux animaux et aux plantes dont peuvent dépendre des groupes entiers, pasteurs ou agriculteurs. Par ailleurs, des petites entreprises ont fermé, menant au bord du gouffre des petites communautés dont les ressources économiques étaient déjà faibles. En outre, il ne faut pas oublier que des familles ont été séparées pendant de longs mois, ce qui a affecté les réseaux de parenté et de coopération qui peuvent être les seuls garde-fous de la cohésion sociale. Dans les pays moins riches, où les activités échappent à l’État dont le contrôle est déficient, des peuples autochtones ont dû dans certains cas faire appel à l’aide internationale. Ce fut le cas, entre autres, des Achuars d’Équateur en 2020 chez qui le virus s’est répandu à cause des acteurs de la déforestation illégale et qui ont, par conséquent, connu un fort taux de mortalité (Kolirin 2020). En bref, la crise sanitaire a mis en relief la vulnérabilité des peuples autochtones, leurs relations avec des États indifférents ou persécuteurs, leurs difficultés d’accès à des services, à de l’eau potable, à des soins hospitaliers. Mais elle a aussi rendu visibles leurs réseaux de solidarité internes.
Les différents peuples ne se sont pas laissé faire passivement face à l’urgence sanitaire et, potentiellement, face à la mort. Les réactions devant la pandémie ont été variées, mais les savoirs accumulés au fil des générations ont pu être mis à contribution. En effet, au fil des siècles, les peuples autochtones ont vécu de nombreuses crises sanitaires, des épidémies et des confinements (Delâge 1991 et 2006 ; Lux 2001 ; Tester et al. 2001 ; Brown 2019 ; Sardon 2020). En Amérique, on pense déjà au « choc microbien » qu’a représenté la colonisation. Comme l’explique Bories-Sawala (2020 : 203) : « les explorateurs, aventuriers, géographes, missionnaires, soldats et marchands étaient accompagnés, à leur insu, d’une armée de guerriers aussi minuscules que redoutables, qui leur ouvraient la voie en décimant les populations indigènes à leur rencontre ». Au fil des siècles, les Autochtones ont dû faire face à des décès en masse, qui ont entraîné la perte de savoirs, le bouleversement des pratiques funéraires, le changement des systèmes d’alliance et de parenté, la dépendance politique, etc. Ils ont cohabité avec les animaux vecteurs de zoonoses, développant des savoirs, des alliances avec eux ou des techniques de prévention (Hermesse, Laugrand et Servais 2020). Ils ont aussi été confrontés aux médecines coloniales qui les ont souvent tenus pour responsables de leur état de santé, jugeant au passage leurs systèmes médicaux, leurs croyances et leurs modes de vie (Becker et Collignon 1998). La variole, la tuberculose, la grippe et bien d’autres virus et bactéries ont marqué les imaginaires autochtones (Descola 2020), les arts, les vocabulaires, les mémoires orales, les systèmes religieux (des prophéties aux conversions en passant par l’abandon, la transformation ou la revitalisation de pratiques). La destruction des écosystèmes et la pollution ont également fait payer un lourd tribut aux territoires et aux communautés autochtones.
Les confinements ont rappelé des souvenirs à de nombreux Autochtones, de la vie de leurs ancêtres, transmis par les histoires orales, ou de leur propre vie. Aux États-Unis et au Canada, des témoignages sur les séjours de parents et de grands-parents dans les sanatoriums à cause de la tuberculose, qui fut endémique chez les Autochtones au xixe et au xxe siècle, fleurissaient sur les réseaux sociaux. Certains Autochtones, enfermés chez eux, racontaient des moments forts d’isolement ressentis dans les pensionnats d’où, là non plus, ils ne pouvaient sortir sans l’accord des autorités ecclésiastiques. D’autres se rappelaient l’époque où les membres des Premières Nations ne pouvaient sortir de leurs communautés sans la permission des agents des Affaires indiennes. Le contrôle des déplacements, des corps, du temps social et de la morale évoquait aussi le système des réductions jésuites et franciscaines qu’a connu l’Amérique latine, ainsi que le système Durieu en Colombie-Britannique. Sont ressortis des récits d’aînés racontant la peur, le désespoir, la fatigue, mais aussi la solidarité, le courage et le pouvoir des ancêtres. Au Canada ou aux États-Unis, on pourrait dire que les Premières Nations sont en quelque sorte les championnes du confinement : que ce soit la mise en réserve et le confinement dans des villages sédentaires, l’expérience des pensionnats indiens, les incarcérations arbitraires pour cause de fabrication ou de consommation d’alcool (jusqu’en 1971, grâce à l’arrêt Drybones) et l’organisation de leur vie sous tutelle fédérale par la Loi sur les Indiens (pour le Canada), elles ont une large expérience de ce que Jean-Jacques Simard a appelé la « réduction » (2003). On entend par là « la clôture organisée de l’univers des premiers Américains, comme lieu à la fois physique et imaginaire, géographiquement, politiquement, économiquement, juridiquement, mentalement » (Simard 2003 : 4e de couverture). Les réactions à cette clôture sont connues : l’ennui (Jervis et al. 2003), l’abus d’alcool et de drogues, la dépression, le suicide, etc. Bien sûr, ces situations ne sont pas uniques à l’Amérique du Nord : elles se retrouvent en Amérique du Sud, en Australie, en Nouvelle-Zélande… Cependant, il existait − et il existe toujours − des modèles à suivre et des moyens, chez les groupes autochtones, de contrer ces effets délétères. En réveillant des souvenirs, la pandémie de COVID-19 a par exemple remis à l’honneur ou revivifié des pratiques de protection et de guérison qui avaient fait leurs preuves lors de précédentes épidémies : danses (Cram 2020), chants, rituels, usage de plantes, etc.
La nécessité de recourir au système hospitalier, quand il était disponible, a également pu réveiller de mauvais souvenirs et de la méfiance. En effet, l’hôpital est un environnement où les équipes de santé continuent − en majorité − à peu intégrer des connaissances culturelles dans leurs approches (par ignorance ou indifférence), où les Autochtones peuvent être victimes de racisme et où ils sont, le plus souvent, éloignés de leurs communautés. S’il y a probablement eu des progrès réalisés depuis les dernières décennies en matière d’accueil et d’écoute culturellement adaptés dans les hôpitaux, et qui peuvent grandement varier selon les pays, il faut noter que l’absence d’hôpitaux autochtones, notamment au Canada, est dûment notée depuis longtemps. En témoigne l’extrait de ce rapport de missionnaire de 1945, au Québec :
Le problème sanitaire est actuellement le plus pressant : la mortalité infantile est très élevée, plusieurs adultes meurent dans les bois faute de soins médicaux appropriés et un grand nombre de vieillards sont abandonnés à leur sort. Il nous faut des hôpitaux dans plusieurs districts ; des hôpitaux vraiment indiens, avec service, nourriture, remèdes et coutumes à l’indienne ; des hôpitaux d’environ 35 lits, avec salles communes, adaptées aux moeurs et coutumes de l’Indien. […] Partout, excepté à la Baie James, l’Indien a une peur instinctive de l’hôpital, parce qu’on l’y a habitué à s’y rendre pour mourir. Il faut refaire cet état d’esprit en montrant l’hôpital et en s’en servant comme d’un « préventorium » contre les maladies, un moyen facile de renforcir les anémiques, une école d’hygiène et de propreté.
Deschâtelets 1945 : 6-7
On peut retrouver des phrases au contenu similaire dans un rapport de l’Agence de la santé publique du Canada publié en 2021 au sujet des peuples autochtones et de la COVID-19 (Mashford-Pringle et al. 2021) : ont été préconisées, par exemple, la construction d’hôpitaux dans les grandes communautés, ou encore, pour les gens en isolement, la livraison d’aliments qui correspondraient à ce que les Autochtones mangent habituellement. De semblables recommandations ne sont aujourd’hui plus faites par des missionnaires, mais par des membres des Premières Nations eux-mêmes.
Ce numéro spécial s’intéresse autant à la mémoire qu’à l’histoire, au passé qu’au contemporain, aux épidémies chez les humains qu’à celles qui ne les ont pas contaminés directement mais ont eu sur eux des conséquences sociales, culturelles, économiques ou politiques. Comme le rappellent Alexandra LaPerrière et Noémie Breton-Théorêt, dans un examen attentif des articles de la revue Recherches amérindiennes au Québec (aujourd’hui la présente Revue d’études autochtones), les épidémies commencent peu après le contact en Amérique, dès le xvie siècle. Elles font état des absences documentaires et discutent des impacts des épidémies sur les Autochtones, impacts notamment sociaux et politiques. William Chassé, pour sa part, s’intéresse à l’épidémie de variole en Nouvelle-France au xviiie siècle et étudie les stratégies mises en place par les Autochtones. Il réexamine la thèse de plusieurs historiens selon laquelle les Autochtones étaient non seulement impuissants face aux épidémies, mais avaient en outre des comportements, ou essayaient des traitements, qui aggravaient leur condition. Il montre, a contrario, que les Autochtones avaient mis en place des mesures sanitaires pour se protéger, mesures dont le monde contemporain a fait l’expérience récente : confinement, dispersement, distanciation. Cette perception des Autochtones comme étant déficitaires de savoirs est héritée du passé, comme en témoignent les articles de Mathieu Arsenault et de Marie-Pierre Bousquet et al. Arsenault étudie ainsi la création et la mise en oeuvre d’un « hôpital indien » au Québec, chez les Innus (Ilnuat) au xixe siècle, ancré dans un contexte de colonialisme médical où les Autochtones sont vus comme irresponsables. Il renverse les idées reçues en soulignant la présence d’infirmières innues pour prendre soin des patients. Marie-Pierre Bousquet, Maurice J. Kistabish, John Mowatt et Laurence Hamel-Charest analysent les traces des épidémies dans la mémoire et les récits oraux des Anicinapek et constatent, de même, la persistance des préjugés à l’égard des Autochtones, considérés comme démunis devant les maladies. Ils montrent que les Anicinapek avaient un système de soins, qui n’était pas forcément moins performant que celui des non-Autochtones devant les virus et les bactéries.
Comme le rappelle Pamela Palmater (2011), les peuples autochtones sont souvent tenus pour responsables de leur mauvaise santé, plutôt que des siècles de colonialisme et l’inaction gouvernementale à leur égard. Pourtant, les différentes épidémies ayant frappé les Autochtones au fil des siècles leur parvenaient généralement de sources extérieures, de non-Autochtones dont la présence allait de pair avec la mise en place d’un appareil de contrôle politique qui s’est exercé dans tous les domaines de leur vie. Les répercussions ont été notamment religieuses et spirituelles, thème qui revient chez plusieurs de nos auteurs et autrices. C’est d’ailleurs dans un contexte de christianisation que Frédéric Laugrand étudie une épidémie de poliomyélite survenue chez les Inuit à la fin des années 1940. Alors que le chamanisme semblait avoir disparu devant l’offensive missionnaire, l’épidémie a remis en lumière, pour les Inuit, l’activité d’un chamane, qui s’est sacrifié pour sauver les siens, décès qui est tout juste mentionné dans les archives missionnaires. Connaître la vision émique des Autochtones devant les épidémies a ainsi le mérite d’offrir une vision plus juste de l’histoire, dont il existe plusieurs points de vue. Dans ce même esprit, l’article de Francis Lévesque et de Danny Baril, qui porte sur des épidémies ayant frappé non des humains, mais leurs chiens au xxe siècle en Arctique oriental, soulève les divergences majeures entre les réactions des Inuit et les acteurs du gouvernement, ou mandatés par lui, pour intervenir afin d’y mettre fin. Les frustrations et incompréhensions de part et d’autre ont accompagné ces interventions qui ont été au détriment des Inuit, dont les souvenirs sont encore très vifs malgré les décennies écoulées. Encore au sujet du xxe siècle, et spécifiquement des années 1950, l’article de Myriam Lévesque se penche sur l’implantation et la mise en oeuvre du programme gouvernemental des Services de santé des « Indiens » chez les Innus de la Côte-Nord, dans un contexte de lutte accrue contre la tuberculose. À travers le regard d’infirmières non autochtones, on peut voir à la fois les effets des politiques coloniales, qui créent des ruptures et séparent des familles, et l’impact des pratiques locales de ces femmes qui sont sur le terrain, qu’il faudrait se garder de ne voir que comme des agentes d’un appareil médical colonial.
Les articles de Doriane Slaghenauffi et de Émilie Parent et al. ouvrent une fenêtre sur le vécu de communautés autochtones pendant la pandémie de COVID-19 et sur leurs préoccupations et nécessités, préexistantes, mais amplifiées par la situation sanitaire. Slaghenauffi, dans une communauté shipibo-konibo d’Amazonie péruvienne très affectée par la maladie, analyse sa gestion via l’élaboration d’une automédication issue de la pharmacopée locale. En étudiant la médecine et la nosologie shipibos, elle observe la résurgence de pratiques thérapeutiques qui renforce l’auto-estime collective, dans un contexte national où l’« indianité » est méprisée. Au Québec, Émilie Parent, Geneviève Beaulieu, Augustine Charbonneau, Sylvie Courchesne, Audrey Roy, Isabelle Touchette et Sophie Laniel se sont penchées sur l’impact de la pandémie sur le système alimentaire atikamekw, déjà fragile, surtout pour l’approvisionnement en produits frais. Elles présentent un programme de recherche mis en place avant la pandémie, mais dont le thème, qui préoccupe bien des communautés autochtones au Canada et ailleurs, se révèle plus que jamais pertinent : le besoin d’atteindre une certaine souveraineté alimentaire. Dans la même lignée, mais d’un point de vue plus macrosociologique, Louise Nachet et Sabrina Bourgeois abordent le fait que les industries extractives ont été décrétées comme étant des « services essentiels » par le gouvernement fédéral canadien, permettant ainsi à ce secteur de reprendre rapidement ses activités alors que la majorité des autres secteurs de l’économie étaient forcés de s’arrêter. Or, les nations autochtones, sur les territoires desquels les industries en question exploitent les ressources, comme dans les activités minières, n’ont pas été consultées. L’article, qui souligne la contradiction avec le discours officiel de réconciliation, prône une meilleure prise en compte des points de vue autochtones.
La pandémie de COVID-19 a également intensifié la présence devant les écrans de tous ceux et celles qui le pouvaient. Elle aura en fait accentué la fracture numérique, les niveaux d’accès aux technologies et à la connexion internet étant très inégaux dans le monde, même au sein d’un pays industrialisé et riche. Elisa Tripotin analyse ainsi l’impact de ces inégalités dans la participation des peuples autochtones aux travaux de l’Organisation des Nations Unies. Paradoxalement, aucune baisse n’a été enregistrée, grâce aux réseaux de solidarité mobilisés. Arnaud Simard-Émond, pour sa part, propose une réflexion rétrospective, dans la perspective du chercheur, sur son terrain de maîtrise en ethnologie qu’il a dû mener en confinement, par écran interposé avec ses participants. Dans une discipline qui valorise la pratique de terrain pour l’établissement de liens de confiance avec les informateurs, il a dû faire son deuil de sa méthode phare et penser autrement un terrain qui restait, malgré lui, à distance. Mais le groupe religieux qu’il avait choisi d’étudier ayant été rapide à s’accommoder des écrans pour continuer son travail et ses rencontres, les répercussions ont pu être étonnantes. Enfin, Sophie Gergaud étudie le film Blood Quantum présenté au festival international du film de Toronto en 2019 et dont la sortie était prévue, comme un clin d’oeil du destin, en mars 2020. Elle analyse avec finesse le sous-texte riche de ce film de zombies, du regretté Jeff Barnaby, réalisateur, écrivain et monteur mi’gmaq, où les Autochtones sont immunisés contre une épidémie.
De ce numéro, il y aura sans doute plusieurs conclusions à tirer et plusieurs leçons à retenir. Nous en soulèverons quelques-unes ici. Tout d’abord, l’impact d’une épidémie ne se mesure pas qu’en nombre de morts. Elle se mesure aussi en répercussions sociales, politiques et culturelles. De la même façon, les Autochtones ont besoin de retrouver beaucoup plus d’autonomie en matière de soins de santé. Ensuite, si connaître l’histoire est indispensable pour ne pas répéter les mêmes erreurs, il faudrait se garder d’en tirer des inférences hâtives pour prédire des comportements du présent chez les Autochtones en se fondant sur leurs expériences passées. Dans le même temps, il importe de connaître ce passé pour comprendre les éventuelles méfiances et prendre au sérieux les préoccupations (Mosby et Swidrovich 2021), sans pour autant anticiper les réactions. En outre, on ne saurait généraliser les perceptions et les attitudes d’Autochtones à tous les autres : il peut arriver qu’au sein d’une nation, tout le monde accepte très bien la vaccination, excepté une communauté pour des raisons historiques ou contemporaines qui lui sont propres. Enfin, les facteurs actuels de vulnérabilité des Autochtones sont en général très connus et il n’est pas nécessaire de produire des rapports supplémentaires pour savoir quelles sont les priorités à mettre en place : il est temps d’agir.
Il faut noter que l’idée de ce numéro spécial est venue au début de la pandémie de COVID-19, en 2020, et que s’il sort trois ans après, c’est bien à cause des répercussions de ladite pandémie sur le monde de la recherche. La fatigue pandémique générale a rendu difficile, pendant un temps, la sollicitation d’évaluateurs et évaluatrices, dans un contexte de pression et d’anxiété qui ont autant affecté les universitaires que le reste du monde. Nous devions tous et toutes faire comme si la pandémie n’avait pas de répercussions sur nos travaux, notre productivité, notre humeur, notre énergie, alors que régnait l’incertitude. Nombre des étudiants et étudiantes se sont retrouvés dans une grande précarité financière, ayant perdu leurs emplois non permanents. Nous devions changer les calendriers de recherche, annuler les voyages de recherche et de colloques, etc., tout cela en gérant, en plus, les enfants et adolescents confinés à la maison ou la cohabitation avec les colocataires. Je voudrais donc remercier chaudement, du fond du coeur, tous les auteurs et autrices de ce numéro, les membres du comité de rédaction, toutes les personnes qui ont évalué les textes et les ont relus, sans oublier la coordination de la revue.
Parties annexes
Note biographique
Marie-Pierre Bousquet, Ph.D. en anthropologie (Université Laval, 2002) et doctorat d’ethnologie (Université Paris X-Nanterre), est directrice du programme en études autochtones et professeure titulaire au département d’anthropologie de l’Université de Montréal. Elle se passionne pour toutes les cultures algonquiennes et particulièrement pour la société et la culture anicinape, dans l’ouest du Québec (Abitibi-Témiscamingue et Outaouais). Ses recherches sont axées sur le changement (religieux, social, etc.) depuis le passage à la sédentarité. Elle est l’auteure du livre Les Anicinabek, du bois à l’asphalte. Le déracinement des Algonquins du Québec (Éditions du Quartz, 2016) et a codirigé avec Karl Hele La blessure qui dormait à poings fermés. L’héritage des pensionnats autochtones au Québec (Société Recherches amérindiennes au Québec, 2019). Ce livre a reçu le prix du meilleur livre francophone de l’Association canadienne d’histoire de l’éducation pour 2018 à 2020.
Références
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