Revue de droit de l'Université de Sherbrooke
Volume 52, numéro 1, 2023 Actes du colloque Les tribunaux comme objet de recherche en sciences humaines et sociales
Sommaire (8 articles)
Introduction
Allocution d’ouverture
Articles
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L’analyse comportementale du jugement judiciaire dans l’angle mort des études sociojuridiques francophones au Canada
Jean-Christophe Bédard-Rubin
p. 13–65
RésuméFR :
Depuis l’adoption de la Charte canadienne des droits et libertés, les juristes et les politologues canadiens-anglais sont allés puiser en nombre grandissant dans les études américaines pour trouver les outils méthodologiques et théoriques permettant d’expliquer le comportement des juges. S’appuyant sur une conception réaliste plutôt que légaliste du jugement judiciaire, les modèles comportementaux qu’ils ont ainsi cherché à élaborer intègrent une multitude de facteurs indépendants du droit pour expliquer les décisions des juges : cultivation stratégique de la légitimité de la part de la Cour suprême, négociation entre juges pour créer des consensus, influence des caractéristiques personnelles ou des orientations idéologiques des juges sur leurs décisions, etc. Cependant, toutes les théories avancées dans la littérature américaine ne se sont pas révélées également satisfaisantes pour expliquer la réalité canadienne. Les chercheurs francophones sont quant à eux restés largement à l’écart du développement de ce nouveau champ d’études. L’analyse comportementale du jugement judiciaire permettrait pourtant de penser à nouveaux frais de nombreuses questions qui les ont traditionnellement intéressés. Plusieurs raisons expliquent ces divergences dont l’histoire constitutionnelle récente et la culture politique québécoise qui ont contribué à garder les tribunaux à l’arrière-plan dans l’étude du changement social et politique ainsi que la structure du champ universitaire québécois et les divisions entre disciplines qui ont eu tendance à favoriser une conception de l’interdisciplinarité comme outil au service de l’analyse doctrinale traditionnelle. L’exemple du bilinguisme des juges de la Cour suprême du Canada permet d’illustrer les conséquences politiques et épistémologiques que peut avoir le développement de ce champ de recherche sans l’apport des chercheurs francophones.
EN :
Since the adoption of the Canadian Charter of Rights and Freedoms, legal scholars and political scientists in English Canada have borrowed theoretical and methodological tools from American studies of judicial behavior. Adopting a more realist rather than legalist conception of judicial decision-making, Canadian scholars have developed behavioral models that take into account multiple non-legal factors; strategic cultivation of the Court’s legitimacy, negotiation among judges to achieve consensus, influence of personal traits or ideology on judges’ decisions, etc. However, the dominant American theories of judicial behavior have proven to be less effective when it comes to explaining the behavior of Canadian judges. French Canadian scholars have remained largely impervious to the development of this new field of research despite the potential contribution that judicial behavior studies could make to issues that have been traditionally of interest to them. There are many reasons that explain this state of affair. On the one hand, Quebec’s political culture and recent Canadian constitutional history have led French Canadian social scientists to discount any potential contribution by the courts as agents of social and political change. On the other hand, the structure of the academic profession in Quebec and the disciplinary rigidity of legal academia have led to a view of interdisciplinarity as a secondary tool at the service of more traditional forms of doctrinal analysis. The example of judicial bilingualism at the Supreme Court of Canada is illustrative of those tendencies and of the political and epistemological consequences that flow from the development of Canadian judicial behavior studies without the contribution of French Canadians scholars.
ES :
Desde la adopción de la Carta Canadiense de Derechos y Libertades, los juristas y politólogos anglocanadienses han acudido en gran número a los estudios estadounidenses para encontrar herramientas metodológicas y teóricas que expliquen el comportamiento de los jueces. Partiendo de una concepción más realista que legalista de la decisión judicial, los modelos de comportamiento que han procurado elaborar incorporan una multitud de factores independientes del derecho para explicar los dictámenes de los jueces: cultura estratégica de la legitimidad por parte del Tribunal Supremo, negociación entre jueces para crear consenso, influencia de las características personales o orientaciones ideológicas de los jueces en sus decisiones, etc. Sin embargo, no todas las teorías planteadas en la literatura estadounidense han resultado igual de satisfactorias para explicar la realidad canadiense. Los investigadores francófonos, por su parte, se han mantenido en gran medida al margen del desarrollo de este nuevo campo de estudio. No obstante, el análisis de comportamiento en la decisión judicial permitiría examinar nuevamente muchas cuestiones que tradicionalmente les han interesado. Existen varias razones que explican estas diferencias, entre las cuales la historia constitucional reciente y la cultura política de Quebec, que han contribuido a mantener a los tribunales en un segundo plano en el estudio del cambio social y político, así como la estructura del ámbito académico quebequense y las divisiones disciplinarias, que han tendido a favorecer una concepción de la interdisciplinariedad como herramienta al servicio del análisis doctrinario tradicional. El ejemplo del bilingüismo de los jueces de la Corte Suprema de Canadá permite ilustrar las consecuencias políticas y epistemológicas, que puede tener el desarrollo de este campo de investigación sin la contribución de investigadores francófonos.
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Le rôle des tribunaux ontariens dans la reconnaissance des traits socioreligieux amish
Raphaël Mathieu Legault-Laberge
p. 67–120
RésuméFR :
Les amish sont présents dans le sud ontarien depuis 1822. Ce groupe religieux minoritaire manifeste certains traits socioreligieux uniques qui font partie de leur normativité (Ordnung), tels que l’utilisation des chevaux pour leurs déplacements et leurs travaux agricoles et la communalisation intergénérationnelle des espaces de vie familiaux. Ces mêmes caractéristiques ont surgi comme éléments centraux de certaines décisions des tribunaux ontariens. Ces tribunaux ont-ils contribué à la reconnaissance des spécificités socioreligieuses et normatives des amish ? Si oui, à quel niveau et dans quelle mesure ? L’hypothèse avancée dans le cadre de cette étude postule que les tribunaux ont influencé positivement la reconnaissance des traits socioreligieux amish, et ce, à l’échelle locale. Les deux cas considérés afin d’étayer cette hypothèse (Mornington (Township) v. Kuepfer et Stoll v. Kawartha Lakes (City) Committee of Adjustment) concernent le droit municipal. Dans le premier cas, les amish ont obtenu le droit de garder des chevaux dans une municipalité où un règlement l’interdisait formellement. Dans le second cas, les amish ont obtenu le droit de construire une seconde résidence sur un terrain agricole où cela n’était pas permis. Dans les deux cas considérés, les tribunaux ontariens ont reconnu la liberté de religion des amish, jouant un rôle dans la reconnaissance de leurs traits socioreligieux.
EN :
The Amish arrived in Southern Ontario in 1822. This religious minority adopts specific socioreligious practices, such as the use of horses to farm and as a means of transportation, and intergenerational and communal familial cohabitation. Have the Courts in Ontario contributed to the acknowledgement of these socioreligious practices? If so, in what manner? It is postulated in this study that the Courts positively influenced the acknowledgment of the Amish socioreligious practices at the local level. Two cases are examined to explore this hypothesis, both concerning municipal law: Mornington (Township) v.Kuepfer and Stoll v. Kawartha Lakes (City) Committee of Adjustment. In the first case, the Amish community was granted the right to keep horses in a municipality where a by-law formally forbade such keeping. In the second case, the Amish community was granted the right to build a second house on farmland where such construction was forbidden. In both situations, the Courts, acting as a source of State authority, took into account the religious freedom afforded to this religious community, thus contributing to the acknowledgement of these specific socioreligious aspects of the Amish community.
ES :
Los amish están presentes en el sur de Ontario desde 1822. Este grupo religioso minoritario manifiesta ciertos rasgos sociorreligiosos únicos que forman parte de su normatividad (Ordnung), como el uso de caballos para los desplazamientos y los trabajos agrícolas y la comunalización intergeneracional de los espacios de vida familiar. Estas mismas características han surgido como elementos centrales de algunas decisiones de los tribunales de Ontario. Cabe preguntarse si los tribunales de Ontario han contribuido al reconocimiento de las especificidades sociorreligiosas y normativas de los amish. En caso afirmativo, ¿a qué nivel y en qué medida? La hipótesis planteada en el contexto de este estudio postula que los tribunales han influido positivamente en el reconocimiento de los rasgos sociorreligiosos de los amish a nivel local. Los dos casos considerados para apoyar esta hipótesis (Mornington [Township] contra Kuepfer y Stoll contra Kawartha Lakes [City] Committee of Adjustment) se refieren al derecho municipal. En el primer caso, los amish obtuvieron el derecho a tener caballos en un municipio donde un reglamento lo prohibía formalmente. En el segundo caso, los amish ganaron el derecho a construir una segunda residencia en terrenos agrícolas donde no estaba permitido. En ambos casos, los tribunales de Ontario reconocieron la libertad de religión de los amish, contribuyendo así al reconocimiento de sus rasgos sociorreligiosos.
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La liberté sous contrôle : pouvoirs et délégation de pouvoir à la Commission québécoise d’examen
Emmanuelle Bernheim, Florence Amélie Brosseau, Guillaume Ouellet, Pierre Pariseau-Legault et Nicolas Sallée
p. 121–171
RésuméFR :
Le Parlement fédéral a délégué le pouvoir d’assurer le suivi des personnes accusées et déclarées inaptes à subir leur procès ou non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux à des commissions provinciales d’examen. Ce pouvoir peut être sous-délégué aux responsables des hôpitaux qui ont la charge des personnes accusées. Parmi les commissions provinciales, la Commission québécoise d’examen est celle qui recourt le plus souvent à ce mécanisme de sous-délégation.
Le présent article expose les résultats d’une recherche portant sur les pratiques en matière de délégation de pouvoir à la Commission québécoise d’examen. À partir de l’étude de la jurisprudence, d’observations d’audiences et d’entretiens avec des psychiatres, les autrices et auteurs décrivent les tendances qui caractérisent, d’une part, les décisions de la Commission et, d’autre part, l’usage de ce pouvoir par les équipes traitantes. L’étude de ces pratiques révèlent la complexité des rapports de pouvoir qui se nouent dans cette instance médico-légale au sein de laquelle les droits des personnes accusées sont mis à l’épreuve, sinon négligés.
EN :
The federal Parliament has delegated the authority to make follow-up dispositions regarding defendants found unfit to stand trial or not criminally responsible on account of mental disorder to provincial Review Boards. This authority may, in turn, be sub-delegated to hospitals where the accused are detained. This sub-delegation mechanism has been used more frequently by the Quebec Review Board than by any other provincial Review Board.
This article presents the findings from a study of the delegation practices of the Quebec Review Board. Drawing on a review of the case-law, observations of hearings and interviews with psychiatrists, the paper describes the nature of the decisions of the Board and the use of the delegated authority by hospital administrators. An analysis of the various practices highlight the complexity of the power relationships that are established within this medico-legal proceeding in which the rights of the accused are severely tested, if not completely disregarded.
ES :
El Parlamento federal ha delegado a las Comisiones Provinciales de Revisión la facultad para asegurar el seguimiento de las personas acusadas y declaradas incapaces de comparecer en juicio o no responsables penalmente debido a trastornos mentales. Esta facultad podrá ser subdelegada a los funcionarios del hospital que estén a cargo de los acusados. Entre las comisiones provinciales, la Comisión de Revisión de Quebec es la que más a menudo utiliza este mecanismo de subdelegación.
En el presente artículo se exponen los resultados de una investigación sobre las prácticas de delegación de poder en la Comisión de Revisión de Quebec. Con base en un estudio de la jurisprudencia, la observación de audiencias y las entrevistas con psiquiatras, los autores describen las tendencias que caracterizan las decisiones de dicha comisión y el uso de esta facultad por parte de los equipos tratantes. El estudio de estas prácticas revela la complejidad de las relaciones de poder que se desarrollan en esta instancia forense en el que se ponen a prueba, cuando no se descuidan, los derechos de los acusados.
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Un rendez-vous manqué avec l’accès à la justice : le projet d’un tribunal unifié de la famille au Québec
Valérie P. Costanzo
p. 173–231
RésuméFR :
Au Québec, la création d’un tribunal unifié de la famille (TUF) est proposée depuis les années 70 comme une solution à nombre d’enjeux d’accès à la justice familiale. Bien que le projet se soit concrétisé dans plusieurs provinces canadiennes, il est resté lettre morte dans la belle province. L’autrice trace le portrait des avantages d’un TUF pour les justiciables et met en évidence les causes expliquant le maintien du statu quo. Elle expose d’abord les barrières auxquelles font face les justiciables dans le système de justice familiale actuel afin de présenter les promesses d’un TUF à la lumière de l’expérience d’autres provinces canadiennes.
Ensuite, son étude des travaux relatifs à la création d’un TUF de l’Assemblée nationale du Québec à partir des années 70 lui permet de déterminer les blocages à cet égard. Par le fait même, l’autrice évalue la teneur des propos des divers acteurs et la place accordée à l’accès à la justice. Son analyse révèle que les enjeux liés au fédéralisme dominent ces discours et démontre la manière dont les barrières politiques entravent les réformes touchant l’accès à la justice.
EN :
In Quebec, the creation of a unified family court (UFC) has long been proposed as a solution to several issues relating to access to justice for families. Although UFCs were piloted in the 1970s and maintained in many Canadian provinces, the idea failed to take root in La Belle Province. This article sets out the documented advantages of UFCs for litigants and identifies the reasons why it has not been introduced in Québec.
The barriers that litigants face in the current family justice system will be laid out, before making the case for a UFC in light of the experience of other Canadian provinces. An examination of the work undertaken by l’Assemblée nationale regarding the creation of a UFC allows us to identify the obstacles to its realization. The views of the various actors in the field are also analyzed to establish the importance of access to justice. This analysis will show that the debate is focused around federalism and how political barriers continue to hinder reforms relating to access to justice for families.
ES :
En Quebec, la creación de un Tribunal de Familia Unificado (TUF, por sus siglas en francés) se ha propuesto desde la década de 1970 como una solución a una serie de problemas relacionados con el acceso a la justicia familiar. Aunque el proyecto se implantó en varias provincias canadienses, se quedó en letra muerta en la belle province (Quebec). La autora describe las ventajas de un TUF para los justiciables y expone las causas que explican el mantenimiento del statu quo. Para iniciar, la autora muestra las barreras que enfrentan los justiciables en el actual sistema de justicia familiar con el fin de presentar las promesas que ofrece un TUF usando como referencia la experiencia de otras provincias canadienses.
Luego, el estudio de los trabajos realizados por la Asamblea Nacional de Quebec desde los años 70 relativos a la creación de un TUF le permite identificar los bloqueos al respecto. Del mismo modo, la autora valora el contenido de las declaraciones de los distintos actores y el lugar otorgado al acceso a la justicia. Su análisis revela que las cuestiones relacionadas con el federalismo dominan estos discursos y demuestra cómo las barreras políticas impiden las reformas relativas al acceso a la justicia.
Notes de recherche
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La boîte noire des tribunaux : les difficultés à comprendre, à mesurer et à améliorer les pratiques judiciaires
Chloé Leclerc
p. 233–250
RésuméFR :
La note aborde trois enjeux de l’absence de données fiables sur le travail des tribunaux de juridiction criminelle au Canada. D’abord, l’incapacité de documenter les pratiques centrales des tribunaux qui vont bien au-delà du simple choix de la peine (prison ou non). Ensuite, l’incapacité de bien comprendre les problèmes de disparité, de discrimination ou d’accès à la justice et de proposer des solutions pour y faire face. Finalement, l’incapacité de mesurer les effets réels des réformes ou des transformations des tribunaux. C’est à travers différents exemples concrets que les failles de cette absence de données sont illustrées et que leurs conséquences sont discutées.
EN :
The research note addresses three issues related to the lack of reliable data on criminal courts in Canada. First, the inability to document central practices that go far beyond the mere choice of sentence (custodial or non-custodial). Second, the inability to fully understand the problems of disparity, discrimination or access to justice and to propose solutions to deal with them. Finally, the inability to measure the real impacts of penal reforms. Various examples are adduced to illustrate the gaps created by this dearth of data and its consequences are discussed.
ES :
La nota aborda tres implicaciones de la falta de datos fiables del trabajo de los tribunales de la jurisdicción penal en Canadá. En primer lugar, la incapacidad de documentar las prácticas fundamentales de los tribunales que van mucho más allá de la simple opción de la pena (prisión o no). En segundo lugar, la incapacidad para comprender cabalmente los problemas de disparidad, discriminación o acceso a la justicia y de proponer soluciones para abordarlos. Finalmente, la incapacidad de medir los efectos reales de las reformas o transformaciones de los tribunales. A través de varios ejemplos concretos se ilustran las deficiencias de esta falta de datos y se discuten sus consecuencias.
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Le chercheur et le juge : des conditions de la recherche en milieu judiciaire
Pierre Noreau
p. 251–285
RésuméFR :
Les travaux menés sur le droit et sur la justice dans des perspectives inspirées par les sciences sociales et humaines révèlent souvent la nature même du droit en tant que mode de connaissance et surtout mode de pensée. Elles font également apparaître une tension irrésolue entre la justice et le juste. Cette tension s’exprime implicitement dans la relation ambiguë qui lie le juge et le chercheur. Elle dévoile la logique de projets différents, fondés, d’un côté, sur la quête de la vérité juridique et, de l’autre, sur la compréhension empirique du monde. Alors que le droit favorise la définition d’un monde prévisible, les sciences sociales acceptent le caractère incertain des interprétations qu’elles offrent du monde juridique et judicaire. S’y confrontent des modes de connaissance distincts. La recherche de la certitude s’y oppose à l’incertitude des hypothèses. L’office du juge et le projet du chercheur divergent ainsi, sur le plan épistémologique. Il en va de même en regard de la justice, abordée en tant qu’activité sociale. Alors que la reconstruction juridique du monde est une nécessité de la décision judicaire, le chercheur s’intéresse plutôt aux mécanismes concrets de la décision. L’exigence de rationalité auquel se soumet le juge se trouve dès lors replacée dans son contexte empirique : le juge est un être situé; le tribunal, une « organisation »; le procès, un champ de relations où s’opposent des acteurs précis (juges, avocats, procureurs et justiciables). Une justice abstraite et sacralisée s’oppose ainsi, sur le plan des perspectives, à une justice située, construite socialement. Juges et chercheurs se trouvent alors liés et séparés à la fois, par la nécessité de leur indépendance mutuelle.
EN :
Research on Law and Justice from the perspective of the social sciences illuminates the very nature of law itself as a method of knowledge production and, in particular, as a way of thinking. Recent publications on the subject reveal an unresolved tension between Justice and fairness. This tension is implicit in the equivocal relationship between judges and researchers. This uneasy relationship is a product of the distinct nature of two separate missions. One is based on the quest for legal truth, the other on the pursuit of an empiric understanding of the world. While Law prefers to impose definitions on an orderly certain world, the social sciences, on the other hand, acknowledge the ambiguity of their definitions of the legal world. Two distinct conflicting knowledge modes are at play here. The quest for certainty is at odds with the uncertainty of academic conjecture. Thus, the activities of judges and those of researchers are two distinct worlds in terms of their epistemology. This also holds true for Justice viewed as a social practice. While the legal reconstruction of the world is a necessity for arbitration, researchers are primarily interested in the concrete workings of the decision-making process. Thus, the need to be reasonable which binds judges is placed in an empirical context. The judge is seen as an actor in a specific semiotic context; the courts are a “bodyˮ; the trial is the site of relationships between specific participants (judges, attorneys, laypersons). An abstract and idealistic vision of Justice is thus opposed to Justice viewed as a social construct. Thus, a mutual separation, required of both judges and researchers, both binds them together and keeps them apart.
ES :
Los trabajos realizados sobre el derecho y la justicia desde perspectivas inspiradas en las ciencias sociales y humanas a menudo revelan la naturaleza misma del derecho como modo de conocimiento y, sobre todo, como modo de pensar. También revelan una tensión no resuelta entre la justicia y los justos. Esta tensión se expresa implícitamente en la relación ambigua que mantienen el juez y el investigador. Ella revela la lógica de diferentes proyectos, basados, por un lado, en la búsqueda de la verdad jurídica y, por el otro, en la comprensión empírica del mundo. Mientras el derecho favorece la definición de un mundo previsible, las ciencias sociales aceptan el carácter incierto de las interpretaciones que ellas ofrecen del mundo jurídico y judicial. Aquí se confrontan diferentes formas de conocimiento. La búsqueda de la certeza se opone a la incertidumbre de las hipótesis. El oficio del juez y el proyecto del investigador divergen así, en el plano epistemológico. Lo mismo se aplica a la justicia, que se aborda como una actividad social. Mientras que la reconstrucción jurídica del mundo es una necesidad para motivar la decisión judicial, el investigador está más interesado en los mecanismos concretos de la decisión. La exigencia de racionalidad a la que se somete el juez se sitúa, por lo tanto, en su contexto empírico : el juez es un ser situado; el tribunal, una « organización »; el proceso, un campo de relaciones donde se oponen actores específicos (jueces, abogados, fiscales y litigantes). Una justicia abstracta y sacralizada se opone así, en términos de perspectivas, a una justicia situada, socialmente construida. Jueces e investigadores quedan entonces vinculados y separados al mismo tiempo, por la necesidad de independencia mutua.