
Revue de droit de l'Université de Sherbrooke
Volume 46, numéro 1, 2016
Sommaire (6 articles)
Articles
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LE RÉGIME QUÉBÉCOIS D’ASSURANCE PARENTALE : UN SYSTÈME DISCRIMINATOIRE À L’ENDROIT DES ENFANTS ADOPTÉS
Carmen Lavallée, Daniel Proulx et Éric Poirier
p. 1–66
RésuméFR :
Le Régime québécois d’assurance parentale (RQAP) crée une distinction dans l’attribution du nombre de semaines assurées selon que le congé est demandé par des parents biologiques ou des parents adoptants. Ces derniers bénéficient d’un congé parental nettement plus court au moment de l’arrivée de leur enfant, l’objectif du législateur étant vraisemblablement de tenir compte de la réalité de la grossesse et de l’accouchement. Se peut-il toutefois que le régime occulte la situation des familles adoptantes et les difficultés qui leur sont propres, au point d’être discriminatoire ?
Afin de répondre à cette question, les auteurs proposent de déplacer le foyer d’analyse traditionnellement placé sur les droits des parents pour le tourner vers les droits et l’intérêt supérieur des enfants. Considérant le vécu et les besoins particuliers des enfants adoptés, ils démontrent que le RQAP, comme les conventions collectives qui reproduisent une distinction similaire, ne résisterait pas à un examen judiciaire fondé sur le droit à l’égalité garanti par les chartes. En conséquence, les auteurs proposent une nouvelle façon de concevoir le régime plus respectueuse des droits de tous.
EN :
The Québec Parental Insurance Plan (QPIP) provides for a benefit period that varies according to whether the applicants are the biological parents or the adoptive parents of the child. Adoptive parents are entitled to a significantly shorter parental leave upon their child’s arrival. It would appear that the legislative intent is to take into account distinguishing factors based on pregnancy and delivery. Couldn’t one argue that the QPIP overlooks the situation of adoptive families and their specific challenges to the extent where it might be deemed discriminatory?
To address this question, the writers suggest shifting the analytic focal point away from the traditional focus on the rights of the parents, to the rights and best interests of the children. Considering the personal history and specific needs of adopted children, the writers argue that the QPIP, like all collective agreements that set out similar distinctions, would not withstand a legal challenge based on the right to equality guaranteed under the Canadian and Quebec Charters. Consequently, the writers come up with a proposal that takes into account the rights of all stakeholders.
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LES BIENS IMMATÉRIELS EN QUÊTE D’IDENTITÉ
Gaële Gidrol-Mistral
p. 67–137
RésuméFR :
Une réflexion sur l’immatériel en droit des biens amène nécessairement à repenser les frontières des choses et des biens et à s’interroger sur le critère de rattachement à la catégorie des biens, en tant qu’objet du droit de propriété. Le constat semble sans appel : le dogme de la matière s’effrite, laissant peu à peu émerger un nouveau paradigme, celui de la valeur. La valeur, qui est à la fois valeur d’usage et valeur d’échange, dévoile une conception économique du bien qui interpelle. Pour autant, les choses n’ont pas été bannies du droit des biens; les biens n’étant pas seulement représentés par des droits. Ainsi, la catégorie des biens, ouverte aux biens immatériels, accueille des choses corporelles autant que des droits patrimoniaux et des choses sans corps. Cependant, cette mutation n’est pas sans connaître certains défis tenant à la difficulté du droit des biens à faire fi de la corporéité des choses. Alors que la tentation est grande de retrouver, voire de découvrir, dans ces nouveaux biens une trace de cette matérialité perdue, la question de la transposition du régime juridique de la propriété à ces nouvelles entités se pose.
EN :
Reflections surrounding the notion of immateriality in property law leads to rethinking the usual boundaries in delimiting things and property and indeed, as to what actually constitutes property. The qualification of property in the material sense is giving way to property as something of value. Value may refer to property in a utilitarian or in an economic sense. Property is not merely represented by rights. The notion of property can include corporeal and incorporeal things as well as patrimonial rights. However this change has not taken place without certain challenges due to the resistance of property law to go beyond the criterion of corporeality of things. Nonetheless, the risk of adapting property law to embrace these new entities could underscore the decline of materiality as a determining factor.
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LE CONTENTIEUX DE L’IMMATRICULATION DU COMMERÇANT AU REGISTRE DU COMMERCE ET DU CRÉDIT MOBILIER EN DROIT OHADA
Irène Flore Kamnang Komguep
p. 139–181
RésuméFR :
En droit des affaires, le commerçant est soumis à plusieurs obligations au rang desquelles figure l’immatriculation au RCCM. Celle-ci constitue une mesure de publicité légale dont l’accomplissement vaut, sauf exception, reconnaissance de la qualité de commerçant à l’égard de la personne physique et déclaration de la société commerciale à l’état civil. En plus de ces résultats immédiats, l’immatriculation a pour but d’assurer la sécurité des transactions commerciales. C’est à juste titre que le droit a prévu et organisé le contentieux de l’inexécution de l’obligation d’immatriculation et celui relatif aux incidents de la procédure d’immatriculation. La question qui se pose est celle de savoir si l’intervention du juge contribue effectivement à vaincre non seulement la négligence ou l’inertie des assujettis, mais aussi les obstacles à l’attribution d’un numéro d’immatriculation. Si l’organisation des différents axes du contentieux de l’immatriculation du commerçant au RCCM paraît satisfaisante, les suites de l’intervention du juge demeurent quant à elles perfectibles à certains égards. Il est nécessaire d’envisager des pistes de solutions tant en ce qui concerne le traitement du contentieux de l’inexécution de l’obligation d’immatriculation que celui des incidents de la procédure d’immatriculation.
EN :
In African business law, traders are subject to many duties including that of registering their businesses in the Trade and Personal Property Credit Register. Registration is a means of publicly attributing the quality of trader to a physical person as well as of actually creating the business enterprise. It also ensures a measure of security in commercial transactions. Appropriately, the law sets out sanctions relating to the failure to register or to defects in the registration process. The present paper examines whether interventions by the judiciary actually discourage neglect in seeking registration or do they act as an obstacle to the granting of a registration number. While the various legal requirements for registration seem clear, on occasion, certain practices on the part of the judiciary need refining. It is thus necessary to propose solutions relating to the failure to register as well as to certain incidental aspects of the registration procedure.
Notes de recherche
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LA CÉLÉBRATION DU MARIAGE DOIT RESPECTER LES PRESCRIPTIONS DU CODE CIVIL DU QUÉBEC, QU’ELLE REVÊTE OU NON UN CARACTÈRE RELIGIEUX
Alain Roy et Michel Morin
p. 183–203
RésuméFR :
Le ministre du culte habilité à célébrer le mariage a-t-il le devoir légal d’en déclarer l’existence au directeur de l’état civil de sorte à lui procurer les effets juridiques que la loi rattache au statut matrimonial ? Non, si l’on en croit le récent jugement de la Cour supérieure rendu dans l’affaire Droit de la famille — 16244, 2016 QCCS 410. Souscrivant à l’interprétation de la Procureure générale du Québec, le tribunal estime que les règles adoptées lors de la réforme du Code civil de 1994 permettent aux ministres du culte de célébrer des mariages exclusivement religieux. Une telle interprétation prête flanc à la critique. Conjuguée à l’analyse du contexte juridique prévalant avant la réforme, l’étude des différents textes provinciaux et fédéraux qui gouvernent aujourd’hui la célébration du mariage confirme la volonté du législateur de maintenir le lien indissoluble entre les dimensions religieuse et civile des mariages célébrés par un ministre du culte.
EN :
If a minister of religion is authorized by law to solemnize a marriage, is he legally bound to declare its existence to the registrar of civil status, so that it will benefit from the consequences attached by law to matrimony? If one is to believe the recent judgment of the Superior Court rendered in Droit de la famille — 16244, 2016 QCCS 410, the answer would be no. Accepting the argument put forward by the Attorney General of Quebec, the Court opined that the rules adopted during the 1994 revision of the Civil Code would allow ministers of religion to solemnize purely religious marriages. This interpretation is flawed. An analysis of the prevailing legal context prior to the reform, combined with an examination of provincial and federal legislation pertaining to the solemnization of marriage, confirms that the legislature intended to maintain the indissoluble link between the religious and civil dimensions of marriages solemnized by a minister of religion.
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(RE) PENSER LE DROIT ADMINISTRATIF AVEC JACQUES CAILLOSSE
Lionel Zevounou
p. 205–246
RésuméFR :
Au Canada comme en Europe, l’État connaît de profonds bouleversements. La France n’est guère épargnée par ce mouvement. Peut-être plus que les autres pays de l’Union européenne, l’interventionnisme traditionnel de l’administration française est soumis à des politiques publiques d’inspiration néolibérale; d’un autre côté, le dogme de l’État unitaire est de plus en plus ébranlé par un ensemble de réformes décidées au niveau de l’Union européenne. Le droit administratif français est, depuis plusieurs années, traversé par ces différentes tensions. Cet article propose d’introduire le lecteur à la pensée de Jacques Caillosse à travers son dernier ouvrage, L’État du droit administratif. Cette pensée d’inspiration critique permet de saisir les enjeux politiques qui traversent le droit et l’action publique contemporains en France.
EN :
In Europe as well as in Canada, governments are undergoing major changes. France is no exception. Possibly even more than in other countries of the European Union, the traditional interventions of the French government are subject to influence of neo-liberal politics. On the other hand, the doctrine of a unitary state has been increasingly weakened due to various reforms adopted by the European Union. For many years, French public law has also been affected by these various tensions. This article proposes to present the thought of Jacques Caillosse, as presented in his latest book, L’État du droit administratif. His critical study enables one to better understand the political issues at stake in contemporary French public law and public action.