Revue de droit de l'Université de Sherbrooke
Volume 43, numéro 3, 2013
Sommaire (7 articles)
Articles
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COMPROMIS ET TRANSPOSITIONS LIBRES DANS LES LÉGISLATIONS PERMETTANT LE RECOUVREMENT DU COÛT DES SOINS DE SANTÉ AUPRÈS DE L’INDUSTRIE DU TABAC
Lara Khoury
p. 611–643
RésuméFR :
Le présent texte s’intéresse à la législation facilitant les recours des gouvernements provinciaux contre l’industrie du tabac pour se voir rembourser les dépenses de santé effectuées, notamment, pour le traitement des maladies reliées au tabagisme. L’auteure y argumente que le traitement de la causalité au sein de ces lois démontre que, bien qu’elles soient décrites comme facilitant les recours des gouvernements, elles sont en réalité le résultat d’un compromis qui est parfois à l’avantage de l’industrie. L’auteure tente également de démontrer que l’adoption de cette législation au Québec, dans un texte calqué sur la législation de la Colombie- Britannique — elle-même inspirée de la législation de la Floride — est caractérisée par un manque d’attention à l’égard de certaines particularités du droit québécois, plus particulièrement en ce qui concerne le fait générateur de responsabilité en matière de responsabilité du fait des produits, ainsi que la causalité.
EN :
The article examines legislation aimed at favoring the recovery by governments of health care costs due to the tobacco industry, more particularly in relation to the treatment of illnesses caused by smoking. The writer argues that the manner in which these laws treat the issue of causation demonstrate that even though they are described as facilitating claims by the various governments, they are in fact the result of a compromise that sometimes inures to the advantage of the industry. The writer also seeks to demonstrate that the adoption by the Province of Quebec, of legislation inspired by a British Columbia statute (itself modeled on Florida legislation), is characterized by lack of attention to certain particularities of Quebec law, specifically with regard to principles surrounding product liability as well as to those relating to issues of causation.
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LA CHARTE DE LA LANGUE FRANÇAISE : UNE ENTRAVE AUX ACTIVITÉS ESSENTIELLES DES ENTREPRISES PRIVÉES DE COMPÉTENCE FÉDÉRALE AU QUÉBEC ?
David Robitaille et Pierre Rogué
p. 645–708
RésuméFR :
Dans un récent rapport, le gouvernement fédéral concluait qu’il n’est pas nécessaire de modifier le Code canadien du travail ou la Loi sur les langues officielles afin de faire bénéficier de droits linguistiques les employés qui, au Québec, travaillent dans des entreprises privées de compétence fédérale, notamment les entreprises interprovinciales de transport et de communication et les banques. Comme le gouvernement, plusieurs acteurs tiennent ce vide législatif pour acquis. Pourtant, depuis l’arrêt Banque canadienne de l’Ouest, les entreprises fédérales doivent pleinement respecter les lois provinciales valides, sauf si ces dernières ont pour effet d’en entraver les activités essentielles, dont font partie les relations de travail. Ainsi, après que les arrêts Bell de 1966 et 1988 aient privilégié une approche centralisatrice en établissant que les lois provinciales valides ne pouvaient ne serait-ce qu’affecter les éléments vitaux des entreprises fédérales, la Cour suprême opérait en 2007 un changement de paradigme majeur en acceptant que ces lois puissent avoir des effets préjudiciables ou importants sur ces entreprises, relégitimant du coup l’application régulière, à celles-ci, du droit provincial. Dans ce contexte, nous avancerons que la Charte de la langue française, par son application et son interprétation relativement flexibles, n’a pas pour effet d’entraver les activités essentielles des entreprises fédérales présentes au Québec, lesquelles y sont conséquemment assujetties.
EN :
In a recent report, the federal government concluded that it would not be necessary to amend the Canadian Labour Code or the Official Languages Act in order to confer language rights to Quebecers working for private companies falling under federal jurisdiction in fields such as interprovincial transportation, communications and banking. Much like the government, several interested parties have taken for granted this legislative void. However, since the Supreme Court’s judgment in Canadian Western Bank, federal enterprises must now fully respect valid provincial legislation, except where provincial laws have the effect of impairing certain essential activities, including labour relations. In its decision, the Supreme Court has departed from its reasoning in the 1966 and 1988 Bell cases, wherein the Court favoured a centralized approach by stating that valid provincial legislation could not adversely affect the essential elements of federal enterprises. In 2007, the Supreme Court thus undertook a major paradigm shift by accepting that provincial laws could indeed have a significant impact on federal enterprises, thus restoring the pertinence of provincial legislation. In this context, it is argued that due to flexibility in its application and interpretation, the Charter of the French Language does not impair the essential activities of federal enterprises operating in Quebec and which thus remain subject to the French Language Charter.
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LES ORIGINES ET LES FONDEMENTS DU RECOURS AU CONSENSUS EN DROIT EUROPÉEN DES DROITS DE L’HOMME
Frédérick J. Doucet
p. 709–749
RésuméFR :
La notion de consensus joue un rôle primordial dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, notamment dans le cadre de l’interprétation de la Convention européenne des droits de l’Homme et de l’exercice du contrôle européen. Or, à une époque où le recours au droit international et au droit comparé se veut de plus en plus fréquent afin d’apporter des solutions aux cas difficiles, l’interprétation consensuelle telle qu’existant en droit européen des droits de l’Homme pourrait servir de guide aux instances nationales canadiennes et québécoises. À cette fin, il convient de se demander en quoi consiste cette technique d’herméneutique et d’où celle-ci tire ses origines.
EN :
The notion of consensus figures significantly in the case law of the European Court of Human Rights, more particularly with regard to the interpretation of the European Convention on Human Rights. However, at a time when recourse to international and comparative law is becoming more and more frequent in seeking solutions to difficult cases, consensual interpretation as it exists in European human rights law, could provide some guidance to Canadian and Quebec courts. Thus, it is indeed worthwhile exploring the nature and origins of consensual interpretation.
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LA DÉTENTION DES DEMANDEURS D’ASILE AU CANADA : LES PROTECTIONS GARANTIES AUX RÉFUGIÉS EN DROIT INTERNATIONAL SONT-ELLES RESPECTÉES ?
Marie-Noël Collin et Estibaliz Jimenez
p. 751–792
RésuméFR :
La migration est perçue par la communauté internationale comme un enjeu sécuritaire. La sécurisation des frontières est devenue une des priorités des États. Au nom de la sécurité nationale, le Canada resserre le contrôle migratoire et intensifie les mesures de maintien de l’ordre aux frontières. Dans la foulée des arrivées de l’Ocean Lady en octobre 2009 et du MV Sun Sea en août 2010, deux bateaux de migrants interceptés dans les eaux canadiennes, le gouvernement canadien adopte le 28 juin 2012 le projet de loi C-31 : la Loi visant à protéger le système d’immigration canadien. Cette loi prévoit notamment une augmentation de l’usage de la détention qui devient automatique lorsqu’un migrant est déclaré « étranger désigné ». Parmi les personnes qui feront l’objet de cette désignation se trouvent des demandeurs d’asiles et des réfugiés qui, au lieu de recevoir la protection internationale du Canada en vertu notamment de la Convention relative au statut des réfugiés, se retrouvent détenus en raison de leur mode d’arrivée. Par l’analyse des protections offertes aux demandeurs d’asile et aux réfugiés et des nouvelles dispositions sur la détention, cet article illustre la difficulté pour le Canada de respecter l’équilibre entre l’objectif de sécurité nationale et la protection des droits des réfugiés et des demandeurs d’asile.
EN :
Migration is perceived as a national security issue by the international community. As a result, border security has assumed greater importance over the last twenty to thirty years. In the name of national security, Canada has expanded its control over migratory activities and has strengthened various law enforcement measures at its borders. Incidents including the interception of ships in Canadian waters, namely the Ocean Lady in October of 2009 and the MV Sun Sea in August of 2010, have led to the adoption by Parliament in June of 2012, of Bill C-31 entitled Protecting Canada’s Immigration System Act. The Act authorizes the increased use of detention in relation to migratory controls and enables the Minister to designate as irregular, the arrival in Canada of certain groups of foreign nationals, (so-called "designated foreign nationals"), who can then become subject to automatic detention. They may include asylum-seekers and refugees who, instead of benefitting from Canada’s international protection, may be detained due to the irregular circumstances surrounding their arrival in this country. In discussing protections for asylum-seekers and refugees in light of the new legislative provisions relating to mandatory detention, the writers posit that this difficult balance between concerns relating to national security and the need to protect refugees and asylum-seekers has yet to be achieved.
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QUEL EST L’AVENIR DU GRIEF PATRONAL ?
Carole Sénéchal
p. 793–826
RésuméFR :
Le développement du syndicalisme a en quelque sorte bridé l’arbitraire de l’employeur en milieu de travail en assumant la défense des intérêts de certains groupes de salariés par l’entremise de la négociation périodique des conditions de travail. Désormais, le syndicat majoritaire accrédité et l’employeur sont tenus de négocier de bonne foi une convention collective définissant les droits et obligations de chacun. Devant cette dissolution de l’autorité de la direction, on assiste peu à peu à l’émergence du phénomène relativement récent du grief patronal en vue de dénoncer le non-respect par la partie syndicale des dispositions de la convention collective. Force est toutefois de constater que les sentences arbitrales disposant des griefs patronaux demeurent rarissimes, ce qui n’est probablement pas étranger à la baisse du taux de syndicalisation.
EN :
The development of unionization has kept the arbitrary power of employers in the workplace in check by defending the interests of certain paid workers through the periodic negotiation of working conditions. As a result, the majority accredited union and the employer are bound to negotiate a collective agreement in good faith which defines the rights and obligations of each. Faced with this dissolution of management’s authority, we have come to witness little by little the emergence of the recent phenomenon of employer grievance in an attempt to denounce the union’s non-compliance with the articles of the collective agreement. One can see that the arbitral rewards from employer grievances remain rare, which is possibly not unrelated to a decrease in the rates of unionization.
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LES SITUATIONS DE FAIT EN DROIT DES SOCIÉTÉS DE L’OHADA
François Biboum Bikay
p. 827–865
RésuméFR :
L’ensemble des disciplines du droit connaît le phénomène des situations de fait. Ces dernières constituent des cas de malformation des institutions promues et protégées par le droit. En réaction, celui-ci les répugne souvent en les privant d’effets. Mais la rencontre des situations de fait avec le droit des sociétés vient bouleverser cet état de choses. En effet, non seulement elles y prolifèrent, mais encore elles ne sont pas systématiquement combattues comme dans les autres disciplines juridiques. Cette étude ambitionne donc de montrer comment le droit des sociétés, en s’appuyant sur les situations de fait, atteint son efficacité. La problématique est alors orientée vers le point de savoir qu’elle est la place qu’occupent les situations de fait dans le droit des sociétés. La réponse en est donnée à travers le constat de leur acceptation par la discipline et à travers l’examen de leur contribution à l’efficacité de cette dernière.
EN :
De facto situations may be encountered in all fields of law. They tend to deform institutions promoted and protected by law. In reaction, the law rejects them by depriving them of legal effect. However, these encounters between de facto situations and company law in particular do not adhere to the principle of rejection. Not only is there a proliferation of these situations in company law, they are not systematically opposed as they would be in other legal branches. The writer seeks to illustrate how company law, by embracing de facto legal situations, has in fact become more effective. The article then goes on to explain why situations of fact have been openly recognized in company law. The answer may be found in the acceptance and in the contribution of situations of fact to the efficacy of company law.
Commentaire
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OBSERVATIONS CONCERNANT CERTAINS CHANGEMENTS APPORTÉS AU CODE CIVIL PAR LA LOI MODIFIANT LE CODE CIVIL ET D’AUTRES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES EN MATIÈRE DE RECHERCHE
Robert P. Kouri
p. 867–886
RésuméFR :
L’auteur commente les modifications apportées au Code civil du Québec concernant la recherche sur les êtres humains. Certains changements sont d’une portée relativement importante, tel le remplacement du mot « expérimentation » par l’expression « recherche susceptible de porter atteinte à l’intégrité de la personne », ainsi que l’exigence que toute recherche de ce genre doive désormais être approuvée par un comité d’éthique de la recherche. D’autres changements concernent quelques situations ponctuelles et servent surtout à corriger certaines lacunes du Code civil dans ce domaine.
EN :
The writer enunciates a number of observations concerning recent amendments made to the Civil Code of Quebec in relation to changes regarding research involving human subjects. Certain modifications are very significant such as the replacement of the word "experiment" with the expression "research that could interfere with the integrity of the person", as well as the requirement that in all cases, this type of research must first be approved by a research ethics committee. Others are less so and serve to correct certain lacunae in the previous provisions of the Civil Code.