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Revue de droit de l'Université de Sherbrooke
Volume 16, numéro 2, 1986
Sommaire (8 articles)
Droit administratif québécois
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L’ÉQUITÉ PROCÉDURALE ET LA RÉVOLUTION TRANQUILLE DU DROIT ADMINISTRATIF
Patrice Garant et Chantale Dussault
p. 495–540
RésuméFR :
L’avènement de l’équité procédurale ou duty to act fairly, exigence procédurale applicable aux fonctions simplement administratives, a perturbé quelque peu notre droit administratif depuis l’arrêt Nicholson de 1978. Cet événement n’a tout d’abord pas aboli la frontière difficile à tracer entre le concept du devoir d’agir « quasi-judiciairement » et celui du devoir d’agir « équitablement » premièrement quant au choix du recours approprié : on retrouve toujours les mêmes difficultés au niveau fédéral lorsqu’il s’agit de choisir le recours approprié sous 18 ou 28 L.C.F.; au Québec toutefois on a quelque peu élargi la voie d’accès au bref d’évocation. Quant à la qualification des fonctions exercées, les difficultés ne sont pas toutes résolues également.
Si l’on regarde du côté des exigences concrètes de l’équité procédurale, l’on constate que la jurisprudence n’a guère apporté de précision. Tout est question de degré, de contexte, de circonstances. On a adopté les exigences de la règle audi alteram partem et de la règle de l’impartialité quasi-judiciaire en avançant prudemment. Enfin, si l’ensemble des autorités administratives sont assujetties à la règle, on constate que le Cabinet lui-même, du moins lorsqu’il exerce des fonctions à caractère politique et de portée générale, fait exception.
EN :
The duty to act fairly introduced in our Administrative Law in 1978 by the Supreme Court in Nicholson has shaken a little the state of that branch of law. That event has nevertheless not abolished the frontier line between the concept of the duty act judicially and the duty to act fairly as far as the choice of remedy is concerned; at federal level difficulty of choice between section 28 and section 18 of F.C. Act still remains, while in Quebec the access to evocation under section 846 C.P.C. has been a little ameliorated. When one has to qualify the functions many difficulties are still not resolved.
If we look at the concrete requirements of fairness, we must acknowledge that case law has not brought much precision: it is always question of degree, of context, of circumstances. Requirements of the quasi-judicial process have been adapted to administrative functions to cope with fairness. Finally, if administrative authorities generally are subject to the duty to act fairly, the Cabinet itself is under a special rule specialy when it exercices highly discretionary and political powers.
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LES RÉCENTS DÉVELOPPEMENTS EN MATIÈRE DE CONTRATS DE L’ADMINISTRATION
Pierre Lemieux
p. 541–589
RésuméFR :
Les relations contractuelles des autorités publiques se caractérisent par une législation et réglementation fort abondantes. Ainsi, pour l’administration, la liberté de contracter n’existe pas dans son intégralité. L’opération contractuelle est la mise en oeuvre d’une compétence et cette dernière n’est pas entièrement discrétionnaire. L’autorité publique ne bénéficie pas, soit en ce qui concerne la compétence pour contracter et le choix du cocontractant, soit en ce qui concerne les formes du contrat, d’une liberté analogue à celle dont les particuliers disposent dans leurs rapports contractuels. Pour ces raisons, le contrat en tant qu’instrument de l’action des administrations modernes tant étatique que des unités décentralisées et des entreprises publiques, appartient de plus en plus à un régime juridique spécifique.
EN :
Contractual dealings with public authorities are the object of a multitude of statutory provisions and regulations. Indeed, for public administrations, freedom of contract does not fully exist. Valid contract formation can only be the result of the exercise of legal power. In addition, public authorities do not enjoy the same contractual freedom as do others in matters of contract form or of choice of contract partner. For these reasons, Contract, as an instrument of public policy, increasingly refers to a specific juridical institution.
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LE CONTRÔLE DE LA COMPÉTENCE D’ATTRIBUTION : THÈSE, ANTITHÈSE ET SYNTHÈSE
Yves-Marie Morissette
p. 591–644
RésuméFR :
La notion de juridiction intervient dans la plupart des raisonnements sur le contrôle judiciaire. Bien que le mot lui-même serve parfois à désigner la façon de procéder d’un décideur, il signifie aussi, dans son acception la plus courante, la compétence d’attribution d’un tribunal administratif. Selon la théorie consacrée, un organisme de ce genre est libre de trancher comme bon lui semble les questions de son ressort, mais il s’expose à la censure d’un tribunal supérieur lorsqu’il détermine erronément que quelque chose est bien de son ressort. Dans ce dernier cas, sa « juridiction » est en cause. L’analyse de la notion fait ressortir trois thèses, ou conceptions du contrôle juridictionnel. À chacune correspond une description particulière et plus ou moins extensible de ce qui pourra constituer une erreur juridictionnelle. Il s’ensuit que le degré d’assujettissement des décisions administratives au pouvoir de surveillance des tribunaux supérieurs varie sensiblement de l’une à l’autre. La première prétend identifier en tant que telles et comme des a priori les questions dites juridictionnelles. Relativement prévisible dans ses applications, elle assure une grande autonomie aux tribunaux administratifs, mais place hors d’atteinte du contrôle juridictionnel des décisions qui juridiquement ne résistent pas à l’analyse. La seconde veut assurer la perfection juridique des décisions. Elle qualifie les choses a posteriori et, du moins du point de vue des plaideurs, permet de soutenir que toute « erreur » de droit comporte un excès de juridiction. Imprévisible dans ses applications, elle augmente considérablement la vulnérabilité des décisions administratives et transforme le contrôle juridictionnel en un appel discrétionnaire sur le droit. La troisième, que l’auteur voudrait voir se développer, opère une synthèse des deux premières tout en introduisant de nouvelles données dans l’analyse du problème. Elle se préoccupe davantage de la rationalité des décisions et postule qu’un litige sur l’interprétation d’une norme préexistante est généralement susceptible de plusieurs solutions également rationnelles. Dans cette optique, le contrôle juridictionnel sert a deux fins : réformer les décisions manifestement irrationnelles et prévenir ou corriger les contradictions entre des décisions rationnelles sur des questions identiques.
EN :
Most arguments about judicial review involve the notion of jurisdiction. Although the word itself is sometimes used in a procedural context, its primary meaning in common usage is substantive and refers to a tribunal's authority to decide ratione materiae. According to received doctrine, an administrative tribunal can decide as it sees fit any question within its jurisdiction, but it becomes liable to judicial review whenever it determines erroneously whether a matter comes within its authority to decide. In the latter case, the decision "goes to jurisdiction". Three theses or understandings of jurisdictional review emerge from an analysis of this notion. To each of these corresponds a different and more or less extensible description of jurisdictional error. It follows that the extent to which administrative decisions are subject to the superintending power of superior courts varies noticeably between these three theses. The first purports to define a jurisdictional issue a priori, without reference to the resolution of the dispute at hand. Relatively foreseeable in its effects, this thesis guarantees to administrative tribunals a substantial measure of autonomy, but it also places beyond the reach of jurisdictional review many legally indefensible decisions. The second thesis tends to exalt legal perfection in decision-making. It favours ex post facto characterization and enables a party to argue that any alleged "error" of law is jurisdictional in nature. The effects of this thesis are somewhat erratic; it considerably increases the vulnerability of administrative decisions and it transforms jurisdictional review into a discretionary appeal on questions of law. The third thesis, which the author would like to see developed by the courts, attempts to combine the advantages of the first two and draws upon an original analysis of legal decision-making. It focusses on the rationality and reasonableness of decisions, and postulates that most disputes on the interpretation of a pre-existing norm are susceptible of several equally rational resolutions. Viewed in this light, the purpose of jurisdictional review is twofold: it is used to quash manifestly unreasonable decisions and to prevent or correct reasonable but contradictory decisions on identical questions.
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LA DÉCISION INSTITUTIONNELLE
Pierre Blache et Suzanne Comtois
p. 645–710
RésuméFR :
La présente étude vise à évaluer les changements qu’entraîne l’institutionnalisation du processus décisionnel des tribunaux administratifs.
À cette fin, une première partie cerne le phénomène lui-même. Son émergence y est présentée comme inscrite dans la dynamique générée par les préoccupations qui conduisirent à la création des tribunaux administratifs. Une définition en est offerte qui permet d’établir la problématique qui dicte le plan de la seconde partie, lequel s’organise autour de l’idée de fragmentation du processus décisionnel et de la connaissance institutionnelle dont on précise alors à quelles conditions elles se réconcilient avec la justice naturelle.
La première section, consacrée à la dissociation des fonctions d’entendre et de décider, examine, à la lumière de la jurisprudence anglaise, canadienne et américaine, la validité d’une audition tenue devant un délégué, le degré de participation personnelle requis du décideur tenu d’agir judiciairement et le droit des parties d’être informées et de réfuter l’information communiquée au décideur par l’officier d’audience (le délégué).
La seconde section, consacrée à la connaissance institutionnelle, aborde la difficile question de la participation du personnel et des collègues au processus décisionnel. On y commente certaines décisions récentes des cours canadiennes à la lumière d'une conception soucieuse autant de la qualité des décisions que de leur respect de la justice naturelle.
EN :
The present study examines the decisional process which prevails in certain administrative tribunals, with a focus on it's institutional character, which contrasts with the personal decision making process followed by Courts of Law.
Part One attempts to elucidate the phenomenon of institutional decisions. Its emergence is presented as part of the dynamic which gave rise to the creation of administrative tribunals. A definition is then offered which introduces the main theme of Part Two: the constraints imposed by natural justice on institutional decisions.
Section One examines in the light of Anglo-Canadian and American common law, the manner by which the one who decides must hear. Can the decision-maker delegate the function of hearing orally and, if so, can the parties require access to the report of the hearing officer?
Section Two deals with official notice and examines the delicate question of the participation of staff members or collegues in the decision. The authors discuss recent canadian decisions in the perspective of reconciling fairness and efficiency.
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LES EFFETS DES CLAUSES PRIVATIVES EN MATIÈRE PROVINCIALE
Gilles Pépin
p. 711–779
RésuméFR :
L’auteur expose et commente l’état du droit jurisprudentiel relatif aux effets des dispositions législatives provinciales qui ont pour objet de supprimer ou de restreindre le pouvoir de contrôle que les cours supérieures exercent sur les décisions prises par les cours inférieures et les organismes administratifs. Bien que la délimitation de la portée de ces textes législatifs, dénommés « clauses privatives », entraîne le juriste intéressé dans le labyrinthe de la distinction entre les erreurs juridictionnelles et intrajuridictionnelles, l’auteur s’efforce d’identifier un certain nombre de difficultés qu’une intervention législative ou jurisprudentielle pourrait assez facilement solutionner.
EN :
The author outlines and comments the present state of case law concerning the effect, at the provincial level, of statutory provisions aiming to limit or eliminate the control or supervisory function of Superior Courts over administrative and lower judicial instances. The description of the effect of these provisions (called "privative clauses") entails a complex discussion of the distinction between "jurisdictional" and "internal" error. The author attempts, in this context, to identify a certain number of problems that could easily be solved through future legislative or judicial intervention.
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LES TRIBUNAUX ADMINISTRATIFS DEVANT LES COURS SUPÉRIEURES : ÉTUDE DES PRINCIPES JURIDIQUES APPLICABLES À LEUR QUALITÉ POUR AGIR
François Aquin et Daniel Chénard
p. 781–818
RésuméFR :
Dans quelle mesure, un tribunal administratif peut-il être représenté par procureur et défendre l’une de ses décisions, lorsque celle-ci fait l’objet d’un recours devant une cour supérieure dans le cadre d’un contrôle de la légalité de cette décision administrative ?
C’est à l’examen de cette problématique que les auteurs se consacrent dans cette étude. Après avoir examiné la jurisprudence canadienne et québécoise sur la question, les auteurs tentent d’en dégager les principes juridiques applicables à la qualité d’agir des tribunaux administratifs devant les cours supérieures. Ils consacrent un examen particulier pour mettre en lumière certaines zones grises dans ce domaine, dont les paramètres restent à être définis par les tribunaux.
EN :
Can an administrative tribunal be represented by attorney and be remitted to defend decisions when said decision is being subjected to judicial review before a Supreme Court?
This article attempts to provide and answer to this question. After examining request Canadian and Québec Case Law, the writer seek to determine the judicial rules relating the capacity of administrative tribunals to appear before Courts of a high juridiction. The writer also scrutinize certain grey areas of this general topic, the parameters of which remain to be set by the Courts.
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ASPECTS DE LA PROCÉDURE ET DE LA PREUVE DEVANT LES TRIBUNAUX ADMINISTRATIFS
Yves Ouellette
p. 819–865
RésuméFR :
Les organismes administratifs ont été constitués pour être différents des cours de justice. Les cours doivent donc éviter d’imposer aux organismes administratifs leur mode de fonctionnement, mais respecter l’autonomie et l’expertise des organismes.
En l’absence en droit fédéral comme en droit québécois de législation sur la procédure et la preuve administrative, la jurisprudence a élaboré un important corpus de règles de procédure et de preuve inspiré des principes de justice fondamentale.
En matière de procédure, les cours d’appel ont énoncé la règle de l’autonomie de la procédure administrative par rapport à la procédure judiciaire : les organismes sont maîtres de leur procédure sous réserve des principes de justice fondamentale. L’application de cette règle d’or doit cependant se faire de façon modulée, en tenant compte de la nature des pouvoirs exercés, de l’existence ou non d’un lis inter partes et de degré de judiciarisation envisagé par le législateur.
Lorsque la loi impose la tenue d’une audience publique, celle-ci devra être précédée d’un préavis dont le degré de précision varie suivant les circonstances. Le droit de faire valoir ses moyens inclut celui de contredire la preuve, mais pas nécessairement celui de contre-interroger.
L’autonomie de la procédure administrative se manifeste aussi au stade du délibéré.
En certaines circonstances, la jurisprudence accepte que des décideurs se fassent aider de conseillers juridiques aux fins de la mise en forme juridique de leur opinion ou de la compréhension d’un dossier, mais aucune théorie cohérente de la décision institutionnelle n’a encore été élaborée en droit canadien.
Les cours d’appel ont également reconnu l’autonomie des organismes administratifs au plan des règles de preuve. Les règles techniques de preuve appliquées au Canada par les cours sont le produit du système de procès par jury. Rien ne justifie de les imposer aux organismes administratifs; ceux-ci doivent cependant fonder leurs décisions quasi-judiciaires sur la preuve soumise à l’audience et non sur des informations obtenues à l’insu des parties.
La jurisprudence canadienne n’a pas non plus élaboré une théorie cohérente de la connaissance d’office (official notice) et aurait peut-être intérêt à s’inspirer de l’expérience américaine. Tout au plus peut-on suggérer que les cours d’appel sont en cette matière relativement tolérante à l’égard des agences de régulation.
L’auteur évoque finalement les inconvénients et avantages de la codification des règles jurisprudentielles de procédure et de preuve administrative. Le droit administratif canadien et québécois n’a peut-être pas encore atteint un degré suffisant de développement et de maturité pour supporter d’être codifié.
EN :
Administrative organisms were meant to be different than judicial tribunals. Thus, courts must avoid imposing their own modus operandi: rather, they should respect the autonomy and expertise of such organisms.
In the absence of federal or Québec legislation specifically concerning administrative procedure and evidence, the courts have elaborated a body of procedural and evidentiary rules based on principles of fundamental justice.
For questions of procedure, appellate courts have certified the autonomy of administrative organisms vis-à-vis judicial rules. Such organisms are masters of their own procedure, as long as principles of fundamental justice are respected. The application of this basic rule is tempered in several cases, depending on the nature of the organism's powers, the existence of a lis inter partes, and the degree of court-like formalities provided for by the enabling statute. Thus, when a statute requires a public hearing, advance notice (of varying degrees of detail, depending on the case) must be given. The right to present one's case includes that of contradicting one's adversary, but does not necessarily include the right of cross-examination.
The autonomy of the administrative organism is also apparent once its "case" is under advisement. In certain circumstances, courts permit decision-makers to obtain legal counsel concerning the form of their decision or their understanding of a dossier. No coherent theory of institutional decision has, however, been elaborated in Canadian law.
Appeal courts have also recognized administrative autonomy in evidentiary matters. The technical rules of evidence applied by Canadian courts are the product of a jury system, and nothing justifies their transfer to the administrative level. Nonetheless, administrative decisions must be based on evidence produced at the hearing, and not on privately obtained facts. Canadian courts have not elaborated a coherent theory of judicial notice, and might be well advised to emulate the American experience. At the very least, appellate courts might be more tolerant of such notice taken by regularoty agencies.
The author discusses, in conclusion, the advantages and drawbacks of a codification of the case-law rules of administrative procedure and evidence. He concludes that Canadian and Québec case-law have perhaps not yet reached a degree of maturity sufficient to enable such codification.
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LA PROCÉDURE DE CONTRÔLE JUDICIAIRE DE LA LÉGALITÉ : RÉCENTS DÉVELOPPEMENTS AU QUÉBEC