Ce recueil réunit les actes du colloque interdisciplinaire tenu à l’Université de Genève en juin 2016. L’intention était d’ouvrir un débat sur la place de la figure du sauvage dans l’imaginaire scientifique, mais aussi artistique. Les chapitres sont organisés en trois parties évolutives : « Écritures plurielles », « Le système de religion » et « De l’atelier du graveur au cabinet de l’antiquaire ». Le tout sous le titre général : La Plume et le calumet : Joseph-François Lafitau et les « sauvages ameriquains ». Ces divisions – les écritures, la religion et l’iconographie – ordonnent les textes de ces chercheurs de l’oeuvre de Lafitau « qui donna forme à cette Amérique durant les premiers siècles de la découverte » (p. 26) jusqu’à nos jours. On y dévoile l’influence d’un autre jésuite, José de Acosta (xvie siècle), qui a précédé Lafitau d’un siècle, au Pérou. On ne peut pas se perdre dans ce recueil de textes qui présente tous les auteurs dès l’introduction détaillée de Mélanie Lozat (Université Sapienza, Rome) et Sara Petrella (Université de Berne). De plus, un supplément de résumés (p. 283-286) précède la table des matières et celle des illustrations, essentielles pour suivre les récits. Philippe Borgeaud (Université de Genève) met en lumière la méthode d’écriture de l’auteur. Dans « Lafitau écrivain », il dévoile la thèse de départ du missionnaire : Pour comprendre cette similitude, les deux civilisations éloignées décrivent les racines comme des « jambes » qui ressemblent à un « petit-bonhomme ». Ironique ou pas, dans son texte « Lafitau entre l’histoire et la théologie » – qui met aussi en lumière les influences de José de Acosta (xvie siècle) –, Andréas Motsch (Université de Toronto) souligne que Lafitau affirmera plus tard que le ginseng n’est rien d’autre que la mandragore (p. 48). L’enquête sur le Gin-seng, ou Garent-oguen des Iroquois (p. 31), se lit comme un roman. Borgeaud relève une citation qui définit une vérité contemporaine : « Le Commerce des Européens a beaucoup fait perdre aux Sauvages de leurs anciennes Coutumes, et altéré leurs Moeurs. J’examine ici ces Moeurs et ces Coûtumes, telles qu’elles étoient avant leur altération… (Lafitau 1724, t. I : 25-26) », (p. 42). Quant à Motsch, cité plus haut, il se consacre à l’histoire des idées en relevant deux auteurs d’exception : « Georges Tissot est le seul à privilégier la dimension théologico-religieuse des Moeurs et Cari Starkloff s’intéresse à la missiologie, car il considère Lafitau comme un de ses fondateurs. » (p. 45) Les comparaisons soulevées associent les civilisations grecques et autochtones, via les Argonautes, qualifiant même Hercule de « Sauvage » (p. 53). Dans « Histoire sacrée et ethnographie comparative », Joan-Pau Rubiés (ICREA et Universitat Pompeu Fabra de Barcelone) continue dans le même sens. Il explique que l’anthropologie symbolique de la religiosité humaine permettait non seulement de réaffirmer le monogénisme biblique, mais aussi de décoder et d’adapter les preuves de la diversité culturelle à travers le temps et l’espace, en réfutant d’un seul coup les thèses des hérétiques et des sceptiques (p. 78). Le but de Lafitau était de prouver que toutes les civilisations avaient une source commune chez Adam et Ève et, par conséquent, étaient susceptibles de devenir chrétiennes. En plus de s’associer avec les traducteurs anglais de Lafitau, dans « La théorie des Moïses, aux origines du figurisme », Marc Adam Kolakowski, de l’Université de Lausanne, a la lourde tâche de simplifier la complexité de l’émergence des anthropologues des décennies 1960-1970. Ce retour aux sources l’amène au précurseur des études iroquoiennes Demonstratio evangelica, de Huet …
La Plume et le calumet : Joseph-François Lafitau et les « sauvages ameriquains », Mélanie Lozat et Sara Petrella (dir.). Paris : Classiques Garnier, 2019, 296 p.[Notice]
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Denis Boivin
Doctorant en sciences des religions, Université Laval