Témoignages

Jean-Guy Goulet et l’analyse componentielle : une brève histoire[Notice]

  • Benson Saler

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  • Benson Saler, †
    Professeur émérite, Département d’anthropologie, Brandeis University, Waltham

  • Traduit de l’anglais par
    Mieko Tarrius

Il y a quelques années, j’échangeais avec un anthropologue distingué sur un nombre de considérations anthropologiques. En discutant de l’analyse componentielle, mon interlocuteur crut – à tort – que je reconnaissais Ward Goodenough, ancien étudiant de second cycle en anthropologie à Yale et l’un de mes professeurs aux études supérieures à l’Université de Pennsylvanie, comme étant l’« inventeur » de l’analyse componentielle. Bien qu’on ne puisse ignorer l’importante contribution de Goodenough au développement de l’analyse componentielle, il semble saugrenu de proclamer que celui-ci l’ait « inventée ». Personne en particulier ne l’a inventée, mais un certain nombre de personnes très brillantes ont entretenu de grands espoirs à son sujet. L’analyse componentielle est une forme d’analyse sémantique, une analyse du sens. En tant que telle, elle comprend des formes plus larges et inclusives d’analyse sémantique que la seule considération des liens de parenté, une forme analytique plus largement connue sous le nom d’« analyse formelle ». L’analyse componentielle s’intéresse à un type particulier du sens, un sens intensionnel ou définitionnel dont les termes représentent des propriétés ou concepts plutôt que des objets possédant des propriétés. S’intéressant à la manière dont les populations autochtones utilisent la langue, l’analyse componentielle nous informe sur le monde des Premières Nations, non seulement sur le domaine de la parenté, mais également sur d’autres domaines lexicaux. Dans un de ses tout premiers articles célèbres, Robbins Burling (1964) nous rappelle que l’analyse componentielle s’applique typiquement à un ensemble de termes qui forment un domaine lexical culturellement pertinent. Une telle application procède par la reconnaissance des distinctions sémantiques ou des « composants » (les valeurs des variables) qui ordonnent les termes de l’ensemble en sous-ensembles distincts : chaque élément se distingue ainsi de tous les autres selon au moins un composant. Les sous-ensembles précités peuvent être constitués de diverses manières. C’est une caractéristique que Burling et nombre de scientifiques ne perçoivent pas d’un bon oeil, puisqu’elle ouvre la voie à de possibles solutions alternatives et augmente de ce fait les risques d’incertitude. Si, pour certains, cet attribut était suffisant pour balayer l’attrait de l’analyse componentielle, Harold W. Scheffler – qui a supervisé la thèse de doctorat de Jean-Guy Goulet sur l’étude des liens de parenté et de l’organisation sociale wayuus (Goulet 1978) – fait figure d’exception. Scheffler et Lounsbury (1972) ont consacré beaucoup d’efforts à analyser l’organisation sociale siriono dans leur livre intitulé: A Study in Structural Semantics: The Siriono Kinship System. Scheffler, qui contribua grandement à l’analyse détaillée de la parenté, soutient que les réserves soulevées par Burling et d’autres au sujet des interprétations multiples et probables imprécisions ne s’appliquent pas au cas Siriono. Alors que le présent essai ne cherche pas à faire l’apologie de l’analyse componentielle, la réflexion qui suit cherche à enrichir notre compréhension de certains de ses praticiens. Une des découvertes anthropologiques les plus fascinantes du xixe siècle fut celle des différents systèmes terminologiques de parenté. Alors que la parenté est universelle, les distributions effectives des termes diffèrent selon les populations humaines à travers le monde. Six types majeurs de systèmes ont été découverts, explorés et nommés : Eskimo, Hawaïen, Iroquois, Crow, Omaha et Soudanais. Les types Crow et Omaha sont des images virtuelles en miroir l’un de l’autre et nous intéresserons plus particulièrement dans cet essai. Comme le soulignait Dwight Read, « les terminologies crows-omahas ont longtemps été, et sont encore, problématiques pour des raisons tant théoriques qu’empiriques » (Read 2018 : 1). En effet, dans son effort pour comprendre certaines complexités et subtilités de la parenté au sein des communautés wayuus – une population de type crow localisée au nord …

Parties annexes