On ne peut qu’accueillir à bras ouverts un livre qui dénonce le colonialisme du système judiciaire canadien et vulgarise le racisme systémique pour le grand public. L’ouvrage Une justice coloniale. Le système juridique canadien et les Autochtones représente un témoignage de première main de la part d’un acteur judiciaire. Son auteur, Pierre Rousseau, a été aux premières loges du développement du système judiciaire en Arctique, d’abord en tant que représentant du ministère de la Justice dans le Nord-du-Québec vers 1987 et 1988, puis procureur fédéral à Iqaluit entre 1989 et 1992, directeur du bureau régional des Territoires du Nord-Ouest à Yellowknife entre 1992 et 1998 et à Whitehorse entre 1999 et 2002 et, enfin, responsable de la Stratégie de la justice applicable aux Autochtones (SJA) pour la Colombie-Britannique et le Yukon entre 2002 et 2007. Dans cette optique, le livre s’inscrit dans une littérature récente émanant autant des acteurs judiciaires (Morin 2017) que des membres des Premières Nations et des Inuit (Hervé etal. 2019 ; Brassard et Spielvogel 2018) pour dénoncer et réformer le système judiciaire. Dans cet ouvrage, Pierre Rousseau puise dans les nombreux exemples de cas judiciarisés qu’il a rencontrés au cours de sa carrière pour mettre en lumière le colonialisme inhérent au système judiciaire et le paternalisme dont font souvent preuve ses représentants, et ce, malgré toutes leurs bonnes intentions. Rousseau montre que le statu quo est intolérable : une décolonisation profonde de la justice et, par-delà celle-ci, de l’ensemble de la société et de ses institutions doit être entreprise de toute urgence au Canada. Pour en venir à cette conclusion, le lecteur est invité à se pencher sur le fonctionnement concret des cours itinérantes (qui se rendent chaque année résoudre des litiges juridiques dans l’Arctique canadien) et des tribunaux de première instance exerçant leur compétence en matière civile, criminelle et pénale ainsi que dans les matières relatives à la jeunesse. Les exemples de judiciarisation, étalés sur plusieurs années et tirés de nombreux contextes, mettent en évidence l’énorme fossé entre le système judiciaire canadien et les peuples autochtones. Pour ce faire, l’ouvrage pose quatre questions principales, qui forment autant de chapitres. La première question est fondamentale : pourquoi le système judiciaire est-il un échec envers les populations autochtones ? Sur la base de nombreux exemples, Rousseau soutient que le système d’accusation prévu par le droit pénal est inadapté aux cultures autochtones. Celles-ci privilégient davantage le maintien de l’harmonie relationnelle globale au sein du groupe plutôt que la désignation (et la punition) d’un coupable. Autrement dit, selon l’auteur, le processus accusatoire du système pénal participe à l’érosion du tissu social communautaire. Par exemple, les membres de la communauté sont réticents à témoigner : non seulement les officiers de la Cour sont des « étrangers » ne parlant pas leur langue, mais l’acte de dénonciation lui-même a des conséquences graves au sein de communautés humaines restreintes où les membres se connaissent et sont interdépendants les uns des autres. Plus encore, les retombées du système pénal apparaissent comme peu constructives : les statistiques démontrent que les peines d’incarcération encouragent la récidive. Enfin, les coupes budgétaires, les délais interminables, les défis de la traduction et de la médiation interculturelle, les stéréotypes tenaces et le racisme endémique nuisent au fonctionnement du système judiciaire et reproduisent même, dans une certaine mesure, une violence coloniale historique à l’égard des peuples autochtones. Dans ce contexte, comment gérer la crise du système judiciaire ? C’est à cette question que s’attarde le second chapitre de l’ouvrage. L’auteur y expose la stratégie d’« autochtonisation » du système judiciaire, défini comme étant la tentative de « constituer des …
Parties annexes
Ouvrages cités
- BRASSARD, Renée, et Myriam SPIELVOGEL, 2018 : Espoirs à l’épreuve de la souffrance. Paroles d’hommes autochtones sur la violence conjugale et familiale. Presses de l’Université du Québec, Québec.
- BURROWS, John, 2006 : Les traditions juridiques autochtones au Canada. Commission du droit au Canada, Ottawa.
- CHARTRAND, Larry, et Kanatase HORN, 2016 : A Report on the Relationship between Restorative Justice and Indigenous Legal Traditions in Canada. Ministère de la Justice du Canada, Ottawa.
- GRAY, Barbara, et Pat LANDERDALE, 2007 : « The Great Circle of Justice: North American Indigenous Justice and Contemporary Restoration Programs ». Contemporary Justice Review 10(2) : 215-225.
- HERVÉ, Caroline, et al. 2019 : Les femmes inuit oeuvrant au sein des services de justice au Nunavik. Université Laval, Chaire de recherche Sentinelle Nord sur les relations avec les sociétés inuit, Québec.
- HERVÉ, Caroline, (dir.), 2003 : Justice réparatrice et médiation pénale – convergences ou divergences ? Éditions de l’Harmattan, Paris.
- MILWARD, David, 2012 : Aboriginal Justice and the Charter: Realizing a Culturally Sensitive Interpretation of Legal Rights. UBC Press, Vancouver.
- Morin, René, 2017 : La construction du droit des Autochtones par la Cour suprême du Canada : témoignage d’un plaideur. Septentrion, Québec.
- NAPOLEAN, Val, et Hadley FRIEDLAND, 2014 : « Indigenous Legal Traditions: Roots to Renaissance », in Markus D. Dubber et Tatjana Hörnle (dir), The Oxford Handbook of Criminal Law : 225-247. Oxford University Press, Oxford.
- QILUQQI Koperqualuk, Lisa, 2015 : Les traditions liées au droit coutumier au Nunavik. Publications Nunavik.
- SYLVESTRE, Marie-Eve, et al., 2017 : Premier rapport d’intégration – Renforcer la gouvernance atikamekw : vers un modèle atikamekw de prise en charge des conflits et problèmes liés à la violence conjugale et à la protection de la jeunesse. Projet Légitimus, Université d’Ottawa, Ottawa.