Comptes rendus

Peau rouge, masques blancs. Contre la politique coloniale de la reconnaissance, Glen Sean Coulthard. Lux éditeur, Montréal, 2018, 368 p.[Notice]

  • Émile Duchesne

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  • Émile Duchesne
    Département d’anthropologie, Université de Montréal

En reprenant le titre et les arguments du célèbre ouvrage de Frantz Fanon Peau noire, masques blancs, Glen Sean Coulthard propose une critique de la politique de la reconnaissance des peuples autochtones telle que formulée par des chercheurs de tendance libérale et par l’État canadien. Pour Coulthard, professeur de sciences politiques à l’Université de la Colombie-Britannique et membre de la nation dénée, les politiques de reconnaissance et de réconciliation de l’État ne font que consolider le pouvoir colonial du gouvernement canadien. À cette politique coloniale, l’auteur oppose sa vision de l’émancipation des Premières Nations, basée sur l’auto-reconnaissance et la résurgence des pratiques culturelles autochtones. L’ouvrage est donc essentiellement un traité de théorie politique critique. Par politique de la reconnaissance, Coulthard fait référence à tout l’éventail de modèles de pluralisme libéral basé sur le concept hégélien de reconnaissance et qui « cherchent à “réconcilier” les revendications de statut de nation autochtone avec la souveraineté de l’État colonial en accommodant certaines demandes identitaires faites par les Autochtones grâce à un renouvellement des relations juridiques et politiques avec le gouvernement canadien (p. 17) ». La critique proposée dans Peau rouge, masques blancs est basée sur l’apport de deux auteurs : Frantz Fanon et Karl Marx. Coulthard actualise de façon critique le concept d’accumulation primitive que Marx a initialement proposé dans Le capital. Pour Coulthard, c’est « l’histoire et l’expérience de la dépossession [...] qui ont constitué la structure dominante ayant façonné la relation historique entre les peuples autochtones et l’État canadien » (p. 33). Par contre, il soutient que la dépossession territoriale des autochtones s’est produite en conjonction avec d’autres types d’exploitation comme le patriarcat et le racisme, ce qui rapproche Coulthard des penseurs de l’intersectionnalité. Avant de s’engager avec les écrits de Fanon, Coulthard propose une généalogie de la politique de la reconnaissance en contexte canadien. Les racines philosophiques de cette politique remontent aux écrits de Hegel sur la dialectique du maître et de l’esclave dans Phénoménologie de l’esprit. Pour Hegel, la réalisation de soi en tant qu’agent autodéterminé ne peut se réaliser que dans un contexte intersubjectif : dans la dialectique hégélienne, « le désir du maître d’être reconnu comme “être pour-soi” est entravé par le fait qu’il est seulement reconnu par la conscience inessentielle et dépendante de l’esclave » (p. 57). Dans le paradigme hégélien, le maître ne peut réaliser son autodétermination que si l’esclave peut le reconnaître comme agent autodéterminé en formant lui-même sa propre autodétermination. Coulthard explique que ce paradigme hégélien a été repris par de nombreux penseurs libéraux qui ont proposé un modèle prescriptif pour encadrer les relations entre l’État canadien et les Autochtones. L’auteur critique la proposition de Charles Taylor (1994) voulant que l’État devrait reconnaître et accommoder certaines revendications des peuples autochtones sans abandonner son engagement envers sa charte des droits et libertés. Aux yeux de Coulthard, en se faisant l’arbitre des revendications autochtones et en accommodant les autochtones selon son bon vouloir, l’État ne fait que réactualiser sa composante coloniale. Par le fait même, l’auteur reprend plusieurs arguments de Frantz Fanon selon lesquels, sans une lutte des colonisés, la simple transformation des structures sociales ne garantit pas la transformation de la conscience des opprimés. « Sans conflit ni lutte, les termes de la reconnaissance sont susceptibles d’être définis par ceux qui ont le pouvoir de l’octroyer », écrit Coulthard (p. 75). Coulthard et Fanon soutiennent donc que le conflit est une partie essentielle de la dialectique de la reconnaissance. L’autodétermination et la conscience de soi ne peut être accordée : elle doit faire l’objet d’un processus d’auto-reconnaissance de l’opprimé qui passe …

Parties annexes