La démarche ethnohistorique que propose Leila Inksetter dans cet ouvrage tiré de sa thèse de doctorat en fait une contribution fort stimulante à l’histoire autochtone au Québec. L’auteure y trace les contours de la transformation des structures sociales algonquines en Abitibi et au Témiscamingue au cours du xixe siècle, une période marquée par de profonds changements aussi bien aux niveaux social et spirituel que dans les sphères de la culture matérielle, de l’occupation du territoire et de l’environnement. Les quatre chapitres thématiques consacrés au mode de vie algonquin au début du xixe siècle, au rapport avec la traite des fourrures, à l’intégration du catholicisme, ainsi qu’à la colonisation du territoire et la rencontre avec l’État, suivent une logique chronologique qui conduit le lecteur jusqu’à l’aube du xxe siècle. Au fil de ce parcours narré dans un style sobre et soigné, Inksetter accumule les démonstrations suggérant que, loin d’être une expérience désastreuse pour les populations algonquines, la rencontre initiale avec la société coloniale (marchands, missionnaires et travailleurs saisonniers) donne lieu à une série d’initiatives et d’adaptations qui s’avèrent largement bénéfiques. De prime abord, mentionnons que l’incursion de l’auteure dans le champ de l’histoire environnementale apporte une profondeur d’analyse particulièrement féconde. En soulignant que l’offre nutritionnelle sur le territoire à l’étude au début du xixe siècle est essentiellement constituée de petit gibier, l’auteure démontre de manière convaincante comment l’organisation sociale et l’occupation du territoire par les Algonquins sont modelées par ces contraintes. La nature cyclique de l’approvisionnement en nourriture, la nécessité de se déplacer sur le territoire de manière quasi permanente, ainsi que la difficulté d’accumuler des réserves, ont alors pour conséquence de limiter la croissance démographique et de maintenir la structure sociale centrée sur la cellule familiale associée à un territoire de chasse. Dans ces circonstances, le concept de bande autochtone tel qu’il émerge à la fin du xixe siècle est inexistant, les modes d’exploitation du territoire ne favorisant pas ce type d’organisation sociale. Ce n’est qu’avec la nouvelle capacité de dégager des surplus alimentaires qui se manifeste dans la seconde moitié du siècle grâce à la migration de l’orignal dans la région, à l’accès à la nourriture importée à travers la traite des fourrures et le travail salarié occasionnel, ainsi qu’à une horticulture saisonnière, que se mettent en place les facteurs permettant l’émergence de bandes où le chef devient un acteur politique d’importance. Une fois les conditions réunies, encore faut-il que des éléments déclencheurs contribuent à amorcer la reconfiguration de l’ordre social et des formes d’occupation du territoire. En étudiant de manière minutieuse les répercussions de l’implantation des postes de traite sur le territoire, de l’entreprise missionnaire, de même que de l’essor de la foresterie dans la région, l’auteure démontre avec finesse comment l’organisation sociale algonquine se transforme afin de tirer profit des nouvelles possibilités qu’engendre la diversification de l’économie locale. Une fois le monopole de la traite des fourrures consolidé sous l’égide de la Compagnie de la Baie d’Hudson, ces postes de traite sont devenus des lieux d’échange et des points de contact donnant lieu à des rassemblements de courte durée. Ce processus de convergence amorcé à la fin des années 1820 prend une nouvelle ampleur dès lors que l’établissement de missions à proximité a contribué à augmenter le pouvoir d’attraction de ces nouveaux espaces communs. Dans les décennies subséquentes, l’effort des missionnaires pour l’évangélisation des Algonquins augmente le pouvoir d’attraction des postes de traite où les séjours sont de plus en plus longs. C’est que la présence saisonnière des missionnaires donne une nouvelle signification rituelle à cet espace de rencontre. On note par …
Initiatives et adaptations algonquines au xixe siècle, Leila Inksetter. Septentrion, Québec, 2017, 520 p.[Notice]
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Mathieu Arsenault
Département d’histoire, Université York, Toronto