Roland Viau, anciennement enseignant-chercheur au département d’anthropologie de l’Université de Montréal, publie en 2015 Amerindia : essais d’ethnohistoire autochtone. Lauréat du Prix du Gouverneur général pour la deuxième fois en 2016 dans la catégorie essai (son livre Enfants du néant et mangeurs d’âmes – Guerre, culture et société en Iroquoisie ancienne lui avait valu un premier prix en 1997), il ouvre ici la voie à de nouvelles réflexions quant à l’histoire pré- et post-contact entre les Premières Nations et le Régime français. Spécialiste de l’Iroquoisie et de l’Algonquinie, il nous livre un bilan de ses recherches sous forme d’essais qu’il dédie à son directeur de maîtrise et de doctorat, le professeur Norman Clermont. L’auteur, qui se décrit lui-même comme étant à la fois « anthropologue par formation, amérindianiste par choix et historien par méthode » (p. 165), présente ici dix essais, dont sept sont inédits. Fruit d’un travail de recherche interdisciplinaire, Amerindia explore les possibilités qu’offre l’ethnohistoire comme méthode de recherche et de croisement des sources afin de proposer un « réquisitoire contre le partage des savoirs » (p. 21). Endossant, dans un premier temps, l’étiquette de l’enseignant pour ensuite adopter celle du chercheur, cet ouvrage se découpe en trois parties non linéaires portant sur la méthodologie de l’ethnohistoire, sur l’approfondissement de certaines thématiques et différents moments de l’histoire des familles iroquoises et algonquiennes de la période de contact jusqu’à nos jours, ainsi que sur le concept de relativisme culturel de Claude Lévi-Strauss et l’idée de progrès occidental. L’objectif de l’auteur est double : démontrer les liens qui unissent l’anthropologie et l’histoire – et plus spécifiquement toutes les disciplines des sciences humaines entres elles – afin de comprendre un phénomène humain dans sa complexité, et réfléchir au statut et à l’utilisation des sources qui évoluent à la fois dans le temps et dans l’espace selon ceux qui s’y réfèrent. Viau tente finalement de rééquilibrer le discours et l’historiographie de la période des contacts en incluant le point de vue autochtone grâce à une multitude de sources considérées comme autant de documents historiques. Les deux visions du monde, mises l’une en face de l’autre, se confrontent, se contredisent parfois, mais surtout s’alimentent et offrent une nouvelle dimension aux échanges survenus entre les nations autochtones et les colons, puis leurs descendants. Comme le rappelle dans sa préface Gilles Bibeau, professeur émérite à l’Université de Montréal, Roland Viau est finalement l’un des défenseurs de la world history ou histoire globale, par la tentative d’une écriture de l’histoire décentrée grâce aux points de vue apportés, aux locuteurs retenus et aux discours construits. L’ouvrage, découpé en dix chapitres, aborde plusieurs thématiques. En guise de premier essai, Roland Viau propose une réflexion fort bien étayée sur l’utilité de l’ethnohistoire comme moyen de confronter tout type de source. Présentant la discipline, il revient sur les débats entourant la méthodologie en discutant notamment de la vision de l’anthropologue Bruce Trigger. Cette démonstration des possibilités qu’offre l’ethnohistoire aux chercheurs pour interpréter l’histoire et se rapprocher le plus possible de la complexité d’une situation étudiée – qu’elle soit lointaine ou plus contemporaine – lui permet aussi de justifier son projet. Selon lui, l’ethnohistoire n’est d’ailleurs pas l’apanage des études autochtones, mais sert également à l’étude d’autres groupes culturels ou sociaux laissés pour compte et dont la documentation peut être lacunaire. Tous les types de sources, qu’elles soient écrites, orales, iconographiques, matérielles ou même naturelles, ont donc un potentiel historique et herméneutique qu’il importe d’utiliser, de critiquer et même de nuancer. Ce premier chapitre, sorte de manuel méthodologique, permet à quiconque de comprendre la démarche employée et de l’appliquer à …
Amerindia : essais d’ethnohistoire autochtone, Roland Viau. Les Presses de l’Université de Montréal, Montréal, 2015, 247 p.[Notice]
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Marie-Charlotte Franco
Candidate au doctorat en muséologie, médiation et patrimoine, Université du Québec à Montréal