IntroductionLes petites bêtes dans l’histoire et les cosmologies amérindiennes[Notice]

  • Frédéric Laugrand et
  • Denys Delâge

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  • Frédéric Laugrand
    Université Laval, Québec

  • Denys Delâge
    Université Laval, Québec

Depuis les travaux pionniers d’Alanson Skinner (1910) sur l’usage des insectes par les Amérindiens, de Nordenskjold (1929) sur l’apiculture amérindienne, de L. Wyman et F. Baily sur l’ethnoentomologie des Navahos (1964), de Darrell Posey (1978, 1979, 1981, 1983, 2003) sur l’entomologie des Indiens d’Amazonie et de Claude Lévi-Strauss qui s’y est abondamment intéressé à partir des mythes, ainsi que du recueil de E. Motte-Florac et J. Thomas (2003) sur les insectes dans la tradition orale, les petites bêtes des Amériques ont reçu relativement peu d’attention de la part des chercheurs en sciences humaines et sociales. Contrairement à d’autres régions du monde comme l’Afrique ou l’Asie où l’anthropologie accorde plus d’importance à ces bestioles et à leurs usages multiples (cf. Morris 2004, 2008 ; Césard 2012 ; Bondaz 2013 ; Raffles 2001, 2010, 2014 ; Rennesson et al. 2011, 2012a et 2012b), ou encore à l’Europe où l’abeille a donné lieu à de multiples travaux (Tétart 2004 ; Tavoilot 2015), le Nouveau Monde demeure un parent pauvre en la matière (voir Kevan 1979 et Kritsky et Cherry 2000, pour un premier regard comparatif). Selon les spécialistes, il existerait pourtant en Amérique du Nord près de 90 000 espèces différentes d’insectes réparties dans 28 ordres et 600 familles. Et ces chiffres devraient être revus à la hausse si l’on raisonne en termes d’arthropodes ou d’invertébrés. Pour le présent numéro, nous avons choisi le terme de « petites bêtes » afin d’embrasser toute une série d’invertébrés dont parlent les traditions amérindiennes et inuites des Amériques. La notion d’« insecte » (bug, en anglais), on le verra tout au long du numéro, paraît en effet pratique mais un peu problématique, dans la mesure où les Amérindiens et les Inuits raisonnent en d’autres termes pour d’autres catégories. Dans ce numéro, l’article de Marie-Françoise Guédon montre comment les langues athapascannes subarctiques n’ont pas vraiment d’équivalent linguistique pour traduire la notion d’insecte, le terme le plus proche étant probablement celui de Gguux qui embrasse pourtant un monde beaucoup plus large puisqu’il inclut des vers, des vermisseaux, mais aussi des dragons et des fantômes. Rappelons que dans la classification linnéenne et dans le langage commun, les insectes renvoient à une classe d’invertébrés qui sont dotés de six pattes, d’un corps segmenté, d’antennes et d’une paire d’yeux. De ce point de vue, avec leurs huit pattes les araignées ne sont pas des insectes, pas plus que les scorpions et les acariens. Or, les autochtones – tout comme les contributions de ce numéro – abordent aussi bien les araignées que bien d’autres petites bestioles associées à des esprits. Le choix du terme de petites bêtes est loin de résoudre tous les problèmes dans la mesure où les autochtones des Amériques, comme l’indique déjà Rémi Savard (2004 : 118) à propos du barbeau géant des Innus, Uteshkan-manitush, ou encore M.-F. Guédon à propos des Athapascans, placent souvent des animaux géants parmi les « petites bêtes » ! En revanche, ces variations d’échelle s’appréhendent bien à la lumière de l’animisme (Descola 2005) et du perspectivisme autochtone (Viveiros de Castro 1998). Les petites bêtes occupent une place importante dans les traditions autochtones des Amériques et ce, dans plusieurs registres. Dans certaines régions, comme en Arctique, l’épouillage était une véritable institution, un prétexte à l’approche amoureuse (Saladin d’Anglure 2006 : 358). Les insectes jouent d’ailleurs depuis longtemps un rôle dans ce domaine. En Mésoamérique, il suffit de rappeler l’usage par les Aztèques de certaines coccinelles aphrodisiaques (Elferink 2000 : 30) ou encore le mythe du Makech des Mayas. Selon une variante de ce récit, la princesse Cuzam qui vivait à Yaxchilan, fut …

Parties annexes