Corps de l’article

Il est beaucoup question du Plan Nord dans les médias écrits depuis que Jean Charest en a lancé l’idée devant le Conseil général du Parti libéral, le 28 septembre 2008, mais surtout depuis qu’il en a « dévoilé » le contenu, en tant que premier ministre, le 9 mai 2011. Les informations diffusées sont essentiellement à saveur économique. Il est fait mention également de la teneur politique d’un « plan » que beaucoup ont jugé mal ficelé et risquant somme toute d’être peu rentable et même nocif pour le Québec bien que d’autres l’aient appuyé avec l’empressement de l’espoir. Pratiquement rien, par contre, sur les impacts sociaux à attendre d’un développement dont, outre diverses autres considérations, le rythme risque de bousculer les populations locales…

Mais la question posée ici concerne l’opinion des membres des Premières Nations et des Inuits sur ce projet ou, plus précisément, l’image que les médias écrits renvoient de cette opinion. Pour y répondre, ont été réunis les quelque 170 numéros de la revue de presse La Chaîne d’alliance[1] dans lesquels on peut trouver les articles parus entre la fin de septembre 2008 et la fin de décembre 2011. De ce matériel, il a fallu extraire ce qui traite du Plan Nord[2] et ensuite identifier tout ce qui mentionne, cite, dépeint les réactions des Autochtones concernés par ce projet.

Outre les Inuits, cinq nations sont concernées par le Plan Nord : les Cris, les Naskapis, les Innus, les Algonquins et les Atikamekws[3]. Les Cris, les Inuits et les Naskapis, qui ont signé des conventions avec les gouvernements du Québec et du Canada[4], sont dans une situation particulière par rapport aux Innus, aux Atikamekws et aux Algonquins qui tentent toujours de faire reconnaître leurs droits ancestraux, dont le titre sur leurs terres[5]. Autre différence majeure : le gouvernement du Québec ne prend pas en considération les Algonquins et les Atikamekws, dont au moins deux communautés, Pikogan pour les premiers et Opitciwan (parfois écrit Obedjiwan) pour les seconds, détiennent pourtant des territoires au nord du 49e parallèle[6]. Il s’ensuit que les médias n’accordent pratiquement pas d’attention à ces deux nations. Il faut dire qu’ils n’en accordent pas non plus aux Naskapis et presque pas aux Inuits, du moins pour ce qui est des réactions de ces derniers au Plan Nord.

La presse écrite s’intéresse donc essentiellement aux commentaires des Cris et des Innus ainsi qu’à ceux de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador (APNQL), ou plus exactement de son chef, Ghislain Picard.

Le texte qui suit examinera donc ce qui ressort, dans les journaux, des opinions d’abord de l’APNQL, puis de ceux qui ont signé des conventions dans les années 1970 (Cris, Inuits, Naskapis) et enfin de ceux dont les droits n’ont pas encore été dûment reconnus (Innus, Algonquins, Atikamekws). Afin d’aider le lecteur à s’y retrouver, dans chaque cas les informations sont fournies en ordre chronologique et le lecteur est invité à consulter la brève chronologie jointe à ce texte.

L’APNQL

Dès le lendemain de l’annonce du Plan Nord par Jean Charest, l’APNQL émet un communiqué dans lequel son chef, Ghislain Picard, prévient que les Premières Nations sont incontournables et déclare :

« Le Plan Nord doit marquer la fin de la politique d’exclusion que les gouvernements du Canada et du Québec imposent aux Premières Nations, exclusion de la gouvernance du territoire, exclusion du développement économique, exclusion du pacte de l’emploi, etc. Jean Charest a ici une chance de se démarquer, de joindre le geste à la parole, de mettre fin à l’attitude colonialiste qui prévaut dans la relation avec les Premières Nations. »

Secrétariat de l’APNQL, Wendake, 29 septembre 2008

Un mois plus tard, à l’occasion de la Commission parlementaire sur le nouveau régime forestier, Ghislain Picard, accompagné de plusieurs chefs, affirme que le gouvernement Charest ne pourra pas lancer son Plan Nord en contournant une nouvelle fois les droits des Autochtones. « On parle à des gens qui n’écoutent pas. Ça fait dix ans qu’on répète le même message… », s’indigne-t-il (Jean-François Cliche, Le Soleil, 23 octobre 2008 : 23).

Fin novembre, le Québec est en pleine campagne électorale. Jean Charest ne cesse de parler de son « Plan Nord ». En conférence de presse, Ghislain Picard, de nouveau accompagné des chefs de plusieurs communautés autochtones, déplore le fait que « Jean Charest continue d’annoncer son Plan Nord sans tenir compte de ce que nous avons dit, sans comprendre que le territoire est le nôtre » (La Presse canadienne in le Quotidien, 28 novembre 2008 : 13). L’APNQL, qui vient de tenir une réunion au cours de laquelle les chefs ont « fait le bilan de leur relation avec les gouvernements », déclare que « L’heure est venue pour les Premières Nations d’enclencher un processus d’affirmation unilatéral de leur souveraineté sur le territoire » (Secrétariat de l’APNQL, Wendake, communiqués et déclaration, 27 novembre 2008).

Début décembre, commentant les lacunes de la consultation du gouvernement sur le Plan Nord, Ghislain Picard explique à un journaliste de La Presse :

« Le Plan Nord est un exemple de l’indifférence de nos gouvernements à l’égard de ce que nous représentons. Il y a peut-être des nations qui ont été consultées, d’autres non. Moi j’ai rencontré M. Létourneau [Michel Létourneau, délégué par Jean Charest avec Pierre Corbeil pour lancer une consultation qui n’a pas bien tourné – S.V.], mais sans aucun document. Ensuite, on a eu droit au même discours de la part de M. Charest : “c’est notre territoire, c’est nos richesses”. On va de l’avant avec un projet comme le Plan Nord qui concerne le développement d’un territoire sur lequel les premières nations ont des droits. »

propos rapportés par Charles Côté, La Presse, 3 décembre 2008 : A31

Le 11 mars 2009, dès que Jean Charest, dans son discours inaugural à la nouvelle session parlementaire, annonce la mise en oeuvre du Plan Nord, l’APNQL émet un communiqué dans lequel Ghislain Picard rappelle que les Premières Nations n’ont toujours pas été consultées et que le Premier ministre n’a toujours pas expliqué comment il compte reconnaître leurs droits sur le territoire et sur ses ressources.

« En tant que peuples et nations distinctes, nous possédons le droit à l’autodétermination, incluant le droit inhérent à l’autonomie gouvernementale. Nous sommes fermement décidés à exercer ces droits et à entrer, avec les gouvernements du Québec et du Canada, dans une nouvelle relation de type Nation à Nation. […] Le premier ministre doit en prendre acte et éviter de créer des tensions inutiles en voulant minimiser nos droits sur les territoires concernés par le Plan Nord. »

Secrétariat de l’APNQL, Wendake, communiqué, 11 mars 2009

Le jour où Jean Charest lance officiellement les travaux du projet hydroélectrique de la rivière Romaine (13 mai 2009), l’APNQL rappelle que ce projet est situé en territoire innu, « un territoire, précise Ghislain Picard, sur lequel il existe toujours un titre aborigène et des droits ancestraux » si bien que ni Hydro-Québec ni les gouvernements ne peuvent prétendre le posséder clairement et exclusivement (Secrétariat de l’APNQL, Wendake, communiqué, 13 mai 2009). Puis, le 28 mai, Ghislain Picard adresse une lettre au premier ministre du Québec, lettre qui est publiée dans La Presse et dans laquelle il exprime sa « déception » et sa « colère » face aux projets hydroélectriques du gouvernement sur la Côte-Nord, colère qu’il sait d’ailleurs « partagée par plusieurs » :

Le territoire sur lequel vous comptez développer vos projets de barrages hydroélectriques se nomme Nitassinan ; il s’agit du territoire ancestral de la nation innue qui y détient, que cela vous plaise ou non, des droits ainsi qu’un titre aborigène conférant un droit au territoire lui-même.

De plus, les Innus n’ont jamais été conquis, ils n’ont jamais cédé leurs territoires et, surtout, n’ont jamais abdiqué leur souveraineté sur ces territoires. Malgré des discussions et des négociations qui durent depuis plus de 30 ans pour la conclusion d’un traité, les gouvernements continuent d’agir sur ce territoire comme si les droits des Innus n’existaient pas. C’est là une grave erreur et une immense injustice.

Ghislain Picard, La Presse, 28 mai 2009 : A25

Le 6 novembre 2009, l’APNQL réagit à la convocation, par Mme Normandeau, de la « Table des partenaires du Plan Nord ». Considérant que le gouvernement ne respecte toujours pas les droits et titres des Premières Nations, Ghislain Picard appuie les chefs de l’Alliance stratégique innue qui boycottent la rencontre (voir, plus bas, la section sur les Innus). Par ailleurs, il a envoyé une lettre au premier ministre du Canada dans laquelle il reproche au gouvernement fédéral de laisser le Québec « bafouer les droits ancestraux et issus de traités historiques et modernes des Premières Nations, et bafouer les décisions de la Cour suprême en matière de consultation et d’accommodement » (Secrétariat de l’APNQL, Wendake, communiqué, 6 novembre 2009). Puis, lors de la conférence de presse tenue le lendemain par les cinq chefs de l’Alliance stratégique innue, Ghislain Picard répète que les communautés autochtones ne sont pas des municipalités et affirme : « Nos relations [avec le Québec] doivent être de nation à nation. Sans nous, le Plan Nord est un plan mort » (propos rapportés par Denis Lessard, La Presse, 7 novembre 2009 : A10). Plus tard, dans une libre opinion publiée dans Le Devoir, Ghislain Picard expliquera pourquoi, malgré l’invitation qu’elle a reçue (tout juste trois jours avant l’événement), l’APNQL a choisi de ne pas se présenter à la Table des partenaires du Plan Nord. Sa décision, écrit M. Picard, a été en partie fondée sur un principe approuvé par tous et qui est que « tout partenariat avec les gouvernements non autochtones doit être fondé sur les principes d’égalité et du consentement libre et éclairé des peuples autochtones » (Ghislain Picard, Le Devoir, 21 et 22 novembre 2009 : C4).

Le 9 mai 2011, alors que plus de deux ans et demi après avoir annoncé son « Plan Nord », le premier ministre du Québec s’apprête à en « dévoiler » enfin le contenu, le chef de l’APNQL annonce qu’il ne participera pas à l’événement. En effet, le gouvernement continue à ignorer les Premières Nations concernées et ce, malgré la Constitution canadienne, malgré les jugements de la Cour suprême du Canada et malgré la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, autant de textes et d’instances qui obligent les gouvernements à consulter les Premières Nations et à en venir à des ententes avec elles lorsque des projets risquent d’affecter leurs terres. Le chef de l’APNQL rappelle également les promesses non tenues de Jean Charest qui s’était pourtant engagé (en 2003 et en 2006) à discuter avec les Premières Nations de leurs droits sur le territoire et à les respecter. Moyennant quoi,

« Le gouvernement du Québec a non seulement l’obligation de tenir compte des droits de toutes les Premières Nations concernées par le Plan Nord, mais il a aussi la responsabilité d’engager un dialogue véritable avec toutes les Premières Nations du Québec, notamment sur les sujets [du] partage des richesses, [de la] cogestion et [des] redevances. »

Secrétariat de l’APNQL, Wendake, communiqué, 9 mai 2011

Fin juin – début juillet 2011, Jean Charest est en Europe pour convaincre parlementaires et investisseurs de l’intérêt du Plan Nord et du fait qu’il « sera respectueux de l’environnement et des cultures des peuples autochtones » (Christian Rioux, Le Devoir, 30 juin 2011 : A4). En conférence de presse, le premier ministre du Québec affirme que « 90 % des nations autochtones qui vivent sur le territoire du Plan Nord appuient formellement le plan » (ibid.). Le chef de l’APNQL réplique aussitôt : « Alors que la majorité des communautés concernées par ce projet n’ont toujours pas été véritablement consultées, il semble que la priorité est actuellement de séduire les investisseurs et non les Premières Nations ! » « Pourtant, dit Ghislain Picard, un plan de développement concerté et inclusif serait le bienvenu » (Secrétariat de l’APNQL, Wendake, communiqué, 30 juin 2011). Puis, après avoir rappelé l’obligation, pour le gouvernement, de consulter et d’accommoder toutes les Premières Nations concernées, et faisant référence aux barricades dressées sur la route 138 par les Innus de Pessamit, il ajoute : « Tant que nos communautés devront ériger des barricades sur les routes pour que le gouvernement daigne s’asseoir pour négocier des ententes, le Québec ne trouvera pas d’alliés du côté des Premières Nations » (ibid.).

Octobre 2011 : Jean Charest est de nouveau en Europe, notamment en France, pour faire la promotion du Plan Nord. Nouvelle mise au point indignée de Ghislain Picard dans une « Réplique » parue dans Le Soleil :

Il est tout à fait scandaleux et totalement insultant de voir les premiers ministres Fillon et Charest se déguiser en nouveaux « découvreurs » de ces supposés territoires vierges du nord du 49e parallèle du Québec, faisant la promotion de cette nouvelle fièvre klondikienne du xxie siècle. xxie siècle ou xviie siècle ? Les Indiens ? Quels Indiens ? On croit rêver !

Nous, comme Premières Nations de ces territoires qu’on présente au monde comme étant des territoires vierges et offrant au premier venu des ressources à perte de vue, devons encore une fois rappeler au gouvernement du Québec qu’il a des obligations envers nos peuples qui n’ont rien à voir avec les devoirs du gouvernement provincial envers ses municipalités.

Ghislain Picard, Le Soleil, 12 octobre 2011 : 33

Et d’expliquer, encore une fois, quelles sont les obligations légales du Québec envers les peuples autochtones. Et de redire que, si les municipalités sont des créatures du gouvernement du Québec, les Premières Nations n’en sont pas et détiennent donc des droits autres. Et de laisser entendre ses doutes quant à la sincérité du Premier ministre en ce qui a trait aux questions qui touchent le contexte du Plan Nord. Pour conclure : « “Les Indiens” sont-ils vraiment d’accord pour laisser leurs ressources aux premiers venus ? À sa place, je vérifierais avant de vendre la peau d’un ours qui est toujours bien vivant » (ibid.).

Dans un entretien paru dans La Presse quelques jours plus tard, Ghislain Picard explique de nouveau :

« En vertu de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones que le Canada a endossée, le gouvernement du Québec a l’obligation de nous consulter. En ce moment, on a l’impression qu’il dévie de cette obligation. Avant de poursuivre avec le projet, il faut des ententes avec tous les peuples, ce qui n’est pas le cas. »

propos rapportés par Gabrielle Duchaîne, La Presse, 2 novembre 2011 : 7

Et le chef de l’APNQL rappelle qu’au début des années 1970, le gouvernement de Robert Bourassa a négocié avec les Cris et les Inuits, puis plus tard avec les Naskapis, reconnaissant ainsi que ces derniers détenaient des droits sur leurs terres (ibid.).

En résumé

Dans ses conférences de presse et ses écrits ainsi que dans les communiqués de son organisme, le chef de l’APNQL constate l’obstination du Premier ministre à ne pas vouloir entendre ce que les Premières Nations ont à dire au gouvernement du Québec. Il lui reproche de ne pas consulter les nations autochtones adéquatement, de ne pas reconnaître leurs droits, et il a rappelé inlassablement pendant plus de trois ans que le Québec a l’obligation légale d’obtenir un consentement libre et éclairé des Premières Nations avant de faire des projets qui affecteraient leurs territoires. L’APNQL, qui souhaite que le gouvernement et toutes les Premières Nations en viennent à des ententes, estime que, sans elles, le Plan Nord est mal parti.

Les Cris

Au départ, le Grand Conseil des Cris manifeste son inquiétude devant les ratés de la consultation organisée par le gouvernement, tout en disant espérer que les malentendus en viendront à se dissiper. Malgré tout, l’inquiétude est là, souligne un journaliste de La Presse citant les paroles de Bill Namagoose, directeur général du Grand Conseil des Cris. En effet, il est question d’ajouter 3500 mégawatts d’énergie hydroélectrique mais on ne sait pas à quelle rivière pense Hydro-Québec ; une route forestière est en construction près de Chibougamau mais il n’y a pas eu d’évaluation environnementale comme le prévoit la Convention de la Baie James et du Nord québécois… (Charles Côté, La Presse, 3 décembre 2008 : A31).

Pendant plus d’un an, il n’est plus question des réactions des Cris au Plan Nord dans le corpus consulté. Puis, en février 2010, La Presse présente un dossier sur le Nord québécois et les projets de développement, dans lequel paraît un message publicitaire accompagné d’une carte du territoire cri. Ce message est signé par le directeur du développement économique de l’Administration régionale crie, par les agents de développement économique de toutes les communautés cries et par les présidents de trois entreprises (CREE-Co, Air-Creebec et Compagnie de construction et de développement crie). Il fait savoir que les Cris sont favorables à tout développement à condition que celui-ci respecte l’environnement ainsi que leur mode de vie et qu’eux-mêmes y prennent part :

Eeyou Istchee – nom cri de notre territoire traditionnel – est le territoire qui est notre chez-nous.

Cette carte montre les territoires de chasse familiaux traditionnels que nous occupons depuis toujours. Même si nous continuons à chasser, à pêcher et à trapper, voilà que nous traduisons les valeurs apprises de la vie sur le territoire en une nouvelle réalité et une nouvelle façon d’occuper notre territoire. […]

Nous sommes favorablement disposés envers le développement qui respecte la terre et notre mode de vie, et qui conduit à des débouchés d’emploi et [à] de l’activité économique […pour] notre population croissante.

Nous encourageons les partenariats mutuellement respectueux qui permettront de développer le Nord […].

Nous tendons la main à ceux qui veulent partager ce cheminement. Venez travailler avec nous.

La Presse Affaires, La Presse, 11 février 2010

Dans le même dossier, la journaliste rapporte les paroles d’Alfred Loon, directeur du développement économique au sein de l’Administration régionale crie, qui exprime à la fois le désir de sa nation de participer au développement du Nord et la nécessité que soient respectées, outre l’environnement, les ententes signées par les Cris avec les gouvernements. Les paroles rapportées indiquent que les Cris n’ont pas encore été vraiment informés sur le contenu du Plan Nord, un « plan » qui, si l’on en croit les médias écrits reste d’ailleurs un mystère pour tous :

« Nous ne sommes pas encore sûrs à 100 % de ce que le Plan Nord implique […]. Notre principale préoccupation avec ce projet reste la préservation des ressources naturelles. Mais nous ne sommes pas contre, nous voulons seulement être sûrs que les ententes seront respectées et que nous serons représentés. À la fin de la journée, il faut un projet pour améliorer la qualité de vie et créer des emplois. »

propos rapportés par Janie Gosselin, La Presse Affaires, La Presse, 11 février 2010 : 12

Le 3 décembre 2010, les Cris ouvrent une ambassade à Québec. Ce geste, qui marque le 35e anniversaire de la signature de la Convention de la Baie James et du Nord québécois (11 novembre 1975), souligne le fait que les Cris voient leur relation avec le Québec comme étant « de nation à nation » et nécessitant, au dire de Roméo Saganash, « des relations diplomatiques constantes » (Michel Corbeil, Le Soleil, 2 décembre 2010 : 8). Matthew Coon Come, chef du Grand Conseil des Cris, explique que, puisque les Cris travaillent à différents projets avec le Québec, il leur a semblé nécessaire de se rapprocher du gouvernement (Marianne White, The Gazette, 4 décembre 2010 : A12).

Deux semaines plus tard, un article paru dans La Presse dessine le point de vue des leaders cris face au Plan Nord :

Le Grand Conseil des Cris veut obtenir des « bénéfices tangibles » de la mise en oeuvre du Plan Nord, tout comme cela a été le cas avec la paix des Braves […].

C’est ce qui ressort d’un sommaire de la position défendue par le grand chef des Cris, Matthew Coon Come, à la Table des partenaires du Plan Nord, qui se réunit ce matin à Québec.

« Sans un régime de gouvernance acceptable pour les Cris, il n’y aura pas de Plan Nord dans l’Eeyou Istchee (le nom du territoire cri) », avertit M. Coon Come dans le document obtenu par La Presse.

Charles Côté, La Presse, 17 décembre 2010 : A13

Citant Abel Bosum, négociateur du Grand Conseil des Cris pour le Québec, le journaliste précise que, pour les Cris, « gouvernance acceptable » signifie : accès équitable aux fonds publics qui seront consacrés à la mise en oeuvre du Plan Nord et participation aux projets industriels. Cependant le document des Cris redit le « manque de clarté » du Plan Nord (ibid.) et le journaliste rapporte ainsi les propos de Matthew Coon Come :

« Tout ce qu’on nous a dit, c’est que le Plan Nord n’est pas un programme mais un processus […]. Le fait qu’il n’y ait pas de consultations complètes en temps opportun placerait les Cris devant un “fait accompli” ce qui serait inacceptable. »

ibid.

Le Grand Conseil des Cris reste donc ouvert au projet de Jean Charest mais prudent et déçu de la façon dont il est mis en place. Au sortir d’une nouvelle rencontre de la Table des partenaires du Plan Nord (février 2011), Matthew Coon Come confie au journaliste de La Presse :

« Le premier ministre a fait des déclarations très générales et a exprimé son appréciation pour tous les partenaires, et c’est un discours politique très convenable […]. Mais nous lui avons dit qu’il y avait des problèmes sérieux avec le fait que nous étions exclus des structures décisionnelles qui se mettent en place dans la région. Nous espérons que ces problèmes seront résolus. »

propos rapportés par Charles Côté, La Presse, 5 février 2011 : A14

Les relations des Cris avec les compagnies minières ne semblent pas voilées par ce flou qui entache leurs relations avec le gouvernement. Le 21 février 2011, le Grand Conseil des Cris, l’Administration régionale crie et la communauté de Wemindji signent un accord avec la compagnie Goldcorp sur l’exploitation du projet aurifère Éléonore. Matthew Coon Come indique que l’accord « établit de nouvelles normes pour les promoteurs miniers cherchant à faire affaire en Eeyou Istchee ».

« [Il] marque le début d’une fructueuse relation entre les Cris et Goldcorp, une relation basée sur le respect des droits des Cris et de la pérennité économique et environnementale. Conformément aux principes de la politique minière de la nation crie, Goldcorp et les Cris se sont assurés que notre rapport traditionnel au territoire demeure intact. »

propos rapportés par La Presse canadienne et Le Devoir in Le Devoir, 22 février 2011 : B4

Et puis, le jour où Jean Charest dévoile enfin le contenu de son « Plan Nord » (9 mai 2011), Matthew Coon Come déclare l’appuyer, disant que le Québec est passé d’une « politique d’exclusion » à une « politique d’inclusion » (propos rapportés par Gilbert Lavoie, Le Soleil, 10 mai 2011 : 2) et se réjouissant du fait que « le Plan Nord doit respecter les ententes déjà conclues avec les Premières Nations et les Inuits » (propos rapportés par Michel Corbeil, Le Soleil, 10 mai 2011 : 3). Ces ententes, notamment la Convention de la Baie James et du Nord québécois, « c’est notre police d’assurance », remarque Roméo Saganash, nouveau député d’Abitibi–Baie-James-Nunavik–Eeyou qui souligne la « maturité politique qui existe aujourd’hui chez les Cris et les Inuits » (propos rapportés par Denis Lessard, La Presse, 10 mai 2011 : A11). Plusieurs journalistes rappellent que, au début des années 1990, Matthew Coon Come s’était opposé au projet Grande-Baleine. Selon ce dernier, les temps ont changé :

« Les années 70 sont terminées […]. Il y a 20 ans, c’était Grande-Baleine, aujourd’hui, c’est une nouvelle ère ! À l’époque, Québec annonçait des projets sans nous consulter. Désormais nous sommes partenaires et nous apportons notre contribution. »

propos rapportés par Denis Lessard, La Presse, 10 mai 2011 : A11

Quelques jours plus tard, Jean Charest annonce qu’un parc national, le parc Assinica, sera créé en territoire cri. D’après le journaliste de La Presse, cette annonce réjouit le chef du Grand Conseil des Cris car elle « démontre, de façon très tangible, le potentiel extraordinaire du nouveau partenariat » entre les Cris et le Québec (propos rapportés par Charles Côté, La Presse, 18 mai 2011 : A21). Cependant, interrogé par La Presse, Paul Gull, chef de Waswanipi, indique que ce parc a été dessiné de telle manière qu’il inclut « surtout des plans d’eau et des zones marécageuses, mais très peu de forêts anciennes » et qu’il ne protégera pas les derniers territoires de chasse encore vierges qui se trouvent à proximité. Les demandes de la communauté ont toujours été bloquées, signifie-t-il, en raison de la quantité de bois qui se trouve sur ces territoires, et donc des intérêts des compagnies forestières (ibid.).

Fin mai, le gouvernement du Québec et la nation crie signent un accord-cadre présenté comme une entente « historique » (Paul Journet, La Presse, 28 mai 2011 : A5), comme une « deuxième paix des braves » et comme une étape vers la création du gouvernement régional mixte réunissant Cris et Jamésiens. Ce « nouveau modèle de gouvernance », basé sur celui des Conférences régionales des élus (CRÉ), permettrait aux Cris de participer aux prises de décisions « touchant la gestion des ressources naturelles, la forêt ou encore les droits de pêche et de chasse » (Taïeb Molla, Le Journal de Québec, 28 mai 2011 : 21).

Quelques jours plus tard, devant le symposium minier de la Baie James, le représentant du Grand Conseil des Cris révèle, pour la première fois de façon publique, que les Cris revendiquent « la perception de redevances sur les propriétés minières situées sur le territoire Eeyou Istchee ». (André Dubuc, La Presse Affaires, 10 juin 2011 : 2)

Au début du mois d’août, le premier ministre du Québec annonce la participation de la compagnie Diamants Stornoway à la construction du prolongement de la route 167 vers les monts Otish. Parlant au nom de Matthew Coon Come, Abel Bosum, négociateur en chef du Grand Conseil des Cris, « a tenu à réitérer l’appui des Cris dans ce dossier et a rappelé les considérations environnementales et traditionnelles des Cris face à un tel projet » (Guy Tremblay, la Sentinelle, 10 août 2011 : 3). L’appui des Cris au Plan Nord est mis en lumière à la fin du mois d’août lorsque Matthew Coon Come accompagne Jean Charest et une cinquantaine d’hommes d’affaires dans une mission économique en Chine (Agence QMI in Le Journal de Québec, 30 août 2011 : 13).

Il s’agit pour les Cris d’être présents et actifs dans le développement de leur région et donc à l’affut de ce qui s’y prépare. Parlant des projets miniers et du prolongement de la route 167, le chef de Mistissini résume ainsi son point de vue : « Les Cris ne sont pas contre le développement, mais ils veulent protéger l’environnement et conserver leur mode de vie traditionnel » (propos rapportés par Hugo Fontaine, La Presse, 30 septembre 2011 : 3). Ils négocient avec la compagnie Diamants Stornoway, surveillent le projet de route dont ils espèrent des emplois mais n’appuient pas pour autant le projet d’exploitation d’uranium dont ils craignent les impacts sur l’environnement (ibid.).

Afin de défendre leurs intérêts, les Cris veulent être présents dès la mise en route du Plan Nord. Dans un dossier que La Presse publie au début de novembre, paraît une déclaration de Matthew Coon Come intitulée : « Québec et les Cris, deux visions du monde, un Plan Nord » (La Presse, 2 novembre 2011). Il y est question du « partenariat entre le Québec et la Nation crie établi par la Paix des braves en 2002 » et il y est affirmé que le Plan Nord a été « construit sur une approche de nation à nation » et doit reposer « sur la base de la coopération, du partenariat et du respect mutuel de nos peuples ». Pas question, pour le Québec, de passer outre à la présence des Cris puisque : « Pour assurer le succès du Plan Nord, celui-ci doit inclure les Cris à chaque étape », ce qui signifie que les Cris doivent participer à la conception même du développement à venir (ibid.). Pour Matthew Coon Come qui signe ce message :

L’inclusion des Cris dans la manière de définir l’atteinte d’un développement durable est essentielle dans le contexte du développement des ressources du territoire. La conclusion d’une entente finale sur la gouvernance est donc une considération essentielle pour le soutien des Cris au Plan Nord.

ibid.

Matthew Coon Come fait ici référence à l’entente-cadre mentionnée plus haut qui doit mener (en principe en 2012) à la création d’un gouvernement régional où siégeraient de concert Cris et Jamésiens. Il fait donc de la mise sur pied de ce gouvernement mixte une condition à l’appui des Cris au Plan Nord.

À la lumière de l’engagement du Québec de réformer la gouvernance de l’Eeyou Istchee de manière à y inclure les Cris, et non de les exclure, je suis heureux de déclarer, au nom de la Nation crie, que j’appuie et que j’approuve le Plan Nord.

ibid.

Le développement économique de la région et la protection de son territoire reposant sur les efforts conjoints des Cris et des Jamésiens, le chef du Grand Conseil des Cris lance, au nom des siens, un appel à ses voisins :

Les Premières nations cries de Waskaganish, Eastmain, Wemindji, Chisasibi, Whapmagoostui, Waswanipi, Nemaska, Oujé-Bougoumau et Mistissini tendent la main à nos voisins de Chibougamau, Chapais, Matagami, Lebel-sur-Quévillon en vue de créer un partenariat pour s’assurer que le Plan Nord réalise sa promesse d’une grande prospérité pour nous tous.

ibid.

Cet appel à une collaboration est aussi le message que lance Ted Moses aux hommes d’affaires de la Chambre de commerce de Val-d’Or. L’ancien chef du Grand Conseil des Cris, devenu président du Secrétariat aux alliances économiques Nation-crie–Abitibi-Témiscamingue, créé en 2002, continue à croire au « fort potentiel de développement entre les deux peuples » sans pour autant minimiser le travail à faire (propos rapportés par Guy Champoux, L’Écho Abitibien, 18 novembre 2011 : 14).

Dans un autre dossier publié, cette fois, par Le Soleil, le Grand Conseil des Cris fait paraître un nouvel encart intitulé : « Le Plan Nord et la vision des Cris » (Le Soleil, 22 novembre 2011 : 33) dans lequel reviennent clairement les conditions posées par les Cris pour adhérer au Plan Nord, notamment : le respect des traités, des conventions, des droits, des institutions, des valeurs cris ; une approche de nation à nation ; la pleine participation des Cris à la gouvernance et au développement du territoire ; la protection de l’environnement ainsi que de la culture et de l’identité des Cris (ibid.).

À part les positions du Grand Conseil des Cris et, parfois, les attentes des entrepreneurs cris (Les Affaires, 10 décembre 2011), le seul sujet qui revient en force dans les journaux est celui de la controverse à propos de la construction de la route 167. Celle-ci met en cause le Conseil de Mistissini, l’entreprise crie UUCHII (formée notamment par six des sept trappeurs dont les territoires seront traversés par cette route) et le gouvernement du Québec, en particulier le ministère des Transports. Comme on le sait, le gouvernement s’est engagé à ce que soient construites les infrastructures nécessaires au développement minier. Le prolongement de la route 167 entre Mistissini et les monts Otish représente le premier de ces chantiers qui doivent permettre aux compagnies d’atteindre leurs sites d’exploration. Mais ce projet de route divise la communauté de Mistissini. Il est la cause de plusieurs appels aux tribunaux et de l’érection de barricades par les trappeurs concernés, un dossier particulièrement suivi par Kathleen Lévesque, du Devoir, depuis le mois d’octobre 2011. Il lève le voile – tout comme d’ailleurs les craintes manifestées par la population de Mistissini quant à un projet de mine d’uranium (André Noël et Hugo Fontaine, La Presse, 20 décembre 2011 : A3) et les objections que nous avons signalées au dessin du parc Assinica – sur la perception de la mise en route du Plan Nord en territoire cri. À lire les médias écrits, bien que légèrement grippé et hésitant au début, le mécanisme des relations entre le Québec et les Cris est maintenant bien huilé : ayant clairement formulé ses conditions, le Grand Conseil des Cris accueille favorablement tout projet de développement et de désenclavement de son territoire[7]. Mais qu’en est-il dans les communautés ?

En règle générale, la presse ne rend pas compte des réactions au Plan Nord de la population crie elle-même. Il a fallu le lancement du premier disque de Ceramony, duo formé de Matthew A. Iserhoff et Pakesso Mukash, et le fait qu’il a gagné le Juno du meilleur album autochtone de l’année 2011, pour qu’il soit question des appréhensions des Cris : perte d’accès aux territoires familiaux, perte de la culture crie, perte d’identité… « Pour nous, l’identité crie est profondément ancrée dans le territoire. Une fois que tu as vendu ton territoire, il ne te reste plus rien », disent ceux dont les chansons protestataires ont « fait un tabac » dans leurs communautés, d’après Le Devoir, et qui veulent devenir « des ambassadeurs de la nation crie ». Quant au Plan Nord, « Ceux qui [en] bénéficieront […] en fin de compte sont les grosses compagnies et le gouvernement provincial », estime Matthew A. Iserhoff qui ajoute : « ce n’est pas nous qui avons poussé le Plan Nord, mais bien le gouvernement Charest » (propos rapportés par Caroline Montpetit, Le Devoir, 26 et 27 novembre 2011 : A9).

En résumé

En 2009 et 2010 et même au début de 2011, les leaders cris sont perplexes devant la rareté des informations et les ratés de la consultation sur le Plan Nord. Pourtant, ils se disent favorablement disposés à l’égard du projet dont ils attendent des retombées économiques positives. Encore faut-il cependant que certaines conditions soient remplies, dont le respect de l’environnement, des façons de faire des Cris et de leur rapport au territoire, mais surtout le respect des ententes déjà conclues entre eux et le Québec (Convention de la Baie James et du Nord québécois et Paix des Braves, notamment). Bientôt, outre la déception devant le « manque de clarté » du Plan Nord, transparaît l’agacement de n’être pas inclus dans les processus de prises de décisions. Le Grand Conseil des Cris continue pourtant à préconiser des partenariats avec les voisins jamésiens.

C’est en mai 2011, lorsque Jean Charest dévoile le contenu du Plan Nord et lorsque le gouvernement du Québec et la nation crie signent une entente qui doit mener à la création d’un gouvernement régional mixte (Cris-Jamésiens), que Matthew Coone Come salue le projet de façon claire. Si ce gouvernement régional voit bien le jour (possiblement en 2012), les Cris, en effet, auront droit de regard sur tout ce qui va se passer sur leurs terres ancestrales. Ils pourront influer non seulement sur les retombées du développement mais aussi sur la façon de le concevoir et de le réaliser.

Il est difficile de savoir, à la lecture des journaux, ce que pense la population crie du Plan Nord. Certains indices permettent cependant de supposer qu’elle n’est pas toute acquise à un projet dont les retombées, surtout sur le tissu social et la culture, risquent de n’être pas positives.

Les Inuits

Contrairement aux Cris, les Inuits, autres signataires en 1975 de la Convention de la Baie James et du Nord québécois, ne sont pas particulièrement courtisés par les médias écrits. Le 27 avril 2011 cependant, ils attirent l’attention en rejetant à 66 % le projet de gouvernement régional du Nunavik. Ce nouveau gouvernement aurait été formé en fusionnant trois organismes publics : l’Administration régionale Kativik, la Commission scolaire Kativik et la Régie régionale de la santé et des services sociaux du Nunavik, le tout chapeauté par une Assemblée du Nunavik et un Conseil exécutif élus par l’ensemble de la population (Sébastien Brodeur-Girard, Le Devoir, 18 mai 2011 : A7). En principe, la nouvelle structure devait assurer davantage d’autonomie aux Inuits, notamment en éducation et en santé. La journaliste du Journal de Québec qui a suivi le dossier établit un lien entre ce vote et le Plan Nord, laissant entendre que l’autonomie proposée n’aurait pas été suffisante pour faire face à celui-ci :

La population inuite du Québec craint l’arrivée du Plan Nord et elle l’a fortement démontré en rejetant à 66 %, mercredi, un projet de créer un gouvernement régional autonome au Nunavik.

C’est le constat que dressent les observateurs et résidants du Nunavik interrogés par le Journal au lendemain du référendum. […]

À travers les villages inuits, le NON à ce projet d’administration régionale s’interprète par une volonté d’avoir plus de contrôle sur le territoire du Nunavik devant l’arrivée du Plan Nord du gouvernement du Québec.

Annie Saint-Pierre, Le Journal de Québec, 29 avril 2011 : 21

C’est aussi l’opinion de Sébastien Brodeur-Girard, historien, publiée dans Le Devoir[8]. D’après lui ce projet a soulevé une réelle opposition « qui s’est rapidement rassemblée autour d’un groupe de Facebook créé pour l’occasion. Intitulé Nunavik and the Nunavik Regional Government’s Final Agreement, cet espace devint rapidement le lieu virtuel par excellence de tous les débats » (Sébastien Brodeur-Girard, Le Devoir, 18 mai 2011 : A7). Mais, demande l’auteur, puisque l’entente prévoyait une plus grande autonomie pour les Inuits, pourquoi l’ont-ils rejetée ? Si, d’après lui, certains pensent que les habitants du Nunavik ont voté « non » par peur et insécurité identitaire, d’autres, dont l’auteur lui-même, pensent que c’est plutôt l’espoir qui a guidé ce vote :

L’ambition des Inuits étant d’obtenir une véritable autonomie régionale, la simple fusion des organismes publics proposée par l’entente leur apparaissait nettement insuffisante. L’absence de dispositions particulières pour la protection de la langue et de la culture inuite a également été très critiquée.

ibid.

L’auteur estime aussi que, devant le « flou » quant aux pouvoirs qui reviendraient éventuellement au gouvernement du Nunavik, les Inuits « ont refusé de signer “un chèque en blanc” à leurs négociateurs ». Et il ajoute que les « appels à un nouveau leadership se sont d’ailleurs fait pressants au cours de la campagne référendaire » (ibid.). Remarquant que les Inuits, eux aussi, veulent plus et veulent mieux, il conclut :

Les dirigeants de la province devraient en prendre bonne note, car si le Plan Nord ne réussit pas à prendre réellement en compte les besoins et aspirations des habitants du Nunavik, il pourrait bien finir par se heurter à une volonté populaire inuite bien décidée à ne plus se laisser marcher sur les pieds…

ibid.

Vers la fin de l’année 2011, la presse écrite fait état d’avis partagés chez les Inuits. D’après elle, certains appuient le Plan Nord et ne craignent pas l’ouverture de nouvelles mines (Michel Corbeil, Le Soleil, 27 novembre 2011 : 6). Peut-être, comme le laisse entendre Roméo Saganash, se sentent-ils protégés, de la même façon que les Cris, par la Convention de la Baie James et du Nord québécois (Michel Corbeil, Le Soleil, 2 décembre 2011 : 18). Ces personnes espèrent l’arrivée au Nunavik d’emplois, de contrats et de compensations financières (ibid.). D’autres, par contre, craignent que le Nunavik soit envahi par le Sud. Pita Atami, président de la Société Makivik et qui a pourtant appuyé le Plan Nord présenté par Jean Charest, est préoccupé par l’éventuelle arrivée massive de travailleurs et il n’est pas absolument sûr que le projet de train vers Kuujjuaq serait une bonne chose : « cela briserait l’isolement des villages du reste du Québec, mais ouvrirait le territoire aux populations du Sud, a-t-il expliqué » (Michel Corbeil, Le Soleil, 16 décembre 2011 : 16).

Quelques semaines plus tard, celui qui est qualifié par le journaliste de La Presse d’« allié précieux » du Plan Nord est défait aux élections à la présidence de la Société Makivik :

Sous la houlette du chef Atami, le groupe paraissait solidement engagé dans le projet de Québec. Cet appui devient fragile avec la relève de la garde. […]

Jobie Tukkiapik [le nouveau président] a toujours été très sceptique vis-à-vis du Plan Nord. […] Après son élection [il] a déclaré qu’il voulait consulter sa population sur la question du gouvernement autonome, appuyé par son prédécesseur, et sur le Plan Nord du gouvernement Charest.

Denis Lessard, La Presse, 2 février 2012 : A7

En résumé

Sous la direction de Pita Atami, président de la Société Makivik, les Inuits semblent adhérer au Plan Nord mais le vote négatif lors du référendum sur le gouvernement régional du Nunavik vient troubler cette façon univoque de présenter les choses. Bien que le vote puisse être interprété de diverses façons, et bien que la presse écrite ne fasse qu’effleurer la perception que les Inuits ont du Plan Nord, l’impression qui s’en dégage est que, si certains en attendent des retombées économiques positives, l’appui inuit à ce projet tel qu’il est actuellement présenté n’est pas totalement acquis.

Les Naskapis

Quant aux Naskapis, signataires de la Convention du Nord-Est québécois, s’ils ont failli être « oubliés » par le gouvernement lors de la première rencontre de la Table des partenaires du Plan Nord, le 6 novembre 2009 (Denis Lessard, La Presse, 7 novembre 2009 : A10), on sait, par d’autres sources, qu’ils ont accepté de faire partie de cette table. Cependant, aucun texte, dans le corpus consulté, ne permet de dire ce qu’ils pensent du Plan Nord et de ses retombées éventuelles, positives ou négatives.

Les Innus

Au Québec, les Innus résident dans neuf communautés dont les territoires se trouvent tant au Québec lui-même qu’au Labrador. Depuis la fin des années 1970, ils tentent de faire reconnaître leurs droits, notamment territoriaux, par le Québec et le Canada. Par ailleurs, sur les territoires de certaines communautés, les droits ont été éteints par la Convention de la Baie James et du Nord québécois alors que les Innus n’ont pas pris part aux discussions qui y ont mené et n’ont rien signé à cet égard.

Comme nous l’avons vu plus haut, à l’occasion des audiences de la Commission parlementaire sur le nouveau régime forestier, le 22 octobre 2008, plusieurs chefs participent à une conférence de presse avec le chef de l’APNQL. Le journaliste du Soleil rapporte ainsi les paroles du chef de Pessamit :

« Ça va être très dur pour le gouvernement d’instaurer le Plan Nord, parce qu’on a des droits […]. Le gouvernement devra faire face à cette opposition qui sera très réelle. Ce ne sera pas de la négociation, ce sera peut-être autre chose. […] La négociation, on n’y croit plus. Depuis 30 ans qu’on négocie, […] le Nord s’est développé (quand même) sans aucune mesure adéquate au sujet du titre aborigène. »

propos rapportés par Jean-François Cliche, Le Soleil, 23 octobre 2008 : 17

À la mi-novembre, alors que Jean Charest est de passage à Sept-Îles et « fait valoir son Plan Nord », Georges-Ernest Grégoire, chef de Uashat–Mani-utenam, qualifie ce plan de « mauvaise nouvelle » et déplore le manque de consultation :

« […] nous aurions aimé être mis au courant avant que le Plan Nord soit annoncé […]. Nous sommes ouverts à négocier avec Québec mais il va falloir que le gouvernement prouve que ses intentions sont sérieuses et que cela se prouve à court terme. »

propos rapportés par Fanny Lévesque, Journal de la Haute Côte-Nord Ouest, 19 novembre 2008 : 6

À la même occasion, le chef de Nutashkuan se dit au contraire d’accord avec la réalisation du Plan Nord arguant que « ce développement des ressources naturelles représente beaucoup d’espoir » pour les Innus de sa communauté et disant espérer qu’ils seront « conviés pour en parler très bientôt » (propos rapportés par Fanny Lévesque, Journal Le Nord-Côtier, 19 novembre 2008 : 16).

Lors d’une nouvelle conférence de presse au cours de laquelle le chef de l’APNQL et des chefs de plusieurs communautés réagissent au silence du gouvernement, le chef de Pessamit compare le Plan Nord à « une grosse vadrouille qui éliminerait les peuples autochtones de leurs terres ». Or, de cela, « on n’en veut plus », a dit Raphaël Picard qui a aussi affirmé : « Le Plan Nord […] ne se fera pas sans que soit reconnue notre intégrité territoriale » (propos rapportés par Jean-François Cliche, Le Soleil, 28 novembre 2008 : 8).

Début décembre, c’est au tour de Gilbert Dominique, chef des Innus de Mashteuiatsh, de réagir à l’annonce du Plan Nord. Rappelons que la communauté de Mashteuiatsh a signé l’entente-cadre dite « Approche commune » en 2004 et qu’elle tente, depuis, de finaliser cette entente avec les gouvernements du Québec et du Canada. Tout en disant comprendre les revendications des chefs innus qui ont déclaré s’opposer au Plan Nord tant que leurs droits territoriaux ne seront pas reconnus, le chef Dominique indique qu’il va surveiller ce qui s’en vient et voir comment les Innus de sa communauté pourraient profiter des projets énergétiques, miniers, forestiers et touristiques ainsi que des projets de construction de routes :

« Nous voyons d’un bon oeil les possibilités de développement qu’un tel plan amènerait chez nous. Cela aurait sans aucun doute des conséquences positives sur notre développement socio-économique et cela nous permettrait de mener à bien certains projets en lien avec les grandes orientations [du Plan Nord]. »

propos rapportés par Marie-Ève Roy, Le Quotidien, 2 décembre 2008 : 17

Quelques jours plus tard, les chefs des communautés de Pessamit, Uashat–Mani-utenam, Matimekush–Lac-John et Ekuanitshit forment l’Alliance stratégique innue, indiquant qu’ils s’unissent pour défendre leurs droits et leurs titres sur les territoires visés par le Plan Nord (La Presse canadienne in Le Devoir, 6 et 7 décembre 2008 : A6).

L’entente prévoit notamment la réclamation de redevances, de dividendes, de parts aux bénéfices nets, de rentes, de paiements de baux, de compensations rétroactives, de participations aux profits et des compensations en capital pour le développement passé, actuel et futur des territoires concernés.

ibid.

Le chef de Uashat–Mani-utenam précise :

« Ce que nous souhaitons, c’est exercer notre pleine autonomie et décider nous-mêmes de l’usage des territoires et des ressources naturelles sans être soumis aux lois et règlements des autres gouvernements. »

propos rapportés par Caroline Côté, Journal Le Nord-Côtier, 10 décembre 2008 : 10

Au cours de l’année 2009, la communauté d’Unaman-shipu s’est jointe à l’Alliance stratégique innue. Lorsque Nathalie Normandeau, responsable du Plan Nord pour le gouvernement du Québec, organise une journée de consultation à laquelle sont invitées quelque 200 personnes (6 novembre 2009), les cinq chefs innus annoncent qu’ils boycottent cette rencontre. Ils reprochent au gouvernement, d’une part, d’improviser et, d’autre part, de ne pas comprendre que les Premières Nations ont des droits particuliers. Selon Raphaël Picard, chef de Pessamit,

« [Les Innus] ont un droit de propriété sur les territoires, et ne peuvent être considérés sur le même pied que les [… municipalités] qui sont des créatures du gouvernement du Québec. […] Dorénavant […] il va falloir marcher sur le corps de nos ancêtres et sur nos corps à nous pour qu’il y ait de nouveaux développements sans qu’on y ait participé pleinement. »

propos rapportés par Denis Lessard, La Presse, 7 novembre 2009 : A10

Pour ce qui est des chefs qui ne font pas partie de l’Alliance stratégique innue, celui de Nutashkuan affirme : « On veut être dans le train du développement économique. On est en mode collaboration, pas en mode confrontation » (ibid.). Quant à Gilbert Dominique, chef des Innus de Mashteuiatsh, tout en ayant, lui aussi, participé à la rencontre du 6 novembre, il appuie l’Alliance stratégique en ce qu’elle veut défendre ses droits territoriaux et il rappelle que le Conseil tribal Mamuitun (regroupant les communautés de Mashteuiatsh, Essipit et Nutashkuan) est toujours en pourparlers avec les gouvernements du Québec et du Canada au sujet des droits et titres de ces communautés. « Nous avons rappelé au gouvernement que le Plan Nord devra tenir compte de nos négociations territoriales », dit le chef Dominique qui, par ailleurs, considère comme les chefs de l’Alliance stratégique innue que les Autochtones auraient dû être consultés bien avant que le Plan Nord soit annoncé :

« Il aurait été bien vu de rencontrer d’abord les Autochtones. C’est eux qui devront être assis dans la première rangée du développement du nord. Ils doivent être consultés en amont. Le développement du nord ne pourra pas se faire sans que les Autochtones soient largement consultés. »

propos rapportés par Laura Lévesque, Le Quotidien, 7 novembre 2009 : 17

En fin de compte, Gilbert Dominique reste prudent tout en préférant être aux premières loges pour suivre l’évolution des choses puisqu’il considère que l’approche préconisée par le gouvernement (« développement durable » et « concertation entre les milieux ») correspond à la façon de faire de sa communauté (ibid.).

En juin 2010, les Innus de Matimekush–Lac-John et de Uashat–Mani-utenam, appuyés par les autres membres de l’Alliance stratégique innue, bloquent l’accès aux sites de deux compagnies minières (Labrador Iron Mines et New Millenium Capital) afin de bien indiquer qu’« aucun développement minier sur le territoire ne se fera sans le consentement préalable du peuple innu » (/CNW Telbec/, Matimekush–Lac-John, 9 juin 2010). D’après le communiqué publié cette journée-là, les chefs de l’Alliance stratégique ont souligné :

« Nous sommes ouverts au dialogue constructif avec les gouvernements et les compagnies dans la mesure où nos aspirations culturelles, économiques, sociales et spirituelles sont respectées. Nous ne sommes pas contre le développement du territoire ; nous sommes contre un développement qui se fait sans notre consentement. »

ibid.

Interrogé par la journaliste de La Presse, Raphaël Picard, chef des Innus de Pessamit, précise que les Innus demandent à avoir un droit de regard sur le développement de leurs territoires et aussi à avoir la possibilité d’y participer (Martine Letarte, La Presse, 17 juin 2010 : 8). Et la journaliste rapporte que Raphaël Picard donne l’exemple de trois compagnies qui font de l’exploration minière dans les territoires de sa communauté et avec lesquelles il y a eu moyen de s’entendre :

« Ils sont venus nous voir comme gouvernement, ce qui est important, pour nous parler du projet. Ils nous informent de l’évolution des prospections, des données de forage, de la qualité, de tout. Et là, nous sommes vraiment en amont. […] On doit reconnaître notre autorité sur ce territoire et développer selon nos conditions. »

ibid.

Au mois d’août, c’est le chef Georges-Ernest Grégoire de Uashat–Mani-utenam qui rappelle au gouvernement du Québec que sa communauté s’oppose à l’exploration et à l’exploitation d’uranium sur son territoire ancestral et que le gouvernement ne peut en donner l’autorisation sans un consentement innu « libre, préalable et en toute connaissance de cause » (ITUM, communiqué, Uashat, 17 août 2010), Il y va des « droits d’utilisation, d’occupation et de possession traditionnelle des Innus » (ibid.).

« Nous occupons nos territoires, nous y pratiquons la chasse et la pêche, qu’adviendra-t-il de notre patrimoine si le Québec prône ce genre de développement ? »

ibid.

Un message joint au communiqué indique clairement que le Nitassinan (terre des Innus) est situé « au coeur de l’ambitieux Plan Nord du Parti libéral » (ibid.).

Quelques jours plus tard, présentant le mémoire du Conseil des Innus de Uashat–Mani-utenam à propos de la révision de la Loi sur les mines, le conseiller Jonathan McKenzie indique :

« Les Uashaunnuat [Innus de Uashat et de Mani-utenam], et plus particulièrement les familles, ont l’autorité et la responsabilité de gérer, préserver et protéger les terres traditionnelles et leurs ressources naturelles, y compris les ressources minières. […]

Nous n’acceptons pas qu’une simple consultation publique soit suffisante. Notre position en est donc une d’opposition à toute exploration et exploitation minière qui n’a pas été au préalable explicitement autorisée par les Uashaunnuat et les familles. »

propos rapportés par Le Nord-Est, 8 septembre 2010 : 6

Au mois de mars 2011 transparaît, dans un article de Kathleen Lévesque (Le Devoir), la crainte des Innus d’Unaman-shipu face au complexe hydroélectrique qu’Hydro-Québec projette de construire sur la Petit-Mécatina et face au Plan Nord en général. Cette crainte est surtout exprimée par le Comité des femmes :

« On pêche, on chasse, on piège encore. Si Jean Charest vient nous voir à La Romaine [Unaman-shipu], on va lui faire manger du bon gibier et on va lui dire à quel point c’est important pour nous. On ne veut pas d’argent, on veut la paix. »

propos rapportés par Kathleen Lévesque, Le Devoir, 15 mars 2011 : A9

Et, une fois de plus, l’absence d’informations, le manque de transparence soulèvent l’indignation (ibid.).

En mai 2011, l’Alliance stratégique innue boycotte le dévoilement officiel du contenu du Plan Nord et ce, en raison du fait que le gouvernement va de l’avant alors qu’il n’a toujours conclu aucune entente avec les cinq communautés membres de l’Alliance. Le chef de Pessamit précise : « Ce n’est rien de moins que s’approprier notre territoire et sans nous consulter, ce qui est contraire à ce que prévoit la Cour suprême » (propos rapportés par Annie Saint-Pierre, Le Journal de Québec, 10 mai 2011 : 37), et Raphaël Picard affirme également à propos du gouvernement du Québec : « On ne lui signera certainement pas un chèque en blanc pour exploiter nos territoires » (Agence QMI in Le Nord-Est, 11 mai 2011 : 8). C’est aussi l’opinion des leaders de la communauté de Mashteuiatsh qui, tout en participant aux rencontres organisées par le gouvernement du Québec, restent sur leurs gardes. Tant le gouvernement que les promoteurs devront « démontrer que nous sommes de réels partenaires et nous respecter », confie Florent Bégin, vice-chef aux Affaires extérieures (propos rapportés par Daniel Migneault, L’Étoile du Lac, 11 mai 2011 : 14). Quant à Clifford Moar, chef du Conseil des Montagnais du Lac-Saint-Jean, il en appelle aussi aux jugements de la Cour suprême :

« Nous sommes chez nous et nous allons continuer d’agir en conséquence. Nos ancêtres ont accueilli tout le monde sur notre Nitassinan et nous allons continuer à le faire et à partager notre territoire et ses ressources, mais dans le respect de nos droits ancestraux. L’obligation gouvernementale de consultation et d’accommodement est bien réelle et incontournable. ».

ibid.

De son côté, porte-parole des Innus de Uashat–Mani-utenam, Armand McKenzie redit que, sans entente avec les Innus, le gouvernement aura du mal à faire avancer son Plan Nord, mais il se fait plus précis en mentionnant certains des problèmes que le gouvernement n’a toujours pas réglés et qui vont faire obstacle au Plan Nord : « logement social insuffisant, infrastructures communautaires inadéquates et manque de formation pour accéder aux emplois comptent parmi les reproches adressés au gouvernement » (Michel Corbeil, Le Soleil, 10 mai 2011 : 3).

Au cours de ces trois années, tout en rappelant au gouvernement du Québec qu’il a l’obligation de les consulter, les chefs de l’Alliance stratégique innue soulignent que les Innus forment une nation et qu’à ce titre c’est à eux de donner ou de ne pas donner au gouvernement et aux promoteurs l’autorisation d’intervenir sur leurs terres. Déjà, en avril 2011, Georges-Ernest Grégoire, chef de Uashat–Mani-utenam, avait rappelé, à propos d’ententes-cadres avec des compagnies minières que, tout en étant ouverts à la signature d’ententes profitables aux deux parties, les Innus exigent que rien ne se fasse sur leur territoire sans leur permission : « Notre message est clair, le développement de nos ressources naturelles et de nos territoires doit passer par notre consentement » (propos rapportés par Fanny Lévesque, Le Nord-Côtier économique, avril 2011 : 2).

Exigence que Mike McKenzie, vice-chef de Uashat–Mani-utenam, reprenait dans un texte intitulé : « Le dévoilement du Plan Nord » : « […] avant l’approbation de tout projet ayant des incidences sur le Nitassinan […], le consentement innu est essentiel. » (Mike McKenzie, Journal le Nord-Côtier, 18 mai 2011 : 4) Et l’auteur terminait sa lettre ouverte en revenant sur l’urgence de régler la question des revendications territoriales :

La mise en oeuvre du Plan Nord du gouvernement du Québec exige le règlement par un traité de nos revendications territoriales et la mise en place d’une gouvernance innue des territoires visés par le Plan Nord dans lequel l’aménagement d’aires protégées et de territoires aux fins de conservation sera assuré.

ibid.

La question de la reconnaissance des droits territoriaux, qui revient sans cesse dans les demandes que la majorité des chefs innus adressent au gouvernement n’empêche pas de conclure des ententes avec les compagnies qui font montre d’une certaine ouverture. Mais cela n’est pas suffisant car là n’est pas le problème. Commentant la signature de deux accords avec des compagnies minières, accords qui prévoient notamment la formation d’Innus et la construction d’infrastructures communautaires, Réal McKenzie, chef de Matimekush–Lac-John ne se dit pas « excité » pour autant car, explique-t-il, « Mon leadership, ce n’est pas juste de créer des jobs, c’est d’avoir l’autonomie suffisante pour gouverner mon peuple » (propos rapportés dans Les Affaires, 22 octobre 2011 : 22).

Puis, au milieu du mois de mai 2011, des Innus de Pessamit s’installent au bord de la route 138 (qui traverse leur réserve) pour informer pacifiquement la population que le gouvernement ne peut continuer à exploiter leurs territoires en les mettant de côté (Kathleen Lévesque, Le Devoir, 2 juin 2011 : non paginé) et pour demander un moratoire sur le Plan Nord parce que le gouvernement, qui a omis de les consulter, ne respecte pas leurs droits fondamentaux (Karine Boivin-Forcier, Journal Le Nord-Côtier, 8 juin 2011 : 9). Début juin, le Conseil des Innus de Pessamit adopte une résolution par laquelle il appuie les protestataires, et il est décidé de stopper la circulation sur la route 138 chaque demi-heure à compter du 9 juin (La Presse canadienne in La Presse, 7 juin 2011 : A10). De nouveau le chef Raphaël Picard, qui demande une rencontre d’urgence avec le Premier ministre, rappelle qu’il est fini le temps où le Québec s’enrichissait au détriment des droits des Innus :

« Dorénavant, le développement des ressources naturelles sur notre territoire doit se faire avec notre consentement et notre participation. »

propos rapportés par Steeve Paradis, Le Soleil, 8 juin 2011 : 34

De son côté Arthur Picard, « porte-parole informel » du groupe qui a lancé le mouvement explique :

« Avant de faire quoi que ce soit en rapport avec le Plan Nord, le gouvernement doit régler tous les litiges en cours avec nous. […] On veut que nos requêtes juridiques avancent et que l’environnement soit mieux protégé dans le Plan Nord car [ce plan] aura des répercussions irréversibles sur notre Nitassinan. »

ibid.

Le 9 juin, le gouvernement du Québec ne leur ayant toujours pas donné signe de vie, les Innus de Pessamit bloquent la route 138 toutes les demi-heures, en alternance, à chacune des extrémités de leur réserve (Steeve Paradis, Le Soleil, 10 juin 2011 : 24). Selon leur chef, Raphaël Picard :

« La principale embûche du Plan Nord, c’est qu’en y adhérant, on renonce à nos droits ancestraux de facto. […] La technique est plus subtile, on nous intègre dans le Plan Nord et la législation qui va en découler va éteindre nos droits. Ceux qui y ont adhéré, comme les Cris, ont cédé leurs droits. »

ibid.

Le lendemain, la rencontre demandée a lieu. Quelques jours plus tard, les journaux indiquent que « le gouvernement du Québec et le Conseil des Innus de Pessamit ont conclu un protocole d’entente » (La Presse canadienne in Le Devoir, 13 juin : A3).

Si la menace de bloquer la seule route qui relie la Côte-Nord au reste du Québec alors que le gouvernement met tout en oeuvre pour vendre son Plan Nord ici et à l’étranger a été le déclencheur de cette rencontre, plus profondément c’est le processus de négociation territoriale et le règlement de nombreux griefs qui sont en cause. Les Innus de Pessamit espèrent en arriver à la conclusion d’ententes-cadres sur ces différents sujets, et les deux parties se sont donné jusqu’au 31 octobre pour s’entendre (Steeve Paradis, Le Soleil, 13 juin 2011 : 14).

Au début du mois de novembre, les parties conviennent de prolonger leurs pourparlers de trois semaines (Steeve Paradis, Le Soleil, 5 novembre 2011 : 63). Le 18 novembre, les négociations sont rompues par le chef de Pessamit qui qualifie l’offre gouvernementale de « ridicule » en comparaison des profits énormes que le Québec a engrangés en violant le territoire de sa communauté depuis les années 1950.

« C’est dommage qu’il [le gouvernement] revienne encore avec une attitude coloniale [selon laquelle] il fallait montrer des couteaux, des haches, en échange de ballots de fourrure. C’est la même chose qu’ils veulent nous faire passer. Ils nous croient imbéciles. Ils nous considèrent comme des aliénés. »

propos rapportés par Tommy Chouinard, Le Nouvelliste, 22 novembre 2011 : 14

De plus, le chef de Pessamit dénonce la « fausse publicité » faite par Jean Charest qui présente son « Plan Nord » en Europe, aux États-Unis et au Japon en prétendant que toutes les communautés autochtones l’appuient (La Presse canadienne in Le Soleil, 22 novembre 2011 : 13).

« Nous allons faire savoir au monde entier que le Québec, avec son Plan Nord, bafoue les droits des peuples autochtones » a indiqué M. Picard lundi matin [21 novembre] lors d’une conférence de presse tenue à Québec.

Charlotte Paquet, Plein Jour de Baie-Comeau, 23 novembre 2011 : 13

Fin novembre, François Bellefleur, chef de la communauté innue de Nutashkuan, redit sa confiance dans le Plan Nord « parce qu’il nous permettra de nous sortir de notre situation de tutelle pour nous amener vers une importante amélioration de notre condition de vie » (propos rapportés par JC, Le Journal de Québec, 20 novembre 2011 : 6). Énumérant les activités économiques actuelles de sa communauté (construction du prolongement de la route 138 jusqu’à Kegaska, compagnie d’aviation, produits forestiers), il ajoute : « Ce sont là des pas importants vers notre indépendance financière » (ibid.).

Le 6 décembre, alors qu’il est invité à une conférence sur le Plan Nord, Réal McKenzie, chef des Innus de Matimekush–Lac-John rappelle « dans un discours bien senti » que sa communauté a déjà été abandonnée dans les années 1980 (lors de la fermeture de la ville de Schefferville à la suite du départ de la compagnie Iron Ore of Canada) et qu’elle veut maintenant être écoutée par Jean Charest – « qui fait une tournée mondiale pour dire que les autochtones sont derrière le Plan Nord » – et par les compagnies minières :

« Il n’y aura plus de passe-droit […]. Il faut notre consentement avant chaque projet. Il y a encore des compagnies qui ne sont pas venues me voir pour me dire ce qu’elles font sur mon territoire. Quand vont-elles comprendre ? »

propos rapportés par Hugo Fontaine, La Presse, 7 décembre 2011 : A15

Au milieu de décembre, les Innus de Mashteuiatsh, qui font partie des partenaires du Plan Nord, signifient par la voix de Florent Bégin, vice-chef et représentant politique délégué à ce dossier, qu’ils sont insatisfaits de la façon dont se développe le Plan Nord :

« La prise en compte des droits et intérêts de notre Première Nation dans cette démarche vers le Plan Nord est insatisfaisante jusqu’à présent et nous voulons convenir à bref délai de la nature de notre participation et obtenir des engagements fermes de la part du gouvernement du Québec à cet égard. […] La poursuite de notre adhésion [au Plan Nord] est indissociable du respect de notre statut de réel partenaire et de la détermination d’engagements clairs et fermes du gouvernement, voilà où nous en sommes. »

propos rapportés par Daniel Migneault, L’Étoile du Lac, 14 décembre 2011 : 5

En résumé

Comme on l’a vu, les avis sont partagés chez les Innus. La priorité, pour les cinq chefs de l’Alliance stratégique, est de faire reconnaître les droits de la nation innue et, pour commencer, que le Québec observe les recommandations de la Cour suprême en fait de consultation et d’accommodement. En tant que représentants de nations qui devraient être autonomes, les chefs dont la presse écrite rapporte les dires s’indignent de n’avoir pas été consultés avant l’annonce du projet et, tout en disant ne pas s’opposer au développement, ils déclarent que rien ne peut être entrepris sur leur territoire ancestral sans leur consentement. De plus, comme le gouvernement de Jean Charest ne fait pas preuve d’un grand sens de l’écoute, ils boycottent toutes les rencontres et cérémonies orchestrées autour du Plan Nord.

À plus long terme, ces chefs visent à en venir à une entente globale sur le titre et l’autonomie gouvernementale de leurs communautés. Ainsi, en appuyant les barrages sur la route 138, le chef des Innus de Pessamit a tenté de provoquer des rencontres avec le Premier ministre et d’accélérer le processus des négociations territoriales. La presse écrite laisse transparaître l’exaspération de ces chefs dont les communautés sont fragilisées par l’absence de dialogue avec le gouvernement et qui sont amenés à traiter directement avec les compagnies minières pour protéger quelque peu leurs territoires. On aura remarqué qu’est effleurée, dans les journaux, l’inquiétude pour les ressources fauniques de ces territoires.

Les deux autres communautés qui sont mentionnées dans les médias écrits font partie de la Table des partenaires du Plan Nord. L’une, Nutashkuan, adhère sans conditions apparentes au Plan Nord dont elle attend de nombreuses retombées positives. L’autre, Mashteuiatsh, qui est la plus populeuse des communautés innues (plus de 5000 personnes), se serait attendue, comme l’Alliance stratégique innue, à être consultée avant l’annonce du projet. Ses leaders demandent que les accords déjà conclus avec les gouvernements soient respectés et ils gardent un oeil ouvert sur les possibilités de développement qui pourraient découler du Plan Nord mais ils restent prudents, attendant la preuve que le gouvernement et les promoteurs considèrent les Innus comme de réels partenaires.

Les Algonquins

Le 22 octobre 2008, lorsqu’une dizaine de chefs autochtones, profitant de la Commission parlementaire sur le nouveau régime forestier, avertissent le gouvernement du Québec qu’il devra régler la question de leurs droits territoriaux avant de mettre en route son « Plan Nord », Gilbert Whiteduck, chef de Kitigan Zibi est parmi eux :

« Je pose la question aux Québécois : c’est quoi le choix qu’on a, si les gens ne veulent pas s’asseoir avec nous pour discuter réellement ? Quel choix on a sauf de se mettre debout et de prendre des actions concrètes ? »

propos rapportés par Jean-François Cliche, Le Soleil, 23 octobre 2008 : 17

Puis, à la veille des élections provinciales, lorsque les chefs autochtones demandent à Jean Charest de cesser de parler de son « Plan Nord » sans tenir compte de l’existence des Premières Nations, le chef Whiteduck, exaspéré par le mutisme du gouvernement, remarque : « Pendant que nous souffrons dans nos communautés, personne ne nous écoute, tout le monde s’en fout. » (propos rapportés par Rémi Nadeau, La Presse canadienne in Le Devoir, 28 novembre : A5)

L’année suivante, Alice Jérôme, chef de la communauté de Pikogan, s’inquiète du fait que le développement minier est planifié sans les Algonquins et sans que l’on s’occupe de protéger l’environnement (Sylvain Paradis, Cahier Semaine minière 2009 : 25).

C’est encore l’absence d’information et de consultation qui est soulignée en mai 2011 après le dévoilement du contenu du Plan Nord. Marlène Jérôme, vice-grand chef de la Nation algonquine-anishinabeg, rappelle qu’en 2010 les Algonquins ont demandé au ministre Pierre Corbeil, alors responsable des Affaires autochtones, de faire partie de la Table des partenaires du Plan Nord « puisque [le Plan Nord] touche une partie de leur territoire ». Une demande qui « n’a jamais été écoutée » (La Gatineau, 19 mai 2011 : 32). Parlant de la partie du territoire des Algonquins englobée sans leur accord dans le territoire couvert par la Convention de la Baie James et du Nord québécois, elle explique :

« Le gouvernement du Québec prétend que tous les droits autochtones ont été abandonnés sur ce territoire. Comment aurions-nous pu abandonner nos droits sans être signataires de cette convention ? […]

Avec le Plan Nord, le gouvernement du Québec crée un traitement inégal entre les autochtones. Pourquoi serait-il acceptable de payer pour les ressources minières en territoire cri, mais impossible lorsqu’il s’agit du territoire des Algonquins [ ?] »

propos rapportés dans La Gatineau, 19 mai 2011 : 32

Et la vice-grand chef souligne que, contrairement aux recommandations de la Cour suprême, la nation algonquine n’a jamais été consultée avant que l’on distribue ses ressources forestières et minières. Le journal La Gatineau rapporte que :

L’exemple le plus récent du manque de respect du Québec pour les Algonquins, est celui de la mine Osisko à Malartic, en plein coeur du territoire algonquin, que Québec a autorisée en affirmant aux promoteurs qu’il n’y avait aucun titre ou droit autochtone sur ce territoire. […]

Mme Jérôme a souligné que le peuple algonquin était exacerbé de voir ses droits constamment bafoués et elle prédit que les prochains mois et les prochaines années pourraient être celles d’un affrontement si rien ne change.

ibid.

Pendant ce temps, la communauté du Lac Barrière, en négociation depuis des mois avec une compagnie minière qui faisait de l’exploration sur son territoire, en arrive à une entente selon laquelle cette compagnie abandonne son projet, du moins temporairement. Dans un communiqué, Norman Matchewan, l’un des porte-parole de la communauté, souligne ce geste et remercie la compagnie :

« La communauté applaudit Ressources Cartier Inc. pour son respect envers nos désirs qu’aucune exploration minière et qu’aucun forage ne se poursuive. La société crée un précédent important en n’allant pas de l’avant sans le consentement préalable, libre et éclairé de la communauté, un droit reconnu par la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. »

Solidarité Lac Barrière, communiqué, 22 juillet 2011

Le communiqué rappelle les nombreuses démarches entreprises par la communauté, notamment par le Conseil des aînés du Lac barrière, pour en venir à ce résultat. Il rappelle aussi que le projet de Ressources Cartier Inc. se trouvait à l’intérieur d’une zone déjà couverte par un accord signé en 1991 par les Algonquins du Lac Barrière et les gouvernements du Québec et du Canada :

Cet accord trilatéral – un plan de développement durable pour 10 000 kilomètres [carrés] de territoire traditionnel de la communauté du Lac Barrière – a été salué par les Nations unies mais et le Québec et le Canada ont refusé de le mettre en oeuvre.

ibid.

À la fin du communiqué, le porte-parole de la communauté demande au gouvernement du Québec de suivre l’exemple de la compagnie Ressources Cartier Inc. en annulant toutes les concessions minières consenties sur l’ensemble du territoire de l’Accord trilatéral. Si Jean Charest est fidèle aux engagements qu’il a pris en faveur du développement durable et en faveur de « justes relations avec les Premières Nations », cette annulation devrait être « sa prochaine démarche », indique Norman Matchewan (ibid.).

Cependant, comme le souligne L’Écho Abitibien, la Compagnie n’a fait que repousser ses activités de deux ans. Elle « a demandé [et obtenu] un délai au ministère des Ressources naturelles […] afin de ne pas perdre son titre minier » (Mathieu Proulx, L’Écho Abitibien, 5 août 2011 : 32). Le journaliste souligne aussi que la communauté est divisée, certaines personnes ne s’objectant pas aux activités de la compagnie minière. Les protestataires, quant à eux, espèrent que leurs pressions permettront que les négociations avec le gouvernement s’accélèrent pendant ces deux ans de répit.

En août 2011, devant la commission parlementaire sur le projet de loi 14 (Loi sur les mines), les Algonquins de Wolf Lake et de Eagle Village, qui indiquent avoir « dénombré 2442 concessions minières sur leur territoire, qui couvre 1412 kilomètres carrés », expliquent qu’ils s’opposent à ce projet de loi parce que « Québec ne les a pas consultés avant de [le] rédiger […] et […] n’impose pas aux minières de le faire avant de s’implanter dans les territoires revendiqués en vertu de leurs droits ancestraux » (Louis-Gilles Francoeur, Le Devoir, 23 août 2011 : A5).

En décembre 2011, le Conseil tribal de la Nation algonquine-anishnabeg, qui regroupe sept communautés (dont une en Ontario), présente, pour la première fois et après des années de recherche, la carte de son territoire ancestral. Lors de leur conférence de presse, les chefs soulignent :

« Il est odieux de penser que les membres de nos communautés soient forcés de vivre sur de minuscules territoires, dans des conditions qu’aucun Canadien n’accepterait, alors que tout autour de nous on prélève et on pille les richesses de notre territoire. […]

Ce que nous voulons par l’action d’aujourd’hui, c’est signifier au gouvernement que nous n’accepterons plus cette situation. Depuis 400 ans, les nouveaux arrivants se sont approprié le territoire, ils l’ont saccagé sans nous consulter ou nous dédommager. Nous sommes les gardiens de cette terre et nous entendons tout mettre en oeuvre pour la protéger. […]

Notre territoire est riche et il est temps que cela profite aussi à nos gens. […]

Ce que nous voulons [a ajouté le grand chef Lucien Wabanonik], c’est une nouvelle forme de partenariat et de partage de nos ressources. Nous ne voulons plus que des investisseurs étrangers, […] envoient leurs travailleurs extraire l’or du sol ou couper les arbres de nos forêts à deux pas de nos maisons pour aller enrichir encore plus [ces] investisseurs qui n’ont aucune conscience de l’environnement et de la faune. Il est temps que nous soyons consultés et partenaires dans la gestion du développement sur Nitakinan. »

propos rapportés par Jean Lacaille, La Gatineau, 29 décembre 2011 : 11

En résumé

Bien que les Algonquins soient très peu présents dans la presse écrite, les réactions que celle-ci donne à voir ont beaucoup de points communs avec celles des Innus. Ils sont exaspérés de n’être ni informés ni consultés, ils fustigent le manque d’écoute du gouvernement, le fait qu’il ne reconnait pas qu’une partie du territoire algonquin est situé au nord du 49e parallèle et le fait qu’ils ont des droits sur leur territoire ancestral. Ils veulent pouvoir protéger leur environnement et participer aux prises de décisions qui concernent leurs terres.

Il est trop tôt pour savoir comment le Québec va réagir aux attentes des Algonquins et à la présentation cartographiée de leur territoire ancestral, ni quel impact leurs demandes vont avoir sur le déroulement, au nord de leur territoire, des activités liées au Plan Nord.

Les Atikamekws

Pas plus que les Algonquins, les Atikamekws n’ont été invités à siéger parmi les « partenaires du Plan Nord » bien que certains de leurs territoires, notamment ceux de la communauté d’Opitciwan, se trouvent au nord du 49e parallèle. Et, comme les Algonquins également, une partie de leur territoire ancestral leur a été subtilisée par la Convention de la Baie James et du Nord québécois. Une seule mention à cette nation figure dans le corpus consulté, qui couvre, rappelons-le, plus de trois ans de presse écrite. Témoignant devant la Commission parlementaire de l’aménagement du territoire (qui étudiait l’avant-projet de loi sur l’aménagement durable du territoire et l’urbanisme), la grande chef Éva Ottawa a rappelé, elle aussi, que les Atikamekws ont des droits et un titre auxquels ils n’ont pas renoncé, que le gouvernement a l’obligation de les consulter avant d’entreprendre quoi que ce soit sur leur territoire, qu’ils ont à coeur l’environnement et qu’ils tiennent à conserver leur façon de gérer leurs ressources.

« Assez, c’est assez. Ce territoire, c’est notre territoire non cédé, le Nitaskinan, sur lequel nous comptons faire respecter nos droits et notre titre aborigène. […] Traditionnellement, les chefs de famille ont planifié l’utilisation du territoire de manière à y conserver les ressources pour les futures générations. Aujourd’hui, la planification gouvernementale se superpose à celle de nos chefs de famille. […] En territoire Atikamekws, il n’y a pas eu de cession de droits ni d’abandon de nos titres et de nos droits. L’ensemble du territoire est donc toujours soumis à ce que l’on désigne par les droits ancestraux, dont un titre aborigène Atikamekws qui nous donne des droits d’utilisation prioritaire sur le territoire. […] Nous sommes prêts à faire du développement économique, mais nous gardons toujours en tête l’environnement. Il y a un impact sur les ressources fauniques et sur les territoires familiaux et là-dessus, nous n’avons pas la même vision que le gouvernement. »

propos rapportés par Francine Beaupré, Écho de La Tuque, 28 septembre 2011 : 4

Tout cela, d’après Éva Ottawa, signifie que le gouvernement doit demander et obtenir le consentement des Atikamekws avant d’intervenir sur leur territoire (ibid.).

Conclusion

Lorsqu’on cherche à saisir quelles sont les réactions au Plan Nord des Premières Nations concernées, on s’aperçoit que, en trois ans et trois mois (fin septembre 2008 à fin décembre 2011), la presse écrite a braqué ses projecteurs sur les Cris et les Innus, délaissant en premier lieu les Naskapis, mais aussi les Atikamekws et les Algonquins et, dans une moindre mesure, les Inuits. Le fait que le gouvernement a lui-même négligé les Naskapis, les Atikamekws et les Algonquins y est pour quelque chose mais il y a davantage. Les médias écrits réagissent essentiellement aux conférences de presse et aux communiqués. Or, les deux nations les plus productives en ce domaine ont certainement été la nation crie et la nation innue. Le phénomène est aussi frappant dans le cas de l’APNQL : les informations recueillies dans le corpus consulté proviennent des conférences de presse, communiqués et lettres d’opinion du chef Ghislain Picard. C’est sa persistance et la répétition inlassable de son message sur l’absence d’écoute et sur le manque de respect du gouvernement pour les droits des Premières Nations qui font que son point de vue finit par transparaître.

Le biais qui consiste à s’en tenir aux communiqués et aux conférences de presse en entraîne un autre : le point de vue livré au lecteur est essentiellement celui des chefs et très peu celui de la population. Autrement dit, à de rares exceptions près, les journalistes ne vont pas dans les communautés pour tenter de cerner ce que celles-ci perçoivent du Plan Nord. Si les Premières Nations ne se mettent pas en scène elles-mêmes (à coup de pages publicitaires, de discours enflammés, voire menaçants, ou de barricades), nul n’en entend parler. Sébastien Brodeur-Girard parle d’ailleurs, dans l’article cité plus haut (voir la section sur les Inuits), du « spectaculaire silence médiatique résultant de l’indifférence des sociétés québécoises et canadiennes » (Le Devoir, 18 mais 2011 : A7).

Cela étant dit, que retenir, malgré tout et toujours en ne se basant que sur la presse écrite, des déclarations des Autochtones sur le Plan Nord ? Tout d’abord, il est clair que les Inuits et les Premières Nations voient dans cette volonté du gouvernement de développer le « Nord » un levier qu’ils pourraient saisir pour forcer le gouvernement à leur consentir quelques avancées vers leur autonomie, que ce soit par la mise sur pied de gouvernements régionaux (Cris et Inuits), le respect des ententes déjà signées (Cris, Innus de Mashteuiatsh) ou la reconnaissance de leurs droits ancestraux (Alliance stratégique innue, Algonquins, Atikamekws). Il s’agit, comme ce fut le cas dans la région de la Baie James au début des années 1970, de profiter de cette impatiente « ruée vers le Nord » pour faire comprendre au gouvernement qu’il ne peut tenir les terres autochtones pour acquises ni penser que les Inuits et les Premières Nations n’aspirent pas à une autonomie plus explicite.

Pour convaincre le gouvernement, les chefs en appellent à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, aux jugements de la Cour suprême, à la Loi constitutionnelle de 1982. Ils mobilisent l’histoire, disant qu’après quatre cents ans de colonialisme et d’exploitation de leurs territoires, et alors qu’ils n’ont jamais renoncé, cédé ou aliéné leurs droits, il serait temps de passer à un autre type de relation. En fait, quelles que soient leurs situations face au gouvernement (ententes signées ou non), le message est le même : ils ne s’opposent pas au développement dans l’absolu mais encore faut-il que leur consentement soit requis et obtenu pour chacun des projets (mines, coupes forestières, complexes hydroélectriques, infrastructures routières ou autres) ; encore faut-il aussi qu’ils participent à toutes les étapes de la conception et de la réalisation de ces projets, de façon à protéger leurs intérêts mais également leur environnement et leurs cultures. La nécessité de voir à la gestion de leurs terres et des ressources qui s’y trouvent en amène donc plusieurs à proposer des partenariats à leurs voisins non autochtones. Autrement dit, les Inuits et les Premières Nations espèrent que cette soudaine attirance, pour ne pas dire obsession, du gouvernement pour le « Nord » va leur servir pour asseoir leur indépendance politique et économique. Cependant, ils craignent, tant pour la faune et la flore que pour leurs cultures, la brutalité, la rapidité de ce développement et le fait que, n’ayant pas l’air d’avoir été planifié, il se fasse dans le désordre. Si ce message est unanime, nous avons vu qu’il peut prendre des nuances différentes selon les situations des nations et des communautés.

Un autre point de vue exprimé par tous est cette frustration devant un gouvernement qui n’a pas cru bon de consulter les Premières Nations en priorité, qui a tenté une fois de plus de faire comme si elles n’existaient pas, qui ne les informe pas non plus et qui les maintient dans l’incertitude. Pendant que le « Plan Nord » du gouvernement reste un projet très flou pour plusieurs, de nombreux autres projets sont déjà concrètement en marche et donnent lieu à de multiples ententes entre leurs promoteurs et les Autochtones. Dans le cas des nations qui n’ont pas encore signé d’ententes reconnaissant leurs droits à l’autonomie gouvernementale et leurs titres sur leurs terres, l’immobilisme du gouvernement, et donc l’absence de cadre juridique clair, joint aux pressions des compagnies minières et autres, ne risque-t-il pas d’entraîner, dans les faits, la dilution de leurs droits ? C’est ce que craignent certains chefs.