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Le Plan Nord doit être un projet exemplaire de développement durable qui intègre le développement énergétique, minier, forestier, bioalimentaire, touristique et du transport, la mise en valeur de la faune ainsi que la protection de l’environnement et la conservation de la biodiversité. Il favorisera le développement au bénéfice des communautés concernées et du Québec tout entier, et ce, dans le respect des cultures et des identités.

Gouvernement du Québec, s.d.

Alors que le Plan Nord occupe les tribunes (locales, nationales et internationales) depuis des mois, le rôle des Premières Nations et des Inuits dans sa mise en oeuvre semble avoir été éclipsé au profit des investissements et des retombées économiques. Présenté comme un « modèle de développement durable », ce plan stratégique de développement « s’étend à l’ensemble du territoire du Québec situé au nord du 49e parallèle puis au nord du fleuve Saint-Laurent et du golfe du Saint-Laurent » (Gouvernement du Québec 2011b : 8), mais en excluant l’île d’Anticosti et la partie nord de la péninsule gaspésienne. Il vise un territoire représentant 72 % de la superficie de la province – où plus de 25 % de la population est autochtone.

Faisant écho au numéro thématique « Les Inuits, les Premières Nations et le développement minier » publié récemment par la revue (vol. 40, n˚ 3), nous avons jugé utile de poursuivre la discussion sur ces enjeux avec un dossier « Plan Nord » que nous présentons aujourd'hui. À défaut de pouvoir accorder un espace de discussion à tous les partenaires autochtones concernés par le Plan, notre volonté est plutôt de proposer une dimension plus humaine et d’offrir quelques voix à ce vaste chantier qui « se déploiera sur une période de 25 ans ». On trouvera dans ce dossier des articles, des points de vue, une chanson et deux textes d’actualités.

D’entrée de jeu, Hugo Asselin pose la question de la place des populations autochtones (et des Inuits) dans le Plan Nord du gouvernement du Québec. Il constate que les trois volets de développement durable de ce plan – économie, société et environnement – privilégient l’exploitation sectorielle des ressources au détriment d’une vision intégrée et plus systémique orientée vers les besoins des communautés nordiques. Compte tenu de cette situation, l’auteur se demande si les Premières Nations et les Inuits sont de véritables partenaires dans « l’un des plus grands chantiers de développement économique, social et environnemental de notre époque ».

Le territoire d’application du Plan Nord et les communautés autochtones concernées

Le territoire d’application du Plan Nord et les communautés autochtones concernées

Dans cette carte, les nations et les communautés dont les territoires sont pris en considération sont celles qui ont signé la Convention de la Baie James et du Nord québécois (Cris et Inuits en 1975) ou la Convention du Nord-Est québécois (Naskapis en 1978), ou encore l’entente de principe dite « Approche commune » (soit les communautés qui faisaient partie en 2004 du Conseil tribal Mamuitun : Mashteuiatsh, Essipit, Pessamit[*] et Natashquan[**])

Pour ce qui est des autres communautés innues du Québec (nommées sur la carte Uashat, Maliotenam, Mingan, La Romaine, Pakuashipi et Matimekosh[***]), leurs territoires ancestraux, qui s’étendent tant au Québec qu’au Labrador, ne sont pas indiqués sur la carte, vraisemblablement parce que leurs demandes de reconnaissance territoriale n’ont pas encore abouti.

On remarquera que, même s’il apparaît sur la carte, le territoire de la communauté d’Essipit n’est pas inclus dans la zone d’application du Plan Nord et ne devrait donc pas y figurer. Au contraire, les nations algonquine et atikamekw, dont une partie des territoires se trouve dans la partie sud-ouest de la zone d’application du Plan Nord, sont complètement absentes de la carte, ni leurs communautés ni leurs territoires ancestraux n’ayant reçu l’attention du gouvernement.

On comprendra que cette carte – qui provient de la documentation et du matériel promotionnel du site Internet du Plan Nord – représente la vision politico-territoriale du gouvernement du Québec, et non pas celle des nations affectées par ce nouveau découpage du territoire québécois.

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Depuis 2005, Pessamit s’est retirée du processus de négociations territoriales tel que mené par les trois autres communautés du Conseil tribal Mamuitun.

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Cette orthographe transmet une fausse information car, en réalité, Natashquan est le nom du village euroquébécois alors que la localité innue, distante d’environ 6 km, est appelée Nutashkuan.

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Notons que ces toponymes ne sont pas ceux que les communautés emploient elles-mêmes.

Source : MRNF 2010, <http://plannord.gouv.qc.ca/documents/communautes-autochtones.pdf>

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Puis Sylvie Vincent propose une synthèse de ce que la presse écrite a fourni comme informations entre octobre 2008 et décembre 2011 sur les réactions des Premières Nations et des Inuits au Plan Nord. Cette compilation permet de suivre au fil des mois, et de mieux comprendre, les similitudes et les différences entre les positions adoptées par les Premières Nations et les Inuits sur ce sujet.

Nous proposons ensuite quelques points de vue qui entrouvrent des fenêtres sur les façons dont le Plan Nord est reçu par les Inuits et les Premières Nations. Jean-François Arteau présente le Plan Nunavik élaboré par les Inuits en réponse au Plan Nord du gouvernement du Québec. Ce plan vise l’amélioration du niveau de vie de la population du Nunavik, et Jean-François Arteau conclut que l’« intégration des éléments du Plan Nunavik dans le Plan Nord du Québec est une condition de l’acceptabilité » de ce dernier par les Inuits.

Les craintes et les espoirs suscités par le Plan Nord chez les Abitibiwinnis (Algonquins) de Pikogan sont ensuite examinés par le biais d’un entretien de Suzy Basile avec Bruno Kistabish et David Kistabish – devenus respectivement Chef et Vice-Chef du Conseil de la Nation depuis la réalisation de cet entretien – ainsi qu’avec les conseillers Tom Mapachee et Steve Rankin. Les dirigeants interviewés considèrent que leur nation est oubliée par le gouvernement du Québec. Ils demandent qu’elle soit consultée et puisse prendre part aux décisions qui concernent son territoire, ce qui, jusqu’à maintenant, lui a été refusé.

On trouvera ensuite la transcription de l’exposé de Réal McKenzie lors du Forum Plan Nord 2012 – « Ne perdons pas le Nord » (2 et 3 mai 2012). Le chef innu de Matimekosh–Lac-John[*] rappelle qu’avant toutes les autres sa communauté a expérimenté la présence d’une compagnie minière sur son territoire. Malgré de criants besoins de retombées économiques, c’est à la lumière du passé, indique-t-il, que sa communauté considère les nouveaux projets, sûre qu’elle n’acceptera jamais de revivre ce qui lui a été imposé durant la deuxième moitié du xxe siècle.

Puis vient le point de vue de Mali-Jane Vollant, une Innue de Uashat–Maliotenam dont le territoire familial est menacé par les projets d’exploration minière. Elle relate, quant à elle, les difficultés encourues par sa famille pour faire respecter ses droits. Elle explique ce que représente ce territoire où elle-même a été élevée, qu’elle considère comme « chez elle » et qui n’a jamais été cédé ou vendu par sa famille. Au-delà de la politique partisane, cette réflexion nous interpelle directement en précisant que les retombées économiques ne sont pas les seuls enjeux en cause dans la mise en oeuvre du Plan Nord.

Les propos du rappeur algonquin Samian illustrent bien, eux aussi, la grogne et les craintes d’une partie grandissante des autochtones envers le projet du gouvernement du Québec. Nous reproduisons ici les paroles de sa chanson « Plan Nord ».

On trouvera ensuite trois textes qui se situent entre le point de vue et l’analyse. Aurélie Arnaud témoigne de la réalité des femmes autochtones dans et hors des réserves. Elle constate que les multiples enjeux auxquels celles-ci sont confrontées ne sont pas vraiment pris en considération dans l’actuelle version du Plan Nord, ce qui, à son avis, aura des impacts sur la condition de ces femmes et sur l’ensemble des communautés concernées.

Mettant en lumière les logiques, les perceptions et l’imaginaire qui sous-tendent le projet gouvernemental, Étienne Rivard et Caroline Desbiens soulignent ensuite l’importance de « s’ouvrir au Nord » et précisent que le développement du Nord devrait se faire dans le respect des communautés ainsi que dans la reconnaissance de leurs territorialités, de leurs besoins, de leurs imaginaires et des espoirs qui les animent.

Puis, dans un bref essai, Alexandre Germain compare les nouvelles politiques de développement nordique du Québec (avec son Plan Nord) et de l’Ontario (avec la Loi relative à l’aménagement et à la protection du Grand Nord, 2010, et le Plan de croissance pour le Nord de l’Ontario). Même s’il est possible d’établir certains parallèles dans l’application de ces deux politiques, l’approche comparative proposée par l’auteur permet d’identifier les « spécificités de l’approche québécoise », notamment dans les relations du gouvernement du Québec avec les populations autochtones.

Nous terminons ce dossier par deux regards sur l’actualité récente. D'abord une revue, signée Éric Chalifoux, vient prolonger la couverture médiatique, dressée plus haut par Sylvie Vincent, des événements qui ont été mentionnés dans les médias entre 1er janvier au 31 mai 2012 concernant le Plan Nord et les Autochtones. Enfin, Pierre Trudel résume les positions des différents conférenciers autochtones et inuits qui ont participé au Forum Plan Nord 2012 – « Ne perdons pas le Nord » tenu à Québec les 2 et 3 mai 2012. Les positions présentées lors de ce Forum témoignent bien de la diversité des points de vue des dirigeants autochtones et inuits et permettent de nuancer quelque peu l’image qu’en donne le gouvernement dans ses efforts de promotion du Plan Nord.