Troublant de pertinence, cet ouvrage ne se contente pas de relater l’histoire des relations entre les premiers habitants et l’État colonial dans l’ultime retranchement canadien de l’Amérique britannique du Nord, il nous y plonge de plain-pied. Il reprend en effet, pour l’essentiel, le texte quasi intégral des rapports de trois commissions d’enquête successivement mandatées par le gouvernement impérial pour faire le point sur l’administration des « Sauvages » de la colonie durant la période cruciale qui y scellera leur sort presque jusqu'à nos jours, entre la dernière guerre anglo-américaine pour le partage du continent (1812-1814) et la Confédération de 1867 : le rapport du major-général H.C. Darling, secrétaire militaire du gouverneur Dalhousie, en 1828 ; celui du gouverneur général lui-même au lendemain de l’Acte d’union du Bas et du Haut-Canada, Sir Charles Bagot, en 1844 ; et celui du surintendant civil des Affaires indiennes R.T. Pennefather, en 1858. De plus en plus détaillées et clairement articulées (32, 161, 235 pages), les trois enquêtes s’enchaînent pour offrir, comme souligne à juste titre la quatrième de couverture, « d’étonnants moments de vérité », non seulement sur le paternalisme bienveillant, sans cesse tiraillé entre l’assimilation et la ségrégation, l’émancipation et la tutelle, « à l’origine de l’actuelle Loi sur les Indiens et de la création des réserves », mais aussi, par incidence, « avec franchise et réalisme », sur la condition des Amérindiens eux-mêmes durant une période mal connue : « les ravages des guerres et surtout des épidémies, l’ampleur du métissage, le désarroi… », sur un fond inexorable d’expropriation et de refoulement. Les rapports reflètent l’esprit des temps jusque dans l’élégante précision et l’orthographe parfois vieillotte de leur langue (« enfans », « néophites », etc.). [Vérification faite, car ce n’est précisé nulle part : le rapport de Darling a été traduit en français par un spécialiste de l’époque en essayant d’en conserver les usages, et les deux suivants ont été transcrits tels que publiés dans les journaux déjà plus bilingues qu’aujourd’hui de la Chambre d’assemblée du Canada-Uni.] On aura compris que ces pièces à conviction profitent beaucoup du travail d’édition accompli par deux historiens qui se passent eux-mêmes de présentation, en l’occurrence : Michel Lavoie, par vocation tardive collaborateur familier et ex-directeur de cette revue, professeur associé à l’Université de Sherbrooke et récent lauréat du prestigieux Prix du Gouverneur général pour une monographie sur les revendications traditionnelles des Hurons de Wendake ; et l’irremplaçable Denis Vaugeois, peut-être mieux connu que Barrabas dans la passion de l’histoire du Québec (dimensions amérindiennes comprises), comme chercheur, auteur, vulgarisateur et éditeur, voire acteur politique à ses heures. La préface de Vaugeois (p. 7-24) esquisse une magistrale synthèse de la géopolitique des Puissances européennes envers les Amérindiens du Nord-Est jusqu’à leur insignifiance stratégique, une fois fixée la frontière entre les États-Unis et le Canada sur les Grands Lacs : que faire désormais de ces pauvres hères dont la simple survivance, inutilement onéreuse à entretenir, entrave la mise en valeur du pays ? Alors « commence l’époque des commissions d’enquête ». Prenant le relais, l’introduction de Lavoie (p. 25-30) se penche sur cette institution typiquement britannique comme « instrument d’innovations sociales et industrielles », en s’attardant comme de raison sur les innovations durables que doit encore la société canadienne, en matière d’enclavement de ses populations aborigènes, au trio d’enquêtes dont les rapports suivent. Ces pages lues, mais pas vraiment tournées, chacun reprend à sa manière le fil de l’histoire au moment de son inflexion contemporaine, après la Seconde Guerre mondiale : des divers aréopages officiels jusqu'à la commission Erasmus-Dussault de 1996 et ses suites, dans la conclusion …
L’Impasse amérindienne. Trois commissions d’enquête à l’origine d’une politique de tutelle et d’assimilation. 1828-1858, Michel Lavoie et Denis Vaugeois. Septentrion, Québec, 2010, 499 p.[Notice]
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Jean-Jacques Simard
Département de sociologie, Université Laval