Au fil du parcours

Au fil du parcours[Notice]

  • Collectif

Pendant longtemps, mon frère Rémi, mes trois soeurs et moi avons écouté les histoires que notre père ramenait de ses longs séjours en forêt. Il était arpenteur et ingénieur-forestier et, deux fois par année, il partait pour plusieurs mois, l'hiver avec raquettes, chiens et traîneaux, l'été avec des canots que nous trouvions magnifiques. Responsable de petites équipes la plupart du temps composées d'Amérindiens, plus précisément d'Innus (qu'il appelait alors comme tout le monde « sauvages »), il parcourait la forêt québécoise en mesurant l'espace, en définissant les contours des lacs et le cours des rivières et en traçant les « lignes » qui découpaient le territoire du Québec en comtés et cantons. Une de ces histoires nous a particulièrement marqués. Sur le chemin du retour d'un de ces longs voyages, papa partageait un canot avec un des Innus qu'il a le plus aimés. Il s'appelait Philippe Vollant. Dans un fort rapide, le canot se fracassa, papa put s'agripper à une roche mais Philippe Vollant disparut à jamais. C'était pourtant un excellent homme de canot. Ce tragique accident est survenu autour de 1930 alors que ni Rémi ni moi n'étions nés. Mais nous en avons beaucoup entendu parler et nous avons compris que papa admirait beaucoup Philippe Vollant, qu'il appréciait son leadership au sein de ses équipes, qu'il se régalait de son humour et que les circonstances dramatiques de sa mort l'avaient beaucoup affecté. Donc, très jeune, Rémi a entendu parler des « sauvages » et il a compris que son père avait tissé avec certains d'entre eux des liens privilégiés. Quand nous étions adolescents, Rémi et moi, papa décida de nous emmener « dans le bois ». Pendant quelques étés, nous avons fait partie de ses équipes presque toujours composées d'Innus de Pointe-Bleue (devenu Mashteuiatsh) et de Betsiamites (devenu Pessamit) : François Germain que nous appelions « Monsieur » Germain parce qu'il était âgé et qu'il inspirait le respect, son fils William, son gendre Antonio Siméon, Georges Bégin, Joe Gill, Vincent Hervieux, Eugène Picard et quelques autres. Ces hommes nous ont tout appris de la vie en forêt : le maniement du canot, beau temps mauvais temps, la façon de repérer la décharge d'un lac en lisant la courbure des montagnes, la descente des rapides et les manières de portager canots et bagages, le choix d'emplacements pour installer les campements, les usages multiples des haches et couteaux, etc. Et, malgré la distance qui nous séparait d'eux, nous avons commencé lentement à découvrir « Monsieur » Germain, Antonio, William et les autres, souvent hommes de peu de mots. Nous avons admiré leur adresse, leur humour, leur patience, et quand je pense à ces longs voyages, je me dis qu'ils sont à la source des liens que Rémi a créés avec les autochtones. Plus tard, il voudra les connaître davantage et percer le mystère que la rencontre de l'autre fait souvent naître chez les humains. Rémi avait 15 ans lors du premier voyage. Moins de vingt ans plus tard, en 1967, il organisait avec José Mailhot, Madeleine Lefebvre, Robert Lanari et d'autres collègues ses premières collectes de légendes innues à Sheshatshit et Matimekush, légendes qu'il présenta en 1971 dans Carcajou et le sens du monde. Depuis Carcajou jusqu'à La Forêt vive (2004), l'étude et la présentation de ces légendes représentent un des axes majeurs du travail de Rémi. Il a bien montré que ces textes oraux ne sont pas de petites histoires racontées au coin du feu pour passer le temps, mais constituent de véritables récits fondateurs. Des récits qui expriment la façon dont les Innus perçoivent l'origine du monde et de …

Parties annexes