Comptes rendus

Carl Benn. Mohawks on the Nile. Natives Among the Canadian Voyageurs in Egypt 1884-1885, Natural Heritage Books et Dundurn Press, Toronto, 2009, 278 p.[Notice]

  • Yves Laberge

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  • Yves Laberge, Ph.D.
    Faculté de philosophie,
    Université Laval,
    Québec

Le livre Mohawks on the Nile correspond en fait à un dossier étoffé et diversifié établi par le professeur Carl Benn (du département d’histoire de l’Université Ryerson, à Toronto) et centré sur un événement historique important mais peu connu, assez inusité dans l’histoire du Canada. Il y a plus d’un siècle, entre 1884 et 1885, un groupe de jeunes Mohawks provenant principalement des régions de Kahnawake (Caughnawaga) et de Kanesatake ont été recrutés pour faire partie d’une expédition militaire de l’armée britannique (p. 17). Ces Mohawks avaient été choisis en raison de leurs talents de navigateurs sur les rivières et les rapides afin d’aider les forces armées de l’Empire britannique dans son occupation de l’Égypte et pour son invasion planifiée du pays voisin, le Soudan, à partir de 1882 (p. 26). Cette mission impérialiste ne s’est pas tout à fait déroulée comme prévu et la Grande-Bretagne a par la suite abandonné son idée d’envahir le Soudan ; néanmoins, en dépit de son caractère militaire, cette expérience trans-Atlantique fut intéressante du point de vue interculturel et ethnologique, car elle a permis à un groupe de Canadiens, dont plusieurs autochtones (Mohawks, Ojibways), de traverser l’océan, de se rendre en Afrique et de visiter les pyramides d’Égypte – ce qui était peu fréquent à une époque où les voyages, les vacances, le tourisme étaient pratiquement inexistants, surtout pour des travailleurs. Il faut préciser que ces autochtones du Canada n’étaient pas des « conscrits » enrôlés de force, mais bien au contraire des civils sous contrat à durée fixe de six mois, engagés volontairement par l’armée royale uniquement pour cette mission (p. 34). Ce sont précisément ces aspects transculturels qui sont mis en évidence dans ce livre méconnu, subdivisé en trois parties principales : d’abord la mise en contexte faite par le professeur Carl Benn (qui occupe plus de la première moitié de l’ouvrage, p. 1-130), puis les témoignages écrits de deux des Mohawks (p. 131-177), et enfin sept annexes comprenant entre autres une chronologie (p. 220-228) et un index. En outre, quelques cartes et des petites photographies anciennes accompagnent le texte. La première partie du livre est plus érudite en raison de sa documentation précise rassemblée par le professeur Benn : aux apports synthétisés tirés des deux témoignages reproduits en annexes s’ajoute une mise en contexte à propos de l’excellente réputation des Mohawks pour naviguer sur les rapides (particulièrement ceux du Manitoba). Pour corroborer ses dires, l’auteur ajoute de nombreuses références tirées d’archives fédérales et de journaux canadiens à propos de cette expédition militaire dont on avait parlé dans les médias de l’époque, par exemple la Gazette de Montréal, le Free Press d’Ottawa, mais aussi le New York Times (p. 80). De plus, le périple est relaté avec beaucoup de détails : non seulement les activités proprement militaires, mais aussi les longs trajets entre le Québec et l’Afrique, de même que la « visite touristique » des Mohawks à Alexandrie puis devant le Sphinx et les pyramides. L’expédition vers l’Afrique dans des conditions difficiles ne fut ni parfaite ni continuellement harmonieuse : plusieurs hommes ont fait face au mal de mer, à des conflits, à des jalousies, à l’excès de consommation d’alcool (p. 34). Avec discernement, Carl Benn ne passe pas sous silence ces situations et dénonce autant l’alcoolisme, le racisme de certains, les tensions durant ce long voyage d’une dizaine de jours, particulièrement lors du retour vers l’Amérique (p. 34, 78 et 80). D’ailleurs, le thème de la tempérance revient fréquemment dans l’ouvrage, et pas seulement à propos des Amérindiens (p. 80-81, 161). Par ailleurs, on constate que les préjugés et le …