IntroductionTraditions et transformations rituelles chez les Amérindiens et les Inuits du Canada[Notice]

  • Frédéric Laugrand et
  • Denys Delâge

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Au Canada et au Québec, les traditions amérindiennes n’ont jamais été aussi visibles qu’au cours de la dernière décennie. Les spiritualités autochtones, par exemple, s’observent aussi bien sur les territoires éloignés qu’au coeur des métropoles. Elles apparaissent dans les institutions culturelles, les centres de ressourcement thérapeutique, dans les églises et les chapelles, dans les prisons. Elles s’affichent même dans les casinos et les galeries marchandes, au cinéma comme au théâtre, sur les sites Internet, dans les musées, les festivals, les librairies ésotériques et les colloques. Elles se déploient dans l’espace intime des maisons ou à l’occasion des nombreux powwows qui rythment la vie estivale des réserves amérindiennes et où affluent de plus en plus les touristes. Depuis le tout dernier numéro que la revue Recherches amérindiennesau Québec a consacré à ces questions de spiritualité et d’identité, en 2000, le nombre de publications sur ce thème a explosé, si bien qu’en présenter un bilan exhaustif dépasse le cadre du présent numéro. Ces traditions n’interpellent plus seulement les anthropologues et les sociologues, mais toutes les disciplines académiques : de l’histoire aux sciences juridiques, des arts à la théologie, de la philosophie aux sciences politiques, de la littérature aux sciences des religions et aux sciences de l’éducation. Les chercheurs universitaires et le grand public s’intéressent à ce point aux traditions autochtones qu’il y a lieu de se demander s’il n’y a pas derrière cet engouement un sentiment presque nostalgique, une aspiration à mieux connaître des cosmologies où, hiérarchiquement, le relationnel l’emporte encore sur l’individuel et la temporalité cyclique sur la temporalité linéaire. Certains voient plutôt dans ces stéréotypes les marques d’un exotisme tenace et d’une autre réduction. D’autres encore préfèrent y lire le signe d’une avancée du multiculturalisme et d’une plus grande ouverture de l’opinion face à ces cultures. En témoigne, par exemple, l’insertion au Québec, dans les manuels du tout nouveau programme d’éthique et culture religieuse destiné aux élèves du primaire et du secondaire, d’un volet sur les spiritualités autochtones qui se retrouvent aux côtés des religions du tronc abrahamique. Cette fascination que suscitent les traditions autochtones n’est évidemment pas nouvelle. Elle commence dès la conquête de l’Amérique avec l’essor du mythe du Bon Sauvage et traverse toute la période coloniale, comme l’illustre le cas de Grey Owl au xixe siècle. Elle se perpétue aujourd’hui dans ces multiples références à la sagesse amérindienne et à l’harmonie cosmique, qui accompagnent cette passion écologique ou métaphysique de la nature qui a trouvé son épanouissement en Occident, en réaction aux excès de la modernité. La passion des modernes pour les spiritualités autochtones et pour les Amérindiens est, de ce fait, une longue tradition. Comme les hybrides de Bruno Latour (1997), ceux du monde amérindien attirent et dérangent à la fois. Les mélanges et les transgressions qu’ils opèrent suscitent sans cesse de multiples interrogations : s’agit-il d’un objet traditionnel, rituel ou folklorique ? A-t-on affaire à un récit authentique ou bricolé, à un rituel local ou importé, à une pratique traditionnelle ou moderne, à du théâtre, à une cérémonie ancienne ou réinventée, à un portrait ou à une caricature ? Il faut peut-être se défaire de ces fantômes, la pureté ou l’authenticité demeurant des points contestables, y compris à l’intérieur d’une seule et même tradition. Enfin, la frontière entre ces registres demeure souvent ténue, si bien qu’un objet décoratif ou ludique peut servir d’objet rituel, funéraire, ou d’amulette, si nécessaire. Les miniatures inuites constituent un excellent exemple, le même objet pouvant remplir différentes fonctions selon les contextes (Laugrand et Oosten 2008a). Dans la pensée du bricoleur si bien décrite par Claude Lévi-Strauss (1962), le …

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