
RACAR : Revue d'art canadienne
Canadian Art Review
Volume 20, numéro 1-2, 1993
Sommaire (15 articles)
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Les vingt ans de RACAR
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Carolingian Crucifixion Iconography: An Elaboration of a Byzantine Theme
Elizabeth Leesti
p. 3–15
RésuméFR :
On retrouve dans l’art carolingien du neuvième siècle un type de représentations de la crucifixion qui met en relief un grand nombre de motifs symboliques, parmi lesquels on peut relever le serpent lové au pied de la croix, les personnifications féminines de l’Église et de la Synagogue, ainsi que celles du soleil, de la lune, de la terre et de l’océan, et, enfin, des représentations de la résurrection des morts. L’origine de cette iconographie reste incontestablement byzantine, mais les enlumineurs et les sculpteurs d’ivoire carolingiens ont enrichi l’archétype pendant de nombreuses décennies. La plupart de ces transformations provenaient du désir de développer un symbolisme triomphal, inhérent à ce type de modèle. Le motif du serpent lové au pied de la croix semble l’une des additions les plus importantes et apparaît pour la première fois dans le Sacramentaire de Drogon. Le serpent, symbole de Satan, signifie doublement : il sert de référence typologique à la chute d’Adam et représente le Christ triomphant du Malin. Quoique l’on puisse déduire le sens du motif des écrits bibliques et patristiques, l’explication la plus plausible provient de la liturgie carolingienne de la période. La personnification de la Synagogue semble être l’un des éléments les plus variables de ces crucifixions. Elle est représentée par un grand nombre de poses, de gestes et d’attributs différents —et apparaît même, en ce qui concerne le Sacramentaire de Drogon, sous forme masculine—. Dans certains cas, on pourrait croire que la diversité formelle de ce motif laissent entrevoir une attitude plus bienveillante à l’égard du Judaïsme que ne le reflétait le modèle byzantin lui-même.
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The Shrine of St. Gertrude of Nivelles and the Process of Gothic Design
James Bugslag
p. 16–28
RésuméFR :
La châsse de Sainte-Gertrude de Nivelles reste en orfèvrerie un exemple précoce de “micro-architecture.” Le contrat qui existe toujours remonte à 1272 et montre clairement que le projet et l’exécution étaient deux opérations complètement séparées. Cela laisse aussi entendre qu’un dessin du projet accompagnait le contrat. À mon avis, le dessin représentait une élévation architecturale très minutieusement tracée et les nombreuses références architecturales de la châsse renvoyaient à des édifices plus anciens d’Ile-de-France et, sans aucun doute, les dessins d’architecture constituaient les moyens par lesquels ils étaient fixés dans le projet. En fait, on retrouve d’autres exemples de dessins d’architecture accompagnant les contrats à cette époque, période pendant laquelle la séparation entre le concept et l’exécution s’affirmait de plus en plus dans un grand nombre de traditions artisanales. La conception du projet qui peut être perçue dans la châsse de Sainte-Gertrude offrait beaucoup de similitude avec les écrits de saint Thomas d’Aquin qui assimilent la pureté formelle et la réalisation précise d’un concept. Le fondement géométrique du dessin d’architecture le rangeait du côté de la forme intelligible, ce qui permettait de croire également dans les qualités transcendantes du dessein. Cette nouvelle méthode de transfert de la forme devenait possible grâce aux nouvelles techniques de dessin, y compris l’élévation architecturale, et favorisait l’éclosion de la “micro-architecture.” Cette méthode indique aussi un développement substantiel dans le processus de la conceptualisation “gothique” qui eut des effets sur la formation artisanale, les pratiques d’atelier, le statut des objets d’art et dans la position sociale du concepteur.
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“El Vostro Poeta:” The First Florentine Printing of Dante’s Commedia
Anne Dunlop
p. 29–42
RésuméFR :
Le 30 août 1481, Cristoforo Landino présentait à la population de Florence une édition de la Divine Comédie, imprimée dans la ville natale du poète. Ce n’était pas le premier tirage de l’oeuvre; mais cette première édition florentine se distinguait nettement des exemplaires précédents. Pour la ville de Florence, l’ouvrage remplissait une triple fonction : il témoignait de la maîtrise, voire de la suprématie, des Florentins dans le domaine de l’impression, il marquait le rapatriement symbolique du poète et de son oeuvre et soulignait les mérites du vernaculaire toscan comme langue littéraire. Cependant cette “ré-inscription” de l’oeuvre se heurtait à la longue histoire visuelle, textuelle et orale du poème : le vernaculaire de la Comédie avait engendré un grand nombre de légendes et de mythes qui liaient l’oeuvre à un public de lecteurs et d’auditeurs ignorants et illettrés.
Pour faire de la Divine Comédie un poème savant et proprement florentin, les éditeurs avaient fait appel à toute une gamme de stratégies textuelles, visuelles et typographiques : les “Commenti” de Ficino et de Landino, un format in-folio propre aux livres savants, des caractères “humanistes” et dix-neuf illustrations dont la structure visuelle était connue de l’élite florentine. Raffinées structurellement et très détaillées, les images permettaient à chacun des lecteurs de reconstruire individuellement les épisodes du poème, d’une manière qui correspondait étroitement aux pratiques de lecture des humanistes et des élites toscans.
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The “Popish Midwife”: Printed Representations of Elizabeth Cellier and Midwifery Practice in Late Seventeenth-Century London
Kirstin Evenden
p. 43–59
RésuméFR :
Cet article examine le rôle joué par les imprimés dans la redéfinition de la pratique de l’obstétrique dans l’Angleterre du XVIIe siècle et analyse plus précisément trois gravures dans lesquelles on retrouve une sage-femme catholique, Elizabeth Cellier. En tant qu’élément d’un plus important corpus d’images whigs publiées, à Londres, pendant la crise occasionnée par les Bills d’exclusion entre 1678-1681, ces représentations d’Elizabeth Cellier font constamment allusion à sa présumée collaboration à un “complot papiste”, ourdi par les Catholiques dans le but de tuer le roi Charles II. Non seulement elles définissent Cellier comme une “criminelle papiste”, mais cette manière de la représenter laisserait aussi supposer que sa profession était elle-même l’un des aspects de sa déviance, car les représentations de Cellier en “sage-femme papiste” apparaissent au moment où les pratiques traditionnelles de l’obstétrique furent remises en question. Autorisées par l’Église d’Angleterre depuis 1534, elles relevaient exclusivement de la compétence des femmes. Pendant le dix-septième siècle, les sages-femmes furent de plus en plus les victimes de critiques émanant de groupes non-conformistes réprouvant les rituels anglicans concernant la naissance et du corps médical souhaitant exercer un contrôle sur les accouchements.
Cet essai tentera de montrer comment ces trois gravures de Cellier firent partie de stratégies politiques et sociales complexes destinées à redéfinir l’obstétrique de telle sorte que les femmes en furent écartées au profit exclusif du corps médical masculin.
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Portraiture, Revolutionary Identity and Subjugation: Anne-Louis Girodet’s Citizen Belley
Sylvia Musto
p. 60–71
RésuméFR :
En 1797, Girodet-Trioson peignait le portrait de Jean-Baptiste Belley, un Noir qui fut député de Saint-Domingue, de 1794 à 1797, à la Convention nationale. La critique de l’époque et la critique ultérieure ont interprété le tableau comme une célébration de l’abolition de l’esclavage en France (1794) et comme un symbole des idéaux de liberté et d’égalité de la Révolution française. Pourtant, ce portrait illustre un paradoxe fondamental de la Révolution : comment réconcilier la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen avec l’engagement ferme du Gouvernement révolutionnaire de maintenir l’empire colonial? Le pouvoir considérable dont jouissaient les leaders noirs à Saint-Domingue après l’abolition de l’esclavage et l’incertitude croissante face à la domination française de la colonie inquiétaient Paris. Et Girodet, en créant l’image d’un nouveau citoyen noir et français, se devait de composer à la fois avec l’esprit conservateur et anti-jacobin du Directoire et avec la menace que représentaient les leaders noirs de Saint-Domingue. Dans le portrait, Belley se retrouve inclus dans l’élite révolutionnaire française comme député de la colonie, mais en même temps sa différence et sa marginalité s’incarnent dans la représentation elle-même. Le peintre, en manipulant subtilement le langage pictural, la rhétorique et les mythes utilisés à l’époque, représente et définit une hiérarchie raciale qui pouvait justifier le colonialisme, l’assujettissement et l’exploitation des Noirs.
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Anna Jameson and George Eliot
Adele M. Ernstrom
p. 72–82
RésuméFR :
Considéré au milieu du XIXe siècle comme l’un des plus anciens incunables gravés d’Europe, la gravure sur bois anonyme, connue sous le nom du saint Christophe de Buxheim se retrouve parmi les images discutées par Anna Jameson dans son livre, Sacred and Legendary Art (1848) où, dans une partie consacrée aux saints patrons de la Chrétienté, l’historienne raconte la fable de saint Christophe. La “vie” de Christophe y est caractérisée sous une forme qui en minimise l’aspect légendaire, tout en insistant sur une signification latente comme narration figurative. Cet article examinera le texte de Jameson sur saint Christophe et les motifs iconographiques de la xylographie de Buxheim avant de voir comment George Eliot travaille ce motif dans la structure symbolique de son roman, Le moulin sur la Floss. Puis, il tentera, tout en tenant compte du contexte socio-culturel et féministe de l’époque, de donner un sens aux rapports entre l’oeuvre des deux auteures en montrant que la connaissance approfondie de George Eliot des ouvrages sur le symbolisme de l’art chrétien d’Anna Jameson lui permet d’établir les paramètres de la sainteté et de la vocation féminine tels qu’ils apparaîssent dans Middlemarch, en s’inspirant du paradigme de la vie de sainte Thérèse développé dans Legends of the Monastic Orders (1850).
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Klinger’s Christ on Olympus: The Confrontation between Christianity and Paganism
Elizabeth Tumasonis
p. 83–97
RésuméFR :
Entre 1890 et 1897, l’artiste allemand Max Klinger peignait le Christ sur le mont Olympe, son oeuvre la plus considérable et la plus ambitieuse. Elle représentait le Christ et les quatre vertus cardinales apparaissant devant Zeus et les dieux olympiens. La critique récente autant que la critique de l’époque ont interprété l’oeuvre de diverses façons et au moins un critique du temps l’avait vu comme la célébration du triomphe de la Chrétienté sur le paganisme, mais une relecture du contexte suggère autre chose. Une longue lignée d’écrivains allemands, comprenant Goethe, Schiller, Heine et plus particulièrement Nietzsche, ont vu le Christianisme comme une religion “mortifère” qui avait détruit la sensualité naturelle et l’amour de la vie, caractéristiques des Anciens. Comme de nombreux intellectuels de l’époque, Klinger admirait Nietzsche. Un examen approfondi du tableau et des oeuvres qui s’y rattachent laisse croire que Klinger voyait son tableau comme une allégorie nietzschéenne, rejetant la culpabilité chrétienne liée au corps et affirmant de nouveau la sensualité physique. Les oeuvres de Klinger reflètent cette idée d’une association entre l’antiquité classique et la liberté sexuelle, idée largement partagée par de nombreux artistes symbolistes allemands à la fin du siècle. À travers ce thème, ces artistes désiraient se libérer des conventions morales et esthétiques de leur temps.
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Roger Fry et Clive Bell : divergences fondamentales autour de la notion de « Significant Form »
Pierrette Jutras
p. 98–115
RésuméEN :
The fundamental differences between the formalism of Roger Fry and that of Clive Bell far outweigh the few part of communalities that are often recalled to fuse, and confuse, one with the other. More specifically, the axioms which underwrite their respective views of “significance,” “form,” “significant and expressive form” or “Significant Form,” imply orientations and meanings which are so antithetic that they must be read as opposing rather than supporting each other. Such is the global conclusion resulting from a comparative analysis of texts from both authors written over a period of some twenty-five years (1909-1934). This analysis was conducted around such themes as the relationship of art and life, the means and methods of access to the aesthetic experience, and the manifestations and finalities of those experiences. The findings are fourfold. First, while Fry wants art to serve as a “double life,” unfaillingly rooted in and attentive to the human experience in this world, Bell feels art to be entirely devoted to “another world” and totally independent of—and oblivious to—the human experience. Second, while Fry presumes that anyone willing to work at learning and developing visual and perceptual skills can gain access to the aesthetic experience, Bell declares that only those born with the “aesthetic sensibility” will ever reach its peaks. Third, while Fry’s aesthetic experiences produce a variety of affects of different intensities (feelings or emotions, Bell’s “grand aesthetic thrill” is unique and always possessed of ecstatic intensity. Fourth, while Fry involves art in a process of cognition and communication, Bell glorifies art as a refuge and an escape from all communication and articulated cognition. Obviously, then, the significances and forms envisaged and supported within each of these contexts are irreconcilable.
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Le philosophe chez Vélasquez : l’intrusion de Michel Foucault dans la fortune critique des Ménines
Nicole Dubreuil-Blondin
p. 116–129
RésuméEN :
This article compares Michel Foucault's analysis of Velazquez' Las Meninas and the critical production inspired by the approach of the philosopher with the more conventional interpretation of the work by specialists of Spanish painting. Examining in detail the diverging strategies of the “theoreticians” and the “scholars,” it attempts to map out the conceptual horizon as well as the methodological procedures of both camps.
One important point of divergence between the two groups is the result of Foucault's interest in the “apparatus” of the painting, as opposed to a concern for its narrative and symbolic content. This implies a passage from the “what” to the “how” of representation, from reference to self-reference and a privileging of structural functions over or before considerations of social status.
The study also considers some repressed elements in the Foucauldian approach, from gender relations to the pictorial treatment of the work.
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AARON: Portrait of the Young Machine as a Male Artist
Mary Leigh Morbey
p. 130–139
RésuméFR :
AARON, 25 ans, est un programme informatique, doté d’une intelligence artificielle qui peut faire des dessins à main levée. Il a été développé par Harold Cohen, un peintre expressionniste abstrait anglais. En 1968, ce dernier s’intéressait à l’intelligence artificielle et faisait de l’ordinateur le véhicule principal de sa démarche artistique. Dans les années 70, les images d’AARON se limitaient à des dessins géométriques abstraits et, vers le milieu des années 80, son programme « cognitif » s’élargissait pour inclure la reconnaissance de la morphologie humaine et végétale, permettant ainsi de produire des dessins à main levée de gens évoluant dans des environnements de jardins.
Cet article retrace le développment conceptuel d’AARON par le biais de sa biographie, il explore les aspects spécifiquement masculins qui sous-tendent le programme et examine les implications de cette désignation sexuelle dans la construction des modèles théoriques de ce champ artistique en émergence.
Livres / Books
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Gwendolyn Trottein, Les Enfants de Vénus. Art et astrologie à la Renaissance. Paris, Éditions de la Lagune, 1993, 244 pp., 20 colour plates; 73 black-and-white illus. $80.00
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Joseph D. Ketner, The Emergence of the African-American Artist: Robert S. Duncanson 1821-1872, Columbia and London, University of Missouri Press, 1993, 235 pp., 114 black-and white and 20 color illus., $39.95
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Deborah Cherry, Painting Women, Victorian Women Artists. London, Routledge, 1993, 275 p. 47 black-and-white illus. $26.95
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Shirley Neuman and Glennis Stephenson, eds., Relmagining Women: Representations of Women in Culture. Toronto: University of Toronto Press, 1994, 334 pp. $24.95 (paper)