Depuis que l’humain sait communiquer, il cherche à découvrir (et à cacher) la vérité par tous les moyens. En Chine, un millénaire avant Jésus-Christ, on obligeait les personnes suspectées d’avoir menti à mâcher du riz sec avant de le recracher : si le rejet était sec (par manque de salive), on estimait qu’elles avaient menti. Au Moyen Âge, les juges utilisaient une méthode semblable. Ils faisaient avaler de la farine aux accusés dans le but d’identifier ceux qui avaient la bouche sèche. Dans le cas où un accusé avait la bouche sèche, cela signifiait qu’il n’avait pas dit la vérité. Depuis, un grand nombre de techniques, plus ou moins scientifiques, ont vu le jour. Du riz utilisé dans l’Antiquité au polygraphe employé aujourd’hui, qu'avons-nous appris sur la détection du mensonge? L’effet Pinocchio existe-t-il? Ce texte fait le point sur ce que la science nous a appris au sujet de la détection du mensonge, par l’observation des signes verbaux et non verbaux, ainsi que des mythes qui y sont associés, et surtout, des limites liées à la détection du mensonge. Mentir est un comportement normal (dans une certaine mesure) et (souvent) nécessaire. Un enfant apprend à mentir dès l'âge de 3 ans, d'abord d'une manière ludique, puis, à « l'âge de raison » (vers 6-7 ans), ses mensonges peuvent être suffisamment bien construits et crédibles pour tromper un adulte (Vrij 2000). On ne peut leur en vouloir, car nous sommes souvent les artisans de leur capacité à mentir (St-Yves, Pilon et Landry, 2004) : [le téléphone sonne] « Chut, papa n'est pas là ». Il est également plus logique de mentir que de dire la vérité. Si on ment, on peut se sortir d'une situation embarrassante ou éviter une conséquence, alors que si on dit la vérité, on devra inévitablement faire face aux conséquences. Les enfants apprennent à mentir très tôt et leur prédisposition à mentir ou à dire la vérité sera influencée par les enjeux (punition versus récompense) qui y sont reliés. Si l’on demande à un enfant si c’est lui qui a fait une bêtise (en supposant que c’est bel et bien lui), il hésitera à répondre parce qu’il évaluera les conséquences possibles (punition) de ses actes. Il sait que la personne qui pose la question ne possède probablement pas de preuve puisqu’elle l’interroge à ce sujet. En mentant, l’enfant a la possibilité de s’en sortir indemne, alors que s’il dit la vérité, il a de fortes chances d’être puni : « Non, ce n’est pas moi ». Nous mentons délibérément pour toutes sortes de raisons : pour se valoriser, pour dissimuler des émotions, par haine, pour éviter une conséquence, et même parfois, pour le plaisir ou pour faire plaisir. Les gens mentent en moyenne une à deux fois par jour (DePaulo, Kashy, Kirkendol, Wyer et Epstein, 1996), mais cette moyenne serait influencée par un petit groupe (à peine 5 %) de menteurs invétérés (Serota, Levine et Boster, 2010). Lorsque vient le temps de mentir, les hommes sont généralement plus à l'aise et se sentent moins coupables que les femmes. Cependant, il n'y aurait pas de différence significative quant à la fréquence des mensonges (DePaulo, Epstein et Wyer, 1993). Toutefois, on observe des différences dans le type de mensonge. Les hommes ont plus tendance à dire des mensonges d’autoprotection dans l’intention de préserver ou d’améliorer leur propre image (les exagérations, par exemple), tandis que les femmes inventent plus souvent des mensonges altruistes (sous forme de compliments) (DePaulo, Kashy, Kirkendol, Wyer et Epstein, 1996). On ne détecte pas le mensonge, mais plutôt l'anxiété qu'il génère. Chez certains individus, …
Parties annexes
Bibliographie
- Bond, C.F., DePaulo, B.M. (2008) Individual differences in judging deception: accuracy and bias. Psychol Bull 134(4):477–492.
- De Becker, Gavin. 1997. The Gift of Fear. New York: Dell Publishing.
- DePaulo, B.M., Lindsay, J.J., Malone, B.E., Muhlenbruck, L., Charlton, K. et Cooper, H. (2003) Cues to deception. Psychol Bull 129(1):74–118.
- DePaulo, B.M., Lindsay, J.L., Malone, B.E., Muhlenbruck, L., Charlton, K. et Cooper, H. (2003). Cues to deception. Psychological Bulletin, 129, 74-118.
- DePaulo, B.M., Epstein, J.A. et Wyer, M.M. (1993). Sex differences in lying: how women and men deal with the dilemma of deceit. In M. Lewis & C. Saarni (Eds), Lying and deception in everyday life. New York: The Guilford Press, 126-147.
- DePaulo, B.M., Kashy, D.A., Kirkendol, S.E., Wyer, M.M. et Epstein, J.A. (1996), Lying in everyday life. Journal of Personality and Social Psychology,70, 979-995.
- Ekman, P. (2003). Emotions Revealed: recognizing faces and feelings to improve communication and emotional life. New York: Times Books.
- Ekman, P. (1997). Deception, lying, and demeanor. In D.F. Halpern & A.E. Voiskounsky (Eds), States of mind: American and post-soviet perspectives on contemporary issues in psychology. New York: Oxford University Press, 93-105.
- Ekman, P. (1992). Telling lies: clues to deceit in the marketplace, politics and marriage. New York: W.W. Norton.
- Fisher, R. P. (2010). Interviewing cooperative witnesses. Legal and Criminological Psychology, 15, 25-38.
- Frank, M. G. et Feeley, T.H. (2003). To catch a liar: Challenges for research in lie detection training. Journal of Applied Communication Research, 31, 58-75.
- Geiselman, R.E. et Fisher, R.P. (2014). L’entrevue de témoins et de victimes. Dans M. St-Yves, Les entrevues d’enquête : L’essentiel. Les Éditions Yvon Blais (Cowansville), 31-66.
- Goleman, Daniel. 1995. Emotional Intelligence. New York: Bantam Books: 10-21.
- Granhag, P.A. et Hartwig, M. (2008). A new theoretical perspective on deception detection: On the psychology of instrumental mind-reading. Psychology, Crime & Law, 14, 189-200.
- Granhag, P.A., Strömwall, L.A., Willén, R. et Hartwig, M. (2013). Eliciting cues to deception by tactical disclosure of evidence: The first test of the Evidence Framing Matrix. Legal and Criminological Psychology, 18, 341-355.
- Hartwig, M. et Bond, C.F. (2011). Why do lie-catchers fail? A lens model meta-analysis of human lie judgments. Psychological Bulletin, 137, 643-659.
- Hartwig, M., Granhag, P.A. et Strömwall, L. (2007). Guilty and innocent suspects’ strategies during interrogations. Psychology, Crime & Law, 13, 213-227.
- Hu, X., Chen, H. et Fu, G. (2012). A Repeated Lie Becomes a Truth? The Effect of Intentional Control and Training on Deception. Frontiers in Psychology, 2012; 3 DOI: 10.3389/fpsyg.2012.00488
- Hurley, C.M. et Frank, M.G. (2011) Executing facial control during deception situations. J Nonverbal Behav 35:119–131.
- Johnson, R.R. (2006). Confounding influences on police detection of suspiciousness. Journal of Criminal Justice, 34, 435–442.
- Lancaster, G.L.J., Vrij, A., Hope, L. et Waller, B. (2012). Sorting the liars from the truth tellers: The benefits of asking unanticipated questions. Applied Cognitive Psychology, 27, 107-114.
- LeDoux, Joseph E. 1996. The Emotional Brain: The Mysterious Underpinnings of Emotional Life. New York: Touchstone.
- Leins, D.A., Fisher, R.P., & Vrij, A. (2012). Drawing on liars' lack of cognitive flexibility: Detecting deception through varying report modes. Applied CognitivePsychology, n/a-n/a. doi: 10.1002/acp.2837.
- Levine, T.R., Clare, D.D., Blair, J.P., McCornack, S., Morisson, K. et Park, H.S. (2014). Expertise in Deception Detecting Involves Actively Prompting Diagnostic Information Rather Than Passive Behavioral Observation. Human Communication Research, 40, 442-462.
- Matsumoto, D., Hwang, H.C., Skinner, L.G. et Frank, M.G. (2014). Positive Effects in Detecting Lies from Training to Recognize Behavioral Anomalies. Journal of Police and Criminal Psychology, 29, 28-35.
- Mehrabian, A. (1972). Nonverbal communication. Aldine-Atherton, Chicago, Illinois.
- Morgan III, C.A., Mishara, A., Christian, J. et Hazlett, G.A. (2008). Detecting deception through automated analysis of translated speech : credibility assessments of arabic-speaking interviewees. Journal of Intelligence Community Research and Development, 1-22.
- Navarro, J. (2010). Louder Than Words. New York: Harper Collins.
- Navarro, J. (2008). What Every Body Is Saying. New York: Harper Collins.
- Navarro, J. (2007). Psychologie de la communication non verbale. Dans M. St-Yves et M. Tanguay (Dir.), Psychologie de l’enquête criminelle : la recherche de la vérité, Les Éditions Yvon Blais, Cowansville (Québec), 141-163.
- Navarro, J. (2003). A Four Domain Model of Detecting Deception. FBI Law Enforcement Bulletin, (June): 19-24.
- Newman, M.L., Pennebaker, J.W., Berry, D.S., Richards, J.M. (2003). Lying words: predicting deception from linguistic styles. Personal Soc. Psychol. Bull. 29:665–675.
- Panksepp, J. (1998). Affective neuroscience: the foundations of human and animal emotions. New York: Oxford University Press, Inc.
- Porter, S. et ten Brinke, L. (2010). The truth about lies: what words in detecting high-stakes deception? Leg Criminol Psychol 15:57–75.
- Porter, S., ten Brinke, L. et Wallace, B. (2012). Secrets and lies: involuntary leakage in deceptive facial expressions as a function of emotional intensity. J Nonverbal Behav 36:23–37.
- Serota, K.B., Levine, T.R. et Boster, F. J. (2010). The prevalence of lying in America: Three studies of self-reported lies. Human Communication Research, 36, 2-25.
- St-Yves, M. (2014). La relation dans l’entrevue d’enquête : cinq règles fondamentale. Dans M. St-Yves (Dir.), Les entrevues d’enquête : l’essentiel. Les Éditions Yvon Blais (Cowansville), 1-29.
- St-Yves, M., Pilon, M. et Landry, J. (2004). La détection du mensonge. Dans M. St-Yves et J. Landry (éd.), Psychologie des entrevues d’enquête : de la recherche à la pratique, Cowansville (Québec), Les Éditions Yvon Blais, 257-288.
- Talwar, V., Lee, K., Bala, N., et Lindsay, R.C.L. (2002). Children’s conceptual knowledge of lying and its relation to their actual behaviors: implications for court competence examinations. Law and Human Behavior, 26, 395-415.
- Van der Zee, S., Poppe, R., Taylor, P.J., et Anderson, R. (2015). To freeze or not to freeze: A motion-capture approach to detecting deceit. Proceedings of the 48th Hawaii International Conference on System Sciences (HICSS-48).
- Vrij, A. (2014). La détection du mensonge : mythes et possibilités. Dans M. St-Yves, Les entrevues d’enquête : l’essentiel. Les Éditions Yvon Blais (Cowansville), 237-256.
- Vrij, A. (2008). Detecting Lies and Deceit. Pitfalls and Opportunities (Second Edition). Wiley and Sons. Chichester: England.
- Vrij A (2007) Criteria based content analysis: a qualitative review of the first 37 studies. Psychol Publ Policy Law 11:3–41.
- Vrij, Aldert. (2003). Detecting lies and deceit: the psychology of lying and the implications for professional practice. New York: John Wiley & Sons, Ltd.
- Vrij, A. (2000). Detecting Lies and Deceit. The Psychology of Lying and the Implications for Professional Practice. John Wiley & Sons, Ltd. Chichester, Royaume-Uni.
- Vrij, A. et Mann, S. (2001). Who killed my relative? Police officers' ability to detect real-life high-stake lies. Psychol Crime Law 7:119–132.
- Vrij, A., Mann, S., Leal, S. et Fisher, R. (2012). Is anyone out there? Drawings as a tool to detect deception in occupations interviews. Psychology, Crime & Law, 18, 377-388.
- Vrij, A., Fisher, R. Mann, S. et Leal, S. (2008). A cognitive load approach to lie detection. Journal of Investigative Psychology and Offender Profiling, 5, 39-43.
- Vrij, A., Fisher, R., Mann, S. et Leal, S. (2006). Detecting deception by manipulating cognitive load. Trends in Cognitive Sciences, 10, 141-142.
- Warmelink, L., Vrij, A., Mann, S., Jundi, S. et Granhag, P. A. (2012). Have you been there before? The effect of experience and question expectedness on lying about intentions. Acta Psychologica, 141, 178-183.