Résumés
Résumé
La recherche sur le crime dit « passionnel » que nous avons menée à partir de l’étude socio-clinique de 32 dossiers d’instruction de la Cour d’Assises de Lyon montre qu’une très grande partie des hommes meurtriers de leur compagne sont des hommes qui frappaient leur femme, mais aussi qu’ils avaient pu appeler à l’aide d’une façon ou d’une autre. On comprend donc tout l’enjeu de la prévention de la récidive des violences conjugales, ainsi que du risque d’homicide qu’elles peuvent entraîner. Aussi, à Saint-Étienne, se tiennent des groupes de parole avec des hommes violents qui ont fait l’objet d’un dépôt de plainte, expérience menée dans ce but de prévention avec l’aide du Parquet.
Mots-clés:
- violences conjugales,
- homicides conjugaux,
- groupes de parole
Abstract
Our research on so-called “crimes of passion”, a socio-clinical study of 32 Criminal Court cases, explicitly points out that a large number of men convicted of murdering their partner have both previously engaged in domestic violence and called for help in one way or another. We thus understand the stakes for the prevention of domestic violence recidivism. In this regard, today in Saint Etienne, an experimental support group for perpetrators, who are the object of a legal complaint, is being conducted with the help of the prosecutor with the aim of preventing recidivism.
Key-words:
- domestic violence,
- homicides,
- support groups
Corps de l’article
Si notre titre est celui de la chronique d’une mort annoncée, telle qu’elle se produit fort souvent dans la réalité, nous allons pourtant procéder en sens inverse, c’est-à-dire partir du criminel pour nous centrer sur la question de la récidive de violences conjugales qui peuvent finir par le meurtre, dans la mesure où justement, à l’instar de la fiction de Gabriel Marquez, ces crimes dits passionnels sont en fait annoncés, parfois par les meurtriers eux-mêmes, mais aussi par l’entourage qui a tout à fait conscience de la dangerosité de la situation.
1. Le crime « dit » passionnel
à notre connaissance, sur cette question de la dangerosité, il y a fort peu de travaux appliqués spécifiquement au crime passionnel, puisque ce type de crimes relève en fait d’une catégorisation plus médiatique que juridique (Houel, Mercader et Sobota, 2003). Néanmoins, s’il faut le définir, on peut dire que cette notion se présente plutôt comme une question : lorsqu’un meurtre se commet dans le contexte d’une crise conjugale, meurtre du conjoint ou de la conjointe le plus souvent, mais parfois d’autres personnes comme les enfants ou encore le rival, à quelles conditions peut-on parler de passion, comme le fait la presse ? C’est pourquoi pour ne pas préjuger du caractère passionnel, nous parlons plutôt de crime « dit » passionnel, le rabattant ainsi dans la catégorie plus juste nous semble-til de l’homicide conjugal.
En tout état de cause, le crime dit passionnel se trouve actuellement exclu du registre du dangereux, domaine où il était pourtant accepté il y a vingt ans encore dans le monde de la médecine légale ou de la police judiciaire (Pouget et Costeja, 1988). Sans doute le crime passionnel profite-t-il de la relative indulgence de la société envers tous les types de violences conjugales, en tout cas en France.
Or si la récidive meurtrière ne concerne cette population que de manière très marginale, elle n’en est pas pour autant exclue. L’adoption de la loi du 17 juin 1998, en France, sur « l’obligation de soins » ne concerne que les criminels et délinquants sexuels, mais c’est pourtant bien en toile de fond cette même question lancinante de la récidive que se posent les experts, convoqués à répondre avant tout à celle de la responsabilité pénale ou non du meurtrier dit passionnel, mais parfois aussi à celle de la nécessité des soins.
1.1. Méthodologie
Du moins est-ce ce que nous avons pu constater dans le travail que nous avons mené sur une cinquantaine d’affaires de la Cour d’Assises de Lyon, repérées dans un corpus de 558 articles extraits du dépouillement systématique de deux quotidiens de la région, Le Progrès de 1986 à 1991 et Le Dauphiné Libéré de 1990 à 1993. Pour les affaires relatées dans Le Progrès, les articles postérieurs à 1991 ont été recherchés pour connaître leur issue en justice. Dès le début de ce recueil de données, il nous est apparu tout à fait impossible de sélectionner des « crimes passionnels » : sur quel critère nous serions-nous fondées pour ce faire, alors qu’il devenait à chaque nouveau fait divers lu plus évident que ce terme ne désigne qu’une interprétation journalistique, sans assise quelconque sur la réalité des relations ou des situations ? Ni assise juridique d’ailleurs, puisque la qualification de crime passionnel n’existe plus dans le droit Pénal français depuis 1791. Nous avons donc plutôt choisi de retenir les affaires de crime organisées autour d’une relation conjugale, amoureuse ou sexuelle, sans présumer de la « passion » qui pouvait ou non être en jeu dans l’histoire : ces affaires pourraient d’ailleurs tout autant être classées, en tant qu’homicides conjugaux, dans le cadre des violences conjugales.
Au total, sur les 558 articles, 337 crimes ont ainsi été repérés.
Ce large corpus a d’abord fait l'objet d'une analyse sociologique quantitative dans laquelle ont été étudiés notamment la proportion d'hommes et de femmes chez les criminels passionnels, le nombre et la qualité des victimes, les mobiles, la position sociale des protagonistes, leurs écarts d'âge et statuts matrimoniaux ainsi que le modus operandi ; puis, dans un deuxième temps, nous avons analysé les procès-verbaux d’auditions, enquêtes et diverses expertises de la cinquantaine d’affaires ayant fait l’objet d’un procès à la Cour d’Assises de Lyon, afin de soumettre ces cas à une étude socio-clinique approfondie (Houel, Mercader et Sobota, 2008).
Dans ce corpus de dossiers d’instruction de Cours d’Assises, une grande partie (18 sur 32) des hommes meurtriers de leur compagne sont des hommes qui frappaient leur femme, ce qui va dans le sens des chiffres actuels publiés, au Québec (Martins-Borges & Léveillée, 2005) comme en France où, en l’absence d’appareil statistique cohérent au plan national, les chiffres restent sujet à débat : le rapport Coutanceau (2006) annonce qu’une femme tous les quatre jours et un homme tous les seize jours meurt victime de son conjoint et/ou à la suite de violences conjugales.
La question reste donc essentiellement pragmatique et relève en fait des mêmes enjeux qu’en matière de violences conjugales : peut-on repérer des signes avant-coureurs, ou même empêcher la répétition des violences et parfois empêcher un drame ?
Nous faisons l’hypothèse que le criminel est arrivé au même point de non retour que l’homme violent qui, dans le cadre conjugal, augmente la spirale de la violence pour se faire arrêter, au double sens du mot. On comprend là tout l’enjeu de la prévention de la récidive des violences conjugales qui éviterait à des hommes « simplement violents », si l’on ose dire, non seulement de le rester, mais de devenir aussi des meurtriers. Ou bien de se retrouver du côté des victimes, d’ailleurs, puisque les trois-quarts des hommes tués par leur compagne étaient des hommes réputés violents (Observatoire de la Délinquance, juillet 2008), ce que nous avons également constaté pour les quatorze femmes meurtrières de notre corpus de dossiers d’Assises.
Le crime dit passionnel peut donc être entendu comme l’extrême de violences envers les femmes, puisqu’il advient le plus souvent dans un contexte de violences conjugales, quelque soit l’auteur du crime.
1.2. La prévention côté femmes
Mais nous savons par les expériences nord-américaines de prise en charge des meurtriers des deux sexes que si ces expériences ont conduit à une baisse de la criminalité des femmes en situation de ce qui est appelé « auto-défense » envers leur homme violent (Gillespie, 1989), elles n’ont par contre pas contribué à la baisse de la criminalité des hommes envers leur compagne.
C’est pourquoi nous ne nous intéresserons ici qu’aux hommes auteurs, et que dans cette prise en compte, nous gardons en tête l’urgente nécessité de mieux protéger les femmes, les principales victimes. Là aussi les expériences nord-américaines, qui ont longtemps servi de modèle, ont été relativisées ces dernières années. Dans les années quatre-vingt, sept expériences de grande ampleur avaient été menées dans plusieurs grandes villes américaines pour tester l’efficacité de trois modalités d’intervention policière en matière de querelles conjugales : faire quitter le domicile conjugal par le conjoint, la tentative de médiation entre les conjoints, l’arrestation du conjoint violent mis en garde à vue pendant une nuit. Mais les résultats sont contradictoires (Sherman, 1997). Si l’arrestation apparaît comme la méthode la plus efficace pour minimiser le risque de récidive dans les six mois qui suivent l’intervention policière, elle a en revanche pour conséquence de faire augmenter la probabilité des violences conjugales à plus long terme. La moins dissuasive des méthodes est la médiation, méthode par ailleurs récusée par les associations de femmes, comme en France d’ailleurs, car occultant toute reconnaissance socio-juridique des actes de violence conjugale.
Cette expérience montre la difficulté à concevoir des méthodes de prévention à grande échelle et la France n’est pas mieux armée pour l’instant, où les études se recoupent toutes pour montrer que les plaintes aboutissent dans les trois-quarts des cas à un classement sans suite et témoignent surtout de la résistance du système judiciaire à traiter les signes avant-coureurs des dangers encourus par les femmes au sein de la famille (Faget, 1997).
1.3. Côté hommes
Ces signes sont pourtant bien perçus, car si ces crimes ne sont pas, dans leur grande majorité, prémédités, ils sont néanmoins annoncés. Nous avons trouvé plusieurs fois dans les dossiers cette note inquiète : « ça va mal finir ». Malgré ces mises en garde, nous avons pu constater l’extraordinaire tolérance dont profitent les violences conjugales en France, au détour des témoignages en particulier : il est dit ainsi dans un rapport de gendarmerie « sévère correction » pour la triple fracture du nez qu’a subie l’épouse de Romain R. ; lui-même décrit les choses ainsi : « Je n’ai jamais frappé quelqu’un : des taloches pas des coups de poing… » Les propres parents de la jeune femme, quand elle va les voir la première fois qu’elle reçoit des coups, trois mois après la naissance de sa fille au début de son mariage et qu’elle veut demander le divorce, l’en dissuadent. Dans notre recherche, on voit de nombreux parents de femmes en telles difficultés se comporter de la même façon.
Cette tolérance, qui frise la non-assistance à personne en danger, a été constatée à plus grande échelle, l’enquête ENVEFF, la grande enquête nationale menée en France sur les violences envers les femmes, ayant bien mis en lumière ce que les femmes victimes de violences ne savent que trop : l’entourage familial ou amical est d’un bien maigre secours, ne serait-ce que parce qu’il est lui-même porteur de violences (Jaspard et alii, 2003). Conscientes de ces résistances, la moitié des femmes interrogées n’en avaient parlé à personne, et la solution semble donc bien ne pouvoir être que sociale, voire institutionnelle.
Par ailleurs, si l’entourage immédiat est aveuglé par la proximité affective, il existe un désir, voire projet de tuer, qu’il a néanmoins entendu et que, comme la police, il n’ignore pas, mais a du mal à prévoir plus exactement. Car ce projet est en même temps un passage à l’acte qui prend le criminel lui-même en quelque sorte par surprise, pour éviter la menace d’effondrement, la catastrophe psychique qui le guette[1].
Le meurtrier peut lui-même être parfaitement lucide, en tout cas après-coup, du risque encouru : interrogé après le meurtre, Rinaldo M. dira qu’il n’y avait « personne chez lui », « qu’on ne l’a pas empêché de faire des bêtises », et qu’il ne « comprend pas pourquoi sa femme qui était intelligente, ne l’a pas fait hospitaliser ». Beaucoup de ces meurtriers ont déjà eu recours à la tentative de suicide pour faire entendre leur détresse : David L., par exemple, un de nos cas princeps, a fait une tentative de suicide médicamenteuse plusieurs années en amont, la première fois où une femme l’a quitté, et la veille de son crime il confie ses armes à un ami pour éviter « de faire une connerie ». Le soir du crime, il a pris plus de médicaments que prescrits et a beaucoup bu. L’alcool entre d’ailleurs pour une grande part dans plusieurs de ces crimes, aussi bien masculins que féminins.
Ces appels à l’aide n’ont pas été pris en compte, et il faut entendre les violences que certains de ces hommes donnent à voir sur la scène publique comme de ce même ordre de l’appel à l’aide. Ainsi la violence de Romain R., déjà évoquée, n’a-t-elle jamais été contrée, que ce soit au niveau des violences conjugales, ou au niveau du voisinage : il s’en prend à plusieurs reprises à la famille D., celle qu’il va décimer (il tue quatre de ses membres), et personne ne porte officiellement plainte, en tout cas la gendarmerie intervient mais on ne le sanctionne pas. Au contraire, les gendarmes essayent même d’« arranger » les choses, en conseillant aux parents D. d’éloigner leur fils, le jeune rival, pendant un certain temps.
Romain R., et bien d’autres, sont obligés de faire un acte fou certes pour ne pas sombrer dans la folie, comme l’a souligné Balier (1996), mais aussi pour se faire « arrêter », au propre et au figuré[2] : on sait le manque absolu de résistance à la police de ce genre de criminel, quand ils ne se rendent pas d’eux–mêmes au commissariat la plus proche.
Ainsi cet homme, qui n’est pas un meurtrier, mais l’objet d’une plainte pour violences sur sa femme, dit-il, fort lucidement, et préventivement pourrait-on dire :
J’ai pris mes affaires et je suis parti de chez moi. Je ne voulais pas continuer avec elle. Parce que je me suis rendu compte : tu la pousses, elle tombe, elle se tue, tu fais quoi ? Prends tes affaires, ce n’est plus possible. J’étais pas bien du tout, je l’ai fait parce que ç’aurait été un coup de folie…[3]
On ne dira jamais assez, ne serait-ce que dans ce but préventif, combien ces hommes sont désemparés, n’ont aucun recours social à l’heure actuelle, et sont d’ailleurs de potentiels SDF : en effet, ce n’est que depuis peu, qu’en France, l’homme doit quitter le domicile conjugal[4], ce qui est sans aucun doute un progrès pour les femmes, mais ne résout rien si on ne s’occupe pas de ces hommes qui rôdent, de plus en plus dangereux, autour du domicile ou des associations qui hébergent leur femme et enfants.
Les premières actions menées en France l’ont d’ailleurs été à l’initiative de ces associations et les pouvoirs publics viennent à peine de s’emparer enfin du problème[5], de façon très relative d’ailleurs. À l’heure actuelle, en France, les pratiques sont expérimentales et dispersées, trop au gré des seules bonnes volontés, telle celle bien connue du Parquet de Douai, à l’initiative d’un dispositif d’hébergement des hommes violents dans une association pour sans-abri. Effort louable, mais qui ne saurait mieux signifier que l’étape potentielle suivante, voire la sanction, est la rue.
Nous en arrivons donc maintenant à cette question de la prévention possible de ce type de meurtre. Des associations, en France comme en Belgique, sont de plus en plus nombreuses à avoir recours à la parole en groupe pour les auteurs de violences[6], en lien ou non avec la Justice, ce qui pose donc la question du soin sous contrainte ou non, qui va être traitée maintenant.
2. L’expérience de Saint-Etienne (France)
L’expérience de Saint-Etienne, dans la Loire, répond à cet objectif de prévention de la répétition des violences conjugales, et donc d’un risque de mort, avéré même s’il est difficilement évaluable.
2.1. Quelques chiffres récents : les faits, les plaintes, les récidives
En 2007, le Parquet du Procureur de la République de Saint-Etienne a reçu 332 plaintes pour violences conjugales. En France, selon l’Observatoire National de la Délinquance, plus de quarante sept mille cinq cent faits de violences volontaires sur femmes majeures par conjoint ou ex-conjoint ont été déclarés aux autorités en 2007. Les violences conjugales représentent plus du quart des violences aux personnes. Ce sont exclusivement les faits de violences conjugales ayant entraîné une ITT – incapacité totale de travail – de moins de 8 jours qui ont augmenté (de près de 40 % entre 2004 et 2007). Les chiffres de l’OND rejoignent les données de l’enquête ENVEFF (Jaspard et alii, 2003) lorsqu’ils indiquent que les violences physiques concernent 2,3 % des femmes de 18 à 60 ans. Quand on sait que seulement 10% des femmes maltraitées portent plainte, nous obtenons le chiffre annuel de 470. 000 victimes de violences conjugales de la part d’un conjoint ou d’un ex-conjoint : 470. 000 victimes, 470. 000 agresseurs ? Le problème dépasse le simple fait divers pour être un problème social d’envergure.
Quant à la question de la récidive, tous les professionnels le savent : la survenue de violences dans un couple entraîne la répétition de ces mêmes violences. Sans donnée statistique française précise, sinon un chiffre global donné par le Ministère de la Justice de 45% de récidive pour des faits généraux de violences aux personnes (Tournier, 2007), nous nous référons à l’enquête française ENVEFF indiquant que 50% des femmes victimes de violences physiques déclarent plusieurs faits de violences. De même, de nombreux auteurs (Walker, 1979, Hirgoyen, 2005) démontrent l’existence d’une courbe croissante de gravité et d’un cycle répétitif de violence lors de la survenue violente.
Pour mettre en place une prévention de la probable récidive, il est donc important de s’intéresser aux auteurs comme aux victimes, logiquement d’égale importance numérique.
2.2. Quels moyens pour la prévention de la récidive ?
D’après Broué et Guévremont (1988), 30% des auteurs sanctionnés, mais sans obligation de soins, ne récidiveront pas : la seule sanction influerait donc sur la récidive.
En France existent quelques structures fédérées par la FNACAV s’intéressant aux auteurs de violences. Le dispositif VIRAGE à Saint-Etienne en fait partie. Il a été créé en juin 2002, à l’initiative de deux structures, le service de Médecine légale du CHU de Saint-Etienne et l’association SOS Violences conjugales Loire, et d’un financeur, la DDASS Loire. A ce jour, douze groupes de mis en cause se sont tenus, avec une centaine de participants (dont une seule femme), avec les caractéristiques suivantes :
L’ animation se fait en binôme (un travailleur social et un psychologue / Homme et Femme/ ayant chacun l’expérience de suivi victimologique)
Pour chaque groupe, 10 séances de deux heures avec possibilité de suivi individuel ou un suivi de couple post-groupal.
Le public concerné par ces groupes est constitué d’auteurs ayant fait l’objet d’une plainte de leur conjointe, orientés par le Parquet, soit sous la forme du volontariat soit par obligation formelle après condamnation ou dans le cas d’un classement sous condition, mais ne présentant pas de pathologie grave et non soupçonnés d’homicides. L’orientation vers les groupes est souhaitée la plus précoce possible pour certains, pour d’autres l’orientation a lieu en post-sentenciel. Ainsi 90 % des participants viennent librement, mais viennent-ils volontairement ? Cela est à discuter car la plupart espèrent que répondre positivement à une proposition du Parquet aura une incidence positive sur la sanction. Bien entendu, ce point est reprécisé dès le début : participer au groupe n’aura aucune incidence sur la sanction des faits de violence. Il appartient au juge de prendre en compte cette participation.
Modalités : dès le début du groupe est demandé un engagement d’assiduité, de courtoisie, et de confidentialité à chacun des participants.
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Les animateurs sont tenus de transmettre une fiche de présence au Parquet du Procureur : environ dans chaque groupe sur huit participants, en moyenne, quatre participent à la totalité des séances. Les conséquences de la présence ou de l’absence sont laissées à l’appréciation du juge : sanction et prise en charge sont en principe dissociées. Seulement 10 % des participants à ces groupes sont obligés d’y participer du fait de leur statut judiciaire : classement sous condition ou sursis et mise à l’épreuve. Dans ces deux cas c’est le Service pénitentiaire d’Insertion et de Probation (SPIP.) qui assure le suivi des absences et convoque la personne si nécessaire.
Nous précisons au début de chaque groupe que les animateurs seront obligés d’exclure toute personne qui viendrait alcoolisée, sous l’effet d’une drogue et qui perturberait le fonctionnement du groupe. Ce genre d’incident est arrivé une seule fois sur la totalité des douze groupes.
2.3. Les groupes d’auteurs de violences conjugales : intérêts et limites
Le rapport Coutanceau (2006) préconise d’opter pour un modèle de nature psycho éducative. Ce modèle basé sur une progression thématique des séances conduit à alterner des séances à contenu didactique (exposés sur la violence, sur la domination masculine, sur le couple…), des séances à contenu éducatif (refus de la violence, mise en place de comportements non violents…) et de séances plus réflexives sur les rôles masculins, sur les représentations de la femme etc…
Pour notre part, nous avons refusé le modèle cognitivo comportemental décrit notamment par Rondeau, Gauvin, Dankwort (1989) et majoritaire dans les prises en charge aux Etats Unis (Arnault, 2009). Nous avons voulu nous inspirer du modèle psycho éducatif en gardant le séquencement thématique mais en centrant résolument l’objectif de ces groupes sur un effet d’élaboration collective et individuelle : le Groupe espagnol des 25 parle d’intervention psycho éducationnelle (2009). Quant à nous, nous préférons la dénomination psycho-sociale à celle de psycho-éducative. En effet, le terme « éducatif » nous paraît rappeler certaines images négatives où l’on pourrait soupçonner des risques de manipulation ou de violence symbolique.
Les objectifs des douze groupes sont les suivants :
Faciliter l’expression des participants sur les faits de violences pour lesquels ils sont mis en cause et aboutir à une reconnaissance de leur responsabilité.
Permettre la mise en oeuvre de nouveaux modes de communication avec leur conjointe.
Mettre en cause des représentations négatives de la femme et du couple car liées à la domination masculine.
Pour cela nous disposons d’indicateurs :
La forme du récit des violences selon qu’il est construit ou non.
La participation à certains exercices ou jeu de rôles centrés sur des situations proposées par les animateurs.
Si la finalité et l’intérêt décisif de ces groupes est la prévention de la récidive, l’on est en droit de se poser la question : la participation à un groupe de parole influe-t-elle sur la récidive ? Le terme de récidive serait entendu comme répétition d’un nouveau fait de violence envers la même partenaire ou envers une autre partenaire. Cette précision est importante car l’on ne devrait pas considérer comme récidive des actes réalisés en dehors de ce contexte de violence.
Selon une étude des récidives de 2004 réalisée par Razafindranovona (2006), le taux de récidive pour deux délits de même nature serait de 14,5 %, alors que le taux de récidive pour des délits de nature différente serait de 31,1 %.
La réduction de la violence physique serait observée dans les six mois à un an après le groupe, d’après l’expérience québécoise menée depuis 1977 (Rondeau, Gauvin, Dankwort, 1989). Nous n’avons pas de données sur une possible récidive ultérieurement à un an.
Pour notre part, une étude de la récidive de 54 participants à dix groupes (ces cinquante participants ont été présents à au moins cinq séances sur les dix prévues) nous indique, au vu des dossiers de justice, un taux de récidive de 20 %.
Comment ce chiffre a-t-il été obtenu ?
Nous avons donné aux services de greffe du Procureur de Saint-Etienne les identités de ces 54 personnes. Le greffe a interrogé les dossiers informatiques de chacun sur l’existence éventuelle d’un acte de récidive déclaré. Ainsi avons-nous reçu un document indiquant pour chacune des 54 personnes si une procédure judiciaire avait eu lieu postérieurement au fait de violence pour lequel chacun avait été mis en cause, poursuivi et orienté sur le dispositif VIRAGE.
En fait, il convient d’enregistrer cette donnée de 20 % avec les réserves suivantes : le greffe n’ayant pas la mention du motif de récidive, on peut penser que nous avons une définition large de la récidive et que le taux de 20 % doit être comparé avec le taux de 31 %. Cependant, il n’est pas certain que les dossiers informatiques soient rigoureusement mis à jour, de plus ces dossiers informatiques du Parquet de Saint-Etienne ne comprennent que les faits et condamnations produits à Saint-Etienne. Cela milite en faveur d’une hypothèse de minoration du taux obtenu. Enfin, les 54 dossiers n’ont pas la même amplitude de recherche : pour certains, le recul du calcul de la récidive sera d’un an, pour d’autres 6 ans.
En France, on a peu d’éléments sur la question de la récidive, sinon sous son aspect judiciaire : un auteur de violences conjugales va-t-il récidiver avec une nouvelle compagne ? Selon quelle probabilité ? Un seul acte de violence entraîne-t-il des récidives ? Dans quel délai ? Quels sont les facteurs favorisant la récidive et quels les facteurs la réduisant ? Un récidiviste est-il aussi accessible au sentiment de culpabilité ? Les facteurs culturels surdéterminent-ils la récidive ? Autant de questions posées mais sans réponse claire aujourd’hui.
Par ailleurs, s’il existe des limites repérées à cette pratique de groupe (on sait qu’elle comporte beaucoup d’absentéisme, et qu’elle ne saurait remplacer un suivi clinique individuel, notamment dans son abord avec le passé, les problématiques post traumatiques, les symptômes psychopathologiques, etc.), les effets positifs reconnus– et cela rejoint notre propre expérience – résident dans les points suivants :
La reconnaissance des faits de violence par la plupart des participants aux groupes.
La connaissance des signes précurseurs de la montée de la violence conjugale et ainsi une meilleure connaissance personnelle.
Une meilleure compréhension de la sanction.
Un développement de l’expression des sentiments et des émotions, expression des problèmes et des situations d’impasse.
Un apprentissage de nouveaux comportements de communication en remplacement du comportement d’évitement.
Notre principale hypothèse de travail à l’heure actuelle est que la participation à un groupe d’auteurs est une étape nécessaire mais insuffisante pour que cesse la violence conjugale : il faut nécessairement une articulation entre le judiciaire et le psychologique, et surtout une action globale de prévention qui prenne en compte tant les auteurs de violences que les victimes.
2.4. Pour une action globale de prévention
Une action est nécessaire, dès le moment de crise, avant et après le passage en Tribunal : au Québec, à la suite du dépôt de plainte, 70 % des auteurs sont contraints par une orientation systématique et obligatoire vers un groupe, en France la proportion actuelle est inverse. Or en comparant plusieurs politiques de Parquets différents, nous constatons les effets positifs d’une pratique judiciaire ferme et rigoureuse : prise en compte par les auteurs de la sanction, réassurance de la victime, motivation plus importante à suivre les séances de groupe…
Le suivi post-sentenciel est également indispensable, notamment pour les couples restant ensemble. On devrait pouvoir disposer d’une panoplie de moyens tels que : suivis individuels pour chacun des conjoints, suivi thérapeutique de couple, groupe de conjoints restant ensemble, suivis téléphoniques programmés, organisation de modules centrés sur le développement de comportements de communication…
En Espagne, le Groupe des 25 (2009) décline ainsi le contenu du programme de prévention : évaluation diagnostique, prétraitement, intervention psycho éducative, évaluation de l’efficacité, suivi du programme. Le groupe espagnol insiste sur une coordination indispensable entre les intervenants auprès des victimes et ceux auprès des auteurs.
Beaucoup plus largement encore, une prévention primaire est nécessaire, en amont : il y a peu de programmes de prévention portant sur les relations garçons-filles dans les écoles, il serait pourtant important de développer des actions sur l’expression des représentations réciproques, sur les moyens de résolution des conflits…
Pour conclure, une action globale de prévention débutant le plus tôt possible et s’articulant avec l’action de la Loi est indispensable (Sévérac, 2009) car l’accompagnement comporte un regard judiciaire et une prise en charge psychologique (Helfter, 2007). Même si, ici ou là, différentes expériences ont lieu sous l’impulsion de la FNACAV, nous sommes loin d’une généralisation. Quant aux auteurs de violences conjugales, leur orientation vers des structures de prise en charge devrait être systématique, et obligatoire.
Parties annexes
Notes
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[1]
Entre dans ce débat d’ordre psychopathologique l’emploi différencié des termes « recours à l’acte » ou « passage par l’acte » pour désigner ce que de façon plus courante, et effectivement peut-être trop globale, on appelle passage à l’acte.
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[2]
« Je veux témoigner qu’on peut péter un plomb sans être fou », dit un jeune prostitué meurtrier qui s’est dénoncé pour que « ça s’arrête ». (Le Monde, 19 mars 2003)
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[3]
Homme objet d’une plainte pour violences sur sa femme, qui a demandé le divorce. Entretien préliminaire au groupe de parole, organisé par le parquet de Saint-Etienne, et mené par Jacques Laporte, psychologue au service de Médecine légale du CHU de Saint-Etienne (décembre 2005.)
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[4]
La loi du 4 avril 2006 a étendu cette mesure aux concubins et en cas de PaCS. Une loi cadre, inspirée de la loi espagnole de « protection intégrale contre la violence de genre » était la première loi que Ségolène Royal, la candidate malheureuse de la campagne présidentielle de mai 2007, avait promis de soumettre à l’Assemblée nationale.
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[5]
Signe prometteur, la FNARS (Fédération Nationale des Associations d’accueil et de Réinsertion Sociale) a tenu, en juin 2006, une journée de réflexion sur le thème : « Quelle place faire aux auteurs dans les structures accueillant des femmes victimes de violence ? »
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[6]
Telle l’association « Parenthèses à la violence », dans le territoire de Belfort, qui fut pionnière en s’inspirant d’un modèle québécois, et en lien avec l’association Solidarité Femmes locale. De même, à Saint-Étienne, c’est le lien instauré entre Solidarité Femmes Loire et le service de Médecine légale du CHU qui permet de mener les groupes de parole avec des hommes violents qui ont fait l’objet d’un dépôt de plainte. Sinon, les initiatives sont d’ordre privé : c’est le cas de l’ALCV, Association de Lutte contre les Violences, à Paris, où des psychologues, tel Alain Legrand, prennent ces hommes en charge individuellement, privilège auquel n’ont accès que des hommes déjà « doués » de parole.
Les références
- Arnault, P. (2009). Quelques réflexions à propos des groupes de parole pour les hommes auteurs de violences conjugales. EMPAN, 73, 90-97.
- Balier, Cl. (1996). Psychanalyse des comportements sexuels violents, une pathologie de l’inachèvement. Paris : Presses Universitaires de France.
- Broué, J & Guevremont, C. dirs. (1989). Quand l’amour fait mal. Montréal : Editions Saint-Martin.
- Bulletin statistique de l’Observatoire National de la Délinquance. Grand Angle, 14 juillet 2008.
- Coutanceau, R., (2006). Auteurs de violences au sein du couple, rapport ministériel. Paris : Ministère de la cohésion sociale et de la parité.
- Faget, J. (1997). Conflits privés, pudeurs publiques. Le traitement des plaintes pour violences conjugales. Les Cahiers de la sécurité intérieure, 28. Paris : Institut National des Hautes Etudes de sécurité.
- Gillepsie, C. (1989). Justifiable homicide : battered women, self-defense, and the law. Colombus : Ohio State University Press.
- GRoupe des 25, (2009). En Espagne : un modèle spécifique d’intervention avec des hommes qui exercent la violence dans le couple. EMPAN, 73, 113-118.
- Helfter, C., (2007). Quelle prise en charge pour les auteurs de violences conjugales? D’un arsenal répressif à un accompagnement dans la durée. Informations sociales, 144, 74-83.
- Hirigoyen, M.F., (2005). Femmes sous emprise, les ressorts de la violence dans le couple. Paris : Oh ! éditions.
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