Volume 43, numéro 3, 2024 Les théories du complot ou la concurrence des récits sur la « réalité » Sous la direction de Stéphanie Tremblay, Maryse Potvin et David Morin
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Sommaire (6 articles)
Articles thématiques
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L’adhésion à la pensée conspirationniste dans le contexte de la pandémie de COVID‑19 au Québec
David Morin, Sylvain Bédard, Marie-Ève Carignan et Marie-Laure Daxhelet
RésuméFR :
De nombreuses explications ont été proposées dans la littérature scientifique quant aux déterminants de l’adhésion au conspirationnisme, chacun faisant intervenir un assemblage de variables significativement liées à ces croyances. Ce texte souhaite dépasser les explications monocausales et contribuer à une modélisation générale de l’adhésion au conspirationnisme qui peut expliquer cette adhésion par trois vecteurs majeurs : les motifs existentiels, liés au besoin de contrôle ; les motifs épistémologiques, découlant du besoin de faire sens ; et les motifs identitaires, liés au besoin d’appartenance à un groupe et à la nécessité de défendre ce groupe contre une menace, réelle ou imaginée. Grâce aux données extraites d’une enquête quantitative menée auprès de 2000 répondants du Québec, nous évaluons la pertinence de cette proposition en mesurant la cohérence de chacun de ces vecteurs auprès de la population québécoise et la force de leur lien avec le conspirationnisme.
EN :
Numerous explanations have been proposed in the scientific literature as to the determinants of adherence to conspiracism, each involving an assemblage of variables significantly linked to these beliefs. This paper aims to go beyond monocausal explanations and contribute to a general model of conspiracy adherence, which can explain this adherence through three major vectors: existential motives, linked to the need for control; epistemological motives, stemming from the need to make sense; and identity motives, linked to the need to belong to a group and the need to defend this group against a threat, whether real or imagined. Using data extracted from a quantitative survey of 2000 Quebec respondents, we assess the relevance of this proposition by measuring the coherence of each of these vectors with the Quebec population, and the strength of their link with conspiracism.
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Convergences populistes et conspirationnistes dans les discours de trois groupes identitaires québécois et du chroniqueur Mathieu Bock-Côté sur la loi 21 et le racisme systémique
Maryse Potvin et Isabelle Le Bourdais
RésuméFR :
Cet article s’intéresse à la convergence sémantique entre le discours d’un chroniqueur néoconservateur dans un média mainstream – Mathieu Bock-Côté (MBC), dans ses chroniques au Journal de Montréal – et la rhétorique de trois groupes populistes identitaires, marginalisés par les médias traditionnels : La Meute, la Fédération des Québécois de souche et Horizon Québec Actuel. L’analyse se penche sur leurs discours respectifs lors de deux polémiques publiques survenues entre 2017 et 2020 : la Commission sur le racisme systémique et la loi 21 (Loi sur la laïcité de l’État). En observant la transversalité de certains cadrages et mécanismes discursifs au sein des discours de MBC et des trois groupes, l’article dégage une certaine convergence idéologique de types populiste et complotiste, se caractérisant notamment par une mythification de l’identité nationale, par une diabolisation des élites diversitaires/multiculturalistes et de « l’islamisme radical », et par des cadrages polarisants et victimaires. Toutefois, les discours de MBC, loin d’être marginalisés, se déploient en toute légitimité dans le Journal de Montréal, un média mainstream avec un lectorat de 3,5 millions de personnes, ainsi qu’à la télévision et à la radio, au Québec comme en France. Ses discours contribuent ainsi à démarginaliser le populisme et l’imaginaire complotiste dans les médias dominants.
EN :
This article focuses on the semantic convergence between the discourse of a neoconservative columnist in mainstream media—Mathieu Bock-Côté (MBC), in his columns for the Journal de Montréal—and the rhetoric of three populist identity groups, marginalized by the traditional media: La Meute, the Fédération des Québécois de souche, and Horizon Québec Actuel. Their respective speeches during two public controversies between 2017 and 2020 are analyzed: the Commission on Systemic Racism and Bill 21 (Act respecting the laicity of the State). By observing the transversality of certain framings and discursive mechanisms within the speeches of MBC and the three populist groups, the article brings out a certain ideological convergence of populist and conspiratorial types, notably characterized by a mythification of national identity, a demonization of diverse/multiculturalist elites and “radical Islamism,” and by polarizing and victimizing framings. However, the speeches of MBC, far from being marginalized, are deployed in all legitimacy in the Journal de Montréal, a mainstream media with 3.5 million readers, as well as on television and radio, in Quebec as in France. They thus contribute to demarginalizing populism and the conspiratorial imagination in mainstream media.
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Entre religieux et séculier : les récits complotistes à l’ère de l’ultramodernité
Stéphanie Tremblay et Mathieu Colin
RésuméFR :
Bien que le complotisme ne soit pas un phénomène nouveau, il a certainement été accéléré durant la pandémie de COVID‑19 et, de fait, est devenu un enjeu médiatique, politique et culturel majeur dans les dernières années. Le présent article vise dans un premier temps à contribuer à une meilleure saisie des théories du complot comme rapport social, notamment en portant attention à leur situation d’énonciation et de réception ainsi qu’à leurs fonctions politiques pour les différents groupes en jeu. Dans un second temps, les auteurs se penchent sur les affinités entre religions et théories du complot du point de vue de leur commune recomposition et de leur fécondation réciproque en contexte d’ultramodernité. Les théories du complot, en tant que narrations ou récits contemporains, deviennent ainsi, à la manière du religieux, des révélateurs culturels des évolutions et des contradictions, voire des « radicalisations » de la modernité.
EN :
Although conspiracy is not a new phenomenon, it has certainly been accelerated during the COVID‑19 pandemic, and indeed has become a major media, political, and cultural issue in recent years. The present article aims firstly to contribute to a better understanding of conspiracy theories as a social relationship, in particular by paying attention to their situation of enunciation and reception, as well as their political functions for the different groups at stake. Secondly, the authors examine the affinities between religions and conspiracy theories from the point of view of their common re-enactment and their cross-fertilization in the context of ultramodernity. Conspiracy theories, as contemporary narratives or stories, thus become, in the manner of the religious phenomenon, cultural markers of the evolutions and contradictions of modernity, and tend to “radicalize” the tensions within it.
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Tout défiant envers les médias est-il un complotiste ?
Alexandre Coutant et Julien Rueff
RésuméFR :
L’attention médiatique est très accaparée par une crainte de la montée des mouvements qualifiés de complotistes. Plusieurs critères de l’écosystème informationnel actuel favorisent effectivement une production et une mise en visibilité de contenus différents de ceux attendus dans l’espace public. Pour autant, la crise que traversent les autorités informationnelles institutionnelles ne saurait se résumer à ce rapport bien spécifique à la réalité qu’est la logique complotiste. Bien au contraire, les formes de contestation, de recherche de solutions alternatives ou d’indifférence aux médias pour dire le monde s’avèrent bien souvent plus variées et reposent sur un ensemble de déterminants complexes. À partir d’une enquête approfondie des conversations en ligne à propos de l’actualité au Québec, cet article propose une grille de lecture des critiques adressées aux autorités informationnelles institutionnelles qui rendent davantage compte de cette complexité.
EN :
Today, media attention seems monopolized by the fear of the rise of movements described as conspiracy theorists. Several aspects of the current media ecosystem effectively favour the production and visibility of new contents, which differ from what has circulated in the non-digital public space. However, the actual crisis of media institutions cannot be properly understood only by referring to conspiracy theorists. In fact, opposition to media, search for alternatives, or even indifference to them take multiple forms and are based on a set of complex factors. Relying on an in-depth survey of online conversations about pieces of news in Quebec, this article offers a framework that reflects this complexity and interpret appropriately criticisms against media institutions.
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La constitution d’un réseau antimesures sanitaires québécois sur Twitter et la mise en scène d’un populisme par le bas
Aurélie Campana et Samuel Tanner
RésuméFR :
Cet article interroge les premières étapes de la constitution d’un réseau antimesures sanitaires québécois sur Twitter entre le 12 mars, date de l’annonce par le premier ministre du Québec des premières restrictions sanitaires, et le 31 mars 2020. Basé sur une approche sociotechnique, il se penche sur l’assemblage des discours antisanitaires et le rôle des différents acteurs, humains et technologiques, qui contribuent à en dessiner les contours et en fabriquer le contenu. Par l’analyse des quatre étapes qui ponctuent l’élaboration d’un réseau – la problématisation, l’intéressement, l’enrôlement et la mobilisation des alliés –, il montre comment se dessine au fil des échanges un populisme par le bas, alimenté par des théories du complot, qui contribuent à cristalliser une opposition entre les élites et le peuple. La stabilisation de l’identité de ce réseau ne se fonde ainsi par sur un substrat de faits partagés ou sur une grille de lecture commune de la crise sanitaire, mais sur une posture de dénonciation des élites politiques, économiques et scientifiques. Elle permet ainsi la convergence des « anti- », y compris les antivaccins, les antienvironnementalistes et les antipluralistes, mais surtout les antiélites et les antisystèmes, et participe très tôt dans la crise provoquée par la COVID‑19 à l’élargissement du réseau.
EN :
This article examines the first stages of the constitution of a Quebec anti-sanitary measures network on Twitter between March 12, the date of the announcement by the Premier of Quebec of the first sanitary restrictions, and March 31, 2020. Based on a sociotechnical approach, it examines the assembly of anti-sanitary discourses and the role of the different actors, both human and technological, who contribute to shaping their contours and content. Through the analysis of the four stages that punctuate the elaboration of a network—problematization, interest, enrolment, and mobilization of allies—it demonstrates how a populism from below takes shape over the course of the exchanges, fuelled by conspiracy theories, which contribute to the crystallization of an opposition between the elites and the people. The stabilization of the identity of this network is thus not based on a substratum of shared facts, or on a common reading grid of the health crisis, but on a posture of denunciation of the political, economic, and scientific elites. It thus allows the convergence of the “anti-,” including the anti-vaccines, anti-environmentalists, and anti-pluralists, but above all the anti-elites and anti-systems, and participates very early in the crisis provoked by COVID‑19 in the enlargement of the network.
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Complotisme et extrémismes. Le cas de l’extrême droite
Solange Lefebvre et Mathieu Colin
RésuméFR :
Cet article explore l’impact des médias sociaux au regard de l’extrémisme et du conspirationnisme. La période récente a notamment montré que l’extrême droite représentait une menace de plus en plus concrète dans la sphère publique, en témoigne l’influence de mouvements comme QAnon ou l’assaut du Capitole du 6 janvier 2021. En utilisant les résultats d’un projet de recherche sur les médias et l’extrémisme réalisé au Québec entre 2017 et 2021, cet article montre que l’extrême droite fait une utilisation particulière des médias sociaux, et que ceux-ci agissent certes comme des chambres d’écho, mais également comme des vecteurs d’une idéologie conspirationniste complexe et protéiforme. Des entretiens qualitatifs avec des individus radicalisés permettent notamment d’illustrer l’intégration idéologique des médiaux sociaux dans la stratégie culturelle et politique de l’extrême droite actuelle.
EN :
This article explores the impact of social media on extremism and conspiracism. In particular, the recent period has shown that the far right represents an increasingly concrete threat in the public sphere, as evidenced by the influence of movements such as QAnon or the Capitol assault of January 6, 2021. Using the results of a research project on media and extremism carried out in Quebec between 2017 and 2021, this article shows that the extreme right makes particular use of social media, and that these act certainly as echo chambers, but also as vectors of a complex and protean conspiracist ideology. Qualitative interviews with radicalized individuals illustrate the ideological integration of social media into the cultural and political strategy of today’s extreme right.