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L’étude des diasporas et de leurs relations avec leur pays d’origine occupe une place croissante dans les domaines des sciences politiques et de la sociologie et met en lumière les répercussions qu’elles peuvent avoir dans le développement politique, économique et social du continent. Loin d’être uniquement spectateurs de l’évolution de leur pays d’origine, les membres de la diaspora africaine s’impliquent activement par divers moyens dans la vie politique et économique de leur pays d’origine. Paul Elvic Matchom rappelle dès l’introduction du livre que les troubles politiques vécus au Cameroun depuis la célébration de l’indépendance de « l’État virtuel » de l’Ambazonie – région à majorité anglophone réclamant son indépendance de Yaoundé – ont permis de saisir toute l’importance de la diaspora camerounaise d’expression anglaise dans le financement des actions menées par les indépendantistes d’Ambazonie. Partant du principe que la diaspora occupe une place de plus en plus importante dans la politique africaine, les auteurs de cet ouvrage collectif souhaitent contribuer à l’analyse de l’action de la diaspora africaine à l’aide d’études de cas précis. Quatre grands thèmes sont étudiés, soit « Diaspora et participation violente », « L’internet : un effet multiplicateur de la participation diasporique », « Diaspora et élections » et « Diaspora vue de l’Union africaine ».
Diaspora et participation violente – C’est sur la question des rapports entre la violence et les diasporas que s’ouvre le livre avec des études sur le Cameroun et la participation d’Africains à des conflits armés à l’extérieur de leur pays. La diaspora camerounaise a en effet participé à l’organisation d’événements, parfois violents, visant à promouvoir l’indépendance de l’Ambazonie au Nigéria, en Afrique du Sud, au Canada, aux États-Unis et au Royaume-Uni. Par ailleurs, l’appui de la diaspora au candidat de l’opposition Maurice Kamto lors des présidentielles de 2018 est un autre exemple des tentatives menées par la diaspora pour déstabiliser l’ordre politique du Cameroun afin d’obtenir une reconnaissance et à terme revenir au pays dans des conditions politiques plus favorables à la cause anglophone. Parallèlement, la déstabilisation de l’ordre politique mène plusieurs Africains à profiter de leur expérience militaire pour se lancer dans des activités de mercenariat dans d’autres régions du continent. L’étude de cas montre le rôle de ces mercenaires dans les conflits secouant l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale et met en lumière comment ces mercenaires peuvent parfois être instrumentalisés pour favoriser l’atteinte d’objectifs politiques spécifiques.
L’Internet : un effet multiplicateur de la participation diasporique – Les trois chapitres traitant de ce thème s’inscrivent dans une démarche de « politique par le bas » afin d’analyser les activités des diasporas sur Internet pour influencer la politique de leur pays d’origine. Plus spécifiquement, ces contributions étudient l’action militante des diasporas gabonaise, camerounaise et ivoirienne sur la toile. Bien que l’action de chacune de ces diasporas comporte des caractéristiques différentes, les trois contributions mettent en lumière que les diasporas visent des objectifs communs, c’est-à-dire la prise en compte de leurs intérêts et de leurs idées dans le processus politique de leur pays d’origine. Dans les trois cas à l’étude, l’avènement des réseaux sociaux et leur usage de plus en plus fréquent placent l’État dans une position parfois délicate où l’activisme des diasporas sur Internet peut modifier l’agenda politique du gouvernement en place.
Diaspora et élections – S’inscrivant en continuité avec la thématique étudiée dans la précédente section, les deux chapitres de cette section étudient les enjeux à la fois politiques et logistiques à l’exercice du droit de vote des diasporas au Sénégal et au Burkina Faso. L’exemple sénégalais montre que malgré une participation de plus en plus importante de la diaspora aux élections présidentielles, le poids réel de cette dernière dans les résultats du vote demeure néanmoins faible, car la diaspora sénégalaise représentait 4,6 % des électeurs inscrits au fichier électoral en 2019. L’influence de la diaspora réside davantage dans sa stratégie communicationnelle sur les réseaux sociaux pour faire avancer certaines idées. Dans le cas burkinabè, la situation est tout autre, car l’État éprouve certaines difficultés, notamment sur le plan logistique, à assurer le droit de vote des membres de la diaspora. Cet état de fait fragilise la capacité de l’État burkinabè à assumer ses fonctions régaliennes compte tenu de ses difficultés à régler les contentieux électoraux et assurer la sécurité des lieux de vote à l’extérieur du territoire national.
Diaspora vue de l’Union africaine (UA) – Dans cette dernière rubrique du livre, les auteurs analysent la position de l’UA à l’égard de la diaspora. Les deux chapitres mettent en lumière une contradiction dans la position de l’UA à l’égard de la diaspora africaine : l’UA fait de la diaspora un acteur important du processus politique et administratif en considérant la diaspora africaine comme la sixième région de l’UA et en laissant des sièges réservés aux membres de la diaspora dans certaines instances de l’organisation. De plus, l’organisation s’est dotée « d’un cadre et d’une politique définissant les conditions de participation de la diaspora à la construction de l’UA » (p. 250). Malgré l’importance que donne l’organisation à la diaspora, cette dernière n’occupe qu’une place marginale dans l’Agenda 2063, document présentant les actions à mener pour assurer le développement et la prospérité de l’Afrique dans les prochaines décennies.
Analyse – Sur le plan méthodologique, l’ouvrage comporte plusieurs faiblesses. La principale réside dans l’absence d’un fil conducteur clair. L’introduction, somme toute très courte, ne pose pas clairement la problématique que l’ouvrage souhaite résoudre. Au surplus, on y fait référence aux deux inspirations qui ont mené à la rédaction de l’ouvrage : d’une part, les élections présidentielles de 2018 au Cameroun qui ont reconduit Paul Biya à la tête du pays pour un septième mandat et, d’autre part, la volonté d’améliorer la compréhension de « la place de la diaspora africaine dans l’animation de la politique des États africains et du continent ». En outre, la manière dont les quatre thèmes qui structurent l’ouvrage ont été choisis n’est pas présentée. Par ailleurs, la quatrième de couverture souligne un état de fait fort important : la comparaison des diasporas africaines avec les diasporas juives, indiennes, chinoises et libanaises « nourrit les fantasmes les plus surréalistes, les craintes les plus exagérées et les attentes les plus insoupçonnées ». Il aurait été intéressant de pousser l’analyse de cette question dans la réflexion sur la méthode et de répondre à la question : quel serait l’apport à la connaissance scientifique d’une analyse comparative des diasporas africaines entre elles ? En outre, une introduction plus longue formulant une problématique claire, une réflexion sur la place de l’analyse comparative dans le contexte des diasporas africaines et une présentation de la manière dont les thèmes ont été choisis aurait permis de régler plusieurs problèmes de méthode.
Une autre faiblesse de l’ouvrage réside dans les deux chapitres discutant du thème de la « Diaspora vue de l’Union africaine » où l’on présente à première vue des résultats de recherche contradictoires : on démontre la quasi-absence de la diaspora dans l’Agenda 2063, mais on affirme que la diaspora occupe un rôle important dans les instances de l’organisation. S’agit-il effectivement d’une contradiction de l’UA dans sa position ou cette dilution de la diaspora dans l’Agenda 2063 avait-elle un objectif précis ? À la lecture des deux chapitres, je n’ai malheureusement pas de réponse à cette question.
Néanmoins, je ne considère pas l’absence de définition du concept de « diaspora » comme une faiblesse méthodologique. Au lieu de proposer une définition, les auteurs citent plutôt plusieurs références sur cette question que le lecteur intéressé par ce débat pourra consulter. Une présentation rigoureuse des débats conceptuels entourant la diaspora aurait nécessité un chapitre entier et n’aurait pas nécessairement permis de mieux saisir les arguments avancés par les auteurs de l’ouvrage. L’objectif de L’État africain et sa diaspora face à la mondialisation est avant tout de présenter des études de cas et non une théorie sociologique et politique du concept.
L’apport le plus intéressant à la recherche est dans les deux chapitres déclinant le thème « Diaspora et participation violente ». Sauf erreur, il est assez rare d’aborder la question de la diaspora sous l’angle de la violence : traditionnellement, les études vont plutôt parler de la participation électorale ou du soutien financier que la diaspora offre aux membres de leur famille qui sont restés dans le pays d’origine. La participation violente de la diaspora à la vie politique de leur pays d’accueil est un fait qui mériterait d’être plus amplement étudié. Plus spécifiquement, le chapitre portant sur les activités de mercenariat de la diaspora ouvre des pistes de recherche très prometteuses.
Riche de plusieurs études de cas très intéressants, l’ouvrage présente plusieurs problèmes méthodologiques. Rédigé d’une manière inutilement complexe dans la tradition de la sociologie française, ce livre saura néanmoins intéresser tout lecteur intéressé à l’Afrique et à ses relations avec ses diasporas.