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Dans son ouvrage Libertés en péril, l’essayiste engagé Jean-Yves Cornachon, auteur de nombreux ouvrages qui s’interrogent sur l’état moral de la société française, lance un cri d’alarme sur des tendances sociales et politiques récentes. Des tendances qui mènent vers des transformations qui secouent les valeurs fondamentales sociales, mettant en péril l’unité sociale et son identité. Le point commun de toutes ces tendances est le danger qu’elle créent pour la liberté, qui est non seulement le premier mot dans la devise républicaine française, mais aussi, selon l’auteur, la première parmi les valeurs françaises.

L’argument de Cornachon n’est pas compliqué. Il définit la liberté comme une valeur positive, une totale autonomie de l’être humain qui, cependant, choisit de restreindre les libertés pour la bonne marche de la communauté, pour maintenir le vivre ensemble (p. 18). La liberté est non seulement une revendication d’un droit, mais aussi et d’abord une responsabilité, un engagement, qui la fait profondément civique et attachée à la citoyenneté (ibid.). Pour fonctionner, la liberté a besoin d’un champ libéré des obstacles idéologiques qui bloquent l’expression des opinions diverses. Sans ce champ libre, la liberté d’expression devient une fiction et finalement les citoyens arrêtent tout simplement de penser hors des normes imposées.

Les questions de la sécurité et la peur peuvent être des raisons suffisantes pour mettre la liberté en péril. Les gens instinctivement choisissent la sécurité et mettent en pause la liberté si les deux valeurs sont présentées comme alternatives. De plus, le terrorisme peut avoir une conséquence négative sur la cohérence républicaine au sein d’une nation civique. La tentation de bloquer la liberté au nom de la sécurité devient très forte. C’est la situation actuelle en France, un pays secoué par plusieurs crises majeures sur les plans social, économique, politique, sécuritaire et identitaire.

Liberté en péril est divisé en dix-sept courts chapitres qui présentent différentes questions liées au thème central, par exemple des questions centrées sur la liberté d’expression, sur la liaison entre la liberté et la sécurité, sur la religion ou sur le féminisme. Dans chaque chapitre l’auteur fait une brève mais profonde revue de la littérature sur la question spécifique et discute pourquoi cette question est pertinente pour comprendre l’ensemble de la problématique. Ces chapitres cependant ne donnent pas des réponses définitives à la question centrale de l’ouvrage. Ils représentent de la bonne nourriture intellectuelle pour comprendre notre situation qui n’a pas une sortie facile.

La force principale de l’ouvrage est, paradoxalement, sans aucun doute le manque d’une réponse définitive concernant la question de base implicite, qui est « que faire ? comment prévenir la destruction de la liberté ? » Dans la belle tradition intellectuelle française, on pose une question non pour justifier la proposition d’une réponse déjà présente dans la tête de l’auteur, mais pour motiver les lecteurs à chercher, à proposer et à débattre leurs propres réponses. L’ouvrage dans ce cas n’est pas une simple manipulation mentale, mais plutôt un parcours intellectuel qui montre la profondeur et l’importance de la problématique, la raison pourquoi elle devrait être considérée comme prioritaire dans les débats sociaux.

Une fois que la problématique est posée, le temps vient de proposer des solutions. Ce n’est pas suffisant de tirer l’alarme. La responsabilité civique dont parle l’auteur exige aussi d’avoir un plan général, pas nécessairement un plan optimal, mais au moins faisable, pour trouver une solution. Une solution qui, si l’on comprend bien la position de l’auteur, doit mener vers le rétablissement de la liberté au centre de la vie sociale française.

L’ouvrage Liberté en péril de Jean-Yves Cornachon ne s’adresse pas seulement aux spécialistes et aux étudiants en sciences politiques et sociales, mais aussi aux lecteurs pour lesquels les tendances contraires à la liberté ne sont pas seulement des questions théoriques. Malgré l’attention de l’auteur centrée sur le modèle social et politique républicain français, la problématique de l’ouvrage passe au-delà des frontières de l’Hexagone. La liberté n’est pas en péril seulement en France et, pour cette raison, des solutions ne doivent pas être limitées aux débats entre les citoyens français seulement.