Pour Pierre-Étienne Vandamme, il est nécessaire de fonder la légitimité des procédures démocratiques sur deux attentes normatives : la capacité épistémique de générer des décisions de qualité (bien informées) et la capacité morale de fournir aux citoyens des raisons acceptables ou impartiales d’obéir à des lois justes. Tel est le point d’ancrage de Démocratie et justice sociale, qui devrait pouvoir intéresser un public assez large de citoyens et de chercheurs réfléchissant à l’avenir de la démocratie représentative et, surtout, aux conditions de son amélioration. Comme l’illustre l’auteur, si les atouts épistémiques des régimes démocratiques (la « sagesse » du nombre, la diversité cognitive, la confrontation permanente d’idées et la possibilité de réviser des décisions antérieures en cas d’échec, etc.) sont bien documentés au sein de la littérature spécialisée sur le sujet, les faiblesses (mésinformation et désinformation, esprit de meute, manque de délibération, etc.) le sont tout autant. En outre, bien qu’elle s’avère nécessaire pour susciter l’adhésion populaire envers la démocratie, l’exigence d’impartialité (ou de considération égale pour l’avis d’autrui) n’est pas en reste de manquements. Malgré les deux avantages des régimes démocratiques qu’il identifie à ce sujet, soit une pluralité d’institutions diminuant les risques d’abus de pouvoir et l’inclusion d’un large dèmos limitant les biais implicites et positionnels, Vandamme reconnaît les nombreuses barrières existantes, notamment celles créées par le pouvoir et l’argent, la piètre qualité de la délibération publique et le manque de décentrement des citoyens. Face à ces constats, plusieurs affichent leur désillusion envers l’idéal démocratique et un nombre croissant d’intellectuels réfléchissent aux institutions qui pourraient remplacer les démocraties de masse tout en atteignant ses idéaux. L’ouvrage est divisé en trois chapitres. Le premier examine certaines propositions de « réformes démocratiques » cherchant à améliorer la « qualité » des décisions publiques : 1) la mise en place d’un « conseil épistocratique » formé de personnes particulièrement compétentes possédant un droit de veto sur les décisions d’une assemblée élue, tel que défendu entre autres par Jason Brennan dans Against Democracy ; 2) un droit de vote pondéré en fonction de la compétence ou de l’éducation des citoyens, une idée qui remonte à John Stuart Mill mais remise au goût du jour ces dernières années ; et 3) l’utilisation du tirage au sort afin de contrer les faiblesses cognitives des débats politiques contemporains en désignant certains électeurs qui, à travers un processus délibératif distinct du mode partisan d’aujourd’hui, seraient responsables de la sélection des gouvernants. Pour Vandamme, ces propositions n’offrent pas de potentiels de rationalité et d’impartialité supérieurs aux démocraties contemporaines permettant de les considérer comme des substituts institutionnels souhaitables. D’abord, le potentiel d’amélioration de la qualité des décisions d’un conseil épistocratique serait notamment mis à mal par l’abandon du mécanisme électoral, qui garantit simultanément une redevabilité envers la population, un certain contrôle sur les décideurs en cas d’abus de pouvoir, ainsi qu’une dynamique de communication entre représentants et représentés qui diminue le risque de décisions involontairement biaisées. Ensuite, l’idée d’une pondération du vote en fonction de la compétence ne garantit pas une amélioration de la qualité morale des décisions puisque les électeurs plus instruits ne sont pas nécessairement plus aptes à prendre des décisions justes et risquent de favoriser leurs intérêts au détriment des électeurs qui le sont moins. Enfin, Vandamme note que le mécanisme de tirage au sort des électeurs n’est pas sans risque d’atténuer la participation politique citoyenne et ses bénéfices, ou d’être perçu, à tort ou à raison, comme faisant l’objet d’une manipulation externe permettant de sélectionner des individus pour favoriser des intérêts particuliers. Malgré ses lacunes, la démocratie représentative moderne peut ainsi encore être …
Démocratie et justice sociale, de Pierre-Étienne Vandamme, Paris, Librairie philosophique J. Vrin, 2021, 256 p.[Notice]
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Fabien Tremblay
Candidat à la maîtrise en science politique, Université Laval
fabien.tremblay.2@ulaval.ca