Corps de l’article
L’ouvrage collectif Open Labs and Innovation Management a récemment attiré l’attention des praticiens de l’innovation au Québec. En effet, parmi les co-auteurs figure Luc Sirois, innovateur en chef du Québec, qui participe à la rédaction de deux des dix chapitres de l’ouvrage.
Cependant, le lecteur qui voudra y trouver quelques éléments relatifs à l’orientation proprement québécoise de l’innovation sera déçu, puisque l’ouvrage offre une perspective à la fois large et détaillée du phénomène des laboratoires ou espaces d’innovation ouverte (open labs). Ce terme recoupe, pour les auteur·es, diverses formes d’espaces qui interviennent de nos jours dans les processus de stimulation de l’innovation, soit les fab labs, makerspaces (ateliers de fabrication collaborative), les espaces de hacking (piratage informatique), les espaces de coworking (cotravail), les incubateurs et autres espaces « tiers ».
La taxonomie de ces espaces présentée par les codirecteurs dans le chapitre d’ouverture de l’ouvrage est l’un des éléments les plus intéressants qu’il propose, et certainement l’un des plus constructifs. Cela permet, d’une part, de bien saisir la nature des espaces d’innovation ouverte et, d’autre part, de comprendre comment les développer dans la pratique. Valérie Mérindol et David W. Versailles définissent ainsi quatre dimensions principales à ces espaces : la mission, la communauté locale, l’espace physique et le portfolio de services.
Cet effort de synthèse, en lui-même, offre une feuille de route très pratique pour les développeurs québécois qui ne savent pas toujours comment aborder un projet de mise en place d’un tel espace dans leur communauté ou région.
L’analyse présentée dans le chapitre de conclusion, également par les codirecteurs, qui utilisent les concepts des « triple » et « quadruple » hélices, offre une synthèse intéressante des vastes développements récents des diverses formes d’espaces d’innovation ouverte, malgré son caractère très conceptuel et relativement détaché du quotidien de tels espaces.
La diversité de perspectives que permet un ouvrage collectif n’est pas sans intérêt non plus. Plusieurs des contributeur·rices discutent d’ailleurs des cas d’études québécois et canadiens, qui concernent de près le praticien québécois. Par exemple, Luc Sirois et Karl-Emmanuel Dionne présentent l’événement de hacking health (piratage informatique en santé) afin d’aborder le phénomène des espaces d’innovation ouverte via la perspective temporelle. Luc Sirois (à nouveau), Octave Niamié et Patrick Cohendet analysent l’un des espaces d’innovation ouverte les plus connus au Canada, soit Communitech à Waterloo (Ontario), pour souligner leur importance dans le développement d’écosystèmes entrepreneuriaux. De même, Nathalie Tremblay, Patrick Cohendet, Geneviève Cyr, Margaux Manent, Laurent Simon, Maude-Pierre Faure et Carl-Éric Aubin présentent le cas de l’Institut TransMedTech de Montréal, un living lab (une forme de laboratoire d’innovation ouverte) qui s’est intégré et a contribué à la transformation d’un écosystème de soins de santé, notamment par la création, le développement et l’entretien de « lieux » sociaux, symboliques et d’innovation partagés (social, symbolic and innovation commons).
Il est dommage toutefois que ces études de cas, au demeurant fort éclairantes, ne puissent trouver qu’un lectorat restreint. En effet, le ton académique de l’ouvrage risque de rebuter la plupart des lecteurs issus de domaines de pratique. On aurait souhaité voir davantage d’études hors du contexte métropolitain (pour les contributions québécoises) en vue d’offrir une plus grande diversité de cas dans ce domaine d’activité. À ce chapitre, la contribution d’Ignasi Capdevila sur le développement d’espaces de coworking en milieu rural est intéressante, mais se concentre sur l’arbre pour manquer la forêt. Elle ne permet malheureusement pas de se faire une idée juste de l’ébullition en cours à travers tout le Québec en ce qui concerne les espaces d’innovation ouverte.
Deux autres contributions, celle de Nicolas Aubuin sur l’art, les entrepreneurs et les espaces d’innovation ouverte, et celle d’Olivier Irrmann sur l’innovation dans les contextes organisationnels contraignants, apportent enfin des perspectives originales qui permettent de transposer l’analyse dans des contextes relativement hors normes.
Cela étant dit, Open Labs and Innovation Management est certainement une contribution importante à la connaissance de l’innovation ouverte et des espaces qui la stimulent. Les praticiens qui suivent plus assidûment les fruits de la recherche universitaire ainsi que les étudiant·es et les chercheur·es qui s’intéressent aux espaces d’innovation – dont les projets de zones et de centres d’innovation en émergence partout au Québec – y trouveront beaucoup de matière à réflexion.