Politiques et conditions de l’attentionIntroduction[Notice]

  • Pascale Devette et
  • Julie Perreault

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La question de « l’attention » a pris un essor considérable dans les dernières décennies. Entre les troubles de l’attention, les réflexions sur l’ère numérique et le « multitasking », l’indifférence et la distraction, l’invisibilité des discours subalternes (compris en deçà de l’attention) ou l’explosion des thématiques du « souci », nombreux sont ceux et celles, en sciences sociales comme en philosophie, qui aujourd’hui remettent en question la complexité du phénomène. Pourtant, la nature même de ce qui fait « l’attention » reste difficile à circonscrire, comme le démontrent aussi bien les études récentes d’Yves Citton sur l’Écologie de l’attention que les réflexions des éthiciennes du care depuis les années 1990. Saisies entre ses dimensions ontologique et affective, éthique et politique, économique et esthétique, les réflexions sur l’attention comportent une dimension interdisciplinaire qui participe de ce que nous entendons développer dans ce numéro sous le thème de « politiques de l’attention ». Sur le plan théorique, l’attention fait l’objet de différentes approches qui cherchent à la définir conceptuellement. Or il s’agit d’un concept ouvert, affecté et situé, considérant que « faire attention à » requiert nécessairement un complément, quelque chose ou quelqu’un·e vers quoi ou vers qui l’attention se tend et dont le contact suppose la potentialité d’influences conjointes. L’attention est nécessairement relationnelle et, ce faisant, appelée à prendre une multitude de formes selon les objets auxquels elle se lie. Creusant à nouveaux frais le débat entre volontarisme et déterminisme, les six articles qui constituent ce numéro s’affairent à cerner la question de l’attention à travers ses plus hautes aspirations et ses possibilités éthiques, tout comme ils examinent les dérives actuelles qui peuvent y être associées. Sur les plans politique comme éthique, par exemple, donner son attention à quelqu’un·e peut aussi bien se déployer dans une relation de soin que dans une dynamique de profilage. Cette attention peut s’orienter en toute réceptivité vers le réel, sans prédéterminer son objet, comme elle peut réifier un cadrage préexistant qui hiérarchise les vies. Sur le plan existentiel, l’attention informe à la fois sur ce à quoi nous tenons et ce qui constitue de la valeur à nos yeux, tout comme elle révèle ce qui nous travaille et nous structure. Sur le plan épistémologique, enfin, elle contribue à la mise au jour de nouveaux éléments du savoir et à la décolonisation de ce qui opérait jusqu’alors en sous-bassement, bien qu’elle demeure toujours située dans un contexte qui conditionne en partie ses possibilités d’incarnation et ses orientations. C’est dire, donc, qu’il y a des phénomènes attentionnels, des situations structurantes et des rapports de pouvoir qui, ensemble, constituent des cultures de l’attention qui encouragent certaines formes d’attention plutôt que d’autres. En plus d’être un concept difficile à définir et un sujet de recherche au sens propre, l’attention est aussi le prérequis épistémologique à l’avènement de différents sujets d’étude. C’est en effet grâce à la capacité d’attention que se constituent activement la valorisation de certains objets et l’apparition de nouvelles valeurs, de problématiques ou de méthodes avant-gardistes. Sur le terrain pratique, les travaux contemporains sur l’attention se caractérisent par une diversité d’approches et de points de vue qui s’attachent aussi bien à la théorie critique (Estelle Ferrarese, Axel Honneth, Harmut Rosa) qu’à la pensée postcoloniale et à l’écoféminisme (Elsa Dorlin, Val Plumwood), à la phénoménologie (Nathalie Depraz, Paul Ricoeur), à la sociologie des émotions (Pascale Molinier, Eva Illouz), à la psychologie (Bernard Golse, Laure Léger, François Maquestiaux), à la théorie politique et morale (Sandra Laugier, Joan Tronto, Simone Weil), à l’étude des nouvelles technologies (Bernard Stiegler, Emmanuel Kessous), ou encore à l’économie politique (Franck Georg). Si …