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Introduction

Avec la massification de l’enseignement supérieur, la compétition entre les titulaires de doctorats en science politique pour l’obtention d’un poste de professeur·e menant à la permanence est de plus en plus féroce (Cornut et Larivière 2012), influencée tant par les réalisations des doctorant·es, leur genre ou leur origine que par la réputation de leur université (Turner 2002; Grondin, D'Aoust, et Racine-Sibulka 2012). Prenant acte de ces transformations, un nombre croissant d’articles, de livres et de rapports propose d’accompagner les étudiant·es dans leur professionnalisation (par exemple Bartkowski, Deem, et Ellison 2015; Conseil des académies canadiennes 2021; Gulian 2018; Calarco 2020) ainsi que dans la prise de conscience des conséquences genrées et racisées de ce modèle (Mountz et al. 2015; Teele et Thelen 2017; Gaudet et al. 2020). Les textes qui s’interrogent sur la responsabilité des programmes de doctorat – comment et à quoi ils devraient former leurs futur·es docteur·es, alors que ces dernier·ères arriveront dans un marché universitaire saturé – semblent plus rares. Cet article propose de réfléchir à la façon d’accompagner les étudiant·es dans leur prise de conscience de ces enjeux à partir de l’expérience d’un séminaire doctoral en science politique.

Lors de la réforme de son programme de doctorat en science politique en 2016-2017, l’UQAM a créé un Séminaire de préparation à la rédaction de textes scientifiques et aux activités de recherche pour répondre à certaines de ces préoccupations, telles qu’un meilleur taux de réussite aux concours de bourses de recherche, un meilleur taux de diplomation et une meilleure préparation à l’obtention d’un emploi à l’issue du doctorat. Les deux professeures qui ont créé le syllabus du cours en 2016 ont accompagné cette préparation d’une réflexion sur les conditions de production du savoir, donc sur l’université, ses transformations et les rapports de pouvoir qui la traversent. Six ans plus tard, quelle est la pertinence de ce séminaire selon les étudiant·es qui l’ont suivi? Comment leurs expériences se comparent-elles à la perception des enseignantes? Bien que ces six années n'offrent pas le recul nécessaire pour estimer l’impact de la réforme du programme sur les taux de déperdition et de diplomation, elles permettent une évaluation qualitative collective des impacts du séminaire sur les étudiants·es et sur le corps professoral qui s'y sont investis. Cet article s’appuie sur des échanges entre les trois professeures qui ont enseigné le séminaire depuis sa création et une étudiante du doctorat qui y a pris part, ainsi que sur les résultats d’un questionnaire auprès des étudiant·es qui ont suivi le séminaire entre 2016 et 2021. Le Séminaire de préparation à la rédaction de textes scientifiques et aux activités de recherche vise trois objectifs distincts. Le premier consiste à faire réfléchir les doctorant·es aux transformations du milieu universitaire, notamment à la néo-libéralisation de l’université, à l’expansion des programmes et aux transformations des trajectoires doctorales, à la sociologie de l’université et aux rapports de pouvoir qui la traverse ainsi qu’à l’éthique de la recherche. Le deuxième objectif est de réfléchir aux perspectives de carrières et de démystifier les carrières non-universitaires, en réfléchissant notamment à la place de la connaissance scientifique hors du milieu universitaire, aux compétences acquises et à acquérir durant le doctorat et à la préparation d’un CV universitaire. À vocation pratique, le troisième objectif est d’amener les doctorant·es à se familiariser avec l’écriture de différents types de textes destinés à des publics distincts : résumé en une page de leur projet de thèse, résumé pour une conférence scientifique, protocole de recherche ou revue de littérature critique. D’autres activités sont centrées sur la communication pour différents publics (présentation orale du projet de recherche pour un public non universitaire et présentation du travail de session dans un mini-colloque) et sur la mise en valeur de leurs savoirs, compétences et productions scientifiques (identification de revues dans lesquelles publier leurs travaux de recherche, ébauche d’une programmation de recherche, création de réseaux et de partenariats). Selon les résultats de la recherche, le séminaire offre un espace de prise de conscience des enjeux qui traversent l’université et un espace d’accompagnement pour l’élaboration de stratégies individuelles et collectives pour y faire face. Néanmoins, il ne répond ni à l’objectif néolibéral de productivité ni à l’objectif révolutionnaire de changer le contexte de production de la recherche.

Expériences étudiantes du séminaire doctoral

Questionnaire auprès des étudiant·es

Nous avons utilisé un questionnaire en ligne pour recueillir des informations sur l’expérience du doctorat et les réflexions des étudiant·es quant aux apports et aux limites du séminaire doctoral (Qualtrics, juin 2021). Ce questionnaire a été développé par les enseignantes du cours avec le concours de deux étudiant·es qui l’ont suivi. Il comporte 39 batteries de questions réparties dans trois sections:

  • Des questions générales fermées pour mieux connaître les conditions dans lesquelles ils et elles ont commencé leur doctorat;

  • Des questions fermées et ouvertes portant sur les trois principaux enjeux du séminaire;

  • Des questions biographiques fermées.

Nous avons envoyé 59 invitations[1] à remplir le questionnaire et reçu 45 réponses (dont 4 partielles), soit un taux de réponse de 76%. Nous avons offert 6 cartes cadeaux de 50$ par tirage au sort parmi les répondant·es. Les données collectées ont été anonymisées et nous avons pris soin de ne pas croiser des données qui permettraient d’identifier les doctorant·es (par exemple, pays d’obtention du diplôme précédent et année à laquelle le séminaire a été suivi).

Les femmes sont surreprésentées parmi les répondantes du questionnaire (44%) considérant leur part parmi ses destinataires (34%) – voir tableau 1[2]. Dans notre échantillon, les étudiant·es ont majoritairement obtenu leur diplôme précédent au Québec (56%), 37% l’ont obtenu à l’étranger et 7% dans le reste du Canada. À l’exception de deux personnes, tous·tes bénéficient d’une forme de financement de leurs études, que ce soit des bourses (incluant des bourses institutionnelles de doctorat de 13000$ créées en 2019) ou des contrats d’assistant·e. La majorité a indiqué rencontrer régulièrement d’autres étudiant·es pour échanger sur leurs travaux (68%). Aussi, plus d’un quart assument des responsabilités familiales auprès de leurs enfants ou de membres proches de leur famille (27%).

Tableau 1

Descriptif de l’échantillon

Descriptif de l’échantillon

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Utilité instrumentale du séminaire et démocratisation de l’accès aux codes de la discipline

Les réponses au questionnaire soulignent la pertinence du séminaire doctoral, tant du point de vue de l’appréciation de son contenu que de sa pertinence dans un programme de doctorat (tableau 2). À partir des réponses, nous avons créé trois indices qui donnent une mesure de l’autoévaluation des connaissances déjà acquises avant le cours[3] (Connaissance préalable, moyenne=,58, Cronbach’s alpha=,81), l’appréciation du contenu du cours[4] (Appréciation, moyenne=,73, Cronbach’s alpha=,79) et l’importance de chacun des éléments du cours pour la formation au doctorat[5] (Formation, moyenne ,89, Cronbach’s alpha=,83). Chacun des indices est basé sur quatre questions à six options allant de 0 (tout à fait en désaccord) à 1 (tout à fait en accord).

Tableau 2

Indices d’appréciation du contenu du séminaire selon les caractéristiques des étudiant·es et leurs conditions d’étude

Indices d’appréciation du contenu du séminaire selon les caractéristiques des étudiant·es et leurs conditions d’étude

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L’appréciation du contenu du cours renvoie aux apprentissages de savoirs pratiques et implicites sur la production de connaissances et à la réflexion théorique sur le monde universitaire. Cette appréciation est élevée avec un indice moyen de 0,73 et varie très peu selon les caractéristiques et les conditions d’étude des étudiants. Les activités pratiques que les étudiant·es ont perçues comme étant les plus utiles sont celles qui leur ont permis d’améliorer leurs compétences en communication scientifique et grand public, d’apprendre à commenter les travaux d’un·e collègue, de mieux comprendre les enjeux de la publication scientifique ou encore de préparer un CV. Ils et elles ont également apprécié de commencer à réfléchir sur le projet de thèse pour « contrer le syndrome de la page blanche au moment de la rédaction »[6]. En plus de cette utilité instrumentale, le séminaire a également permis aux étudiant·es de prendre conscience du fonctionnement du milieu universitaire, en particulier des rapports de pouvoir et des inégalités qui le traversent, de la compétition pour l’obtention de postes et des stratégies à développer face aux inégalités en milieu universitaire.

La perspective d’aborder ces contenus répond aussi à un besoin des doctorant·es, qui considèrent que leur connaissance préalable des enjeux et pratiques de production des connaissances était généralement plus faible, avec un indice moyen de 0,58. Cette connaissance préalable semble légèrement plus faible pour les étudiant·es non affilié·es à des unités de recherche (indice 0,5). Une limite de la mesure est que cette perception n'a été mesurée qu'après le cours, et non avant. Néanmoins, l’aspect le plus positif et indéniable du séminaire est d’offrir un mécanisme institutionnalisé de démocratisation de l’accès aux codes de la discipline et de la profession, qui ne dépend pas de la bonne volonté de leur directeur·rice ou de l’appartenance à une chaire ou un groupe de recherche.

Les résultats du questionnaire valident la pertinence du séminaire dans le programme de doctorat en science politique, en ce sens que la majorité des répondant·es considère qu’un programme de doctorat devrait former les étudiant·es à penser et à maîtriser les enjeux de la production de la connaissance en milieu universitaire (indice de 0,9). Cette perception est unanime parmi les répondant·es du sondage, quelles que soient leurs caractéristiques personnelles et leurs conditions d’étude.

L’indice d’appréciation du contenu cache tout de même certains écarts. D’une part, les étudiant·es déclarent très majoritairement (respectivement 95,3%, 95,3% et 93,7%) que le séminaire leur a été ou leur sera utile pour leurs études doctorales, la diffusion de connaissances et la recherche d’un poste universitaire, mais seulement 65,1% pensent que le séminaire leur sera utile pour chercher un poste non universitaire. D’autre part, l’impact du séminaire sur les pratiques est plus diffus, probablement parce que la majorité des répondant·es (53%) ont suivi le séminaire au cours des sessions d’hiver 2020 et 2021. Lorsqu’on leur demande de préciser, 8 étudiant·es signalent que le séminaire n’a rien changé à leurs pratiques et 11 qu’il a eu un impact, mais sans préciser lequel. D’autres (10 et 8 respectivement) précisent toutefois que le séminaire les a aidés pour les publications, les communications et les travaux à accomplir dans le programme de doctorat et qu’il leur a permis de créer des groupes de pairs.

Les étudiant.es ne déclarent pas avoir publié ou communiqué davantage après le séminaire, sauf pour des chapitres dans des ouvrages collectifs (25 étudiant·es déclarent avoir publié un chapitre après le séminaire, contrairement à 19 avant). L’impact du cours sur les pratiques semble genré : 6 des 8 (75%) commentaires soulignant le faible impact du cours ont été formulés par des hommes, alors qu’ils représentent 56% de notre échantillon. Ce que signifie ce résultat reste à clarifier: est-ce qu’il témoigne réellement d’une meilleure préparation et socialisation des hommes au milieu universitaire? Met-il plutôt en relief le fait que le séminaire venait de se terminer pour beaucoup de répondants, en temps de pandémie, par surcroît, ce qui n’a pas donné le temps nécessaire pour tester les savoirs vus en classe ? Ou bien révèle-t-il que la matière vue les a confortés dans leurs vues et savoirs préalables? Toutes ces pistes restent à explorer.

Esprit de cohorte, vulnérabilité et travail émotionnel

Les réponses au questionnaire mettent en évidence la tension entre les caractères solitaire et collectif du doctorat. D’une part, les répondant·es affirment majoritairement avoir un groupe de pairs auprès duquel ils et elles peuvent chercher du soutien émotionnel (80%) et demander des conseils pour leurs recherche et parcours doctoral (85%). D’autre part, la majorité (66%) des étudiant·es font l’expérience d’un certain isolement durant leur parcours. 33% affirment ne pas rencontrer régulièrement d’autres étudiant.es pour discuter de leurs travaux et 33% n'ont pas accès à un espace de travail à l'université. Un commentaire souligne aussi le fait que le cours était une « source de stress et [d']anxiété de performance »[7]. La vulnérabilité qui s’exprime dans le séminaire n’est ni spécifique à la matière étudiée ni pire que dans d’autres cours. Toutefois, la pédagogie employée par les professeures – sans être spécifique au cours – rend le travail émotionnel visible. En lien avec la réflexion critique sur le milieu universitaire, elle encourage les échanges entre les étudiants·es, la relecture mutuelle des travaux et la prise de conscience des rapports de pouvoir au sein desquels chacun·e se trouve. À l’inverse, 12 commentaires reflètent la perception que « ce cours a surtout consolidé le collectif de notre cohorte, renforçant ainsi l'esprit de bienveillance et de solidarité entre doctorant·es »[8]. Le séminaire a permis de créer des groupes de pairs, entendus comme des équipes de travail permettant la coproduction de savoir à travers les travaux en groupe d'écriture, de relecture et de rétroaction lors des activités en classe. Les étudiant·es lient la création d'un sentiment de cohorte à la pédagogie, soit au fait que les professeures réussissent à y construire un espace de collaboration et « [d’]empathie [et d']essayer d'assainir (au moins entre nous) ce milieu hautement compétitif »[9]. Créer un esprit d’entraide qui dépasse l’inscription des étudiant·es dans un sous-champ est source de satisfaction dans notre programme qui compte seulement 2 séminaires dédiés aux doctorant·es. C’est aussi un facteur contribuant à la réussite des études doctorales aux plans intellectuel et émotionnel (Brown 2021) et à compenser ou mettre en lumière certaines inégalités structurelles entre les doctorant.es (Posselt 2018).

Réflexions et expériences enseignantes

Démocratisation du savoir – succès et importance

Les résultats du questionnaire auprès des étudiant·es et nos expériences d’enseignement pointent vers un certain succès du séminaire, en ce qu’il répond à un besoin étudiant de comprendre comment fonctionne le milieu universitaire et comment effectuer les tâches importantes associées au statut de chercheur·e. Cette démocratisation de l’accès aux codes et aux éléments sociologiques propres au milieu universitaire est essentielle à nos yeux. Considérant nos expériences d’enseignement, nous nous attendions à observer des différences de connaissances préalables plus marquées selon la diversité des parcours des doctorant·es, de leurs situations personnelles, des ressources financières, matérielles et d’accompagnement dont ils bénéficient. Discuter des inégalités structurelles entre étudiant.es (mais aussi entre professeur·es), de leurs impacts sur la publication, sur la capacité à obtenir des bourses ou des subventions et sur la carrière a amené les étudiant·es à déconstruire la notion de mérite et à réévaluer leur compréhension du champ universitaire et non seulement les codes de la production et de la diffusion de connaissances. C’est d’ailleurs ce que soulignent 24 des 35 commentaires en réponse à la question de l’impact de la réflexion sur les rapports de pouvoir sur leur expérience et leurs pratiques dans le doctorat.

Le succès du séminaire auprès des étudiant·es est-il un indice que ce type de formation est une réponse viable à la responsabilité des programmes de doctorat? Partiellement, selon nous. Le séminaire présente indéniablement une utilité instrumentale, telle qu’évoquée plus haut. Il est aussi, tout comme l’ensemble du parcours doctoral, une occasion de développer sa pensée critique et de « connecter les expériences militantes et la production de savoir »[10], comme le souligne une répondante. Malgré tout, si le séminaire permet aux étudiant·es de mieux s’ajuster aux exigences du marché universitaire, il n’en change pas les règles, ni les critères auxquels les doctorant·es devront répondre pour espérer obtenir un poste universitaire. Les étudiant·es retiennent un savoir-faire pratique et se voient exposés·es aux inégalités du système universitaire (qui ouvre les yeux ou confirme des impressions, selon les cas), mais aussi qu’évoluer différemment au sein du système universitaire n’est possible qu’après avoir obtenu un poste. Ce constat peut être cynique et décourageant, surtout face à la rareté des postes universitaires. Cornut et Larivière (2012, 82-83) recensaient en 2012 que seulement 43,5% des docteur·es du Québec parvenaient à obtenir un poste universitaire, avec des différences notables entre les sous-champs de la science politique et les universités. De ce nombre, seulement 27% provenaient de l’UQAM. Dans ce contexte, le séminaire fait plutôt office d’accompagnement critique à la découverte des codes et pratiques du milieu universitaire et de stratégies d’adaptation à ces codes et pratiques. On peut se questionner sur la pertinence de présenter ce contenu dans un séminaire obligatoire, plutôt que dans des ateliers optionnels par exemple. Ainsi, d’autres expériences privilégient l’apprentissage du « curriculum caché » lors d’ateliers organisés par et pour les doctorant·es (Barham et Wood 2021).

Travail émotionnel, humilité et cours de service

Dans leurs réponses au questionnaire, les étudiant·es ont soulevé l’importance du travail émotionnel mené pendant le séminaire. La première partie du cours est souvent la plus chargée en émotions avec des lectures difficiles, voire « déprimantes »[11] selon l’un des commentaires, et des discussions franches sur les inégalités de genre, de race et de classe qui affectent les étudiants·es mais aussi les professeur·es du milieu auquel ils aspirent (charge supplémentaire de travail émotionnel que l’octroi de postes menant à la permanence représente pour les personnes racisées, négociation entre carrière et études à un moment où les femmes songent souvent à avoir des enfants, etc.). Cette conscientisation peut avoir des impacts durables sur les étudiants·es, qui idéalisent souvent le milieu universitaire. Qui plus est, ces discussions mènent parfois à des résistances, voire de l’agacement, de la part d’autres étudiants·es, qui perçoivent ces discours comme victimisants ou considèrent qu’ils ne les concernent tout simplement pas (comme certains commentaires au questionnaire en témoignent). La gestion de la classe et les enjeux personnels et émotionnels que ces discussions entraînent sont ainsi une composante cruciale du séminaire.

Bien que les résistances et les frustrations initiales ont le plus souvent laissé place à une plus grande dynamique d’engagement et de respect mutuel entre les étudiant·es et avec les enseignantes, la question du pouvoir symbolique est parfois difficile à négocier comme professeure pour ce cours. D’une part, il demande une certaine humilité de la part des enseignantes qui partagent des expériences et des documents personnels (par exemple, CV au moment d’être embauchées, lettres de présentation pour poser leurs candidatures à un poste, évaluations d’un article soumis et les réponses que la professeure a apportées). D’autre part, mettre en relief les relations de pouvoir qui traversent le milieu universitaire et le champ disciplinaire revient aussi à mettre en évidence, devant des étudiants·es, notre propre disempowerment potentiel vis-à-vis d’autres collègues, dont l’autorité est prise pour acquise[12]. Ainsi, devant la classe, le rapport d’autorité est souvent à établir pour la professeure, plutôt que préalablement établi et devant être déconstruit.

Enfin, le séminaire tel qu’il a été conçu est un cours de service, qui n’a été enseigné jusqu’ici que par de jeunes femmes professeures. Si la pédagogie employée est très enrichissante sur le plan humain, dans sa forme actuelle, il n’apporte aucun bénéfice à court ou moyen terme à la carrière de recherche des professeures qui l’enseignent puisqu’il ne sert pas à recruter de nouveaux·elles étudiant·es (ils et elles ont déjà identifié leur direction de recherche avant l’admission au doctorat), ni à mettre en relief et approfondir l’expertise d’une professeure. Il est bien documenté que ce type de cours et d’activités dits de service est habituellement comblé par des femmes en milieu universitaire (Guarino et Borden 2017). Ainsi, en investissant ces séminaires, les professeures ne mettent pas de temps sur les séminaires de spécialisation liés à leurs recherches qui pourraient les aider à les développer davantage, à publier davantage et à « mieux » réussir dans le système qu’elles présentent déjà aux étudiants comme étant inégalitaire. Calarco (2020) évoque d’ailleurs toutes ces raisons pour expliquer que les normes implicites du travail universitaire ne sont pas enseignées dans les cours. Force est d’admettre qu’en investissant ce séminaire, professeures comme étudiants·es vont à l’encontre des codes universitaires dominants qui misent sur la performance et la compétition: de part et d’autre, la vulnérabilité y est encouragée, tout comme le partage aux autres (de sa pensée, mais aussi de ses défis et craintes, de ses limites). Cela ne vient pas sans résistances et sans conséquence, autant pour les professeures que pour les étudiants·es.

Conclusion

La formule du séminaire doctoral de réflexion sur le milieu universitaire et de préparation à des activités de recherche porte fruit sur plusieurs points. Elle permet une démocratisation de l’accès aux codes de la discipline, une compréhension plus fine des inégalités et des rapports de pouvoir du milieu universitaire ainsi qu’un soutien émotionnel et intellectuel au début du parcours doctoral. Pour contrebalancer le potentiel d’un tel cours de renforcer uniquement un modèle néolibéral de succès, nous suggérons de s’assurer d’y démontrer aussi un modèle de citoyenneté universitaire et de collégialité. Il importe également de créer un espace qui permette tant aux enseignant·es qu’aux étudiant·es de s’exprimer avec confiance et de valoriser des visions et des expériences très différentes. Finalement, cette recherche suscite des questionnements plus larges sur la surproduction de docteur·es dans un contexte universitaire déjà saturé, sur l'organisation des programmes doctoraux pour faire face à la néolibéralisation des universités et sur le travail de care qui continue d'être délégué aux professeures.