Dans le cadre de ce numéro spécial sur la relève scientifique, il nous est apparu judicieux d’aller à la rencontre d’Isabelle Skakni, PhD en sciences de l’éducation, pour discuter de cet enjeu sous un angle d’analyse disciplinaire différent. Ses recherches portent sur la formation des doctorant-es et sur les expériences de travail des chercheur-es en début de carrière, notamment celles et ceux poursuivant des carrières au-delà du milieu universitaire. Outre les cas suisse et britannique, Isabelle Skakni connaît bien le contexte universitaire canadien pour avoir effectué ses études supérieures au Québec, en plus d’avoir réalisé une recherche sur l’expérience doctorale en sciences humaines et sociales au Canada. Au cours de cet entretien, nous discuterons de certains résultats de ses recherches parus dans différentes revues scientifiques, dont vous trouverez les références en fin de ce texte. Nous vous invitons à les lire pour poursuivre cette réflexion. En effet, dans la plupart des pays occidentaux, une majorité de titulaires de doctorat travailleront hors des universités dans les années à venir. Ce phénomène s’explique principalement par une conjoncture où, d’un côté, le nombre de personnes qui se sont engagées dans un parcours doctoral a considérablement augmenté depuis une décennie, et de l’autre, très peu de nouveaux postes académiques permanents (tenure track) sont créés. Il existe toutefois des distinctions disciplinaires. Ainsi, les titulaires d'un doctorat en sciences naturelles ou en ingénierie sont surtout embauchés dans le secteur privé et sont plus susceptibles de faire carrière dans la recherche que ceux et celles qui ont obtenu un doctorat en sciences humaines et sociales. Ces derniers se retrouvent plus souvent dans les secteurs public ou parapublic, généralement à des postes qui ne comportent pas de tâches de recherche, et quittent souvent le milieu universitaire une fois leur doctorat obtenu. Si la plupart des administrations universitaires sont au fait de cette réalité, l’adaptation des programmes doctoraux se fait à un rythme plutôt lent. Ce décalage se manifeste clairement dans la façon dont les doctorant.es anticipent et se préparent à « l’après-doctorat ». D’une part, plusieurs éprouvent des difficultés à se projeter, d’un point de vue professionnel, hors du monde de la recherche. Certains admettent d’ailleurs n’avoir aucun plan B au-delà d’une carrière universitaire. D’autre part, on remarque une tendance chez les doctorant.es à repousser leur réflexion concernant « l’après-doctorat » à la toute fin de leur parcours, souvent au cours des six mois précédant la soutenance de la thèse. Cette tendance est parfois renforcée par une croyance tenace dans le monde de la recherche, à savoir qu’avec beaucoup de travail et de sacrifices, les meilleur.es finissent toujours par obtenir un poste universitaire. Or, les recherches menées à ce jour montrent que la chance et le timing jouent aussi un rôle crucial dans l’obtention ou non d’un poste universitaire : il faut détenir l’expertise attendue, pour un poste en particulier, au moment précis où celui-ci est mis au concours. Par ailleurs, dans le cadre d’une recherche que j’ai menée avec mes collègues sur les titulaires de doctorat qui travaillent hors des universités, nous avons constaté que le passage du monde universitaire vers d’autres secteurs d’emploi peut être vécu comme un choc. Sans préparation préalable, les personnes qui passent directement du doctorat à un emploi non universitaire ou qui ont très peu d’expérience du marché du travail hors université sont en effet susceptibles d’éprouver des difficultés à s’adapter au fonctionnement de leur nouveau milieu professionnel. Dans certaines organisations, les valeurs véhiculées, les méthodes de travail, les statuts et les rôles ou encore les modes de communication interpersonnelle s’éloignent beaucoup de ce qui prévaut dans le monde universitaire. …
Parties annexes
Parties annexes
Bibliographie
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