Recensions

La revanche des contextes, des mésaventures de l’ingénierie sociale, en Afrique et au-delà de Jean-Pierre Olivier de Sardan, Paris, Éditions Karthala, 2021, 486 p.[Notice]

  • Alassane Diallo

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Les récits de l’aide publique au développement reviennent fréquemment dans la littérature scientifique. Diverses théories et études tentent d’expliquer les péripéties de cette importante « industrie ». Face aux différents contextes, les procédés de mise en oeuvre connaissent des fortunes distinctes sans qu’une analyse en profondeur en fasse ressortir les raisons. La revanche des contextes de Jean-Pierre Olivier de Sardan est une illustration de la complexité de « l’industrie du développement » et de la faiblesse de l’impact de ses politiques. Les réflexions qui y sont développées apportent une clarification importante sur le monde du développement et sur l’administration publique avec ses concepts et ses avatars. L’ouvrage constitue un condensé riche d’éléments de réponses à la « fabrique de l’aide publique au développement » et des politiques publiques au Niger. Le livre est structuré en cinq parties de manière à faire ressortir les théories et les données empiriques qui fondent l’exposé sur la « revanche des contextes » et sur les « logiques développementalistes ». À la suite d’un exercice d’éclaircissement dans l’introduction sur la socio-anthropologie de l’ingénierie sociale et les contextes africains, la première partie composée de deux chapitres offre une promenade intéressante dans la conceptualisation du monde du développement. Dans le chapitre 1, l’auteur dépeint la naissance des « modèles voyageurs » dans des contextes différents. Ces modèles, à travers l’exemple du paiement basé sur la performance, décrivent leur conception, cheminement, duplication et mise en oeuvre dans des environnements pluriels. Le chapitre 2, par la mise en contexte d’une étude de cas sur les « cashs transferts », offre un « récit édifiant » du modèle voyageur prenant racine au Brésil et au Mexique pour s’implanter dans une partie de l’Amérique latine, de l’Asie et de l’Afrique. L’ingénierie sociale derrière ces modèles voyageurs ignore les réalités socioculturelles des contextes propres à l’Afrique et omet les spécificités dans la définition des critères de mise en oeuvre. Dans la seconde partie, les « normes pratiques » sont au coeur de la trame des stratégies d’évitement et d’adaptation des administrations publiques. Le chapitre 3 conceptualise les normes pratiques, leur itinéraire et leur champ de prédilection. À partir de données empiriques, ces normes sont confrontées à la théorie pour préciser son cheminement au sein des administrations publiques et des raisons qui les font émerger comme règles de justification des déviances dans l’application des normes officielles. Le chapitre 4, en examinant certaines normes pratiques communes à la fonction publique nigérienne, notamment la corruption, l’absentéisme, le clientélisme politique, s’intéresse davantage au domaine de la santé. Sans occulter la situation de dénuement dans laquelle se trouvent les structures de santé, l’analyse de l’auteur porte sur la chaîne de responsabilité de cette situation imputable aux comportements des agents sur le terrain. Plus spécifiquement, Olivier de Sardan identifie « des noeuds critiques » associés aux « modèles voyageurs » et les qualifie de « normes pratiques » de déviance des règles de standardisation. C’est à travers quatre pratiques médicales avec des protocoles bien définis que les sages-femmes développent un ensemble de modes opératoires pour imposer des normes pratiques qu’elles s’inscrivent dans une stratégie de contournement, de refus d’application de « normes professionnelles », de « maximisation des gains » ou de « normes pratiques palliatives ». La troisième partie traite des multiples facettes de la gouvernance dans la délivrance des biens et services publics et de ses particularités selon les contextes. Le chapitre 5 fait un tour d’horizon du concept de gouvernance et des difficultés qu’il pose. L’auteur explicite la construction « du mode de gouvernance » dans le monde du développement pour les pays du Sud …