Recensions

How to Be an Anticapitalist in the 21st Century, d’Erik Olin Wright, Londres et New York, Verso, 2019, 176 p.Feminism for the 99 % : A Manifesto, de Cinzia Arruzza, Tithi Bhattacharya et Nancy Fraser, Londres et New York, Verso, 2019, 96 p.The Old Is Dying and the New Cannot Be Born : From Progressive Neoliberalism to Trump and Beyond, de Nancy Fraser, Londres et New York, Verso, 2019, 64 p.[Notice]

  • Alessandro Drago et
  • Emanuel Guay

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La décennie 2010 a débuté avec un important cycle international de luttes, dans la foulée de la crise financière de 2007-2008 et d’une vaste remise en cause du néolibéralisme et des élites politiques qui ont soutenu ce projet au cours des dernières années. Des camps se sont érigés, les rues se sont enflammées et des centaines de milliers de personnes se sont rassemblées dans des espaces publics afin de dénoncer la montée des inégalités et l’autoritarisme dans des contextes aussi variés que la place Tahrir en Égypte, le parc Gezi en Turquie, la Puerta del Sol en Espagne et le parc Zuccotti à Manhattan. Ce cycle de luttes a connu des revers majeurs, allant des difficultés électorales de formations politiques telles que Podemos, Syriza et les partis associés à la vague rose en Amérique du Sud, jusqu’à une guerre civile qui perdure en Syrie. À l’aube de la décennie 2020, de nombreuses questions demeurent à résoudre pour les mouvements à gauche de l’échiquier politique : Que faire ? Quoi revendiquer ? Comment s’organiser, et avec qui ? Ces questions peuvent être regroupées, avec bien d’autres, dans trois champs d’interrogation principaux. Le premier inclut les analyses du monde contemporain qui prêtent attention à des systèmes inégalitaires tels que le capitalisme, le racisme et le patriarcat. Le second champ se penche sur les stratégies et les identités collectives qui peuvent faciliter les processus de changement social, tandis que le troisième champ examine plutôt les modèles de société émancipée qui peuvent inspirer les mobilisations en cours. Les trois ouvrages recensés ici proposent des réflexions qui s’inscrivent dans chacun de ces champs. Le livre du sociologue Erik Olin Wright offre ainsi une étude critique du capitalisme et un portrait de différents modèles alternatifs désignés sous le concept d’utopie réelle, tout en abordant la question des stratégies à partir d’une analyse de l’État comme entité contradictoire et du rôle des identités collectives dans la formation de coalitions politiques. Les deux autres ouvrages, l’un rédigé par la philosophe Nancy Fraser et l’autre par Fraser en collaboration avec la philosophe Cinzia Arruzza et de l’historienne Tithi Bhattacharya, se concentrent sur les stratégies de transformation et les identités collectives, en employant les concepts de reproduction sociale et de bloc hégémonique pour nous aider à mieux comprendre le monde et nous inviter à le changer. Dans son ouvrage posthume How to Be an Anticapitalist in the 21st Century, Erik Olin Wright vise d’abord à préciser les fondements normatifs du socialisme de marché démocratique (p. XIV). Cette clarification des valeurs au centre d’un projet de société post-capitaliste facilite à la fois l’identification des problèmes que nous pouvons associer à ce système et l’élaboration de solutions alternatives désirables (p. 8). Wright situe les fondements normatifs d’un tel projet dans trois ensembles de valeurs, soit l’égalité et la justice, la liberté et la démocratie, ainsi que la communauté et la solidarité. Une société juste devrait fournir un accès égal aux conditions matérielles et sociales nécessaires afin de mener une vie épanouie (p. 10) ; elle tenterait aussi d’offrir un accès égal aux moyens permettant à chaque personne de participer aux décisions qui affectent sa vie (p. 15) ; et elle encouragerait le développement de liens coopératifs et de formes inclusives d’entraide entre ses membres (p. 18). Wright s’appuie sur ces trois ensembles de valeurs afin d’évaluer les mérites et les limites des sociétés capitalistes. Il conclut qu’aucune de ces dernières n’est parvenue à assurer l’égalité des opportunités ou de l’accès aux conditions permettant de mener une vie épanouie (p. 24), que ces sociétés promeuvent l’émergence de formes limitées …