Recensions

La conscience politique, de Geoffroy de Lagasnerie, Paris, Fayard, 2019, 240 p.[Notice]

  • Chrystophe Letendre

…plus d’informations

  • Chrystophe Letendre
    Candidat à la maîtrise en droit et société, Département des sciences juridiques et politiques, Université du Québec à Montréal
    letendre.chrystophe@courrier.uqam.ca

La réalité objective première serait celle dont rend compte le savoir sociologique. La théorie politique substituerait pour ainsi dire à la réalité sociologique des signifiants vides et des récits mythologiques en prétendant rendre compte de notre condition. Le choix et la liberté, par exemple, ne seraient pas à l’origine du sujet politique : notre entrée dans l’État et notre appartenance ne se rapportent à aucun contrat, jamais le choix n’est donné aux sujets, il n’y a pas d’alternative politique. Notre condition se rapporterait davantage à la « capture » et à l’« enfermement » : nous naissons dans un État et dès lors son ordre politique s’empare de nous, nous est imposé, nous devenons des « sujets » de l’État en ce que nous sommes définis par lui, enfermés en lui. C’est-à-dire que le rapport entre l’État et ses sujets en est toujours un d’extériorité et d’imposition, quand bien même les mythes politiques le convertissent en rapport d’intériorité, d’adhésion. L’auteur se propose de réduire les rapports que nous entretenons avec les institutions politiques à la même nature que nos rapports aux institutions sociales ; réduire les pouvoirs et les affrontements politiques aux pouvoirs et aux affrontements sociaux, interindividuels – ceux de la vie quotidienne. Est ainsi amorcée, par ce renversement des perspectives, une sociologie de la philosophie politique. Cette entreprise de démythification et de réduction pose les pierres d’une théorie politique : le « réductionnisme ». Nouvelle épistémologie politique, le réductionnisme a pour objet de lutter, par la réintroduction du social dans le politique, par la réduction du politique au social, contre la dissolution du social dans le politique. Les sujets seraient des êtres constitués par le monde social et animés par des intérêts sociaux bien plus que des êtres rationnels au sein d’une communauté politique. Le langage politique doit être réinscrit dans le jeu des dominations sociales, cesser de conférer l’illusion que ces rapports sont abolis parce qu’étant politiques, soi-disant élevés en généralité. L’autonomisation du politique se confronte à un problème épistémologique dès lors qu’il est soutenu que les actions et les rapports interindividuels changent de nature parce qu’ils concernent le politique. Le réductionnisme vise à détruire cet exceptionnalisme du politique en l’appréhendant comme une sous-partie du monde social. C’est une appréhension nouvelle qui permet de transcender les mythes totalisants pour enfin reconnaître l’état chaotique de dispersion dans lequel existent les sujets et leurs luttes. Si la communauté, la citoyenneté, le contrat social, le peuple sont des mythes et des signifiants vides, des individus, des groupes, des identités sociales, des systèmes de domination sont des abstractions quant à elles valables parce que renvoyant à la réalité sociologique – il n’y a rien au-delà. Un paradoxe est relevé : la théorie politique porte en elle cette propension à dépolitiser les identités sociales et les luttes concrètes. Or être un sujet politique devrait signifier « ne pas chercher à être autre chose que ce que l’on est » (p. 71) : notre identité sociale se doit d’être singularisée eu égard aux dominations subies plutôt que dissoute dans une entité générale. En valorisant de la sorte la singularité des identités et des luttes, la dispersion politique, Geoffroy de Lagasnerie se positionne implicitement contre la théorie de la convergence des luttes, sans pour autant énoncer le concept ni s’expliquer davantage. Intellectuel de gauche engagé sur plusieurs fronts, tout porte à croire que de Lagasnerie embrasse la convergence des luttes. Pourtant il n’en est rien. Il aurait été à propos d’expliciter ce qui apparaît contre-intuitif : l’occasion a été manquée. Au regard du réductionnisme, il n’existe rien de tel qu’une volonté générale appelée l’État …