Que ce soit en Espagne, en Écosse, en Irlande, au Québec ou en Belgique, le développement des sociétés fut marqué par l’expression d’une question nationale et par un rapport complexe entre différentes identités. La présence de forces politiques portant cette question nationale ou s’organisant vis-à-vis d’elle a eu et continue d’avoir des répercussions sur les dynamiques politiques qui les animent. Contrairement à d’autres démocraties libérales, ce qui est d’abord en jeu, ce sont les frontières du « nous », qui sont non stabilisées. Cela a un impact sur les débats et les dynamiques politiques : la finalité de la prise de pouvoir (réaliser l’indépendance ou non), la nature des revendications qui sont mises de l’avant au détriment d’autres, la construction de l’ennemi politique, le type de divisions au sein de la population, etc. Souvent, ce sont aussi des forces politiques qui ne sont pas uniformes sur l’axe droite–gauche, réunissant sous une même bannière des nationalistes progressistes et des nationalistes conservateurs, dont la prégnance dépend bien sûr du rapport de force entre les tendances. Si le nationalisme peut se révéler un outil de division, il est aussi un outil de développement social, qui conduit les unités (fédérées ou dévolues) à faire des choix politiques distincts et, souvent, à accorder une place centrale à leur État comme outil de transformation sociale. Bref, avoir ou ne pas avoir de parti politique nationaliste/indépendantiste change quelque chose dans le devenir des sociétés. C’est cette question générale que nous nous sommes posée dans ce numéro thématique. Il traite largement de la situation au Québec, mais comporte aussi des incursions dans d’autres sociétés, en comparaison ou non avec le cas du Québec. Avant de présenter les textes de ce numéro, nous revenons dans cette introduction sur ce qui a constitué le prétexte au colloque « Le PQ 50 ans plus tard », que nous avons organisé dans le cadre du congrès 2018 de la Société québécoise de science politique (SQSP), et l’état des lieux qui l’accompagnait. L’objet politique partisan nommé « Parti Québécois » s’est historiquement distingué par deux particularités, qui ont très bien été documentées dans la littérature spécialisée (Pinard et al., 1997 ; Lemieux, 2011 ; Montigny, 2012) : il s’agit d’une coalition hétéroclite sur le plan des idées, qui a réussi à imposer un clivage politique concernant le statut politique du Québec, de 1973 à 2007, dans la société québécoise ; le Parti québécois (PQ) est un parti antisystème qui a réussi par cinq fois à devenir un parti de gouvernement. Cette position particulière du PQ sur l’échiquier politique québécois a conduit à des développements politiques spécifiques en termes de politiques publiques, d’intervention de l’État et d’arrangements institutionnels plus ou moins formalisés avec la société civile. Cela a contribué à forger un régime de citoyenneté québécois qui se distingue du régime de citoyenneté observé dans le reste du Canada. Ainsi, les travaux de Jane Jenson (1998) ont clairement montré pourquoi, au-delà de la question normative de la spécificité nationale du Québec et de son existence comme communauté politique distincte, il était nécessaire de séparer analytiquement le Québec du reste du Canada. Évidemment, le PQ n’est pas seul à l’origine de cette distinction de l’unique juridiction majoritairement francophone en Amérique du Nord. Néanmoins, sa présence dans le jeu politique a joué un rôle central dans la configuration/reconfiguration des dynamiques politiques, que ce soit avec les autres partis ou avec d’autres acteurs sociaux (Dufour et Traisnel, 2009). Aujourd’hui, le PQ comme véhicule politique de la question du statut politique du Québec est dans la tourmente. Aux dernières élections québécoises du 1er octobre 2018, il …
Parties annexes
Bibliographie
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