D’entrée de jeu, nous pouvons noter que le titre de ce petit livre ne correspond pas bien à son format et à son contenu. Un titre plus précis aurait été préférable à celui qui a été choisi, et qui devrait sans doute être réservé à un ouvrage plus volumineux sur la question, très large, des rapports entre l’art et la résistance dans le contexte américain. La directrice de l’ouvrage, Violaine Roussel, propose en introduction une présentation du sujet à l’examen, soit le « moment Trump », et des trois textes qui forment le coeur du livre, produits par autant d’auteurs tous intéressés par la question des rapports entre l’esthétique et la politique, la création artistique et la contestation. Ce « moment Trump » est appréhendé comme une sorte de laboratoire-prétexte pour comprendre, par comparaison, les modes d’engagement et de revendication des artistes d’hier et d’aujourd’hui. Il s’agit aussi, pour Roussel, de comprendre l’arrivée de Donald Trump au pouvoir à la fois comme un « traumatisme culturel », en reprenant l’expression du sociologue Jeffrey Alexander, et comme un vaste sentiment d’échec du milieu artistique face à un certain répertoire d’actions politiques, y compris la participation à des manifestations, la collecte de fonds, l’appui à des candidatures démocrates, et ainsi de suite (p. 13-14). L’introduction à l’ouvrage met aussi en relief les prises de position qui ont succédé à l’élection et à l’assermentation de l’actuel président, chez les femmes notamment. On y soulève les différents problèmes engendrés par la multiplicité des mouvements, qui peut entraîner une certaine confusion, mais aussi les avantages d’un « modèle fragmenté » rendant possible la publicisation étendue des dissidences, nombreuses dans ce cas-ci. La présentation de l’ouvrage met enfin en lumière une question plus large, soit celle des rapports entre les pratiques artistiques détachées de la revendication politique et celles qui y sont reliées, en l’occurrence l’art militant défini et réclamé en tant que tel (p. 22-23). La musique (en groupe ou en solo), le théâtre militant et la performance, ainsi que la statuaire publique sont les trois domaines de la pratique artistique examinés ici. Plusieurs questions sont abordées : les représentations spectaculaires et politiques, la dissolution de la frontière entre célébrités artistiques et politiques, l’association « naturelle » entre artistes et démocrates aux États-Unis et, plus largement, celle des rapports entre les artistes et leurs publics. Le premier chapitre, écrit par Ron Eyerman, porte sur la musique. Le texte traite autant de la période avant que de celle après l’élection, en prêtant attention à la musique engagée (tous genres confondus) ou du moins à celle qui, à travers les paroles, comporte une critique de Trump. On y relève une mobilisation immédiate dans le monde musical, en particulier chez les artistes latino-américains et afro-américains actifs dans le rap et le hip-hop, laquelle aura permis à de nombreuses créations contestatrices d’être diffusées avant même l’élection, tout comme pendant la course à la présidence (p. 36-38). C’est dans ce contexte que des associations de musiciens et de chanteurs provenant d’horizons divers – le rap, le hip-hop, le folk, mais aussi, dans une moindre mesure, la musique country, avec quelques exceptions comme Willie Nelson – ont permis à des compilations de voir le jour. Les bénéfices reliés aux ventes de ces productions ont alors été versés à différentes causes. Eyerman relate aussi comment la diffusion des messages figurant dans les chansons a été plus grande et plus rapide grâce à l’accessibilité des plateformes de diffusion et à l’impact qu’ont eu les animateurs de certaines émissions de fin de soirée américaines, en offrant en quelque sorte d’autres vitrines à certains artistes …
Art et contestation aux États-Unis, sous la dir. de Violaine Roussel, Paris, Presses universitaires de France, coll. « La vie des idées », 2019, 90 p.[Notice]
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Éric Boulé
Chargé de cours, Département de sociologie, Université Laval
eric.boule@soc.ulaval.caEmanuel Guay
Candidat au doctorat en sociologie, Université du Québec à Montréal
guay.emanuel@courrier.uqam.ca