Selon Axel Honneth, nous vivons un moment historique contradictoire, car, d’un côté, le mécontentement qu’inspire l’ordre socioéconomique est grandissant, mais, de l’autre, l’espoir en un changement de cet ordre est inexistant. Historiquement, le socialisme était l’étincelle et l’objectif des luttes populaires. Les énergies utopiques étaient canalisées pour construire une société sans classes. Honneth affirme froidement que le socialisme a perdu son pouvoir d’attraction (p. 5). C’est donc à partir de cette prémisse qu’il cherche à renouveler les idées du socialisme. Pour ce faire, il propose une relecture des idées capitales du socialisme ainsi qu’une analyse de son contexte d’émergence pour ensuite suggérer des pistes de solution aux problèmes qu’il perçoit. Honneth est l’un des principaux représentants de la troisième génération de l’École de Francfort et, avec ses recherches sur le concept hégélien de reconnaissance, il a grandement contribué à renouveler la théorie critique. Pour Honneth, l’idée du socialisme est à la fois un produit intellectuel du capitalisme, de l’industrialisme et de la déception causée par la Révolution française. Mises de l’avant par ceux que l’on a nommés les premiers socialistes, soit Robert Owen, Claude-Henri de Saint-Simon et Charles Fourrier, les idées du socialisme ont entretenu une relation tendue avec les idéaux de la Révolution française. Les idées de liberté, d’égalité et de fraternité n’en sont jamais venues à s’incarner adéquatement. La liberté, comprise presque exclusivement comme liberté économique, est devenue la valeur dominante. De la sorte, l’expansion du marché et de l’économie s’est détachée de la société. Citant Émile Durkheim, Honneth affirme qu’à la base du socialisme on trouve l’impératif de subordonner l’économie aux finalités de la société (p. 9). Les premiers socialistes proposaient de repenser la liberté en termes sociaux. Ils croyaient que la liberté individuelle telle que proposée au cours de la Révolution française ne permettait pas une réconciliation avec le principe de fraternité. L’emploi de catégories telles que coopération, communauté, association ou encore mutuelle visait à socialiser la liberté. Dans le sillage des premiers socialistes, Karl Marx a proposé une nouvelle conception plus élaborée de la réconciliation entre liberté et fraternité. Sous l’influence de Hegel, le jeune Marx a en effet adopté l’idée de la reconnaissance. Honneth cite d’ailleurs un texte peu connu de l’oeuvre de Marx publié en 1844, soit Note de lecture sur James Mill, pour affirmer que pour l’auteur allemand, il existe deux modes de reconnaissance basés sur deux modèles économiques distincts. La reconnaissance au sein du capitalisme serait médiée par le marché et les individus entreraient en relation les uns avec les autres seulement en tant que porteurs anonymes de marchandises à échanger. Ainsi, sur le marché, les individus n’auraient que leurs propres intérêts à coeur. Ils ne concevraient l’autre que comme un moyen et non comme une fin en soi. L’autre forme de reconnaissance serait, elle, fondée sur l’entraide, la complémentarité et la compréhension que la réalisation de soi passe par la réalisation de l’autre (p. 20). Dans cette version de ce que Honneth appelle la liberté sociale, un pas décisif est fait : le rejet du marché semble absolu, ce qui aura une importance décisive sur l’histoire du socialisme. Pour Honneth, il est important de comprendre les conditions historiques de l’émergence du socialisme, car cela peut permettre de bien identifier ce qui est conjoncturel et dépassé. La création du socialisme est intimement liée à la révolution industrielle et à la Révolution française. Si cette dernière a permis de découvrir certains idéaux politiques normatifs, l’explosion de la croissance du monde industriel est venue ancrer ces réflexions sur le terrain de l’économie. Selon Honneth, cet ancrage a mené les penseurs et les …
The Idea of Socialism: Towards a Renewal, d’Axel Honneth, Cambridge, Polity Press, 2017, 145 p.[Notice]
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Nichola Gendreau Richer
École d’études politiques, Université d’Ottawa
ngend101@uottawa.ca