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Le terrorisme est une question de perception. La définition du terrorisme change selon l’État qui le pratique ou le subit. Ce crime est acceptable s’il est commis par des pays occidentaux et enrobé d’une propagande servant à le justifier. Voici, d’entrée de jeu, ce que défendent Noam Chomsky et André Vltchek dans leur livre L’Occident terroriste. Ils montrent, à l’aide de dizaines d’exemples, comment les discours sur le terrorisme et la propagande sont construits pour servir les intérêts occidentaux. Ils expliquent en introduction qu’au nom des valeurs occidentales comme la liberté et la démocratie, l’Occident a tué 50 ou 55 millions de personnes (p. 15) et est intervenu dans bon nombre de pays à travers le monde pour servir ses propres intérêts, souvent beaucoup moins nobles que le prétend le discours officiel partagé.
Par la retranscription d’un dialogue entre les deux auteurs, on retrace le fil d’un argumentaire sur les différentes interventions des États-Unis dans de nombreux pays au cours des dernières années, plus particulièrement au Moyen-Orient. Ils parlent ainsi de la face cachée du 11 septembre 2001 (p. 51), de l’intervention américaine dans plusieurs pays d’Amérique latine comme le Chili (p. 98-100), ou Cuba, qui est toujours aujourd’hui au centre d’une propagande anti-socialiste : ils dénoncent encore Cuba comme un endroit sinistre en oubliant volontairement les bons coups de l’État dans plusieurs pays d’Afrique ou encore l’excellente performance de son système de santé (p. 74-75).
Il en va de même pour les questions portant sur les interventions américaines et onusiennes au Moyen-Orient, notamment en Syrie ou, quelques années auparavant, en Lybie, État maintenant presque totalement oublié par le reste du monde malgré les dégâts causés par les actions de la communauté internationale (p. 112). Les crimes cachés comme l’utilisation d’armes interdites, notamment les armes chimiques par l’Occident, sont aussi au coeur de l’oeuvre. La guerre du Vietnam est un exemple convaincant de la manipulation médiatique pour cacher des crimes : en novembre 1961, John F. Kennedy a envoyé l’Armée américaine bombarder le Vietnam du Sud. Il a autorisé le recours au napalm et aux armes chimiques pour détruire les récoltes et l’écosystème, et a mis en place des programmes pour déplacer les Népalais vers des bidonvilles ou des camps de concentration. Les effets de l’utilisation d’armes chimiques sont d’ailleurs encore visibles aujourd’hui, malgré les décennies qui ont passé. Par exemple, des enfants naissent encore avec des malformations et des maladies (p. 20-21). Finalement, il est question de pays en développement, entre autres Haïti et plusieurs pays d’Afrique, qui n’échappent pas non plus aux interventions occidentales sur leur territoire sous prétexte d’une aide humanitaire ou d’une aide au développement, qui, cependant, selon les auteurs, cache une réalité beaucoup moins noble et a des conséquences dont on parle rarement (p. 123). L’ouvrage se termine tout de même positivement, en abordant les avancées faites dans de nombreux pays auparavant en difficulté comme l’Afrique du Sud, qui est aujourd’hui l’un des pays les plus développés d’Afrique (p. 127), ou encore plusieurs pays d’Amérique latine, comme la Bolivie, qui sont maintenant maîtres de leur destin (p. 121).
L’ouvrage exprime clairement le point de vue des auteurs, original, puisqu’il diffère des points de vue généralement entendus dans les médias, en étant beaucoup plus critique et tranchant. Il faut néanmoins dire que, tout comme ce qu’ils dénoncent tout au long de leurs discussions dans ces pages, leur message est, lui aussi, partial : il est clair que les deux experts choisissent délibérément des exemples qui vont dans le sens de la thèse qu’ils souhaitent illustrer et que leurs propos sont choisis pour servir ce qu’ils défendent. Ils frisent d’ailleurs parfois le propos anecdotique. Ainsi, l’oeuvre manque de nuances et de contre-exemples. On peut reprocher aux auteurs de ne montrer qu’un côté de la médaille, ce qui est une faiblesse du livre.
Dans ce même ordre d’idées, le format (une discussion entre les deux auteurs retranscrite textuellement) est original et permet d’offrir l’information au lecteur en des termes qu’il peut facilement comprendre et dans un format fluide et léger en plus d’être particulièrement court. Par contre, ce choix a également le désavantage de paraître moins rigoureux. Cet ouvrage aurait sans doute bénéficié de citations de plus nombreuses sources et de la collaboration d’autres experts qui auraient donné eux aussi leur vision des sujets traités. Ajoutons que des graphiques et des tableaux auraient été un atout majeur pour illustrer les propos des auteurs et apporter un aspect davantage technique, en plus d’améliorer la compréhension des faits évoqués.
Il faut admettre cependant que L’Occident terroriste de Noam Chomsky et André Vltchek propose un contenu varié et axé sur les expériences pratiques des auteurs. Il permet de faire un bref tour d’horizon des événements politiques qui ont retenu l’attention médiatique dans les années allant de la Guerre froide jusqu’aux événements importants de 2015 (année de publication), comme la guerre en Syrie. Il permet surtout de s’ouvrir à une vision beaucoup plus critique que celle apportée par les médias traditionnels. À ce niveau, nous reconnaissons bien la plume de Chomsky, respecté pour ses opinions à contre-courant assumées. Somme toute, il s’agit d’un bon ouvrage pour le lecteur informé qui souhaite avoir un point de vue critique sur les agissements politiques de l’Occident. Le lecteur doit toutefois être aux aguets : tout n’est pas aussi noir ou blanc en politique que pourrait le laisser croire cet ouvrage.